Attention, loi 101 !
C’est par toute une série de lois linguistiques que le parti québécois,
souverainiste, nationaliste et indépendantiste, essaie de faire face à
l’anglicisation et à l’assimilation linguistique dans un océan
anglophone. Jusqu'à l'adoption de la Charte de la langue française
(la loi 101, article 1) en 1977 qui a imposé l'usage de la langue
officielle dans l’affichage et sur le lieu de travail, tout se passait
paradoxalement en anglais. La loi 101 exige également que le français soit la langue officielle
de l'enseignement et impose le français pour les immigrants. Les seuls à pouvoir fréquenter
l’école anglaise sont les Québécois de vieille souche qui ont reçu leur enseignement primaire
dans une école anglaise. Dans tous les autres cas le français est de rigueur jusqu’à l’université.
Avec cette loi, le Québec veut fendre sa culture et sa langue et combattre l’oppression
linguistique. Cette loi accorde clairement la priorité au français, bien qu’officiellement le
Canada soit un pays bilingue.
Charte de la langue française (1977, chap. 5) :
impose l'usage exclusif du français dans l'affichage public et la publicité commerciale;
(langue de l'affichage commercial)
étend les programmes de francisation à toutes les entreprises employant cinquante
personnes ou plus; (langue du travail)
restreint l'accès à l'école anglaise aux seuls enfants dont l'un des parents a reçu son
enseignement primaire en anglais au Québec; (langue de l'enseignement)
seule la version française des lois est officielle. (langue de la législation et de la
justice)
Toutefois cette primauté donnée à la langue majoritaire et officielle a donné lieu à plusieurs
reprises à quelques actions en justice de la part d’anglophones mécontents déclarant que la
«loi 101» soulignait leur « infériorité » vis-à-vis des Québécois et qu’elle était
inconstitutionnelle. De la même manière, certains immigrants critiquent cette politique
d'assimilation forcée à la culture francophone du Québec.
Ces revendications ont été prises en compte par plusieurs lois qui sont désormais entrées en
vigueur. Le 15 décembre 1988, le gouvernement libéral du Québec dépose le projet de loi
178, une loi visant à amender la «loi 101», c’est à dire la Charte de la langue française. La
Cour suprême conclut que l'interdiction de toute autre langue que le français dans l'affichage
public et la publicité commerciale va à l'encontre de la liberté d'expression et déclare nulles
les dispositions de la «loi 101» portant sur l'affichage unilingue dans les commerces et dans la
publicité. Elle permet dorénavant l’affichage bilingue à l’intérieur des commerces à condition
que le français ait une nette prédominance. Cependant l’usage exclusif du français dans
l’affichage extérieur est maintenu.
La «loi 86» voté en 1993 permet finalement d’afficher en deux langues (anglais et français) à
l’extérieur comme à l’intérieur. Les deux langues ont par exemple le droit de figurer sur les
panneaux de signalisation routière, mais la primauté du français doit être symbolisée par une
différence de police, le français devant bien évidemment figurer en plus gros caractères.
Comment est née la Loi 101
http://www.unesco.org/courier/2001_07/fr/education.htm
Une plaque d’immatriculation
Avant la Loi 101, les habitants du Québec avaient le droit d’envoyer leurs enfants dans des
écoles publiques françaises ou anglaises, qui, par les vicissitudes de l’histoire, s’étaient
organisées sur des bases confessionnelles. En effet, à la naissance de la Confédération
canadienne, en 1867, deux grands groupes coexistaient au Québec: les catholiques français et
les protestants britanniques. Chacun constitua sa propre école au sein du système scolaire
public. Mais, à la fin du XIXe siècle, une communauté fraîchement installée à Montréal
brouilla les cartes: les catholiques irlandais. Le compromis, qui leur permit de s’inscrire dans
les écoles anglaises, créa un précédent.
Depuis, presque toutes les immigrations, des catholiques polonais aux Italiens, en ont fait
autant. Même des francophones, comme les Juifs marocains, ont été envoyés (par les
autorités) dans les classes anglaises, pour échapper au catéchisme du système scolaire
français. Cet arrangement convenait parfaitement aux Canadiens français, qui ne voulaient pas
de francophones non indigènes dans leurs écoles. Et cela a valu tant que leur taux de natalité
est resté fort. Mais celui-ci a vite décliné pendant la «révolution tranquille», quand les
Québécois français ont commencé à s’affranchir des rigueurs du catholicisme traditionnel. Et,
au moment précis où les familles françaises rétrécissaient, l’immigration prenait de l’ampleur,
en particulier l’italienne.
Parallèlement, tandis que les écoles anglaises poussaient comme des champignons à Montréal,
le mouvement nationaliste devenait une force politique crédible et puissante. Il exigeait que
des mesures soient prises pour «corriger» le déséquilibre linguistique et démographique qui se
reflétait dans le système scolaire. Un compromis fut tenté, en 1968, avec une loi favorisant
l’instruction en français. Mais elle ne satisfaisait pas les nationalistes, qui voulaient que tous
les enfants aillent à l’école française.
Deux ans plus tard, le français devint la langue officielle du Québec, mais les tensions
continuèrent à croître jusqu’à l’éclatement d’une véritable guerre linguistique, en 1976,
lorsque le nouveau Parti québécois (séparatiste) remporta les élections provinciales. L’année
suivante, les nationalistes firent voter la Loi 101: un tournant dans le débat linguistique au
Québec.
