Karl Popper, dans La Logique de la découverte scientifique (1959), cherche un critère de
démarcation entre théories scientifiques et non scientifiques. Il pense le trouver dans la
falsifiabilité : pour être scientifique, une théorie doit faire des prédictions qui peuvent, en
principe, être contredites par des faits. L’astrologie ou la psychanalyse, qui se contentent de
prédiction imprécises ou accommodent les résultats empiriques lorsque ceux-ci les
contredisent, ne peuvent pas être considérées comme des sciences.
La conséquence de principe est qu’on peut prouver qu’une théorie est fausse (il suffit d’une
seule observation fiable la contredisant), mais on ne peut jamais prouver qu’une théorie est
totalement vraie (car il faudrait pouvoir tester toutes les prédictions de la théorie, ce qui est
généralement impossible).
Sokal et Bricmont critiquent le falsificationnisme poppérien en prenant, entre autres,
l’exemple de la mécanique newtonienne : le fait que des astronomes aient observé, au milieu
du XIXe siècle, que l’orbite de Mercure était légèrement différente de celle prédite par la
mécanique newtonienne suffit-il à conclure que cette dernière, qui a pourtant abouti à
d’immenses succès (par exemple : prédiction du retour de la comète de Halley en 1759,
découverte de Neptune en 1846, etc.) est fausse ?
5. L’incommensurabilité des paradigmes de Thomas Kuhn
Selon Kuhn, dans la Structure des révolutions scientifiques (1970), le gros de l’activité
scientifique, ce qu’il appelle la « science normale », se déroule à l’intérieur de
« paradigmes », qui définissent le genre de problèmes à étudier, les critères à utiliser pour
évaluer un résultat et les procédures expérimentales considérées comme acceptables. De
temps en temps, la science normale entre en crise et on assiste à un changement de paradigme.
Par exemple, la naissance de la physique moderne, avec Galilée et Newton, suppose une
rupture avec Aristote, et, au vingtième siècle, la théorie de la relativité et la mécanique
quantique renversent le paradigme de la mécanique classique.
Cette théorie, jusque-là banale, va plus loin. Pour Kuhn, l’expérience que nous avons du
monde est tellement conditionnée par la théorie (qui dépend elle-même du paradigme) qu’il
est impossible de comparer des théories concurrentes, et de les départager de rationnellement
(par exemple : Newton et Einstein). Après une révolution scientifique, les scientifiques
travaillent voient le monde d’une manière tellement différente qu’il leur est impossible de
comparer leurs théories avec les théories précédentes. Pour Kuhn, les paradigmes sont
incommensurables (on ne peut pas les comparer entre eux).
De plus, les changements de paradigmes ne se font pas forcément de manière rationnelle, et
les preuves dont on disposait à l’époque de telle ou telle révolution scientifique sont souvent
moins fortes qu’on ne le pense généralement ; à chaque changement de paradigme, des
considérations non scientifiques interviennent (comme par exemple, des facteurs religieux
dans le cas de l’astronome allemand Kepler, qui confirme que la Terre tourne autour du soleil
à la fin du XVIe siècle). L’ambiguïté de l’ouvrage de Kuhn est qu’à certains moments l’auteur
semble penser que les révolutions scientifiques sont dues principalement à des facteurs non
empiriques, et qu’une fois adoptés, ils conditionnent tellement notre perception du monde
qu’ils ne peuvent qu’être confirmés par nos expériences ultérieures ; la force des théories est
tellement grande que chaque expérience finit par s’accorder avec elles.
6. L’« anarchisme » méthodologique de Feyerabend
Paul Feyerabend, quant à lui, critique radicalement les règles que certains philosophes
croyaient pouvoir utiliser pour définir la démarche scientifique. Il ne se contente pas de