Proposition de Communication
Agence Universitaire de la Francophonie
VIe Journées Scientifiques Réseau « Analyse Économique et
Développement » :
Le financement du développement et réduction de la pauvreté
4 et 5 mars 2004
Fondements théoriques pour une tarification de l’eau en
Afrique subsaharienne : une revue de la littérature
Anne Briand
Résumé :
L’objectif du document est de proposer plusieurs voies d’inspiration théorique pour définir un
« prix » de l’eau dans les pays d’Afrique subsaharienne. A partir de la littérature économique,
nous expliciterons les fondements de différents modes de tarification pour cette ressource à la
fois rare et vitale. Ceux-ci sont très largement liés à l’organisation du secteur : le service
(formel) est délivré par une entreprise concessionnaire à mission de service public. La
potentielle ouverture de certains segments du secteur impose aussi une réflexion sur les
charges d’accès au réseau. Enfin, l’objectif de développement durable qui intègre la contrainte
environnementale pousse à internaliser les effets externes liés à l’utilisation de la ressource.
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Introduction : Les débats actuels sur la tarification de l’eau dans les PVD
En Afrique, le débat sur la tarification de l’eau n’est pas totalement tranché. Il est au centre
des discussions relatives à la « gestion sociale » de l’eau.
Depuis plus d’une décennie, cette politique est fondée sur trois instruments utilisés par les
sociétés distributrices : les tarifs progressifs ; les tarifs partiellement subventionnés ; les
installations subventionnées. Les résultats sont diversement appréciés.
Le coût initial d’un raccordement est inaccessible au plus grand nombre, même s’il est payé à
crédit. D’autres part, les branchements subventionnés vont plus souvent en direction des
ménages proche des canalisations. Lorsque les branchements atteignent les plus pauvres, c’est
au prix d’un endettement irréversible. Dès lors, il ne s’agit plus de politiques de subventions
mais bien de politiques captives pour « rattraper » une demande pauvre mais solvable.
A supposer que les Etats décident de prendre à leur charge les équipements, le problème n’est
pas résolu pour autant. Certes, cette alternative permet de faire grimper le taux de couverture.
Mais, cette hausse est artificielle car la question de la solvabilité du consommateur demeure.
Il est clair alors que le raccordement ne se suffit pas à lui seul et il convient de s’intéresser aux
conditions de son installation. En Côte d’Ivoire, les branchements ont été multipliés dans les
quartiers précaires dès les années 70-80. Mais les abonnés avaient de telles difficultés à
honorer leur facture que les résiliations se sont multipliées : les ménages préférant payer l’eau
au coup par coup en fonction de leurs revenus fortement fluctuants.
Ainsi, de nombreux pays subventionnent actuellement l’installation des équipements.
Cependant, cette alternative continue de biaiser le système puisque les subventions sont
souvent proportionnelles à la consommation. Les ménages aisés grands consommateurs se
retrouvent favorisés puisque fortement subventionnés.
De fait, il apparaît que la tarification est un véritable instrument redistributif entre les
différentes catégories de consommateurs. C’est pourquoi, la redistribution des revenus à
travers l’adaptation des tarifs a davantage été prise en compte par les entreprises
concessionnaires. Ces dernières ont adopté une tarification progressive de manière à faire
supporter la consommation des ménages les plus pauvres par les plus riches.
Mais aussi, le système livre son lot d’effets pervers. Dans les quartiers périurbains, les
raccordements se font le plus souvent dans les cours extérieures et non dans les habitations
elles-mêmes. En définitive, le coût s’avère supérieur au simple raccordement individuel car
plusieurs familles viennent s’y approvisionner, ce qui incite le possesseur du robinet
(revendeur) à répercuter les prix à la hausse.
Face à toutes ces difficultés enseignées par la réalité africaine, comment définir une
tarification « optimale » ? Peut-être pourrions-nous nous tourner vers la théorie économique
afin d’élaborer un début de réponse à la question. Plus précisément, dans ce projet de
réflexion, nous allons uniquement nous interroger sur les fondements microéconomiques
d’une tarification d’une ressource rare et vitale, en particulier dans le cadre qui nous
intéresse : celui des entreprises privées concessionnaires de service public, chargées de la
production, du transport et de la distribution de l’eau. En effet, rappelons que les différents
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principes auxquels sont confrontés les concessionnaires sont : l’égalité de traitement des
usagers, la continuité et l’intérêt général.
Comment une entreprise concessionnaire à mission de service public (qui a la double
contrainte de rentabilité et d’intérêt général) peut définir un mode de tarification de l’eau
permettant l’accès au plus grand nombre au service de base ?
