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La structure sociale se donne à voir dans les rapports quotidiens entre individus et au sein des
institutions. Mais elle est aussi une conceptualisation abstraite par laquelle les sociologues formalisent et
délimitent les entités collectives ou les liens sociaux qui caractérisent un ensemble social. Avec le
développement des approches dites « constructivistes », la tâche s’est complexifiée : on ne considère
plus qu’il existe des groupes sociaux immuables et la volonté de répertorier, cartographier, délimiter des
classes ou catégories sociales aux caractéristiques objectives est contrainte par des usages sociaux (les
recensements, les statistiques notamment) plus que par des finalités proprement scientifiques. La majorité
des recherches prennent dès lors en compte les processus de représentations et de positionnement des
groupes les uns par rapport aux autres comme aspect central des divisions et appartenances sociales.
Dans cette perspective, il nous semble intéressant d’approfondir l’approche bourdieusienne de l’espace
social, et de donner un aperçu des recherches et discussions scientifiques auxquelles elle a donné lieu.
Nous verrons ainsi que la question du découpage des groupes et des jugements qu’ils portent les uns sur
les autres est au cœur du positionnement social, ce qui constitue un enjeu politique crucial. La proximité
ou la distance entre groupes, et par conséquent leur probabilité de se rassembler et de se ressembler, de
s’allier ou de s’opposer, n’est pas une simple affaire de nombre ou de géographie. Si Bourdieu a insisté
sur les notions d’« habitus » et de « schèmes de perception » ou sur l’étude des « porte-parole », des
« représentants » pour comprendre comment un groupe et son image se construisent, il a peu exploré la
diversité des groupes professionnels sous cet angle. La question des conditions pratiques dans lesquelles
les différentes catégories développent, reproduisent ou modifient leurs jugements/leurs représentations
respectives a été quelque peu éludée, ses recherches se concentrant de façon plus générale sur
l’importance croissante de l’institution scolaire ou sur des habitus propres à des milieux spécifiques. Pour
adapter ce cadre d’analyse à la problématique du séminaire, nous interrogerons plus avant :
- les rapports entre groupes sociaux et groupes professionnels et la formation de « milieux
sociaux » transversaux à plusieurs catégories socio-professionnelles ;
- l’individualisation des jugements et schèmes de perception ;
- les questionnements et résultats issus de la sociologie des professions.
La sociologie des professions : les professions comme relations entre groupes sociaux
Dans les dimensions constituant des axes d’études fondateurs de la sociologie des professions comme
sociologie spécialisée permettant d’analyser les hiérarchies sociales et les rapports sociaux dans leurs
dynamiques historiques, on peut relever par exemple : la distinction entre professions avec ou sans
prestige social, entre les professionnels « fiers » ou « humbles » ; la question des professions de service
ou indépendantes, qui supposent des contacts nombreux avec une diversité de milieux sociaux ; ou
encore celle des professions manufacturières, où les relations quotidiennes sont avant tout hiérarchiques.
A partir de ce cadre général, notre thématique particulière s’appuiera sur deux points forts des recherches
sur les professions :