LA SECTION RUDERALIA
La section Ruderalia correspond en gros aux anciennes sections Taraxacum et Vulgaria.
Ce sont surtout les chercheurs de l’Université d’Amsterdam et de l’Institut d’Ecologie des
Pays-Bas qui ont débroussaillé cette sombre affaire de sexualité qui s’est révélée peu à peu
chez les Ruderalia…
En résumé, ce sont d’abord des taxa agamospermes (polyploïdes, et, en général, triploïdes)
qui ont été décrits, notamment en Scandinavie. Ces « micro taxa » sont donc des clones
échappant au brassage génétique. Puis on s’est aperçu de l’existence de Taraxaca sexués
(diploïdes) dans le sud et le centre de l’Europe ; d’abord sous-estimés, il se sont avérés
abondants (cf. carte de répartition des Ruderalia et Erythrosperma diploïdes ). Dans les zones
de contact, comme la Belgique et le nord de la France, on observe des échanges génétiques di-
triploïdes : les triploïdes produisent du pollen irrégulier, du fait de la présence de grains
avortés ; cependant, certains grains sont correctement développés et peuvent féconder les
Taraxaca sexués. Le résultat est en général un diploïde, mais peut être aussi, rarement, un
nouveau triploïde (bienvenue sur Terre…) qui sera soumis à la sélection naturelle (… et
bonne chance !). Du point de vue taxonomique, les choses se compliquent donc sérieusement
en ces régions de contact où, peut on dire, les agamospermes retournent à la sexualité,
injectant leur patrimoine génétique dans la mêlée sexuée.
Du point de vue pratique, c’est sans doute contraignant, mais il faut reprendre les choses à
zéro et examiner systématiquement le pollen au microscope : régulier chez les sexués,
irréguliers pour les autres. Deux ou trois stigmates sont en général suffisants : la différence de
taille des grains des agamospermes est très nette, du simple au double. D’après ce que j’ai pu
commencer à observer l’an dernier, certains agamospermes restent reconnaissables au sein de
population de sexués, comme s’ils échappaient ou du moins résistaient à la perte d’identité
dans le brassage génétique. Il faut noter aussi que ce cycle di-triploïde ne se limite pas à la
section Ruderalia : il peut y avoir des échanges entre taxa de sections différentes.
Pour compliquer les choses un peu plus, il faut noter qu’il existe quelques Ruderalia
agamospermes ne produisant pas de pollen ; mais cela peut également se produire chez des
Ruderalia sexués : deux stations ont été trouvées, dans le Rhône et en Aveyron. Des
croisements à partir de pollen de Ruderalia sexués et d’Erythrosperma agaospermes ont
permis de rétablir la fécondité mâle. Cette stérilité semble due à un haplotype rare.
Un phénomène semblable de répartition di-polyploïde a été mis en évidence chez Knautia
arvensis agg. dans les Carpates et gions voisines : au nord, les polyploïdes, au sud, les
sexués, avec une zone de contact assez proche d’ailleurs de celle des Taraxaca diploïdes et
polyploïdes.
Les choses semblent plus simples quand on sort des milieux rudéraux ; dans les dunes ou les
marais tourbeux, on ne trouvera en général que des agamospermes, Erythrosperma ou Celtica
et Palustria.
En ce qui concerne la description des Ruderalia dans l’ « Exkursionsflora von Deutschland »,
KIRSCHNER et STEPANEK estiment que les Ruderalia allemands ne sont pas assez connus
(et sans doute pas complètement répertoriés), pour mettre au point une clé d’identification
fiable. A ceci s’ajoute la présence de sexués dans le sud ouest de l’Allemagne et dans la
vallée du Rhin ; cela signifie que les identifications faites en ces régions doivent être revues,
étant donné la possibilité d’hybridation entre sexués et agamospermes. Ils ne proposent donc
aucune clé ni description. Ceci est encore plus vrai pour le Nord de la France. Je pense qu’il
faut revoir ça en commençant tout simplement « devant sa porte ». J’ai commencé l’an
dernier avec des inventaires en bord de route dans les environs de ma commune. J’avais
l’impression que les sexués démarraient plus tôt que les agamospermes (fin mars, tout comme
dans la moitié sud de la France). Je refais des sondages cette année, et pour l’instant, c’est un
fait que je trouve beaucoup de sexués. Les Hamata que j’ai repérés commencent seulement à
sortir leurs boutons floraux. Quant aux agamospermes que je trouve, j’ai proposé à Hans
OLLGAARD de lui envoyer des scans par mail pour dégrossir la situation...
