(1499-1543), le couple fondateur de la branche cadette des Médicis, sont disposées presqu’au
centre de la crypte. Et un peu à l’écart, dans l’une des quatre niches situées de côté, sont
ensevelis Cosme 1er, son épouse Eléonore de Tolède et deux de leurs fils, Jean et Garçia.
Associer Jean à Eléonore, comme le fait Margaret, n’est donc guère justifié. Comment
expliquer cette anomalie dans les paroles d’une jeune femme agacée? Cette question est
d’autant plus délicate qu’en l’absence de précisions, d’après le contexte, le lecteur est fondé à
comprendre que Jean est l’époux d’Eléonore. Ce qui induit le lecteur en erreur.
Jean et Eléonore sont, parmi les dépouilles exhumées, les seules à avoir conservé dans le
tombeau des attributs essentiels de leur vivant : son armure pour l’homme et sa chevelure
blonde pour la femme. En effet, lorsque les restes de Jean, et ceux d’Eléonore ont été étudiés,
les chercheurs ont été très surpris. L’armure de Jean était en bon état. Et la robe d’Eléonore
gisait dans son cercueil, presqu’intacte. Autour du crâne de la duchesse, un cordon d’or
continuait même à retenir une touffe de cheveux très blonds. L’armure et les cheveux
retrouvés évoquent la personnalité publique de deux personnages exceptionnels dans l’histoire
de Florence : la bravoure de Jean, la beauté d’Eléonore. Mais cela ne justifie pas que Margaret
s’autorise à marier dans la mort le condotierre Jean à la duchesse Eléonore. Ce qui permet à la
jeune Américaine de rapprocher les défunts, malgré l’éloignement de leurs tombeaux, ce n’est
pas non plus leur lien de famille, assez distant. Jean des Bandes Noires est certes le beau-père
d’Eléonore, mais comme il est mort de septicémie à vingt-huit ans, ils n’ont pu se connaître.
Le rapprochement opéré par Margaret repose donc nécessairement sur un autre point commun
que la parenté. En fait, Margaret, agacée par Morgan, souhaiterait convoquer dans la crypte le
fantôme de Béatrice, son amie blonde, pour mieux éradiquer son souvenir. Dans le tombeau
d’Eléonore de Tolède, Margaret voudrait voir reposer sa rivale morte.
Ne pas quitter la basilique sans avoir supplanté Béatrice dans le cœur de Morgan, c’est le
projet de Margaret. Dans l’intention de réussir un habile tour de passe-passe, Margaret a donc
avisé les tombes de Jean et d’Eléonore, parce que le nom des défunts évoquait assurément, à
la fin du XIXe siècle, dans l’esprit d’une femme cultivée, passionnée par l’histoire de
Florence, le titre d’un tableau célèbre de Bronzino : Le portrait d’Eléonore de Tolède avec
son fils Jean, daté de 1545. La référence s’impose d’autant plus que les portraits des Médicis
par Bronzino, à la perfection glacée, sont l’anticipation des tombeaux installés dans la crypte.
Les événements qui se sont déroulés sur terre au temps glorieux des grands-ducs ont laissé
une trace sous terre. Profitant de ce parallélisme entre les vivants et les morts, Margaret
voudrait atteindre un double objectif : séparer symboliquement Eléonore de son époux,
Cosme 1er, puis associer Eléonore à un autre homme, nommé Jean. Le prénom n’a pas été pas
choisi au hasard car un Jean repose également auprès d’Eléonore, mais ce n’est ni son beau-
père, ni son amant, c’est son fils7. Le procédé employé, inconsciemment peut-être, par
Margaret consiste donc à brouiller des repères familiaux pourtant nettement établis par la
disposition des tombes dans la crypte. Cheminant dans cet espace à demi enterré, Morgan
devrait se perdre dans les ramifications de la dynastie Médicis, au point d’en oublier qui est
qui. Puis, désemparé, il devrait se retourner vers Margaret, enfin conscient que la femme la
plus aimable se trouve auprès de lui. Du point de vue esthétique, l’association d’idées était
tout à fait justifiée. En effet, Bronzino, grand admirateur de Michel-Ange, connaissait bien la
chapelle des Médicis. Pour plusieurs de ses portraits masculins, il s’est inspiré de la statue de
Julien de Médicis8. Et c’est en tant que peintre officiel que Bronzino a peint le portrait, à
portée dynastique, de l’épouse de Cosme 1er et de leur fils, Jean.
Assise sur un siège recouvert de velours rouge, Eléonore entoure de son bras l’épaule du
garçonnet, âgé de deux ans, appuyé contre elle, debout à sa droite, et elle laisse reposer sa
main gauche sur sa robe9. Le buste féminin de face et le visage de trois quarts se détachent sur
un fond bleu outre-mer. La perfection idéalisée du visage d’Eléonore, très peu expressif,
produit un effet de masque, qui ne laisse rien transparaître des émotions de la duchesse. La