Proposition de Communication Agence Universitaire de la Francophonie VIe Journées Scientifiques Réseau « Analyse Économique et Développement » : Le financement du développement et réduction de la pauvreté 4 et 5 mars 2004 Fondements théoriques pour une tarification de l’eau en Afrique subsaharienne : une revue de la littérature Anne Briand Résumé : L’objectif du document est de proposer plusieurs voies d’inspiration théorique pour définir un « prix » de l’eau dans les pays d’Afrique subsaharienne. A partir de la littérature économique, nous expliciterons les fondements de différents modes de tarification pour cette ressource à la fois rare et vitale. Ceux-ci sont très largement liés à l’organisation du secteur : le service (formel) est délivré par une entreprise concessionnaire à mission de service public. La potentielle ouverture de certains segments du secteur impose aussi une réflexion sur les charges d’accès au réseau. Enfin, l’objectif de développement durable qui intègre la contrainte environnementale pousse à internaliser les effets externes liés à l’utilisation de la ressource. Introduction : Les débats actuels sur la tarification de l’eau dans les PVD En Afrique, le débat sur la tarification de l’eau n’est pas totalement tranché. Il est au centre des discussions relatives à la « gestion sociale » de l’eau. Depuis plus d’une décennie, cette politique est fondée sur trois instruments utilisés par les sociétés distributrices : les tarifs progressifs ; les tarifs partiellement subventionnés ; les installations subventionnées. Les résultats sont diversement appréciés. Le coût initial d’un raccordement est inaccessible au plus grand nombre, même s’il est payé à crédit. D’autres part, les branchements subventionnés vont plus souvent en direction des ménages proche des canalisations. Lorsque les branchements atteignent les plus pauvres, c’est au prix d’un endettement irréversible. Dès lors, il ne s’agit plus de politiques de subventions mais bien de politiques captives pour « rattraper » une demande pauvre mais solvable. A supposer que les Etats décident de prendre à leur charge les équipements, le problème n’est pas résolu pour autant. Certes, cette alternative permet de faire grimper le taux de couverture. Mais, cette hausse est artificielle car la question de la solvabilité du consommateur demeure. Il est clair alors que le raccordement ne se suffit pas à lui seul et il convient de s’intéresser aux conditions de son installation. En Côte d’Ivoire, les branchements ont été multipliés dans les quartiers précaires dès les années 70-80. Mais les abonnés avaient de telles difficultés à honorer leur facture que les résiliations se sont multipliées : les ménages préférant payer l’eau au coup par coup en fonction de leurs revenus fortement fluctuants. Ainsi, de nombreux pays subventionnent actuellement l’installation des équipements. Cependant, cette alternative continue de biaiser le système puisque les subventions sont souvent proportionnelles à la consommation. Les ménages aisés grands consommateurs se retrouvent favorisés puisque fortement subventionnés. De fait, il apparaît que la tarification est un véritable instrument redistributif entre les différentes catégories de consommateurs. C’est pourquoi, la redistribution des revenus à travers l’adaptation des tarifs a davantage été prise en compte par les entreprises concessionnaires. Ces dernières ont adopté une tarification progressive de manière à faire supporter la consommation des ménages les plus pauvres par les plus riches. Mais là aussi, le système livre son lot d’effets pervers. Dans les quartiers périurbains, les raccordements se font le plus souvent dans les cours extérieures et non dans les habitations elles-mêmes. En définitive, le coût s’avère supérieur au simple raccordement individuel car plusieurs familles viennent s’y approvisionner, ce qui incite le possesseur du robinet (revendeur) à répercuter les prix à la hausse. Face à toutes ces difficultés enseignées par la réalité africaine, comment définir une tarification « optimale » ? Peut-être pourrions-nous nous tourner vers la théorie économique afin d’élaborer un début de réponse à la question. Plus précisément, dans ce projet de réflexion, nous allons uniquement nous interroger sur les fondements microéconomiques d’une tarification d’une ressource rare et vitale, en particulier dans le cadre qui nous intéresse : celui des entreprises privées concessionnaires de service public, chargées de la production, du transport et de la distribution de l’eau. En effet, rappelons que les différents 1 principes auxquels sont confrontés les concessionnaires sont : l’égalité de traitement des usagers, la continuité et l’intérêt général. Comment une entreprise concessionnaire à mission de service public (qui a la double contrainte de rentabilité et d’intérêt général) peut définir un mode de tarification de l’eau permettant l’accès au plus grand nombre au service de base ? Notre première partie porte sur une réflexion, à partir de l’abondante littérature économique, sur les fondements microéconomiques d’une tarification optimale de l’eau. Nous présentons différents modes de tarification (au coût marginal, coût moyen, coût complet et leurs extensions) possibles pour une entreprise concessionnaire à mission de service public devant concilier efficacité et équité. Puis nous présentons dans une seconde partie, une méthodologie de construction d’une tarification de l’eau inspirée de travaux canadiens, afin de s’interroger sur les conditions de son applicabilité en Afrique subsaharienne pour une généralisation de l’accès à l’eau. Dans une troisième partie, la réflexion se centre sur les fondements théoriques de la tarification des charges d’accès lorsque l’ATR (Accès de Tiers au Réseau) est autorisé dans une industrie de réseau. Enfin, la dernière partie apporte les justifications théoriques à la prise en compte des externalités environnementales, en abordant la nécessaire intégration de la valeur « in situ » de l’actif naturel dans le prix de consommation. 1) Discussion autour de la tarification optimale des entreprises concessionnaires de service public. Il apparaît nécessaire de s’interroger sur ce que doit être le comportement d’une entreprise privée concessionnaire en charge de la production, du transport et de la distribution de l’eau. N’oublions pas que ces entreprises ont dans leur fonction objectif, une double contrainte de rentabilité et de mission de service public. Quel doit être le système tarifaire à adopter pour l’usager final ? D’après ces éléments, on peut rappeler les différents principes, auxquels sont confrontés les concessionnaires, définis par les juristes : égalité de traitement des usagers, continuité et adaptabilité du service public. A ce titre, une tarification au coût moyen impliquant tout à la fois une péréquation temporelle et une péréquation spatiale des tarifs doit être mise en œuvre. C’est pourquoi s’est développé l’idée d’une tarification au coût marginal. 1.1) La tarification au coût marginal. Les « économistes » s’appuyant sur la théorie de l’optimum de Pareto justifiaient une tarification au coût marginal, ce qui impliquait une dépéréquation temporelle et spatiale des tarifs. Le surplus collectif (bien être social) est maximisé lorsque l’usager paie un prix correspondant au coût supplémentaire (coûts fixes anticipés et coûts variables) supporté par l’entreprise du fait de la présence de cet usager sur le réseau. Un tel système justifie des tarifs plus élevés aux périodes de pointe (lorsqu’il y a un encombrement ou lorsqu’il y a une variation climatique à l’origine de conflits d’usage plus élevés : sécheresse) et des tarifs plus élevés dans les zones isolées (là où les coûts de raccordement sont plus forts en raison de la faiblesse des rendements d’échelle). Cette 2 discrimination tarifaire n’est pas incompatible, du point de vue de la théorie, avec le principe de l’égalité de traitement des usagers : tous les usagers placés dans les mêmes conditions paient un prix identique ; a contrario les usagers placés dans des conditions (temporelles et spatiales) différentes doivent payer un prix différent. Cette tarification au « coût marginal », dit en développement, a été progressivement adoptée par plusieurs entreprises à mission de service public, pour les secteurs relevant de « l’économie des réseaux », comme par exemple, pour le cas de l’électricité, EDF, d’abord en 1956 avec le « tarif vert » réservé aux industriels (on pourrait imaginer l’application de ce principe pour les industriels africains utilisateurs d’eau), puis en 1965 avec le « compteur bleu » réservé aux ménages domestiques (J. Percebois, 2001). Le secteur électrique utilise en effet ce résultat théorique pour tarifier l’électricité. Est-ce aussi possible pour le secteur de l’eau et en Afrique subsaharienne ? Pour répondre à cela, voyons ce qu’a fait le secteur électrique français. Il a utilisé largement la différenciation horosaisonnière des tarifs, avec par exemple le tarif Tempo, et a mis en place le tarif EJP (effacement jours de pointe) qui a créé une incitation supplémentaire pour les usagers (souvent des industriels) à s’effacer totalement aux heures ou périodes de pointe, en contrepartie d’avantages financiers le reste du temps (souvent, la facture annuelle d’eau des industriels, acceptant son effacement en période de pointe, diminuait de 50%). Ce principe pourrait peut-être intéresser bon nombre d’industriels africains qui pourraient aussi voir leurs factures diminuer largement. Mais, dans le cas de l’eau, le problème est que l’effet d’encombrement est souvent un problème de pénurie lié à un défaut climatique, et donc, l’effacement risque de durer trop longtemps, ce qui pourrait engendrer pour les industriels des pertes (liés à l’arrêt de la production) largement supérieurs aux gains (retirés par la diminution de la facture d’eau, si effacement du client) : cette situation est très grave pour des industries « en développement ». Cependant, il est important de comprendre qu’une telle tarification (au coût marginal), fondée sur une « vérité des prix » présente un double avantage : - en écrêtant les « pointes » (et en comblant partiellement les « creux »), elle permet de faire des économies de capital et de mieux utiliser l’équipement disponible ; - elle constitue une base de référence pour les pouvoirs publics chargés de la réglementation. A chaque fois que ceux-ci imposent à l’entreprise concessionnaire des changements tarifaires qui éloignent de cette référence (refus d’aligner les tarifs sur les coûts, avantages accordés à certains usagers au nom de la solidarité nationale ou de l’aménagement du territoire), il y a « subventions croisées » entre les clients ou entre le client et le contribuable et c’est un choix politique dont les conséquences doivent être clairement perçues par les pouvoirs publics. Si la tarification au coût marginal ne pose pas de difficulté majeure lorsque l’activité se déroule en phase de coûts marginaux croissants, il en va différemment lorsque l’entreprise fonctionne en rendements croissants (coûts décroissants) comme il en est probablement le cas pour la distribution de l’eau, bien que nous n’ayons pas de fonction de coût précise illustrant 3 ce fait. Si l’on fait alors l’hypothèse que, concernant la distribution de l’eau, l’entreprise concessionnaire fonctionne en rendements croissants, elle fonctionne alors de sorte que, toute tarification au coût marginal, est génératrice de pertes (puisque le coût marginal est inférieur au coût moyen). De ce fait, d’autres modes de tarification, (toujours issus de celle au coût marginal), se sont développés dans la théorie économique, dont celle au coût moyen, qui permet l’équilibre budgétaire. Voyons quels sont ces autres modes de tarification. 1.2) Les extensions de la tarification au coût marginal. La théorie du « monopole naturel »1 nous enseigne qu’il existe plusieurs possibilités, lorsqu’il s’agit d’un monopole multiproduits (ou ayant à faire face à plusieurs demandes, comme c’est le cas pour l’eau qui est réclamée pour des usages multiples : consommation d’eau potable par les ménages, l’eau d’irrigation pour les agriculteurs, l’eau pour la production électrique …), contraint par sa mission de service public (car un monopole privé non contraint, c’est-à-dire non réglementé par l’Etat, tendrait à rechercher le profit maximum donc à respecter l’égalité entre recette marginale et coût marginal, ce qui minimise le surplus collectif). La première possibilité est de maintenir une tarification au coût marginal. C’est une solution dite de « premier rang » (first best), qui implique que l’Etat prenne à sa charge le financement des coûts fixes, c’est-à-dire des investissements lourds tels que les barrages : cette idée émane du théorème du rendement social de M.Allais. Par contre, cette solution engendre, un déficit budgétaire, lié à la vente au coût marginal inférieur au coût moyen. Seul l’Etat peut financer ce déficit en recourant à l’impôt, mais ce recours est coûteux et génère des effets redistributifs non négligeables. La deuxième possibilité consiste donc, à opter pour un optimum de « second rang » (second best) et à retenir par exemple une tarification du type RamseyBoiteux. Le but est de maintenir une structure marginaliste des tarifs tout en assurant l’équilibre budgétaire de l’entreprise (cas où l’Etat refuse de subventionner le monopole privé concessionnaire de service public). Le principe est que le prix payé par l’usager doit s’écarter de son coût marginal de façon inversement proportionnelle à l’élasticité - prix du bien considéré. On récupère ainsi les coûts fixes en priorité sur les usagers captifs. Le fait que les segments de clientèle les plus captifs subissent les plus fortes marges entre prix et coût marginal s’explique par le souhait de s’écarter le moins possible de l’allocation optimale de premier rang tout en préservant l’équilibre financier de la firme. Il importe dès lors de ne pas trop distordre le signal tarifaire adressé aux usagers, surtout les plus mobiles potentiellement. D’après la théorie économique, pénaliser les usagers captifs est efficace en termes de surplus collectif, même si cela se discute du point de vue de l’équité. De plus, dans une économie « en développement », ce système est-il viable et avantageux pour favoriser à long-terme l’accès de tous au service de l’eau ? Les coûts fixes sont si importants qu’ils constituent des barrières à l’entrée pour d’autres entreprises susceptibles d’entrer sur le marché. 