Voici trois extraits d’articles de l’équipe hollandaise :
Résumé de l’article de Peter J VAN DIJK publié en 2003 dans les « Philosophical
Transactions of the Royal Society B : Biological Sciences ».
Opportunités écologique et évolutionniste de l’apomixie dans les genres Taraxacum et
Chondrilla.
Les opportunités écologiques et évolutionnistes de l’apomixie à court et à long terme sont
abordées ici, à partir de l’étude de deux genres proches : Taraxacum et Chondrilla. Chez ces
deux genres, les apomictiques ont une plus grande répartition que les sexués, montrant le
succès écologique à court terme de l’apomixie. Les allozymes et les marqueurs ADN
montrent que les populations apomictiques sont fortement polyclonales (ce qui correspond
aux nombreux « micro taxa » des taxonomistes). Chez les Taraxacum, la diversité clonale
peut être générée par de rares hybridations entre les sexués et les apomictiques, ces derniers
étant les donneurs de pollen. Une autre source de diversité clonale est l’existence de mutations
au sein même des lignées clonales. La diversité clonale peut être maintenue par la sélection
(compétition entre espèces, réponse à des éléments pathogènes). Certains clones sont
géographiquement répandus ; plastiques quant à leur phénotype, ils représentent probablement
des génotypes « généralistes ».
Du point de vue de l’évolution sur le long terme, le succès des agamospermes peut être
contrarié par un manque de potentiel adaptatif et l’accumulation de mutations délétères. Bien
que les clones apomictiques puissent être considérés comme des impasses évolutives, les
gènes responsables de l’apomixie peuvent échapper à la dégénérescence et à l’extinction
grâce au transfert de pollen vers les sexués. Sous cet angle, les gènes de l’apomixie sont
transférés vers un nouveau fond génétique, deviennent potentiellement adaptatifs et sont
débarrassés des mutations délétères auxquelles ils étaient liés. Ces gènes peuvent donc être
bien plus anciens que les clones qui les portent. Les relations phylogénétiques étroites entre
les Taraxacum et les Chondrilla, la similarité de leurs mécanismes apomictiques, suggèrent
que l’apomixie remonterait à un ancêtre commun.
Résumé de l’article d’Hans C.M. DEN NIJS publié en 1997 dans Lagascalia 19 (1-2) : 45-46 :
Taraxacum : degré de ploïdie, hybridation et spéciation. Avantages et conséquences de
systèmes reproductifs combinés.
Le genre Taraxacum comprend des centaines d’espèces, regroupées en une cinquantaine de
sections. Environ 21 sections se trouvent dans les régions méditerranéennes. Certaines sont
modernes et dérivent de sections plus anciennes (comme les Ruderalia, les Erythrosperma ou
les Alpestria), d’autres sont primitives (comme les Piesis, les Glacialia ou les Rhodotricha).
Le genre Taraxacum forme un complexe polyploïde, allant du diploïde à l’octoploïde, les
triploïdes étant la grande majorité. Il a été avancé que l’apomixie prévaut dans une bonne
partie des taxas rivés et que la reproduction sexuée se rencontrait plutôt chez les taxas
primitifs*. L’apomixie mène à l’apparition de lignées clonales, les individus se
reproduisent à l’identique. Les différences morphologiques entre ces lignées clonales ont
permis de décrire un nombre important de (micro-) taxa. Cependant, le reproduction sexuée
est moins rare que présumée : des taxas sexués sont présent dans nombre de sections. Ploïdie
et reproduction sont liés : les sexués sont dipldes et les polyploïdes sont agamospermes.
Dans le domaine méditerranéen, il y a des diploïdes sexués dans 14 des 21 sections. Les
sections relativement primitives comme Piesis, Glacialia ou Oligantha ne comportent que des
diploïdes sexués. Dans 10, peut-être 11, autres sections, on trouve à la fois des sexués et des
agamospermes. Chez les Ruderalia et les Erythrosperma, la coexistence diploïdes sexués-
triploïdes agamospermes est très commune en Europe Centrale et méridionale.