Pour approfondir la question linguistique
L'issue du référendum de 1980 affaiblissait le pouvoir du Québec de négocier avec Ottawa
(gouvernement fédéral). Le premier ministre du Canada, Pierre Elliot Trudeau, convoqua, en
juin 1980, les 10 premiers ministres provinciaux pour entamer des négociations
constitutionnelles qui limitaient les pouvoirs de l'Assemblée national québécoise en matière
d'éducation et de langue par la Loi constitutionnelle de 1982. C'était, en quelque sorte, une
espèce de revanche de la part des anglophones du Canada au refus du Québec de signer la
charte de Victoria (Charte constitutionnelle canadienne) de 1971 qui élevait le français et
l'anglais au même rang (Art. 10) pour neutraliser la Charte de la langue française qui avait
fait du français la seule langue de l'administration et de l'enseignement. Ainsi le Québec ne
pouvait plus imposer aux citoyens canadiens venus d'autres provinces une langue
d'enseignement autre que la leur.
C'est spécialement le paragraphe 23.2 de la Charte canadienne des droits et libertés qui
empêchait le Québec de se doter d'une protection efficace contre l'emprise de l'anglais en
rétablissant le caractère bilingue de la société québécoise. "Les citoyens canadiens a) dont la
première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou
anglophone de la province ils résident, b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire,
en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province la langue dans
laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la
province, ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux
primaire et secondaire, dans cette langue." En imposant un caractère bilingue à la société
québécoise tout en sachant très bien que le bilinguisme avait dans le passé avanta les
anglophones aux dépens des francophones, le gouvernement canadien n'a pas seulement
court-circuité rétroactivement la loi 101 qui avait stimulé la fierté des Québécois, mais
défavorisé la protection de la langue française dans une mer anglophone.
Brisé par la double défaite du référendum et du rapatriement de la Constitution, le
gouvernement du Parti québécois demeura impuissant face aux coups qui continuaient de
l'assaillir. À deux reprises, il se contenta d'encaisser les coups portés à la Charte de la langue
française: d'abord en juillet 1984, lorsque la Cour suprême a invalidé l'article 73 de la loi 101
qui n'accordait l'accès à l'école anglaise qu'aux enfants dont les parents avaient fait leurs
études en anglais au Québec; puis en décembre 1984, lorsque la Cour supérieure du Québec a
invalidé l'article 58 de la loi 101 interdisant l'affichage dans une autre langue que le français
en raison de la liberté d'expression consacrée dans Charte québécoise des droits et libertés de
la personne.
Finalement la Cour suprême du Canada a, pour sa part, confirmé en décembre 1988 par la Loi
modifiant la Charte de la langue française (loi 178) que Québec avait le droit d'imposer
l'usage du français, mais ne pouvait interdire l'anglais y compris dans le discours
commercial. Le Québec ne pouvait donc plus interdire l’anglais, sauf s’il se prévalait de
l’article 33 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cet article appelé «clause nonobstant» ou
«clause dérogatoire» permet de déroger à la Constitution canadienne. Cela signifie que le
gouvernement d’une province peut se soustraire à certaines dispositions de la Charte des
droits et libertés en invoquant cette clause dérogatoire pour une durée n’excédant pas cinq
ans. Le gouvernement Bourassa, cédant à la pression des nationalistes québécois, voulut
conserver l’unilinguisme français, mais dut alors recourir à la fameuse clause dérogatoire de
la Constitution canadienne.
Il n’est pas surprenant que la loi 178 sur l'unilinguisme français ait été condamnée dans tout le
Canada anglais parce que le Québec supprimait alors des libertés individuelles et la liberté
d'expression accordée aux anglophones. Un comité des Nations unies a même donné raison
aux anglophones à ce sujet tout en précisant que la communauté anglo-québécoise ne pouvait
être considérée comme une «minorité» puisqu’elle fait partie de la «majorité canadienne».
La loi 86 ou Loi modifiant la Charte de la langue française a été adoptée le 17 juin 1993. Elle
remplaçait la loi 178 (sur l'unilinguisme français) qui, adoptée grâce à la clause dérogatoire de
la Charte canadienne des droits et libertés, était devenue caduque. La nouvelle loi 86 illustre
le revirement du gouvernement québécois en matière de langue, car elle correspond à une «loi
de normalisation».
Toutefois, malgré les lois linguistiques et les succès indéniables du français au Québec, la
majorité francophone n'est pas encore au bout de sa peine. Les problèmes liés à la dénatalité
et à l'immigration constituent des défis de taille, et ils n'ont rien à voir avec les «Anglais»! Le
défi démographique est plus grave que les questions d'ordre économique et constitutionnel. Si
la société francophone du Québec refuse d'y faire face, elle aura perdu dans quelques
décennies le «caractère distinct» qui a contribué à sa survie au Canada. Comme les droits
constitutionnels résident en partie dans le poids démographiques qu'ils représentent au
Canada, les francophones risquent de revivre avant longtemps les conflits linguistiques.
Lorsque les Québécois commenceront à représenter moins de 20 % de la population
canadienne, le rapport de force diminuera encore entre francophones et anglophones la
faveur de ces derniers), tant au Canada qu'au Québec. Dans le cadre de l'actuelle fédération
canadienne, les conflits sont pour durer et la marmite linguistique risque de renverser au
cours des prochaines décennies.
D'après Jacques Leclerc, Histoire du français au Québec, Section 5, Texte modifié:
Réorientations et nouvelles stratétgies. De 1982 à nos jours.
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