Doc 2 : Les effets limités des médias
[…]Les travaux de Lazarsfeld et de ses collaborateurs ont radicalement transformé la sociologie
des media […]
En se donnant pour la première fois les moyens de mesurer réellement l’impact des messages
médiatiques – le panel et le schème de l’étude de décision –, The People’s Choice [1940] puis Voting
[1954] vont en découvrir les limites. Le premier constat par son importance, c’est la faiblesse du nombre
des changements d’intention de vote susceptibles de se produire dans le cours d’une campagne électorale,
en dépit de l’avalanche médiatique qu’elle suscite. Le second, c’est que les transferts d’allégeance qui se
produisent sont plus souvent dus aux contacts face-à-face avec l’entourage (familial, professionnel ou
amical) qu’aux discours électoraux ou aux éditoriaux des commentateurs. Parce que le niveau d’intérêt
politique, la précocité du choix et sa fermeté, le volume et la sélectivité de l’exposition vont de pair, les
communications formelles n’atteignent que ceux qui sont les moins susceptibles d’être influencés. Le
résultat est inattendu : ou bien les messages n’atteignent pas, ou bien c’est en pure perte. Au lieu des
changements en masse que la campagne était supposée induire, les auteurs découvrent la stabilité de
l’opinion politique et l’homogénéité idéologique des groupes primaires. Même les changements individuels
apportent leur contribution à cette uniformité parce qu’ils consistent le plus souvent en un alignement des
membres déviants sur le vote tenu pour socialement correct dans leur entourage. Le citoyen éclairé que
postule la philosophie politique classique s’avère introuvable : exit l’homo politicus. […]
Ces diverses enquêtes ont découvert le pouvoir régulateur considérable qu’exercent les relations
interpersonnelles au travers de la diffusion de l’information, de la légitimation des décisions et du soutien
procuré. Là réside la limite à l’action formatrice des messages des autorités distantes, quel que soit le degré
de reconnaissance dont elles bénéficient.
Michel Grumbach et Nicolas Herpin,
« À propos de quelques travaux de Lazarsfeld et de son école », Enquête, Varia, 1988,
http://enquete.revues.org/document65.html.
1. Qu’est-ce qu’une étude par panel ?
2. En quoi les études de Lazarsfeld et de son équipe permettent de dire que les médias ont un effet limité
sur les opinions politiques des individus ?
Doc 3 : L’effet d’agenda
[…] Funkhouser […] ne se situe pas dans le contexte précis d'une élection mais balaye au contraire toute
la décennie 1960. Le but de sa recherche est donc d'étudier les relations entre les événements et les enjeux
des années 1960, leur couverture par les médias et leur perception par l'opinion publique. La décennie
1960-1970 parait particulièrement bien adaptée pour ce genre de comparaison, selon Funkhouser, à la fois
par la diversité des problèmes posés à la société américaine et par l'ampleur des réactions, des prises de
position, des luttes qu'ils ont suscitées. Trois éléments complexes sont soumis à la confrontation:
— l'opinion publique : enquêtes par sondage (Gallup) ;
— les médias : trois hebdomadaires : Time, Newsweek, et U.S. News and World Report.
— les événements réels : indicateurs statistiques tels que le nombre de crimes de sang commis en un an
pour la criminalité, l'importance du corps expéditionnaire pour l'engagement au Vietnam le taux de la
hausse des prix pour l'inflation.
Les enjeux suivants ont été pris en compte, ayant tous été classés à un moment de la décennie comme « le
problème le plus important » : la guerre au Vietnam, les problèmes raciaux, l'inflation, la criminalité,
l'agitation urbaine, l'agitation universitaire, l'environnement, la drogue, la libéralisation sexuelle, les médias,
la pauvreté.
Pour la première relation étudiée, entre médias et opinion publique, il apparaît bien que l'attention
accordée par les médias à un enjeu augmente son importance aux yeux de l'opinion publique. Cela signifie
que cet enjeu est placé plus fréquemment dans la liste des « problèmes les plus importants pour les États-
Unis aujourd'hui ». Mais cette importance quantitative accordée par les médias n'est pas forcément liée aux
attitudes et aux opinions du public sur tel enjeu et la politique menée. En effet, les réponses à la question
posée par Gallup sont peut-être plus le signe indirect d'une réaction de l'opinion publique aux
informations qu'une analyse de ses attitudes. L'opinion publique apparaît ici en surface, non en