1 4 Le théorème de la « main invisible faible », mis en évidence en 1977, (Bailey, Baumol et Willig), démontre toutefois que, sous certaines conditions, les prix Ramsey-Boiteux sont équitables au sens où ils ne produisent pas de subventions croisées (J. Percebois, 2001). Remarquons que la Société du Canal de Provence (SCP), qui est une société d’aménagement en France, a pris en compte, dans sa tarification de l’eau, le principe d’équilibre budgétaire. Certes, d’autres solutions ont été proposées pour concilier efficacité et équité (comme le prix de Feldstein en 1964 et de Shapley en 1972…). La tarification Ramsey-Boiteux suppose néanmoins que l’entreprise sache segmenter ses clients en fonction de l’élasticité - prix de la demande. Une telle segmentation peut s’avérer coûteuse en termes d’études de marché. C’est pourquoi le recours à une tarification non linéaire binôme est souvent préféré (J. Percebois, 2001). La troisième possibilité (tarification non linéaire binôme) permet de connaître ex post, la disposition à payer des clients sans les différencier à priori. La charge de la discrimination est en quelque sorte « sous-traitée aux usagers qui se positionnent aux divers niveaux du barème » (N.Curien, 2000), en choisissant eux-mêmes les options qu’ils préfèrent. Le tarif est de la forme : T = E + pq Où E représente une prime fixe indépendante des quantités consommées q et p représente le prix unitaire du bien. Willig a démontré en 1978 que le tarif optionnel non linéaire est préférable, au sens de Pareto, à un tarif linéaire du type Ramsey (voir Bezzina, 1998). Les prix non linéaires optimaux de premier rang ont été proposés dès 1946 par Coase. Ils permettent d’équilibrer le budget de l’entreprise grâce au recouvrement des primes fixes et de faire bénéficier les usagers d’une tarification au coût marginal. Le tarif non uniforme se décompose dès lors en 2 éléments (J. Percebois, 2001): - un prix unitaire p égal au coût marginal de mise à disposition du bien ; Une partie fixe E qui permet de couvrir les coûts fixes de l’infrastructure et telle que : E = F/n où F représente les coûts fixes et n le nombre d’usagers. Cela revient donc à répartir les coûts d’infrastructure de façon uniforme entre tous les usagers. Il faut noter toutefois que la disponibilité à payer (ou capacité à payer, ou encore disposition à payer) de chaque usager doit être supérieure à la charge fixe F/n pour que l’allocation optimale des ressources soit atteinte. Seules des statistiques nous permettraient de connaître les dispositions à payer des différents usagers africains et donc de déterminer si ce mode de tarification serait applicable pour l’eau, dans les pays de l’Afrique subsaharienne. En effet, si la disponibilité à payer de chaque usager est inférieure à la charge fixe, certains clients seraient abusivement exclus de l’accès au réseau. La quatrième possibilité consiste à faire payer à chaque usager le coût variable imputable à sa demande (logique de coût marginal à court terme) et à y ajouter une fraction des coûts fixes communs à tous les usagers. C’est le principe de la tarification « au coût complet » (Fully Distributed Cost Pricing) appelée FDC. L’imputation des coûts communs (fixes) peut se faire de différentes façons : proportionnellement à la quantité consommée, proportionnellement aux recettes variables 5 récupérées ou proportionnellement aux coûts imputables à chaque consommateur (Young, 1995 ; S.Brown et D.Sibley, 1989 ou encore Braeutigam et Panzar, 1989). Cette méthode FDC aurait le mérite de la simplicité et est relativement équitable puisque chacun participe au financement des coûts communs au prorata d’un critère objectif (J. Percebois, 2001). Notons que la distinction coûts variables - coûts fixes, ne coïncide pas nécessairement avec la distinction coûts imputables - coûts communs même si les deux approches ont tendance à se recouvrir. D’un point de vue empirique, dans le secteur électrique, il apparaît que la tarification binôme par tranches demeure la tarification la plus pratiquée par les industries de réseau soumises au respect de l’équilibre budgétaire. C’est le cas d’EDF et, de façon plus simple de GDF, et on trouve également ce type de tarifs dans les télécoms… ne pourrait-on pas envisager ce type de tarification par les entreprises concessionnaires du secteur de l’eau de l’Afrique subsaharienne, soumises aussi à la bonne gestion ! Il semble qu’il serait naïf de conclure sans études statistiques et économétriques, pour le cas du secteur de l’eau en Afrique subsaharienne. 2) Présentation d’une méthode de tarification de l’eau au coût marginal : la question de son applicabilité en Afrique subsaharienne. Nous allons présenter une méthode de tarification de l’eau, inspirée d’un modèle canadien, issu d’ un manuel de tarification municipale des eaux potables et usées, publié par l’Association canadienne des eaux potables et usées, et, l’Académie Rawson des sciences de l’eau ( Mac Neill et Tate, 2002)2. L’intérêt de la présentation de cette méthode réside dans le fait que, celle-ci propose une démarche concrète, pour établir une tarification de l’eau. De plus, cette méthodologie, qui a pour caractéristique, de se concentrer sur la volonté de conservation de l’eau en tant que ressource rare, a pour avantage d’être adaptable à différentes échelles de taille, c’est-à-dire, quelque soit la taille de la région. Une fois présentée, nous verrons son applicabilité en Afrique subsaharienne, compte tenu de l’objectif supplémentaire de favoriser l’accès de tous au service de base. La tarification de l’eau, présentée ici vise à favoriser la conservation de l’eau, en cherchant à rendre compatible l’efficacité économique (collectivement optimale, qui vise à maximiser la valeur « économique » de l’eau) et le recouvrement intégral des coûts (pour assurer la viabilité financière du système de tarification). Ces deux aspects sont importants, car l’efficacité économique aide à contrôler la croissance de la demande et assure l’utilisation rationnelle des réserves hydriques, tandis que le recouvrement des coûts assure au service public, de disposer de suffisamment de capitaux et de recettes de fonctionnement. Une 2 Modèle de Roger Mc Neill et Donald Tate, (1991), « Une nouvelle approche à la tarification », Etude n° 25, Collection des sciences sociales, Direction générale des eaux intérieures, Direction de la planification et de la gestion des eaux, Ottawa,Canada. 6 politique des prix réaliste devrait avoir deux objectifs : l’efficacité économique et le recouvrement du coût intégral. 2.1) Méthodologie de construction de la tarification de l’eau Nous allons présenter la démarche pour estimer quantitativement une tarification qui vise le double objectif décrit ci-dessus. Mais dans ce cadre, nous nous contenterons de présenter la méthode. Afin de déterminer la tarification efficace, nous aurions besoin de données comptables pour estimer les courbes de coût marginal. La connaissance des courbes de coût total suffit pour estimer les courbes de coût marginal. Par contre, l’estimation des courbes de demande est complexe et peut exiger des données considérables. Si ces données ne sont pas accessibles, l’analyste peut se contenter des courbes de demande générique, courbes adaptables aux conditions particulières de fonctionnement de divers services publics. Une fois que l’analyste a estimé ces fonctions (de coût marginal et de demande), elles peuvent être transposées graphiquement afin d’indiquer les prix optimaux situés à l’intersection de la courbe de demande et de la courbe de coût marginal. Pour la période de pointe, il faudrait fixer le prix à Ph, là où se joignent la courbe de demande et la courbe de coût marginal en période de pointe. Pour la période hors pointe, il faudrait le fixer à Pl, là où se joignent la courbe de demande et la courbe de coût marginal en période hors pointe. Outre les prix Ph et Pl, fixés en fonction du volume, le client devra aussi verser une redevance de raccordement. Cette redevance, exigée pour couvrir tout déficit éventuel, peut être versée en une seule fois ou réglée en plusieurs versements. Remarquons, qu’en Afrique subsaharienne, il existe une difficulté supplémentaire liée au fait que l’Etat devrait être obligé de subventionner le raccordement au réseau pour permettre à la fois le développement du réseau et donc par la même, l’accessibilité de l’eau à tous les ménages. Mais, ne dévoilons pas tout, tout de suite, car nous allons revenir sur la description de la méthode, bientôt. Précisons juste, qu’il sera nécessaire de distinguer un prix en période de pointe, et un prix en période hors pointe, déterminés ainsi : Durant la période de pointe, le coût marginal est établi d'après le coût marginal de fonctionnement et le coût marginal de capacité. L'équation (1) ci-dessous résume la structure du prix exigé en période de pointe. Prix en période de pointe = Coût marginal de fonctionnement (volumétrique) + Coût marginal de capacité (volumétrique) + Redevance de raccordement Le prix proportionnel au volume par unité d'eau utilisée en période de pointe, représente, la somme du coût marginal de fonctionnement et du coût marginal de capacité par unité. Durant la période hors pointe, le prix proportionnel au volume et la redevance continueront de s'appliquer, mais le coût marginal de fonctionnement constituera un prix proportionnel au volume, tel qu'il est indiqué dans l'équation (2) ci-dessous. 7 Prix en période hors pointe = Coût marginal de fonctionnement (volumétrique) + Redevance de raccordement Les équations (1) et (2) définissent la structure tarifaire de base pour la fixation du prix au coût marginal. Tous les usagers paient un prix lié au volume établi d'après le coût marginal de distribution, outre une redevance de raccordement. Durant la période de pointe, le prix lié au volume est plus élevé parce qu'il faut tenir compte du coût marginal de capacité. La présente partie décrit les méthodes de calcul des composantes du prix, dont le coût marginal de fonctionnement, le coût marginal de capacité et la redevance de raccordement. Le prix lié au volume sera souvent le même pour toutes les catégories de consommateurs et les consommateurs individuels, étant donné que les coûts marginaux de «production» et de distribution de l'eau sont généralement les mêmes pour tous ces groupes. Pour certains groupes d'usagers, le coût marginal est nettement plus élevé en raison de leur éloignement, en distance ou en altitude, par rapport aux réservoirs ou aux stations de pompage centraux. Le coût marginal de capacité ne devrait pas varier d'un usager à l'autre, étant donné que les besoins en capacité ne se rapportent qu'à la quantité d'eau requise et non au type d'usager. La conception d'une grille tarifaire fondée sur la fixation du prix au coût marginal simplifie les principes de tarification recommandés dans le manuel de tarification de l'American Water Works Association (AWWA, 1983). L'AWWA recourt à une méthode de tarification où les coûts sont répartis entre diverses catégories d'usagers, méthode qui débouche souvent sur des structures tarifaires dégressives aujourd'hui communément adoptées. Les tarificateurs justifient d'habitude ces structures dégressives, en invoquant les économies d'échelle liées à la desserte des gros consommateurs. Ainsi, plus ces derniers consomment, moins le tarif unitaire exigé d'eux est élevé. Mais, cette structure tarifaire occulte le fait que les gros consommateurs, dont la demande en eau est grande, ont besoin d'une capacité plus importante que les consommateurs moins avides. La fixation du prix au coût marginal tient compte de cette donnée. Nous allons revenir, dans ce paragraphe, sur la description de chaque étape de la méthode de détermination d’une tarification de l’eau : nous allons, tout d’abord, expliciter la méthode d’estimation de la courbe de coût marginal en période de pointe, l’estimation de la courbe de coût marginal en période hors pointe, l’estimation des fonctions de demande compte tenu du système de tarification choisi (système à tarif uniforme, ou à prix marginal non nul mais sans données sur les prix, ou système peu instructif des effets des prix sur la demande), puis nous verrons comment déterminer le prix et les recettes totales provenant de la tarification au volume, et enfin, le mode de calcul de la redevance au raccordement. 2.1.1) Estimation de la courbe de coût marginal en période de pointe. Comme l'indique l'équation (1), le prix exigé en période de pointe représente la somme du coût marginal de fonctionnement et du coût marginal de capacité. Le coût marginal de capacité est la dépense supplémentaire pour l'accroissement de la capacité à long terme, associée à une augmentation marginale soutenue de l'utilisation de l'eau. Le coût marginal de fonctionnement est la variation des coûts à court terme, associée à une augmentation de la quantité d'eau distribuée. Ces composantes s'additionnent pour donner une seule courbe de coût marginal en période de pointe. 8 Coût marginal de distribution : L'analyste devrait d'abord estimer la courbe de coût total de distribution en période de pointe. La courbe de coût marginal de distribution en période de pointe s'obtient en évaluant la pente de la courbe de coût total en période de pointe, en plusieurs points de l’axe des abscisses. La courbe de coût marginal qui en résulte, représente la hausse ou la baisse marginale des coûts de fonctionnement et des coûts de capacité, associés à un changement dans la quantité d’eau distribuée. Il s’agit là des deux premières composantes de la courbe de coût marginal total, dérivée de la courbe de coût total. 