Notre première partie porte sur une réflexion, à partir de l’abondante littérature économique,
sur les fondements microéconomiques d’une tarification optimale de l’eau. Nous présentons
différents modes de tarification (au coût marginal, coût moyen, coût complet et leurs
extensions) possibles pour une entreprise concessionnaire à mission de service public devant
concilier efficacité et équité. Puis nous présentons dans une seconde partie, une méthodologie
de construction d’une tarification de l’eau inspirée de travaux canadiens, afin de s’interroger
sur les conditions de son applicabilité en Afrique subsaharienne pour une généralisation de
l’accès à l’eau. Dans une troisième partie, la réflexion se centre sur les fondements théoriques
de la tarification des charges d’accès lorsque l’ATR (Accès de Tiers au Réseau) est autorisé
dans une industrie de réseau. Enfin, la dernière partie apporte les justifications théoriques à la
prise en compte des externalités environnementales, en abordant la nécessaire intégration de
la valeur « in situ » de l’actif naturel dans le prix de consommation.
1) Discussion autour de la tarification optimale des entreprises
concessionnaires de service public.
Il apparaît nécessaire de s’interroger sur ce que doit être le comportement d’une entreprise
privée concessionnaire en charge de la production, du transport et de la distribution de l’eau.
N’oublions pas que ces entreprises ont dans leur fonction objectif, une double contrainte de
rentabilité et de mission de service public.
Quel doit être le système tarifaire à adopter pour l’usager final ?
D’après ces éléments, on peut rappeler les différents principes, auxquels sont confrontés les
concessionnaires, définis par les juristes : égalité de traitement des usagers, continuité et
adaptabilité du service public.
A ce titre, une tarification au coût moyen impliquant tout à la fois une réquation temporelle
et une péréquation spatiale des tarifs doit être mise en œuvre. C’est pourquoi s’est développé
l’idée d’une tarification au coût marginal.
1.1) La tarification au coût marginal.
Les « économistes » s’appuyant sur la théorie de l’optimum de Pareto justifiaient une
tarification au coût marginal, ce qui impliquait une dépéréquation temporelle et spatiale des
tarifs. Le surplus collectif (bien être social) est maximisé lorsque l’usager paie un prix
correspondant au coût supplémentaire (coûts fixes anticipés et coûts variables) supporté par
l’entreprise du fait de la présence de cet usager sur le réseau.
Un tel système justifie des tarifs plus élevés aux périodes de pointe (lorsqu’il y a un
encombrement ou lorsqu’il y a une variation climatique à l’origine de conflits d’usage plus
élevés : sécheresse) et des tarifs plus élevés dans les zones isolées (là où les coûts de
raccordement sont plus forts en raison de la faiblesse des rendements d’échelle). Cette
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discrimination tarifaire n’est pas incompatible, du point de vue de la théorie, avec le principe
de l’égalité de traitement des usagers : tous les usagers placés dans les mêmes conditions
paient un prix identique ; a contrario les usagers placés dans des conditions (temporelles et
spatiales) différentes doivent payer un prix différent.
Cette tarification au « coût marginal », dit en développement, a été progressivement adoptée
par plusieurs entreprises à mission de service public, pour les secteurs relevant de
« l’économie des réseaux », comme par exemple, pour le cas de l’électricité, EDF, d’abord en
1956 avec le « tarif vert » réservé aux industriels (on pourrait imaginer l’application de ce
principe pour les industriels africains utilisateurs d’eau), puis en 1965 avec le « compteur
bleu » réservé aux ménages domestiques (J. Percebois, 2001).
Le secteur électrique utilise en effet ce résultat théorique pour tarifier l’électricité. Est-ce aussi
possible pour le secteur de l’eau et en Afrique subsaharienne ?
Pour répondre à cela, voyons ce qu’a fait le secteur électrique français.
Il a utilisé largement la différenciation horosaisonnière des tarifs, avec par exemple le tarif
Tempo, et a mis en place le tarif EJP (effacement jours de pointe) qui a créé une incitation
supplémentaire pour les usagers (souvent des industriels) à s’effacer totalement aux heures ou
périodes de pointe, en contrepartie d’avantages financiers le reste du temps (souvent, la
facture annuelle d’eau des industriels, acceptant son effacement en période de pointe,
diminuait de 50%). Ce principe pourrait peut-être intéresser bon nombre d’industriels
africains qui pourraient aussi voir leurs factures diminuer largement. Mais, dans le cas de
l’eau, le problème est que l’effet d’encombrement est souvent un problème de pénurie là un
défaut climatique, et donc, l’effacement risque de durer trop longtemps, ce qui pourrait
engendrer pour les industriels des pertes (liés à l’arrêt de la production) largement supérieurs
aux gains (retirés par la diminution de la facture d’eau, si effacement du client) : cette
situation est très grave pour des industries « en développement ».
