jeunes et moins stabilisées que la linguistique (comme la sociolinguistique, la linguistique
de l'énonciation, l’analyse de discours, la pragmatique, l'ethnographie de la
communication). Ce sont ces branches là qui alimentent plus directement les réflexions
présentées dans ce volume. Les recherches menées dans leur mouvance ont en commun de
s'intéresser au langage "en société", aux usages du langage et non plus seulement à sa
structure formelle ; à la variété de ses formes ; à ses différents aspects : l’écrit et l’oral, le
verbal et le gestuel ; à ses variations en contexte social, selon le cadre et la situation ; et enfin,
à l'utilisation qu'en font, réellement, les gens dans la vie courante pour interagir, travailler,
produire.
Et la fin du langage--véhicule
Les disciplines qui viennent d'être citées partagent aussi une posture critique vis à vis
d'une autre conception, dite instrumentale, du langage à laquelle nous avons longtemps,
largement mais implicitement adhéré en sociologie : du langage vu comme un message, un
outil de communication. Cette vision est généralement attribuée aux travaux précurseurs
d'ingénieurs en télécommunication des années 50 (Shannon et Weaver, 1975) et inspire
toujours, globalement, les pratiques et la littérature professionnelles sur la communication
en entreprise. Le langage y fait fonction de véhicule, servant à transporter, au moyen d'un
code supposé commun, des unités, c’est à dire des messages (des émulsions physiques),
entre un émetteur actif et un récepteur passif censés appliquer mécaniquement, du début à
la fin de l'émission, un code commun. Ce modèle, dit du code, a été largement remis en
cause depuis quarante ans (Sperber et Wilson, 1989) : parce qu'il ignore les différentes
“pollutions” qui sont pourtant la règle en matière de communication humaine (l’implicite,
le non-dit, le malentendu, l’interprétation, l’incompréhension)
qui se glissent entre ces
deux temps forts de la communication que sont l'émission et la réception ; parce qu'il
ignore aussi les circonstances de l'émission et les conditions de la réception ; parce qu'il
suppose une transparence pure et parfaite (comme les économistes orthodoxes postulent la
concurrence pure et parfaite sur le marché) entre ces pôles ; parce qu'il passe sous silence,
enfin, la question des places énonciatives (qui parle à qui et pour quoi faire) et celle des
mécanismes d’attribution ou de construction du sens (Boutet, 1994). Le dépassement de ce
modèle représente, pour nous sociologues, un préalable qui ouvre la voie à des recherches
conjointes ainsi qu’à un domaine de connaissance spécifique, la sociologie du langage
(Achard, 1993), sur la base d'un langage en quelque sorte "socialisé" dont la matière sera
désignée, en France - par analogie avec les autres pratiques sociales qui intéressent la
sociologie - par le terme de pratique langagière (Boutet, Fiala, Simonin, 1987).
Pourtant, cette conception ferroviaire ou postale du langage servant à transporter des
voyageurs, des paquets, des messages est si prégnante, bien que peu explicitée en
Sur le maquis terminologique auquel ces notions renvoient on peut se reporter à Catherine Kerbrat-Orecchioni, L'implicite,
Paris, Colin, 1986