2.1.2) Estimation de la courbe de coût marginal en période hors pointe. La courbe de coût marginal en période hors pointe est établie à partir du coût marginal de fonctionnement. La définition de la courbe exige l'estimation. On trouve ci-après la méthode d'approximation de cette composante du coût marginal. Coût marginal de fonctionnement : Considérant une capacité suffisante, le coût marginal de fonctionnement se rapporte à la distribution d'une unité d'eau additionnelle. Lorsqu'il est marqué en fonction de la production, le coût marginal de fonctionnement accuse d’habitude une certaine baisse mais remonte ensuite. Le coût marginal de fonctionnement au niveau actuel de distribution devrait justifier le prix exigé. Bien qu’il soit difficile de définir précisément la forme de la courbe de coût marginal de fonctionnement, une estimation raisonnablement fiable peut néanmoins être effectuée à partir d’une méthode linéaire, en présumant de la constance au coût marginal. Le coût marginal de fonctionnement s'évalue par des méthodes économétriques (statistiques) ou des méthodes d'approximation qui accordent la présence au jugement des gestionnaires des systèmes. La méthode économétrique implique l'estimation d'une fonction de coût et requiert des données considérables sur les coûts, ainsi qu'une analyse statistique complexe. Pour les systèmes de grande envergure, la méthode économétrique devrait fournir des estimations précises lorsque des données sont accessibles. Toutefois, cette méthode ne conviendra pas à de nombreux systèmes en raison de l'insuffisance des données et de la main-d’œuvre. Une autre méthode d'approximation du coût marginal de fonctionnement, fondée sur les coûts variables, est présentée ci-dessous. Les tarificateurs peuvent estimer le coût marginal de fonctionnement par les coûts variables qu'implique la gestion d'un système de distribution. Comme nous l’avons déjà dit, les coûts variables changent en fonction de la quantité d'eau distribuée à court terme. Le coût variable unitaire, peut servir à titre d'approximation linéaire du coût marginal de fonctionnement, tel que l'illustre l'équation (3) ci-dessous. CMF = CVA / Q Où CMF = Coût marginal de fonctionnement par unité d’eau distribuée CVA = Coûts variables annuels 9 Q = Volume total distribué annuellement 2.1.3) Estimations des fonctions de demande. La courbe de demande est une représentation graphique ou mathématique de la réaction du consommateur à une hausse ou à une baisse de prix. Le niveau de la demande est inversement proportionnel au niveau du prix. La demande englobe celles des ménages, des agriculteurs et des industries. La méthode décrite ci-après propose de diviser la demande en deux catégories d'utilisateurs, soit les ménages et les entreprises (industries et agriculteurs), et d'estimer séparément la courbe de demande pour chacune. L'estimation de ces courbes est peut-être l'opération la plus difficile de l'exercice de tarification en raison du manque de données propres au service public. Le tarificateur devra peut-être se contenter d'évaluations sommaires qu'il devra rajuster une fois la tarification proportionnelle au volume instituée. Et la réaction de l'utilisateur face à cette tarification nouvelle fournira d'autres données utiles pour l'évaluation de la courbe de demande, comme nous le verrons maintenant. Élasticité et forme des courbes de demande. Les recherches démontrent que la valeur de l'élasticité de la demande des ménages oscille généralement, dans les pays développés, entre -0,1 et -1,0, (d’après des études canadiennes présentes sur le site : www.ec.gc.ca), la moyenne étant de -0,20 à -0,30. Certaines études indiquent que la demande en période de pointe est plus élastique que la demande en période hors pointe, tandis que d'autres n'indiquent qu'une faible différence entre les deux. L'analyste doit donc choisir l'élasticité qui convient le mieux pour chaque période, en fonction des caractéristiques climatiques, des revenus de la clientèle desservie et du type de logement. Les quelques études effectuées sur la demande des industries et des agriculteurs, toujours dans les pays développés, indiquent une très grande variabilité des élasticités, surtout entre -0,05 et -1,0 ; fait peu surprenant, vu la diversité des types et des tailles des entreprises. Mais rappelons encore que le choix de l'élasticité revient à l'analyste. Actuellement, toutes les études menées dans les pays développés, montrent que les courbes de demande sont habituellement incurvées vers leur point d'origine plutôt que droites. Et on remarque que, les niveaux absolus de consommation de l'eau changent plus considérablement dans la partie inférieure de l'échelle tarifaire. Par exemple (source : ec.gc.ca), une hausse de 0 à 10 cents par mètre cube, aura plus d'effet sur le niveau absolu de consommation, qu'une hausse de 50 à 60 cents, (dans une analyse faite au Canada). L'élasticité, qui indique l'effet du prix sur la consommation, sous forme de pourcentage, est plus susceptible de demeurer constante, pour toute la durée que représente la courbe de demande. Des courbes incurvées aux élasticités constantes servent à illustrer les méthodes d'estimation décrites ci-dessous. Tout dépendant du système de tarification utilisé et de la quantité de données accessibles, diverses stratégies d'approximation des courbes de demande sont à envisager. Voici quelles sont ces stratégies. 10 Méthode de détermination de la courbe de demande, dans un système à tarif uniforme : Dans un système à tarif uniforme, le prix marginal de l'eau est nul. Le seul point observé sur la courbe de demande est celui où le prix marginal est égal à zéro. Le reste de la courbe ne peut qu'être extrapolé selon des présomptions sur l'élasticité et la forme de la courbe. Afin de faciliter l'extrapolation, l’étude peut consister à construire un ensemble de courbes de demande générique, pour chacune des deux catégories d'utilisateurs : les ménages et les entreprises. Chaque ensemble regroupe plusieurs courbes définies selon diverses élasticités et divers niveaux de consommation à un prix marginal nul. L'analyste doit choisir l'élasticité et le niveau de consommation qui semblent les plus appropriés. Si les ménages de la région disposent de revenus relativement élevés, que le climat est sec et chaud, il faudra choisir la courbe affichant l'élasticité la moindre. L'analyste devrait opter pour la courbe la plus élastique pour les régions au climat humide, où les ménages ont des revenus faibles. Les courbes de demande des ménages représentent la consommation domestique mensuelle. L'analyste doit choisir la courbe qui correspond le plus étroitement à l'élasticité et à la consommation domestique mensuelle à un prix marginal nul prévu. En multipliant cette demande, par le nombre de ménages desservis, on obtient la courbe de la consommation domestique mensuelle totale. En multipliant la consommation mensuelle totale par le nombre de mois de chacune des périodes de pointe et hors pointe, on obtient la consommation domestique totale pour chaque période. Les courbes de demande des entreprises peuvent présenter la demande mensuelle globale. L'analyste devrait donc choisir celle qui est la plus appropriée, et choisir ensuite, la courbe de demande qui correspond le mieux à l'élasticité et au niveau de consommation, à un prix marginal nul. Tout comme il l'a fait pour la demande des ménages, l'analyste devrait multiplier cette demande, par le nombre de mois des périodes de pointe et hors pointe afin d'obtenir la demande propre à chaque période. Méthode de détermination de la courbe de demande, dans les systèmes à prix marginal non nul, mais sans données supplémentaires sur les prix : Ces systèmes se fondent sur un prix marginal non nul qui n'a pas varié beaucoup d'une année à l'autre, ou d'une région à l'autre de l'aire desservie. Dans ce cas, un seul point ayant été observé sur la courbe, tous les autres points doivent être extrapolés. L'analyste peut recourir à la même méthode que celle qui a été utilisée pour les systèmes à tarif uniforme ci-dessus, en décidant d'abord de l'élasticité la plus appropriée et en choisissant ensuite la courbe de demande qui reflète le plus étroitement la demande actuelle au prix marginal actuel. Cette méthode s'applique à la demande des ménages et à la demande des entreprises. Et elle vaut tant pour la période de pointe, que pour la période hors pointe. Pour les systèmes à tarification dégressive ou progressive, le prix marginal doit être déterminé en premier. Le prix marginal peut être estimé approximativement en fonction du prix exigé pour le volume commun à la plupart des ménages parvenus au terme de leur consommation. Détermination de la courbe de demande, dans les systèmes de tarification peu instructifs des effets des prix sur la demande. 11 Ces systèmes ne permettent l'estimation que d'une petite partie de la courbe de demande, à partir des données sur la consommation et le prix. Par exemple, certaines villes ou régions peuvent exiger un prix proportionnel au volume dans les secteurs où la consommation est mesurée, et un tarif uniforme dans les secteurs où elle ne l'est pas. Dans d'autres cas, le service public peut avoir changé son prix au cours des ans, d'où des changements correspondants dans la consommation. Les niveaux de consommation peuvent être marqués en fonction des prix, afin d'obtenir une petite partie de la courbe de demande. La pente de cette partie de la courbe donne une estimation de la pente aux niveaux de consommation actuels. Grâce à la pente, au niveau de consommation actuel et au prix actuel, l'analyste peut déterminer une courbe de demande à élasticité constante. Une telle courbe est formalisée par l'équation (4) ci-dessous. Q = α Pβ Où Q = Quantité d’eau demandée P = Prix marginal α est une constante et βest une constante inférieure à zéro La pente de cette fonction en tout point de la courbe est toujours négative. Si l'analyste dispose d'une estimation de la pente, il peut alors déterminer le paramètre ß, qui représente l'élasticité de la demande. La méthode décrite ci-dessus s'applique aux courbes de demande des ménages et des entreprises dans les périodes de pointe et hors pointe. Pour l'utiliser, l'analyste doit disposer au départ d'une estimation de la pente, pour pouvoir déterminer ensuite, l’élasticité de la demande. Remarque : les estimations économétriques exigent d'habitude au moins 15 à 20 observations pour obtenir des estimations de la courbe de demande statistiquement significatives. Un plus grand nombre d'observations accroîtra la précision des résultats. Si le nombre minimum requis d'observations ne peut être atteint, il se peut que l'analyste puisse tout de même marquer les données dont il dispose, et faire une estimation visuelle de la courbe. Calcul de la demande globale pour chaque période. La courbe de demande globale pour chaque période résulte de l'addition de la courbe de demande des ménages et de la courbe de demande des entreprises. En additionnant horizontalement les deux courbes, on obtient la courbe de demande globale. 2.1.4) Détermination du prix et des recettes totales, provenant de la tarification au volume. À cette étape, l'analyste peut représenter graphiquement les courbes de coût marginal et les courbes de demande, pour les périodes de pointe et hors pointe, afin d'en déterminer les prix respectifs. Le point de jonction entre la courbe de coût marginal et la courbe de demande détermine le prix optimal de chaque période. Une projection depuis la courbe de demande sur l'axe horizontal, nous donne la quantité demandée au prix optimal. En multipliant cette quantité par le prix, on obtient les recettes totales qu'assure la tarification proportionnelle au volume pour chaque période. L'addition des recettes obtenues dans les périodes de pointe et hors pointe, donne les recettes totales, provenant de la tarification proportionnelle au volume. 12 2.1.5) Calcul de la redevance au raccordement. Comme le montre les équations (1) et (2), une redevance de raccordement versée par chaque consommateur constitue le dernier élément de la tarification proposée. Cette redevance, qui ne varie pas en fonction de la quantité d'eau consommée, vise à récupérer les coûts non couverts par la tarification liée au volume. La redevance de raccordement est fondée sur la différence entre le coût annualisé du service d'eau et les recettes totales provenant des frais liés au volume. Les courbes de coût total pour les périodes de pointe et hors pointe indiquent les coûts totaux de distribution d'eau au prix optimal. Si ces coûts excèdent les recettes totales provenant de la tarification proportionnelle au volume, alors le service devrait exiger une redevance de raccordement de chaque consommateur. Et le service qui fait face à des coûts fixes considérables, devra probablement recourir à cette dernière mesure. Comme nous l’avons déjà dit, les tarificateurs peuvent utiliser la redevance de raccordement pour combler l'écart entre les coûts moyens de distribution à divers segments de la clientèle. La façon la plus simple de calculer la redevance par consommateur, qui est, de diviser le déficit par le nombre de branchements, se solde par un prix moyen plus faible pour les gros consommateurs. L'équation (5) ci-dessous formalise ce calcul. RR = ( TCA – RV ) / B Où RR = Redevance de raccordement par consommateur TCA = Total des coûts de fonctionnement actualisés RV = Recettes provenant de la part de la tarification liée au volume B = Nombre de branchements Comme la redevance de raccordement est la même pour tous les usagers et ne tient pas compte du volume d'eau consommée, les gros consommateurs verseront un prix moyen plus faible que les petits consommateurs. Le tarificateur peut considérer que ce système est équitable si les coûts moyens de distribution sont plus faibles pour les gros consommateurs. Toutefois, si le service dessert une clientèle mixte qui comprend de très gros consommateurs, alors ce système peut imposer un injuste fardeau aux petits consommateurs. Le tarificateur dispose d'une marge de manœuvre pour rajuster la redevance de raccordement en faveur des petits ou des gros consommateurs en divisant ces derniers en des catégories fondées sur la demande actuelle. Le tarificateur peut décider arbitrairement du nombre de catégories, ou se plier à une logique de regroupement qui s'impose d'elle-même. Par exemple, les services publics desservent souvent quelques grandes industries, plusieurs industries légères, des commerces