Cet article développe les points suivants : 1, l’apomixie n’est pas obligatoire ; les polyploïdes
montrent un degré variable (et bas) de sexualité grâce à plusieurs mécanismes. 2, dans les
populations mixtes (diploïdes et polyploïdes), l’hybridation est possible ; ce qui conduit à 3,
un cycle di-triploïde, qui peut apporter un nouveau potentiel de réponses à des changements
environnementaux. Ceci peut conduire à : 1, l’apparition de nouvelles lignées apomictiques
(micro-taxa), 2, la disparition d’autres (par la lection et l’hybridation introgressive) et 3,
l’apparition de nouveaux diploïdes. De plus, il a été découvert que l’auto - incompatibilité
des diploïdes (reproduction croisée obligatoire) peut être levée par la présence de pollen de
polyploïde. Cela donne la possibilité aux diploïdes de se reproduire dans un environnement
constitué uniquement de polyploïdes et favorise leur extension. Du point de vue évolutif, les
sections qui présentent ces phénomènes sont très dynamiques, mais aussi très difficiles à
traiter quant à la taxonomie, le concept de « micro-taxon » étant applicable d’une façon
limitée. Ceci est sans doute vrai aussi pour certaines sections de Méditerranée.
*Note : d’après Jan KIRSCHNER, la sexualité serait d’apparition « secondaire » chez les
Ruderalia.
Extrait de l’article de J.C.M. DES NIJS, Jan KIRSCHNER, Jan STEPANEK et A. VAN DER
HULST publié dans Plant Systematics and Evolution 170, 71-84 (1990) : Distribution des
Taraxacum sect. Ruderalia diploïdes en Europe du Centre Est, notamment en
Tchécoslovaquie.
Problèmes taxonomiques. L’existence de diploïdes au sein de certaines sections et surtout
l’existence d’un flux génétique entre les différents niveaux de ploïdie conduit à s’interroger
quant au traitement taxonomique. Le cycle diploïde - triploïde se retrouve dans toutes les
zones de contact entre plantes sexuées et agamospermes. En même temps, des doutes sont
formulés, expressément ou implicitement, quant à une approche taxonomique du type de celle
adoptée dans les régions « purement agamospermes ». On estime souvent que les
agamospermes disparaissent inévitablement dans les zones de contact et perdent leur identité.
Nos recherches taxonomiques nous donnent à penser que dans certaines régions, ces deux
approches, la bio systématique et la traditionnelle, ne s’excluent pas mais peuvent se
compléter.
Des observations taxonomiques détaillées montrent que certains agamospermes se
maintiennent dans les « régions sexuées » et conservent leur intégrité morphologique. On peut
estimer que dans les régions comportant des diploïdes, trois éléments sont présents : (1) des
individus diploïdes, (2) des individus agamospermes ou facultativement agamospermes issus
du cycle 2x 3x, et (3) des espèces agamospermes qui ne sont pas, en général, confinées dans
les zones de contact diploïde triploïde. Ces trois groupes sont soumis à une sélection qui
déterminera leur fréquence en une station donnée. On peut faire l’hypothèse d’une intégrité
relative des agamospermes au contact des diploïdes, résultat d’un processus évolutif.
Cependant, le travail taxonomique concret devient très compliqué dans les « régions
diploïdes » et demande beaucoup d’expérience pour évaluer les trois groupes sur le terrain.
Les morphotypes de Ruderalia diploïdes décrits autrefois comme des taxa indépendants sont
de bons exemples d’une évaluation erronée sur le terrain. Il y a des chances pour que des
séries de plantes soient si proches les unes des autres qu’elles ont été classées sous un seul
nom d’espèce agamosperme. Van SOEST a identifié de nombreux diploïdes en pensant avoir
affaire à des agamospermes.
Du point de vue taxonomique, les diploïdes doivent être regroupés en un seul taxon dont le
nom reste à déterminer. Les agamospermes les noms d’espèces qui leur ont été attribués. Le
reste des agamospermes (ou agamospermes facultatifs) sera traité en tant qu’hybride.
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