Cependant, il est important de comprendre qu’une telle tarification (au coût marginal), fondée
sur une « vérité des prix » présente un double avantage :
- en écrêtant les « pointes » (et en comblant partiellement les « creux »), elle
permet de faire des économies de capital et de mieux utiliser l’équipement
disponible ;
- elle constitue une base de référence pour les pouvoirs publics chargés de la
réglementation. A chaque fois que ceux-ci imposent à l’entreprise
concessionnaire des changements tarifaires qui éloignent de cette référence
(refus d’aligner les tarifs sur les coûts, avantages accordés à certains
usagers au nom de la solidarité nationale ou de l’aménagement du
territoire), il y a « subventions croisées » entre les clients ou entre le client
et le contribuable et c’est un choix politique dont les conséquences doivent
être clairement perçues par les pouvoirs publics.
Si la tarification au coût marginal ne pose pas de difficulté majeure lorsque l’activité se
déroule en phase de coûts marginaux croissants, il en va différemment lorsque l’entreprise
fonctionne en rendements croissants (coûts décroissants) comme il en est probablement le cas
pour la distribution de l’eau, bien que nous n’ayons pas de fonction de coût précise illustrant
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ce fait. Si l’on fait alors l’hypothèse que, concernant la distribution de l’eau, l’entreprise
concessionnaire fonctionne en rendements croissants, elle fonctionne alors de sorte que, toute
tarification au coût marginal, est génératrice de pertes (puisque le coût marginal est inférieur
au coût moyen). De ce fait, d’autres modes de tarification, (toujours issus de celle au coût
marginal), se sont développés dans la théorie économique, dont celle au coût moyen, qui
permet l’équilibre budgétaire. Voyons quels sont ces autres modes de tarification.
1.2) Les extensions de la tarification au coût marginal.
La théorie du « monopole naturel »
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nous enseigne qu’il existe plusieurs possibilités, lorsqu’il
s’agit d’un monopole multiproduits (ou ayant à faire face à plusieurs demandes, comme c’est
le cas pour l’eau qui est réclamée pour des usages multiples : consommation d’eau potable par
les ménages, l’eau d’irrigation pour les agriculteurs, l’eau pour la production électrique …),
contraint par sa mission de service public (car un monopole privé non contraint, c’est-à-dire
non réglementé par l’Etat, tendrait à rechercher le profit maximum donc à respecter l’égalité
entre recette marginale et coût marginal, ce qui minimise le surplus collectif).
La première possibilité est de maintenir une tarification au coût marginal. C’est
une solution dite de « premier rang » (first best), qui implique que l’Etat prenne à
sa charge le financement des coûts fixes, c’est-à-dire des investissements lourds
tels que les barrages : cette idée émane du théorème du rendement social de
M.Allais. Par contre, cette solution engendre, un déficit budgétaire, lié à la vente
au coût marginal inférieur au coût moyen. Seul l’Etat peut financer ce déficit en
recourant à l’impôt, mais ce recours est coûteux et génère des effets redistributifs
non négligeables.
La deuxième possibilité consiste donc, à opter pour un optimum de « second
rang » (second best) et à retenir par exemple une tarification du type Ramsey-
Boiteux. Le but est de maintenir une structure marginaliste des tarifs tout en
assurant l’équilibre budgétaire de l’entreprise (cas l’Etat refuse de
subventionner le monopole privé concessionnaire de service public). Le principe
est que le prix payé par l’usager doit s’écarter de son coût marginal de façon
inversement proportionnelle à l’élasticité - prix du bien considéré. On récupère
ainsi les coûts fixes en priorité sur les usagers captifs.
Le fait que les segments de clientèle les plus captifs subissent les plus fortes
marges entre prix et coût marginal s’explique par le souhait de s’écarter le moins
possible de l’allocation optimale de premier rang tout en préservant l’équilibre
financier de la firme.
Il importe dès lors de ne pas trop distordre le signal tarifaire adressé aux usagers, surtout les
plus mobiles potentiellement.
D’après la théorie économique, pénaliser les usagers captifs est efficace en termes de surplus
collectif, même si cela se discute du point de vue de l’équité. De plus, dans une économie « en
développement », ce système est-il viable et avantageux pour favoriser à long-terme l’accès
de tous au service de l’eau ?
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Les coûts fixes sont si importants qu’ils constituent des barrières à l’entrée pour d’autres entreprises
susceptibles d’entrer sur le marché.
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