et un grand nombre de ménages. Dans chacune de ces catégories, la demande sera à peu près la même d'un consommateur à l'autre, et une même redevance de raccordement pour tous les utilisateurs d'une même catégorie serait équitable. Pour chaque catégorie, le service public peut calculer la redevance de raccordement de la façon indiquée dans l'équation 6 : RRin = Pn ( TCA – RV ) / Bn 13 Où RRin = Redevance de raccordement par consommateur de la catégorie n Pn = Facteur de pondération appliqué à la catégorie n Bn = Nombre de branchements de la catégorie n TCA = Total des coûts de fonctionnement annualisés RV = recettes provenant de la part de la tarification liée au volume La somme des facteurs de pondération pour toutes les catégories devrait égaler un. Le choix des pondérations relatives entre les catégories revient au service public. Les pondérations relatives font habituellement référence aux coûts moyens de distribution propres à chaque catégorie. Par exemple, le service peut estimer que la catégorie des gros consommateurs rend compte de 10 % des coûts fixes de distribution. Le facteur de pondération, Pn, dans l'équation (6) égalerait donc 10 %. Dans d'autres cas, un service peut décider qu'il n'y a aucune différence entre les coûts fixes relatifs à la desserte des diverses catégories de consommateurs. Dans ces cas, le facteur de pondération pour une catégorie donnée devrait égaler la proportion relative de l'eau consommée par cette catégorie. Ce modèle de pondération se solderait par un même prix moyen approximatif pour tous les consommateurs. La détermination du coût moyen de distribution aux diverses catégories de consommateurs est affaire de jugement. Pour chaque catégorie, l'analyste devra examiner la part des coûts fixes de distribution qui lui est attribuable. Le rajustement du facteur de pondération de la redevance de raccordement reflétera des avantages à l'égard des coûts. L’ Association canadienne des eaux potables et usées considère que, tant que la part de la tarification liée au volume reflète les coûts marginaux, les pondérations relatives des redevances de raccordement, n'influent pas sur l'efficacité des prix. Par conséquent, le prix proportionnel au volume ne devrait pas varier d'un consommateur à l'autre. Seules les redevances de raccordement devraient servir à combler la différence entre les coûts moyens de distribution à diverses catégories de consommateurs. 2.2) La question de l’applicabilité de ce modèle de tarification de l’eau, en Afrique subsaharienne, compte tenu de la contrainte supplémentaire liée à l’objectif de généralisation de l’accès à l’eau. En conclusion de cette section, attribuée à la tarification au coût marginal, nous avons vu que la méthode de détermination de la tarification, qui vise à la conservation de l’eau, est fondée aussi, comme les autres méthodes traditionnels de tarification, sur le principe de la fixation du prix au coût marginal. La structure de la tarification consiste en un prix proportionnel au volume, complémenté par une redevance de raccordement. Durant la période hors pointe, le prix lié au volume est égal à au coût marginal de fonctionnement. Durant la période de pointe, il est égal à la somme du coût marginal de fonctionnement et du coût marginal de capacité. On tient compte de l'effet de la tarification au volume sur la demande par la fixation du prix à la jonction de la courbe de coût marginal et de la courbe de demande pour les périodes de pointe et hors pointe. La redevance de raccordement est ajoutée afin de recouvrer tout coût que le prix lié au volume ne permet pas de récupérer. 14 Le coût marginal de fonctionnement peut être évalué approximativement par les coûts variables de distribution d'eau. Certains coûts variables sont aisément repérables comme tels, tandis que d'autres exigent d'être ainsi subjectivement reconnus par l'analyste. L'estimation des coûts marginaux de capacité se fonde sur l'hypothèse que la réduction de la demande peut entraîner l'ajournement des projets d'accroissement de la capacité, d'où des économies de coûts. La pente de la courbe de coût total de distribution en période de pointe engendre la courbe de coût marginal de distribution. La première fonction de la redevance de raccordement est de permettre le recouvrement de toute perte résultant de l'imposition d'un prix lié au volume. Elle permet aussi de combler la différence entre les coûts moyens de distribution à diverses catégories de consommateurs. Les tarificateurs ont le choix de diviser simplement le déficit par le nombre de branchements afin d'obtenir une redevance de raccordement par consommateur ou de calculer une redevance de raccordement pour chacune des catégories de consommateurs. La méthode utilisée dépendra de la mixité de la clientèle desservie et de la nature des coûts fixes qui incombent au service public. Le service public, qui adopte les principes de fixation des prix décrits ici, devrait pouvoir atteindre, à la fois, l'efficacité économique et le recouvrement intégralement les coûts. Cependant, il y a un troisième objectif pour le service public en Afrique subsaharienne, en plus de celui de l’efficacité économique et celui du recouvrement intégral des coûts : c’est celui de la généralisation de l’accès à l’eau. Comment intégrer cet objectif supplémentaire dans la politique de tarification de l’eau ? Nous avons présenté une méthode de tarification de l’eau, qui semble économiquement très rationnel, mais il convient de s’interroger sur l’applicabilité « à brut » de celle-ci. Tout d’abord, il ne faut pas perdre de vue que notre analyse porte sur une région en développement et que, de plus, il faut prendre en compte, à la fois le mode d’organisation du secteur (avec les conséquences que cela entraîne en terme de réglementation), et la situation socio-économique des ménages. Pour illustrer notre propos, nous pouvons prendre le cas de la Côte d’Ivoire, sachant que de nombreux pays de l’Afrique subsaharienne ont le même mode d’organisation économique du secteur et les mêmes contraintes. Nous allons voir ce que recouvre alors la tarification de l’eau qui répond au triple objectif d’efficacité économique, de recouvrement des coûts et de généralisation de l’accès à l’eau. La filiale du Groupe Bouygues dans le domaine de l’eau et de l’assainissement est bien implantée. Le groupe Saur, dont les métiers relèvent également de la production et la distribution d’eau potable, mais aussi des travaux d’adduction, de la conception et de la réalisation d’ouvrage, de l’entretien des réseaux, opère en Côte d’Ivoire, mais aussi au Sénégal, au Mali … par des contrats de concession signés avec l’Etat. En Cote d’Ivoire, c’est un contrat de concession qui lie l’Etat pour la production et la distribution d’eau potable sur l’ensemble du territoire via la SODECI. Par rapport à d’autres zones urbaines africaines, le réseau d’eau et d’assainissement des villes ivoiriennes offre des infrastructures très satisfaisantes, offrant un exemple à d’autres villes de la sous-région. Ce « modèle ivoirien » d’approvisionnement en eau a bénéficié très tôt de la privatisation de la principale compagnie de services, la Société des eaux de Côte d’Ivoire. 15 La privatisation de la société a eu un rôle déterminant. En effet, en Afrique l’intervention du politique dans un certain nombre d’activités a souvent freiné le développement des services publics. Le succès de la Sodeci repose aussi, en grande partie, sur la gestion décentralisée, qui se traduit à Abidjan, par un découpage en plusieurs secteurs, au nombre de dix actuellement. Les agences dites délocalisées réparties dans ces secteurs, permettent une certaine proximité avec les clients. L’un des succès du système est précisément qu’il est parvenu à des taux de recouvrement des clients privés très satisfaisants, puisqu’il avoisine les 100%. Et, le ratio de facturation oscille entre 82 et 85%. C’est une performance notable en Afrique. La Sodeci favorise le développement du réseau en créant des bornes-fontaines mais surtout en impulsant une véritable demande de la part de tous les ménages, au raccordement privé. En effet, contrairement aux idées reçues, ce raccordement onéreux est accessible puisque le « branchement social » est totalement subventionné et gratuit pour le client. Les pouvoirs publics veulent que les couches les plus pauvres accèdent à l’eau potable. Le prix du mètre cube payé par l’abonné qui appartient à cette tranche sociale est deux fois plus faible que le prix moyen. Et le prix du m3 est quatre fois moins cher que celui payé à la borne fontaine. C’est pourquoi, après l’installation de bornes fontaines dans les zones périurbaines, les populations préfèrent opter pour des branchements subventionnés. Donc, les faits empiriques montrent que, dans la tarification de l’eau proposée par le modèle canadien, la partie « redevance au raccordement » doit être financée par les pouvoirs publics, de par la mise en place de subventions, afin de rendre accessible le raccordement privé. Ceci semble impératif pour permettre l’accessibilité de tous à l’eau. Par contre, la tarification au coût marginal semblerait adoptable puisque cette tarification serait compatible avec la capacité ou disposition marginale à payer des ménages. Voyons concrètement dans les faits comment s’opère aujourd’hui la tarification de l’eau en Côte d’Ivoire et comment adapter une tarification qui répond à l’objectif supplémentaire de généralisation de l’accès à l’eau. Tout d’abord, compte tenu du partenariat public / privé comme mode d’organisation du secteur de l’eau, la politique des prix est toujours du ressort de l’Etat. Rappelons, que nous sommes dans un contexte de « délégation partielle » où la puissance publique délègue des éléments du service public ; l’entreprise privée travaille sur une durée longue puisque les contrats de concession sont signés sur plusieurs dizaines d’années. L’entreprise privée investit, prend des risques, a une certaine liberté d’action, mais la puissance publique reste propriétaire du patrimoine qui lui revient de droit en fin de contrat. En fait, l’entreprise exploite « pour le compte de » et le contrat dont elle dispose, ne lui accorde que des droits temporaires. Comme l’entreprise signe des contra ts à long terme, elle a intérêt et a la possibilité de faire des investissements de production qui diminuent ses coûts d’exploitation. Mais, comme nous l’avons dit, la politique des prix est du ressort de l’Etat, ce qui signifie que la Sodeci, entreprise privée, doit en tant que telle, rémunérer le capital investi par ses actionnaires en dégageant une marge. Cette marge est contractuellement fixée par l’Etat à 5% des charges négociées avec l’autorité concédante. C’est pourquoi, pour atteindre cet objectif, rémunérer ses actionnaires, satisfaire ses collaborateurs, et remplir ses obligations contractuelles envers ses clients, la Sodeci doit optimiser sa gestion interne. 16 Mais la notion de bénéfices est un problème de gestion interne propre à l’entreprise, il convient donc de le dissocier du problème de la généralisation de l’accès à l’eau qui concerne le secteur de l’eau. Ce problème de généralisation de l’accès à l’eau est résolu par le biais de tarifs appropriés fixés par l’Etat comprenant, en plus de la part destinée à couvrir les charges d’exploitation de la Sodeci, deux autres composantes. D’une part, une composante alimentant le Fonds de développement de l’eau destinée à financer les branchements, les travaux de renouvellement et d’extension du réseau. D’autre part, une composante alimentant le Fonds national de l’eau destiné à rembourser les emprunts contractés par le secteur de l’eau pour le développement de ses infrastructures. Ces deux composantes du prix de l’eau permettent de généraliser l’accès à l’eau. En d’autres termes, le prix est fixé en fonction des charges que supportent la Sodeci pour assurer le service public. Une partie du prix couvre les charges d’exploitation, l’autre les investissements. Pour que l’entreprise privée fonctionne correctement, il faut que l’Etat ajuste les prix en fonction de l’augmentation des zones d’intervention, c’est-à-dire des nouveaux centres ou des nouvelles localités qui sont à exploiter. Il est vrai que cette composante « investissement », nécessaire à l’augmentation des capacités, pose un problème. Elle est du ressort de l’Etat et les infrastructures nécessaires sont largement supérieures aux capacités financières des clients. Les investissements sont par conséquent limités puisque la base sur laquelle ils se réalisent est elle-même limitée. Même si l’entreprise concessionnaire (comme la Sodeci en Côte d’Ivoire) peut entreprendre parfois certains travaux, cela reste du ressort des pouvoirs publics. L’entreprise concessionnaire doit se plier à ce système. Il est important de préciser, que compte tenu de ce fait, il est faux d’accuser ces entreprises concessionnaires privées de détenir un monopole de service public. En effet, un vrai monopole suppose un avantage sur un marché ou sur un service qu’un opérateur est le seul à produire, et pour lequel il est le seul à fixer les prix !!! Or, en Afrique subsaharienne, les entreprises privées à mission de service public sont loin de cette situation, car elles ne fixent pas les prix, et les investissements lourds sont à la charge de l’Etat qui détermine également la réglementation entre l’opérateur privé et la clientèle. Il s’en suit, malheureusement, un ralentissement des investissements en infrastructures. En effet, ceux-ci ont été limités en 2000 et 2001, mais la contrepartie positive a été l’augmentation des branchements sociaux, donc un accroissement de l’accès des populations à l’eau. Aujourd’hui, les entreprises privées concessionnaires poursuivent leurs activités commerciales qui consistent à rechercher de nouveaux clients et développer leurs ventes à travers les branchements et l’extension du réseau. D’autres projets doivent concerner essentiellement le développement des infrastructures nécessaires à l’amélioration de la desserte en eau potable des populations afin de lutter contre l’insécurité alimentaire. Mais les décisions sont, là encore, du ressort de l’Etat. 17 Finalement, en Afrique subsaharienne, l’Etat conserve la