Pigeard de Gurbert
Colles
qui pose des oppositions unilatérales : que l’éternité se temporalise, que l’Esprit se
phénoménalise. L’acte de la raison n’est pas la division, mais la spéculation au sens que
Hegel donne à ce mot : « spéculation » vient du latin speculum qui signifie « miroir ». Alors
que l’entendement oppose l’essence et l’apparence, l’éternité et l’histoire, l’esprit et la
matière, l’Absolu (le réel en soi) et le phénomène (l’apparence pour nous), la raison
reconnaît enfin l’essence dans l’apparence, l’éternité dans l’histoire, l’esprit dans la matière
(comme dans les œuvres d’art) [l’art ; la matière et l’esprit]. L’absolu se reconnaît dans le
phénomène comme en un miroir. Par exemple, les idées éternelles de la révolution
française se réalisent, pour Hegel, dans ce personnage historique qu’est Napoléon. Il ne
s’agit plus d’opposer abstraitement la raison et l’histoire, mais de reconnaître la raison
dans l’histoire [l’histoire]. La raison se définit comme l’acte spéculatif par lequel l’essence
se reconnaît dans l’apparence. Aux yeux de l’entendement, l’apparence représentait, en
face de l’essence, le tout autre. Dans l’élément de la raison, l’essence reconnaît enfin
l’apparence comme son autre. L’opposition de Platon entre l’intelligible et le sensible ou
encore l’opposition de Spinoza entre l’éternité et le temps restaient des oppositions
d’entendement. Si cette opposition de l’être et du temps était un moment nécessaire, ce
n’était qu’un moment qui ne réalisait pas le savoir philosophique, dont l’objet est de
penser le réel dans sa réalité concrète. La philosophie doit dépasser les oppositions
d’entendement pour saisir par la raison l’unité des opposés (l’être et le temps, l’essence et
l’apparence, l’esprit et le phénomène). Ce que l’entendement a d’abord divisé, il appartient
à la raison de le réunir.
Mais cette opposition de la raison qui unit et de l’entendement qui divise n’est-elle pas
elle-même une division d’entendement ? C’est précisément pour saisir l’unité de la raison
et de l’entendement que Hegel met en garde contre l’erreur qui consisterait à absolutiser
l’opposition de la raison et de l’entendement. Se contenter d’opposer la raison et
l’entendement, ce serait en rester à une philosophie de l’entendement et ne pas s’élever à
une philosophie de la raison qui reconnaît l’entendement comme un moment de la raison
elle-même. L’entendement, c’est la raison dans son moment dialectique, c’est-à-dire dans
son moment pré-spéculatif ou pré-rationnel. L’entendement est donc la raison elle-même
qui n’est pas encore allée au bout d’elle-même. L’entendement c’est, comme le dit Hegel
dans La différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling, « la raison qui ne se