propriété des infrastructures et supporte l’ensemble des investissements lourds c’est-à-dire des coûts fixes irrécupérables (barrages hydrauliques …), de plus, c’est lui qui définit la politique des prix. Ceci semble signifier, à priori, que les entreprises concessionnaires ne se situeraient pas dans une situation de monopole de service public car elles ne disposeraient pas d’un véritable avantage sur le marché. Il existerait une menace de concurrence, et d’entrée potentielle de concurrents, donc le secteur de l’eau ne relèverait pas d’une situation de monopole naturel, ou du moins, pour certains segments d’activités. De ce fait, l’ouverture à la concurrence se justifierait. Mais, l’ouverture à la concurrence nécessite une absence de barrières à l’entrée : en effet, la théorie dit que s’il existe des barrières à l’entrée, de nature juridique par exemple, qui attribuent des droits exclusifs au concessionnaire présent, alors le marché n’est pas réellement contestable car, il n’existe pas de concurrence potentielle du fait de ces barrières juridiques ou réglementaires. Donc, d’après la théorie, dans ce cas, il y a monopole de « jure » et cette situation n’est pas optimale car correspond à une imperfection des marchés. Par contre, si le marché est en situation de monopole naturel, cette situation n’est plus une imperfection de marché mais un mode d’organisation optimale à partir du moment où ce marché est aussi contestable, c’est-à-dire dès lors que la menace de nouveaux entrants existent. Ceci signifie que, sur le segment du monopole naturel, cas du stockage et de la distribution de l’eau (activités pour lesquelles le coût marginal est inférieur au coût moyen), la régulation doit être efficace, c’est-à-dire que la menace d’entrants virtuels doit être crédible (ne serait-ce qu’au moment de l’attribution ou du renouvellement de la concession). En tout cas, la théorie dit que sur les segments qui relèvent du monopole naturel, l’ouverture à la concurrence est difficile, mais la régulation doit inciter à ce qu’une concurrence potentielle existe, et pour les autres segments ne relevant pas du monopole naturel, l’ouverture à la concurrence se justifie. Pour les secteur de l’eau, cela implique, par exemple, que pour le pompage de l’eau souterraine, où des économies d’échelle sont obtenues pour des débits relativement faibles, des fournisseurs multiples peuvent opérer rentablement : donc l’ouverture à la concurrence de ce segment d’activité est possible. Par contre, pour le transport et la distribution, ainsi que pour le stockage de l’eau (qui vise à compenser des variations saisonnières extrêmes comme la sécheresse), d’énormes investissements sont nécessaires (dont les coûts fixes très élevés peuvent être considérés comme irrécupérables en cas de sortie) : on se trouverait donc plus, pour ces segments d’activités, dans le cadre d’un monopole naturel. Quoi que pour la distribution de l’eau, ceci peut être critiquable compte tenu de l’intervention d’opérateurs indépendants privés en Afrique, pour l’extension des réseaux ou pour la création de réseaux autonomes, et donc pour la distribution et la commercialisation de l’eau. Ceci montre que plusieurs segments d’activités dans le secteur de l’eau pourraient être ouverts à la concurrence, bien que d’autres relèvent encore du monopole naturel, ce qui pose alors le problème de l’accès des tiers au réseau. Par conséquent, il sera nécessaire de définir une tarification des charges d’accès au tiers. En effet, l’accès des tiers au réseau doit devenir possible, moyennant un péage juste et raisonnable. 18 L’ATR prévoit alors, que les gestionnaires d’une infrastructure considérée comme « essentielle » (cas d’un réseau de transport - distribution d’un fluide) doit mettre ce réseau à disposition de tous moyennant un péage (ou charge d’accès) fixé de façon objective, transparente et non discriminatoire. Dans ce cas, il devient important, en tant qu’économiste, de s’interroger plus précisément sur les fondements théoriques de la tarification optimale des charges d’accès, lorsque l’ATR est autorisé dans une industrie de réseau. C’est ce que nous allons étudié dans la prochaine section. 3) Fondements théoriques de la tarification optimale des charges d’accès au réseau en cas d’ATR. La déréglementation des industries de réseau, qui a pour objectif de ne laisser subsister que des monopoles naturels et d’ouvrir en conséquence à la concurrence les autres activités, oblige à se préoccuper de l’accès des tiers au réseau. Un régulateur doit donc veiller à ce que le gestionnaire du réseau (l’entreprise concessionnaire par exemple, pour la production et la distribution de l’eau en Afrique subsaharienne), n’abuse pas de sa position dominante et ouvre l’accès à ce réseau à tous ceux (consommateurs finaux) qui en font la demande et ce, dans des conditions à la fois transparentes et non discriminatoires. D’où la nécessité, pour les pouvoirs publics chargés de définir la politique des prix, de mettre en place une tarification à la fois efficace et équitable pour cet accès au réseau. Nous allons tout d’abord présenter les apports de la littérature économique sur les fondements d’une tarification optimale des charges d’accès au réseau en cas d’ATR et les différents systèmes de tarification qui en découlent. Puis nous verrons s’il est possible, pour le régulateur (souvent l’Etat) du secteur de l’eau en Afrique subsaharienne, de s’inspirer (voire de pratiquer) l’un des différents systèmes de tarification des charges d’accès au réseau, en cas d’ATR. 3.1) Qu’est-ce que l’ATR ? Le principe général théorique est que le tarif ATR doit être compris entre le coût incrémental moyen et le coût de fourniture isolée (Règle dite de Faulhaber-Sharkey, cf. Faulhaber (1995) et Sharkey (1982), cf. J. Bezzina (1998)). Le coût de fourniture isolée (Stand Alone Cost) d’un service quelconque représente ce qu’il en coûterait à un nouvel entrant utilisant la même technologie que l’opérateur historique (gestionnaire du réseau existant) s’il devait seul fournir ce service en construisant un nouveau réseau. Il y aurait dès lors processus de « contournement » de l’opérateur historique, ce qui collectivement serait infra optimal (J. Percebois, 2001). Le coût incrémental moyen représente le coût supplémentaire (coûts variables mais aussi participation aux coûts fixes), que l’opérateur historique doit supporter pour ouvrir son réseau à ce nouvel entrant. Le coût incrémental moyen est bien sûr inférieur au coût de fourniture isolée mais la plage de valeurs qui les sépare est large de sorte que le choix d’un tarif n’est pas chose aisée. 19 La charge d’accès au réseau ne doit pas être trop élevée pour ne pas constituer une barrière à l’entrée (et conforter ainsi l’opérateur historique dans sa position dominante) ; elle ne doit pas non plus être trop faible pour éviter l’entrée d’opérateurs inefficaces. Plusieurs solutions sont proposées et certaines sont testées depuis une dizaine d’années dans les pays où l’ATR a été introduit pour le secteur de l’électricité (Angleterre, Australie, certains pays des Etats-Unis). Notons que cet ATR est en voie d’être généralisé en Europe pour le gaz comme pour l’électricité. 3.2) Les différents systèmes de tarification des charges d’accès ATR. 3.2.1) Le système de tarification « cost plus ». Définition. Le premier système est celui d’une tarification « cost plus » au coût du service et au taux de rendement du capital investi. Le régulateur (l’Etat pour l’instant, dans le cadre de l’Afrique subsaharienne, ou l’autorité de tutelle de l’opérateur en charge du réseau), évalue les coûts de fonctionnement du réseau et l’importance du capital investit. Précisons, que même si l’Etat, pour le secteur de l’eau des pays de l’Afrique subsaharienne, effectue des investissements lourds (comme ceux nécessaires à la construction des barrages hydrauliques), les entreprises concessionnaires (gestionnaires du réseau), chargées de l’exploitation, engagent aussi beaucoup de capital pour l’extension du réseau par exemple, ou pour construire les centres d’assainissement…. Donc, la tutelle (l’Etat) doit prendre en compte tous les coûts d’investissement en infrastructures supportés aussi par l’opérateur privé. A partir de là, le régulateur détermine le niveau des recettes qui permet au gestionnaire du réseau de couvrir ses coûts et d’obtenir, en sus, une rémunération juste et raisonnable du capital investi (J. Percebois, 2001). Le tarif est fixé pour une certaine période réglementaire et au terme de la période, un audit sur les coûts est à nouveau à effectuer. La tutelle procède alors à un ajustement des tarifs : c’est le cas en Côte d’Ivoire, en fonction de l’augmentation de la zone d’intervention de la Sodeci. En pratique, il s’agira souvent d’une tarification de type Ramsey-Boiteux si l’objectif est de maximiser le bien-être collectif sous la contrainte d’un équilibre budgétaire pour l’opérateur privé. Le réseau de transport - distribution est, en effet, soumis à des rendements d’échelle croissants. L’accès au réseau sera coûteux lorsque l’élasticité- prix est faible et / ou lorsque le contournement du réseau en place est coûteux pour le nouvel entrant. Limites. Ce système de tarification soulève plusieurs difficultés : il faut être en mesure d’estimer les coûts mais surtout la valeur des infrastructures (capital investi). 20 Il y a de ce fait une asymétrie informationnelle entre le régulateur et le régulé (qui connaît ses coûts mais qui est incité à les surestimer). Il n’y a surtout aucune incitation pour le régulé à réduire ses coûts puisque dans tous les cas, il est assuré de les récupérer, via le tarif réglementé. De plus, ce système encourage l’opérateur à faire du surinvestissement (effet Averch-Johnson), puisque plus le capital investi est élevé, plus les recettes s’accroissent… (Se reporter à l’ouvrage d’A. Perrot de 1997). Cependant, pour le cas de l’Afrique subsaharienne, on pourrait répondre à ces critiques, que l’opérateur est réglementé par l’Etat sur les marges bénéficiaires, puis se voit intégrer dans sa fonction objectif, la mission d’intérêt général qui est de généraliser l’accès à l’eau. Etant donné que cet opérateur privé est avant tout gestionnaire, il a un intérêt direct à ce que le tarif réglementé par l’Etat, soit compatible à la fois, avec sa contrainte de gestion, mais aussi avec la solvabilité des populations pour le paiement des factures (afin d’obtenir un bon taux de recouvrement des factures), conditions essentielles à la viabilité économique de l’entreprise. 3.2.2) La tarification « price-cap ». Pour inciter l’opérateur à l’effort, le régulateur peut en effet opter pour une tarification « price-cap » (système de plafonnement des charges d’accès). Définition. Ce price-cap dépend du taux d’inflation et du taux anticipé de progrès technique et des progrès d’organisation réalisables sur la période. Le tarif est de la forme RPI-X où RPI (retail price index) est l’indice du coût de la vie et X un facteur d’efficacité qui devrait permettre au régulé de faire des gains d’efficacité sur la période considérée (J. Percebois, 2001). Si X > RPI, alors le plafond de prix doit baisser au cours du temps. L’opérateur est libre de fixer un tarif inférieur à RPI-X mais en aucun cas il ne doit dépasser le plafond. Si les gains de productivité observés sont supérieurs aux gains attendus par le régulateur, alors l’opérateur conserve une rente de monopole d’où une incitation forte à être efficace et à diminuer les coûts. Limites. La difficulté principale réside dans le choix des valeurs de la formule au début de la période. En effet, une asymétrie informationnelle subsiste entre le régulateur et le régulé, au profit de ce dernier, puisque d’après la théorie de l’agence, l’agent (l’opérateur privé qui se voit affecté de la tâche de la production - distribution de l’eau) dispose toujours d’un avantage informationnel sur le principal (l’Etat qui fait - faire). Certes, le régulateur peut s’appuyer sur des comparaisons internationales (logique d’une « yardstick competition ») mais en cas d’erreur, à la hausse comme à la baisse, ce sont soit les actionnaires soit les usagers qui en font les frais. 3.2.3) La tarification « price-cap hybride ». Définition. 21 La meilleure manière de concilier les avantages des deux formules présentées ci-dessus, est de proposer un système tarifaire fondé sur le « price-cap hybride » (logique de profit sharing et de sliding scale ou échelle mobile). Le régulateur (l’Etat) autorise l’opérateur gestionnaire (l’entreprise concessionnaire) du réseau, à conserver les profits réalisés sous la logique d’un price-cap aussi longtemps que le taux de rendement du capital investi reste inférieur à une certaine limite. Au-delà de cette limite, le profit « excédentaire » est partagé entre l’opérateur (donc les actionnaires) et les usagers. Avantages de la tarification « price-cap ». Beesley et Littlechild (1989), attribuent trois avantages au price-cap par rapport au cost-plus : 1) l’incitation à l’efficacité pour la firme est plus grande ; 2) les procédures réglementaires sont moins contraignantes ; 3) cela permet une certaine flexibilité des tarifs pour une firme multiproduits (un price-cap global laisse au monopole naturel une certaine liberté de tarification sans que cela ne réduise le bien-être collectif). La tarification price-cap est en outre particulièrement intéressante pour des activités à fort progrès technique potentiel car l’opérateur gestionnaire du réseau sera fortement incité à procéder aux innovations technologiques susceptibles de baisser ses coûts donc d’accroître le profit. Limites du « price-cap ». Mais le price-cap peut être un handicap pour des firmes « adverses au risque » surtout si la régulation est contraigante, car rien ne garantit ex-ante, l’équilibre budgétaire de la firme, à la différence du cost-plus (J. Percebois, 2001). Signalons toutefois que l’opposition « price-cap » versus « cost-plus » n’est pas aussi tranchée qu’il paraît et qu’en pratique, tout dépend de la durée de la période de régulation. Si dans le cas d’une réglementation « cost-plus », la période de contrôle déborde sensiblement l’année, la firme en charge du réseau sera incitée à réaliser des gains de productivité pour que ses coûts soient inférieurs aux prix fixés en début de période, ce qui lui procurera une rente (cf. Laffont-Tirole, 1993). Symétriquement dans le cas d’une tarification « price-cap », si les révisions de tarifs sont trop fréquentes (tous les ans ou tous les deux ans et non pas, tous les quatre ou cinq ans), la firme aura tendance à ne pas réduire ses coûts pour accroître les profits, afin que la tutelle n’intègre pas ces gains d’efficience dans les ajustements de prix au fil des révisions. La vertue incitatrice du price-cap s’estompe donc, quand la période de régulation diminue. 3.2.4) Le système de tarification de l’« ECPR ». Ce quatrième système de tarification, celui de l’ « ECPR » (Efficient Component Pricing Rule), a été proposé dès 1994, par Baumol et Sidak, (1994) et (1995). 22 Définition. Ce système ne se conçoit que si le gestionnaire du réseau demeure lui-même le principal fournisseur du réseau (J. Percebois, 2001). La charge d’accès optimale est la somme du coût incrémental moyen et du coût d’opportunité subi par l’opérateur historique. Le coût incrémental moyen est le coût additionnel subi par l’opérateur historique de fait de l’usage du réseau par un concurrent. Le coût d’opportunité est la perte de recette que l’opérateur historique subit du fait du détournement d’une partie de la demande par un concurrent qui néanmoins emprunte son réseau. Cette règle satisfait à deux principes essentiels : le principe d’efficacité et le principe d’indifférence. Le principe d’efficacité implique que tout entrant potentiel n’entre sur le marché que si cela est profitable pour lui, c’est-à-dire s’il est en mesure d’être plus efficace que l’opérateur historique : c’est le cas des opérateurs indépendants en Afrique subsaharienne, chargés aussi, sous contrats, de la distribution, de l’assainissement ou de la commercialisation de l’eau potable. Ces opérateurs indépendants sont de petites entreprises individuelles menées par des jeunes ingénieurs africains qui contribuent ainsi à l’accroissement du réseau. Mais précisons que les relations contractuelles avec le fournisseur principal sont très fortes. Le principe d’indifférence signifie que l’opérateur historique, gestionnaire du réseau, est maintenant indifférent à l’entrée ou non d’un concurrent sur le réseau : il ne cherchera pas à bloquer l’entrée puisque quelle soit la situation il percevra la même rémunération. Limites. Ce système ECPR, « intellectuellement séduisant, souffre d’un certain nombre d’inconvénients », (J. Percebois, 2001). D’abord, il permet au monopole en place de conserver sa rente lorsqu’elle existe, puisque l’entrée de concurrents ne modifie pas le niveau de son profit. Ensuite, l’ECPR peut être un moyen d’exclure un entrant potentiel lorsque l’opérateur historique, gestionnaire du réseau, mais lui-même fournisseur principal, est en mesure de faire supporter au réseau une partie des coûts imputables à son activité concurrentielle sans que le régulateur ne puisse le contester (du fait des asymétries d’information sur la chaîne des coûts). L’opérateur historique peut ainsi justifier des charges d’accès plus élevées que la réalié et cela pénalise les entrants potentiels qui sont aussi ses concurrents sur les activités non réglementées (cf. Economides et White, 1995). C’est pourquoi le modèle d’Armstrong, Doyle et Vickers (1996), montre que l’ECPR n’est réellement efficace que si le régulateur fixe simultanément la charge d’accès et le prix de vente sur le segment aval (concurrentiel). En pratique, c’est peu réaliste, car l’ouverture des réseaux a précisément pour objet de favoriser la concurrence sur ce segment et l’on voit mal le régulateur opter pour des prix administrés (même égaux aux coûts marginaux). L’ECPR sera donc efficace si, avant l’ouverture, la tarification sur le segment concurrentiel (par exemple, la commercialisation ou autre), est elle-même optimale. De plus, il faut supposer que le produit offert par le monopole gestionnaire du réseau et celui offert par le nouvel entrant, qui profite de l’ATR, sont de parfaits substituts. Si l’entrant a la possibilité de différencier son produit, il disposera d’un pouvoir de monopole relatif ce qui 23 remet en question le principe d’efficacité, (comme le soulignent, Economides et White, en 1995). A noter que la tarification ECPR peut être à l’origine d’effets pervers lorsque l’entrant est nettement plus efficace que l’opérateur historique. Le nouvel arrivant pourra satisfaire toute la demande de sorte que le monopole en place sera contraint d’abandonner sa fonction de vente sur le segment aval, pour se limiter à une activité de gestionnaire de réseau de transport, par exemple. Si l’ECPR est appliqué « à la lettre », le monopole maintiendra le niveau de ses profits antérieurs, via des charges d’accès élevées, en tout cas fortement éloignées d’une tarification Ramsey-Boiteux. Le régulateur devra donc empêcher de tels abus. Enfin, la principale critique formulée à l’encontre de l’ECPR concerne le calcul du coût d’opportunité. Doit-on, par exemple, considérer que toute demande adressée à un nouvel entrant, est une demande qui s’adressait à l’opérateur historique ? Cela est faux, lorsque cette demande est, par exemple, la conséquence d’une politique commerciale agressive menée par un nouvel entrant qui attire sur le réseau des clients qui autrement, ne seraient pas venus. En d’autres termes, l’opérateur historique n’a pas été évincé et il n’y a aucune raison de lui verser une compensation financière. Nous avons donc démontré que la tarification de l’eau doit à la fois respecter une structure marginaliste (pour des raisons d’efficacité économique et de recouvrement des coûts), et prendre en compte, éventuellement, une tarification des charges d’accès au réseau dans le cas d’ouverture à la concurrence de certains segments. Mais, un troisième élément est indispensable dans la tarification de l’eau, c’est celui d’une préservation de la ressource dans le cadre d’un développement soutenable (pour éviter à la fois la pollution des ressources en eau et la surexploitation). Il est vrai que la méthode de tarification, présentée dans la seconde section, visait à un objectif de conservation de la ressource, mais ne prenait pas réellement en compte, de façon explicite, les questions d’externalités environnementales. Voyons donc, à présent, comment internaliser ces externalités environnementales, à partir de la théorie économique, dans le prix de l’eau. 4) La prise en compte des externalités (environnementales) : L’intégration de la valeur « in situ » de l’actif naturel dans le prix de consommation La surexploitation ou la dégradation des ressources en eau sont le plus souvent attribuées aux difficultés techniques d’évaluation des stocks et des capacités de renouvellement. Des prélèvements trop importants (par rapport au taux de recharge de la nappe), se traduisent par une baisse de son niveau. La rareté et les problèmes de pollution résultent-ils seulement d’un niveau technologique insuffisant, ou de l’absence de traitement économique cohérent de ces contraintes ? Notre propos défendra plutôt la deuxième hypothèse. En effet, bien que la ressource soit singulière, elle est devenue plurielle par son traitement : il n’y a pas un prix de l’eau, mais des prix différents pour des eaux différentes. Or, si l’on veut éviter le développement d’un usage au détriment de l’autre, les prix relatifs des biens services eaux doivent avoir un sens. Il est nécessaire, par exemple, de rendre cohérentes les évaluations de l’eau en tant qu’actif naturel et bien de consommation en convenant d’un lien 24 entre la ressource « in situ » et ses utilisations « ex situ », d’un lien entre dégradation d’une nappe et évolution des comportements de consommation. Ainsi, le fil conducteur de l’analyse qui s’impose, semble toujours être le prix. Comment tarifier les différents usages de l’eau compte tenu des externalités qu’ils engendrent les uns sur les autres ? En effet, la logique économique nous enseigne que l’évolution du prix d’un bien est une information sur les variations quantitatives et qualitatives de l’offre et de la demande ? C’est pourquoi, nous réfléchissons d’abord sur la valeur de l’actif naturel « in situ » pour tenter de l’intégrer dans les modalités de tarification « ex situ ». En effet, cette méthode de tarification a le mérite de revenir à la notion de prix signal, c’est-à-dire de tenir compte de la valeur de l’actif naturel dans son prix à la consommation. Puis nous développons rapidement les autres instruments, tels que celui de la taxe pigouvienne, qui peuvent être intégrés dans le prix de l’eau. Cette taxe a, en effet, été présenté par les économistes défenseurs de l’Etat interventionniste, comme un moyen d’internaliser les effets externes de pollution. 4.1) L’eau : de la valeur de l’actif naturel au prix du bien de consommation. 4.1.1) Les méthodes d’évaluation de l’eau « in situ ». L’idée d’évaluer l’eau en tant qu’actif naturel, est une conséquence de l’apparition de situations de crise dont la responsabilité était difficilement identifiable en raison de l’absence de droits de propriété. Puisque l’amélioration ou la dégradation des ressources naturelles affecte le bien-être des individus, l’approche initiale s’est appuyée sur le concept de « surplus du consommateur ». L’évaluation des actifs naturels est liée à la notion de valeur privilégiée pour la ressource : il peut s’agir de la valeur d’usage, et / ou de la valeur d’existence. Ces différentes notions de valeur se décomposent elles-mêmes en valeur d’option (et de quasi option, selon le degré d’incertitude pris en compte, puisqu’en effet, la valeur d’option tient compte de l’incertitude sur le futur et du caractère irréversible de certains projets), en valeur de legs (cette notion permettant de prendre en compte la valeur de legs pour les générations futures) et de préservation. Ces différentes modalités d’évaluation sont conditionnées par la perception de la valeur considérée. Ainsi, il est possible d’attribuer une valeur de consommation à ces biens mais aussi une valeur à leur non consommation. En cherchant une méthode compatible avec les principes d’évaluation des biens marchands, l’économiste explique le comportement d’un individu consommateur d’environnement mais aussi justifie qu’un individu soit prêt à payer pour le maintien d’un site ou d’un écosystème dont il ne tire aucun bénéfice. C’est pourquoi nous présentons maintenant les différentes méthodes qui permettent d’estimer la valeur des services livrés par l’eau . 4.1.1.1) La fonction de dommage. Elle est peu opérante car elle ignore les capacités de réaction des individus. Comme le souligne Amigues, elle est construite à partir de considérations purement techniques, telles 25 que l’évaluation de l’impact d’une variation de la qualité de l’eau potable sur la probabilité qu’un individu développe un cancer (si c’est l’indicateur de bien-être retenu). Le bénéfice social d’une amélioration de la qualité de l’eau, correspond alors, à la diminution des dépenses de santé qu’elle induit. Cette fonction assimile le bien-être des individus à des constantes physiques ou biologiques censées caractériser la qualité de l’eau. Lorsque les comportements individuels sont intégrés dans l’analyse, celle-ci peut se limiter à l’appréciation de l’environnement à travers les comportements de consommation ou étendre son champ d’investigation à ceux de non-consommation. 4.1.1.2) La méthode des coûts de transport Elle consiste à évaluer la valeur d’usage récréative d’un site (un lac) en reliant la demande pour ce site (mesurée par le nombre de visites) à son prix (mesuré par les coûts supportés par une visite). Bien que cette méthode soit efficace pour valider ex post, l’attitude des usagers vis-à-vis des sites naturels, à partir des comportements réels, elle n’est pas exempté de critiques. Ainsi, Faucheux et Noël3 (1995) considèrent qu’elle détermine plus la valeur du voyage que la valeur du site lui-même, et fait l’hypothèse forte d’un lien entre coût du trajet et nombre de visites. 4.1.1.3) La méthode des prix hédonistes. Elle a été initiée dans les années 60 pour évaluer la qualité de l’air. Les premières formalisations sont dues à Rosen, en 1974. Cette méthode utilise également le concept des marchés de substitution (dont les plus appropriés sont le marché de l’immobilier et le marché du travail). On part de l’idée que la valeur d’un bien immobilier est influencée par un certain nombre de paramètres, dont celui de la qualité de l’environnement dans lequel il se situe. Cette méthode tente d’établir la part de l’environnement dans les différences de prix des biens immobiliers identiques, et de déterminer le coût d’une dégradation de l’environnement, (ou l’avantage de son amélioration), sous la forme du consentement à payer pour les attributs environnementaux. Cette méthode cohérente pour des comportements de consommation directe de l’environnement est incomplète pour des évaluations de long terme. La principale critique adressée aux deux précédentes méthodes consiste dans leur faible portée opérationnelle dans le cas de la non-consommation, soit du bien environnemental luimême, soit du bien support auquel il se rattache. Les deux méthodes suivantes contournent ce problème permettant un lien direct entre la variation de la qualité de l’environnement et le bien-être. 4.1.1.4) La méthode des dépenses de protection. Elle met en corrélation la dégradation de la qualité de l’environnement et le coût des mesures de protection (mises en place pour contourner cette externalité). L’impact d’une faible détérioration de l’environnement sur l’individu peut ainsi être évalué en mesurant le montant des dépenses nécessaires pour l’éviter. C’est le cas d’individus préférant acheter de l’eau minérale, plutôt que de boire une eau potable considérée de qualité insuffisante. Cependant, ces dépenses ne doivent pas être supérieures avec les possibilités financières des individus donc, comme le souligne Amigues, seules des variations marginales de l’environnement S.FAUCHEUX et J.F.NOEL, « Economie des Ressources Naturelles et de l’Environnement », Armand Colin, Paris, 1995. 3 26 peuvent être évaluées sur la base de cette méthode. Celle-ci est inapplicable en cas de détérioration importante de l’actif naturel, à cause du coût élevé des mesures de protection à mettre en place incompatibles avec le revenu de l’agent. 4.1.1.5) La méthode d’évaluation contingente. C’est une méthode d’enquête se proposant à partir d’un scénario hypothétique décrivant un projet environnemental et un mode de paiement associé, de faire révéler aux personnes interrogées leur disposition à payer pour le projet proposé. Le principe de cette analyse, le postulat de révélation des préférences des agents, est fondé sur la logique du surplus (la qualité de l’eau, la beauté d’un site devenant des arguments supplémentaires de la fonction d’utilité). Cette méthode consiste à obtenir une évaluation directe de la valeur, en demandant aux agents, ce qu’ils seraient prêts à payer pour préserver un bien environnemental (on parle de « consentement à payer ») ou ce qu’ils seraient prêts à recevoir pour tolérer un dommage (« consentement à recevoir »). Passer d’une typologie des valeurs à une mesure économique marchande des services délivrés par les hydrosystèmes suppose que l’on clarifie les fondements économiques et la légitimité d’une évaluation économique. Les critères marchands d’évaluation, basés sur les seules préférences individuelles ne sont pas systématiquement acceptables dans le domaine de l’environnement et de donc de l’eau. En effet, l’information des individus ne leur permet pas en toutes circonstances d’opter pour les solutions les plus conformes à leur propre intérêt. Par ailleurs, les générations futures ne peuvent pas envoyer d’émissaires sur les marchés d’aujourd’hui pour acquérir ou protéger les ressources auxquelles elles pourraient attacher de la valeur. Cela constitue au moins deux raisons pour que la puissance publique exerce une action tutélaire dans ce domaine, mais on reviendra sur ce point. Précisons tout de même que cette action tutélaire est guidée par une certaine éthique dont un axe important devrait porter sur le maintien des possibilités de choix des générations futures, et donc sur une limitation drastique des irréversibilités du type disparition du milieu (ou forte réduction des surfaces en eau de certains fleuves) ou d’espèces (aquatiques). La demande sociale s’exprimerait comme la résultante de demandes individuelles et d’interventions tutélaires. Pour conclure, on peut dire que les méthodes d’évaluation de la valeur « in situ » de l’eau doivent permettre d’aboutir à la détermination d’un partage équilibré et efficient des différents usages en tant que services livrés par l’eau. Cet exercice suppose une progression en trois étapes : -identifier les fonctions de demande pour les services offerts par les hydrosystèmes, y compris, les demandes relevant de l’action tutélaire de la puissance publique, -relier chaque type de demande aux aspects qualitatifs et quantitatifs pertinents, pour la gestion des hydrosystèmes, -confronter les fonctions de bénéfice total pour chaque type d’usage. Chaque catégorie d’utilisateur doit pouvoir rendre compte des bénéfices qu’elle tire des services livrés par les hydrosystèmes. 27 Le critère de minimisation des coûts d’opportunité réciproques, dans le domaine jugé acceptable par la puissance publique, conduit à une clef de partage efficient. Cette clef repose sur un résultat bien connu qui est l’égalisation des bénéfices marginaux nets dans les différents usages. Nous venons de présenter les méthodes d’évaluation de la valeur de l’eau en tant qu’actif naturel qui livre des services, mais d’autres modes d’évaluation de la ressource existent. Il s’agit de méthodes de tarification des biens issues de la ressource en eau « ex situ », se focalisant essentiellement sur l’objectif d’équilibre budgétaire (ce sont par exemple, les méthodes que nous avons présenté dans les sections précédentes), sans prendre en compte l’objectif d’efficacité ou de non-gaspillage de la ressource en tant qu’actif naturel. Ces méthodes accréditent l’hypothèse de la gratuité de l’actif naturel en fixant un prix faible de la ressource consommable, bien que les deux types de ressources ne répondent pas à la même logique d’évaluation. Nous allons voir maintenant, comment intégrer dans la tarification de l’eau, la valeur de l’actif naturel de l’eau en tant que telle, en présentant un modèle de tarification français, peutêtre adaptable en Afrique subsaharienne. 4.1.2) Le passage à une tarification pour les consommations « ex situ ». 4.1.2.1) L’intégration de la valeur « in situ » de l’eau dans le prix. Pour apporter une réponse à cette question, nous allons présenter une méthode de définition de la tarification de l’eau en France. En France, l’approvisionnement en eau est sous tutelle publique. Sa gestion « ex situ » à des fins domestiques, agricoles, et industrielles, est déléguée à différents organismes. Ainsi, les collectivités locales ont la responsabilité de produire et de distribuer l’eau potable, puis de la collecter et d’épurer les eaux usées4. C’est un service public local à caractère industriel et commercial, une structure de « monopole naturel »5 soumise à la règle stricte d’équilibre budgétaire. Cependant, dans ce contexte particulier, « l’analyse des pratiques de tarification de l’eau potable montre l’absence de politique tarifaire optimale, ce qui a parfois mené à des pratiques d’utilisation dispendieuse de l’eau, et par conséquent, à un surdimensionnement des réseaux, à un gaspillage des fonds publics et à une pollution croissante de l’environnement et donc des ressources en eau »6 (Elnaboulsi, 1998). C’est justement ce biais que doit éviter le secteur de l’eau en Afrique subsaharienne : l’objectif est à la fois de développer le réseau pour accroître l’accès à l’eau, tout en préservant la ressource, dans une logique de développement soutenable. Par conséquent, ce double objectif doit se traduire dans un choix de tarification optimale. Depuis 1992, les communes ont la charge de lutte contre la pollution et la restauration des cours d’eau. Les coûts fixes sont si importants qu’ils constituent des barrières à l’entrée pour d’autres entreprises susceptibles d’entrer sur le marché. 6 J.C. ELNABOULSI, « La tarification non linéaire des réseaux urbains de distribution d’eau », communication présentée aux Journées de l’AFSE, Economie de l’environnement, Toulouse, 1998. 4 5 28 Si on revient à la déclaration citée par Elnaboulsi, on remarque que cette affirmation peut être éclairée par les 40% de pertes estimées en France dans le réseau d’acheminement de l’eau. On assiste au même problème en Afrique subsaharienne car certains réseaux présentent des tuyauteries particulièrement obsolètes, ce qui engendre beaucoup de fuites. Bien que cette « eau perdue » retourne dans son milieu naturel, elle génère des coûts (notamment d’extraction) supportés par l’usager. Par exemple, la Société du Canal de Provence (SCP, société d’aménagement régional de la région PACA) a publié7 en septembre 1989 ses modalités de tarification. Initialement, la mission de la SCP visait au premier chef l’aménagement et le développement du monde agricole et au second chef, l’intégration, si nécessaire, des aspects urbains et industriels. La vocation de la SCP, était donc la fourniture de l’eau brute. Ses impératifs sont liés à « une mission d’intérêt général … à un développement dans le temps de l’ouvrage…, à de multiples buts (irrigation, fourniture d’eau) … à l’attribution de subventions… et à l’impérieuse obligation d’équilibre budgétaire … ». La SCP précise vite que « si l’eau tombe du ciel, son transport, son stockage et sa distribution ne sont pas gratuits ». Bien que la SCP ne paie pas l’eau prélevée, elle est consciente de la valeur intrinsèque de la ressource, et définit donc un coût d’opportunité qu’elle fait supporter aux consommateurs. Comment se définit la valeur de ce coût d’opportunité ? Si la rivière est dotée d’installations hydroéléctriques, la valeur énergétique de l’eau permet alors à la SCP une telle approximation. La valeur marginale de l’eau dans son site est ainsi calculée d’après le tarif vert d’EDF. A cela s’ajoute la valeur de transport et d’assainissement qui relève d’une tarification au coût marginal (comme nous en avons déjà discuté dans la première section, car rappelons que la tarification des services publics doit s’inspirer de plus en plus de la règle de vente au coût marginal, principe économiquement sain, qui consiste à faire payer aux usagers ce que cela coûte réellement). Le concept ici retenu étant celui du coût marginal de développement (soit un coût marginal de long terme). Le coût de développement est fonction du dimensionnement des ouvrages conditionné par le débit de pointe et des volumes consommés. Donc, le tarif comporte une redevance de débit et une redevance proportionnelle à la consommation. Remarquons qu’ici la définition de la redevance n’est pas la même que celle que nous avons étudié dans la méthode canadienne de tarification de l’eau. Attendu que la SCP évalue ses rendements comme constamment croissants (donc évalue un coût marginal inférieur au coût moyen), il semble nécessaire d’ajuster le prix de vente à ce que sera le coût marginal lorsque la consommation aura augmenté. C’est pour satisfaire l’équilibre budgétaire que cette entreprise de droit privé ayant une mission d’intérêt général, tarifie à un niveau plus élevé que le coût marginal de fonctionnement. Ainsi, cet exemple de tarification français montre qu’il faudrait introduire dans le prix de l’eau, un coût d’opportunité représentatif de la valeur marginale de l’eau. Donc, il serait Société du Canal de Provence, « Livre Bleu sur les prix et tarif de l’eau brute urbaine du Canal de Provence », 1989. 7 29 intéressant d’introduire dans la méthode de tarification canadienne étudiée dans la première section, ce coût d’opportunité, qui permettrait en Afrique subsaharienne, une tarification optimale à la fois, économiquement (car efficacité économique + recouvrement des coûts), socialement (car elle doit permettre la généralisation de l’accès à l’eau, condition nécessaire à la sécurité alimentaire) et enfin, environnementalement (car elle doit s’instaurer dans le cadre d’un développement soutenable, qui ne met pas en péril la ressource rare pour les générations futures). 4.1.2.2) L’intégration du problème des conflits d’usage dans la tarification. En effet, un autre problème reste à résoudre : c’est celui des conflits d’intérêts entre les différents utilisateurs des ressources en eau. La politique de tarification de l’eau nécessite en effet, de prendre en compte à la fois, les intérêts des particuliers (eau potable), des industriels et ceux des agriculteurs. Ceci est d’autant plus important et difficile, pour le cas des pays de l’Afrique subsaharienne, en quête de croissance et de développement, car chacun de ses trois secteurs a son importance et son rôle à jouer dans l’atteinte de l’objectif. Pour arriver à une tarification optimale, une méthode appropriée consisterait à évaluer la ressource « in situ ». Que se passerait-il si ce prix était répercuté dans la tarification à la consommation ? Comment réagiraient les demandes à des variations de prix ? L’élasticité prix de la demande d’un bien ou d’un service permet de mesurer cet impact. Comme l’a montré Montginoul (1997), l’objectif d’équilibre budgétaire est plus aisé à atteindre lorsque la demande n’est pas sensible au prix (mais dans pour le cas de l’Afrique subsaharienne, il est clair que la solvabilité des ménages est tout de même limitée, ce qui rend les populations sensibles au prix), alors que pour atteindre l’efficience, la demande doit être sensible. Pour que les résultats soient cohérents, la variabilité du prix ne doit pas être compensée par une augmentation des subventions : si ce résultat théorique est valide, son applicabilité reste critiquable, car l’Afrique subsaharienne, comme tous les pays qui ont connu la nécessaire phase de développement, pratique des politiques de subventions. Il faut être très vigilant vis-à-vis des premiers résultats car il faut tenir compte de nombreux paramètres, notamment le calcul des fonctions de demande. Des études des Ponts - et - Chaussées8, sur Paris, depuis 1946, montrent une relative faible réaction de la demande à la variation du prix du service d’eau potable. L’étude de Schneider - Whitlatch, en 1991, établit une distinction par catégories d’usagers et conclut que l’élasticité prix de la demande est de –0.438 pour la demande d’eau publique, de –0.110 pour la demande d’eau potable résidentielle et de –0.112 pour la demande d’eau industrielle. Bien que ces chiffres ne soient sûrement pas comparables à ceux qu’on obtiendrait dans le cas de pays en développement, peut-être que ceux-ci reflètent quand même une certaine idée d’ordre de grandeur, ou du moins une certaine hiérarchie des élasticités - prix (mesurant l’incidence de l’évolution du prix de l’eau sur la consommation). Ceci reste totalement à vérifier empiriquement !!! 8 Ponts-et-Chaussées, « Coûts et prix de l’eau », 1988. 30 Mais, ce qui nous intéresse est plutôt l’idée de fond que démontrent ces études d’élasticités, c’est-à-dire l’idée d’introduire dans la tarification un système incitatif de comportement Par exemple, l’eau dans l’industrie est un facteur de production au même titre que le capital et le travail, et la possibilité de substitution ou de complémentarité permet une réduction de la consommation d’eau. Bien que la variation du prix de l’eau puisse générer des perturbations sur le court terme, les capacités d’adaptation sur le long terme font intervenir de nouvelles technologies plus économes en eau. Il existe indéniablement des relations de complémentarité ou de substituabilité de l’eau avec le capital et le travail par l’intermédiaire des élasticités croisées dans divers domaines d’activités (comme l’agroalimentaire, la Métallurgie, la construction électrique …) Les mêmes études montrent que des opportunités de complémentarité ou de substitution de l’eau avec l’un des deux facteurs, sont sensibles, ce qui permettrait de réduire les consommations en eau. Des stratégies similaires seraient envisageables dans le secteur de l’agriculture. Concernant l’eau d’irrigation, il semble qu’une variation de prix ait une incidence sur les comportements de consommation. Une étude réalisée aux Etats-Unis (citée par Montginoul, 1997) confirme ce résultat. Un programme a été mis en place pour diminuer le volume d’eau de drainage issu du périmètre irrigué en incitant les agriculteurs à améliorer leurs pratiques de gestion de l’irrigation, sans pénaliser ceux qui ont déjà des pratiques efficaces. Suite à la mise en place de la réforme, les intensités moyennes d’irrigation ainsi que l’eau drainée ont été diminuées et ce, malgré des délais d’adaptation dus à une certaine asymétrie d’information. Cette expérience concluante a permis d’inciter les agriculteurs moins vigilants à retrouver une pratique d’irrigation plus économe en eau. En l’absence de prix « signal », les comportements n’auraient eu aucune raison de s’orienter vers une situation efficace. Il semble important de s’inspirer de cette notion de « prix signal » comme vecteur d’incitation au changement des comportements dans les pratiques d’utilisation de l’eau. La démarche méthodologique à adopter pour définir une tarification de l’eau consiste tout d’abord, comme nous venons de le voir, à se concentrer sur la notion de « prix signal ». Celuici doit contenir, en plus des éléments de coûts traditionnels, à la fois l’information sur la valeur intrinsèque de l’eau (mesurée par le coût d’opportunité) et un système d’incitation au changement des comportements compte tenu des conflits d’usage que l’utilisation des ressources eau engendre. Et justement, pour agir encore mieux sur les comportements des usagers des ressources en eau, certains économistes, dans la logique d’interventionnisme de l’Etat, proposent l’instauration d’une taxe appelée « pigouvienne ». Celle-ci, d’après la théorie, s’applique au prix du bien final, dont la production a généré un effet externe négatif. Mais peut-être que celle-ci pourrait être directement « intégrable » dans le prix de l’eau payé par l’industriel, puisque que sa production entraîne à posteriori, une pollution des eaux rejetées. Ainsi, un autre élément constitutif du prix pourrait apparaître, en plus du coût du traitement des eaux usées habituel : la taxe. Ou, peut-être que cette hypothèse est fausse, c’est-à-dire qu’il reste préférable que la taxe reste imputable au prix du bien final. C’est ce que nous allons voir dans le deuxième paragraphe. 31 4.2) L’internalisation de l’externalité environnementale par la « taxe ». En effet, afin d’internaliser les effets externes négatifs sur l’environnement, il est possible d’introduire dans le prix de l’eau, un autre élément qui serait la taxe. En effet, nous avons vu que la dégradation de l’environnement issue de l’activité économique, entraînait des coûts sociaux, assimilés à des effets externes, du fait de leur non prise en compte par le marché. Les théoriciens de l’économie de l’environnement ont vocation, d’une part, à supprimer les coûts supportés par certains agents, d’autre part, à anticiper (et prévenir) les coûts futurs produits par l’activité économique présente. Pour cela, les politiques de l’environnement peuvent mettre en place différents types d’instruments, dont traditionnellement des instruments économiques (laissant, en principe, aux agents, la liberté de réagir de la manière qui leur soit le plus bénéfique), qui visent à internaliser ces effets extenes négatifs. 4.2.1) A la recherche de l’optimum. Le fondement théorique que nous retrouvons dans la théorie de l’internalisation, est celui de l’équilibre général. L’intérêt général y est considéré comme égal à la somme de tous les intérêts individuels. Les préférences des individus se révèlent sur un marché supposé parfait, et donc sont satisfaites de manière optimale par la collectivité. L’existence d’externalités ne remet pas fondamentalement en cause cet ensemble d’hypothèses. Dans le cadre théorique, les externalités ne constitueraient que des défauts d’allocation de ressources s’expliquant par l’absence de marché, et par conséquent de signaux perceptibles. La solution serait donc, d’internaliser les effets externes, en leur affectant un quasi - prix au moyen des méthodes que nous avons présentées. Par exemple, quand un producteur crée des effets externes négatifs, le niveau d’équilibre de sa production est supérieur au niveau de production optimum au sens de Pareto. Imposer cette industrie au moyen d’une taxe égale à la valeur marginale de l’effet externe, ramènerait alors son niveau de production à son niveau pareto - optimale. C’est le cas d’une industrie papetière qui pollue une rivière, elle induit une perte de revenu ou de bien-être des utilisateurs de la rivière en aval (pêcheurs, baigneurs…), sans que le prix du papier commercialisé par cette industrie en tienne compte. Certains coûts entraînés par l’activité d’un agent échappent donc, à la sanction par le marché, et ne sont pas supportés par l’agent qui les provoque. C’est à A.C. Pigou qu’est attribuée la première réflexion sur l’internalisation par taxation. Selon lui, puisque la pollution se traduit par une divergence entre produit social net et produit privé net, il suffit de taxer le pollueur pour un montant égal à ce coût social, et de reverser le montant de cette taxe à la victime, qui sera intégralement indemnisée. On parle alors d’internalisation totale. Il propose alors dans les années 20 de corriger, au moyen d’instruments tels que les taxes et les subventions, les effets hors - marché, notamment environnementaux, qu’entraînent la production et la consommation de biens. 32 D’une part, les taxes compensent les rejets polluants, comme les eaux industrielles usées contenant des substances nocives pour l’environnement, dont le traitement génère des coûts. D’autre part, les subventions compensent les « agréments environnementaux » non payés par ceux qui en profitent. L’existence d’un coût externe est donc une condition suffisante pour déclencher l’intervention de l’Etat et faire coïncider le coût social et le coût privé. Au delà des difficultés techniques d’application d’un tel système, (identification des pollueurs et/ ou des victimes, identification précise des dommages, imprécision des évaluations), des débats se sont engagés dans les années 1960 autour de deux points principaux : la pertinence et l’efficacité d’un système d’internalisation totale, c’est-à-dire d’un système de redistribution comprenant à la fois taxation du pollueur et compensation aux victimes ; et les méthodes de calcul permettant de déterminer le niveau optimal des mécanismes fiscaux à mettre en œuvre afin de parvenir à un optimum paretien. 4.2.2) Les limites de l’optimum paretien. Il faut bien comprendre que le niveau de pollution optimal correspondrait ainsi à celui « qui ne dépasse pas la capacité d’assimilation de la nature », c’est-à-dire qui ne produise pas de coût social. Or, pour que se réalise cet optimum paretien, plusieurs hypothèses sont nécessaires dont certaines semblent irréalistes. La nature ne réagit pas selon la logique du calcul économique. La réalisation de l’optimum paretien suppose que les biens environnementaux soient « divisibles » et « homogènes », ce qui ne correspond pas à la réalité écologique. Ainsi, René Passet (1979) cite un certain nombre d’effets montrant que la nature ne réagit pas selon la logique propre à l’appareil économique. Il y a d’abord l’« effet de synergie » : plusieurs effluents présents chacun dans des quantités ne dépassant pas la capacité d’absorption de la nature, peuvent, en se combinant, se révéler très toxiques. Il y a ensuite, l’« effet de seuil », mettant en lumière des points critiques au delà desquels une unité d’effluent supplémentaire a de graves conséquences écologiques. L’« effet d’amplification » se produit avec la concentration progressive de certains produits toxiques dans la chaîne alimentaire. L’ « effet d’irréversibilité » apparaît si le temps de reconstruction du milieu dépasse les temps de gestion économique ou si certaines conditions initiales à sa reconstruction ont disparu. La difficile mesure du coût social. Pour calculer une fiscalité, ou la taxe imputable au prix de l’eau, permettant une allocation optimale des ressources, une autre condition est requise : il faut disposer de l’évaluation monétaire du coût social, puisque la taxe doit être théoriquement proportionnelle aux pertes subies et non à la quantité de pollution déversée. 33 Or, plusieurs raisons empêchent cette évaluation monétaire d’être complète : - il faut être en mesure de pouvoir identifier toutes les victimes, ce qui est irréalisable dans la mesure où il semble impossible que les effets externes soient perçus par tous ceux qui en sont, ou qui en seront les victimes. Pour revenir au schéma d’optimalité parétienne, une taxe égale au coût social d’un dommage supposerait que toutes les externalités entrent dans les fonctions d’utilité collectives et individuelles des agents économiques, ce qui n’est pas le cas. - De plus, concernant l’aspect concret que devrait prendre un système de taxation dans lequel chaque pollueur est contraint de supporter le coût marginal du dommage qu’il provoque, il est clair que les capacités d’absorption du milieu ne sont pas homogènes dans l’espace. L’impossible calcul pareto-optimal. Les limites évoquées ci-dessus, ont pour conséquence qu’il n’est pas possible, dans l’état actuel des informations, surtout en Afrique subsaharienne qui connaît une forte carence informationnelle, de calculer un système de taxe qui permettrait d’internaliser les effets externes de manière à atteindre un équilibre pareto-optimal. Des auteurs comme W. Baumol, ont suggéré, en 1971, que les objectifs d’environnement soient fixés par décision tutélaire des autorités. La fiscalité ne serait plus alors, un moyen de conduire à l’optimum, mais un outil permettant d’atteindre des objectifs fixés de manière exogène, le calcul économique servant à les atteindre au moindre coût. C’est dans cet esprit que doivent être comprises les recherches sur le principe « pollueur-payeur » (PPP). Dans le cas de l’Afrique subsaharienne, il serait tout à fait possible d’appliquer ce PPP pour différents secteurs : industrie, agriculture…. dont l’activité génère de la pollution et donc, une forte détérioration des ressources en eau. Ainsi, un champ de réflexion pourrait porter par exemple, sur l’éventuelle intégration dans le prix de l’eau, payé par certaines catégories d’usagers, un supplément appelé « taxe », qui serait fonction de la quantité de pollution rejetée au prorata du volume consommé. Cette taxe ne se substituerait pas au coût de l’assainissement, mais serait rajoutée de sorte qu’elle couvrirait le coût marginal de traitement supplémentaire des eaux usées engendré par l’activité fortement productrice de pollution. Ainsi, peut-être que ceci constituerait un système d’incitation à une meilleure gestion des ressources en eau, à tendre vers des technologies plus économes d’eau et moins productrices de pollution. Le produit de la taxe pourrait éventuellement, être redistribuée, en partie sous forme de subventions comme « aide » à l’adaptation des usagers vers de nouveaux comportements Nous venons donc de voir qu’une politique de taxation repose sur l’hypothèse suivante : l’absence de droits de propriété sur les biens environnementaux entraîne un déséquilibre qu’il convient de corriger en affectant un « quasi-prix » à ces biens. Pour différentes raisons, le calcul d’un quasi-prix permettant de parvenir à un équilibre pareto-optimal apparaît difficile. 34 C’est pourquoi l’école des droits de propriété, en partant de la même hypothèse, va renverser la problématique en cherchant à affecter non des prix, mais de nouveaux droits de propriété à ces biens jugés jusqu’alors inappropriables. L’objectif, pour de nombreux auteurs, est de limiter au maximum l’intervention de l’Etat, à laquelle on reproche souvent sa lourdeur et son inefficacité. Le raisonnement est le suivant : les agents accordent davantage d’attention à un bien dont ils propriétaires exclusifs qu’à un bien dont la propriété est collective. Si ce bien est source de revenus, le propriétaire privé prend les dispositions nécessaires pour maintenir dans la durée les avantages procurés par la propriété de ce bien. Un propriétaire peut décider librement de l’usage de son droit : il peut utiliser son bien à son profit exclusif, le louer ou le vendre. Ainsi, il y a retour à l’initiative privée et à la liberté individuelle. L’existence d’un droit de propriété donne donc une « valeur d’échange » à un bien. Celle-ci ne nécessite pas, au contraire de la taxe, une détermination administrative puisqu’elle sera fixée par confrontation des offres et des demandes sur le marché. Conclusion : Si le fondement théorique du « droit de propriété » est identique à celui de la taxe, il n’en est pas de même de la perception morale que l’on peut avoir d’une telle privatisation des ressources en eau. Biens communs par excellence, n’étant pas le fruit du travail des hommes, les ressources en eau peuvent-elles être attribuées ou vendues de manière privée ? De nombreux auteurs ont noté qu’une telle appropriation risquait d’accroître encore davantage les inégalités entre riches et pauvres, surtout vu le contexte socio-économique dans les pays africains. De ce fait, on pourrait s’interroger sur l’impact d’un tel système sur l’objectif de généralisation de l’accès à l’eau pour tous. Mais il est vrai qu’on doit aussi s’interroger sur la pertinence économique de ces propositions au regard des objectifs d’allocation et d’utilisation optimales des ressources en eau dans une perspective de développement soutenable. La voie de recherche actuelle est une analyse en équilibre général calculable appliquée au secteur de l’eau de la Mauritanie. Elle permettra notamment, de tester différentes variantes de tarification de la ressource ainsi que ses effets redistributifs. 35 BIBLIOGRAPHIE M. Armstrong, C. Doyle, J. Vickers (1996), “The access pricing problem: a synthesis”, The Journal of Industrial Economics, n°2, juin 1996. W. Baumol, J. Panzar, R. Willig (1982), “Contestable markets and the theory of industrial structure”, San Diego, Harcourt Brace Jovanovich Publishers. W. Baumol, J.G. 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