compressés de toute part, y compris par la réduction des prestations d’emploi et de droits
pour les retraités, et par des hausses d’impôts.
Comme toujours, certains groupes souffrent de risques disproportionnés. Les femmes
salariées sont plus touchées que les hommes par les compressions dans le secteur public et
les services ; les travailleurs migrants sont en grand danger, car dans certains pays, ils
risquent de perdre leur permis de séjour s’ils perdent leur emploi, même s’ils sont
irréprochables. Certains groupes ethniques européens, en particulier les Roms, mais aussi
d’autres travailleurs migrants à l’intérieur de l’UE, sont particulièrement vulnérables. Ce qui
est le plus inquiétant pour le futur, ce sont les jeunes adultes ayant terminé leurs études et
qui souffrent d’un taux de chômage de plus de 50% en Grèce et en Espagne. La décision de
relever l’âge de la retraite permet d’épargner de l’argent public sur les pensions tout en
augmentant les dépenses d’indemnisation du chômage et en rendant les emplois plus difficiles
à trouver pour les jeunes. Le Comité de la protection sociale de la Commission européenne
montre que les mesures nationales visant à réduire les dépenses publiques ont d’abord
touché les systèmes de protection sociale et d’inclusion sociale. Les coupes dans les
dépenses publiques ont la priorité par rapport aux hausses d’impôts sur les revenus plus
élevés, et les hausses d’impôts ont souvent pris la forme d’augmentation de la TVA, qui est
socialement régressive.
L’Europe, centre et périphérie
Au niveau des différences entre les Etats, certains pays sont maintenant couramment décrits
comme à la périphérie de l’Europe – par exemple, la Grèce et l’Espagne. Le terme
« périphérie » est lui-même un signal de danger. Dans les années 1960 et 1970, deux
théories générales du développement se faisaient face. Le modèle le plus optimiste postulait
que les économies marginales décolleraient tout simplement, une fois qu’elles auraient
atteint un point levier, en vertu d’une tendance naturelle vers le progrès. Son expression
classique est celle du sociologue américain Walt Rostow dans un livre de 1960, intitulé de
façon significative Les étapes de la croissance économique : un manifeste non communiste.
« Les pays sous-développés » ne rattraperaient pas nécessairement les plus riches, mais ils
prendraient de plus en plus part à la prospérité mondiale croissante, stimulés par l’exemple
de leurs voisins plus prospères. Dans les années ’80, Margaret Thatcher a appliqué ce
modèle à la pauvreté britannique, en citant l’adage « La marée montante soulève tous les
bateaux », arguant que le but n’était pas de partager le gâteau plus équitablement, mais de
cuire un plus gros gâteau. J’ai vécu dans deux des régions les plus pauvres du nord-ouest de
l’Angleterre pendant dix ans – et je peux affirmer par expérience que ce n’est pas comme ça
que les choses marchent. Si la prospérité générale augmente et que plus de personnes
acquièrent des machines à laver, la laverie locale fermera et ceux qui n’ont pas de machine à
laver seront moins bien lotis. Si plus de personnes achètent des voitures, le service local de
bus décline – et ceux qui n’ont pas de voiture sont moins bien lotis qu’avant.
Un modèle concurrent a contesté la théorie du « décollage », et a souligné au contraire la
concurrence et le conflit : un modèle de « dépendance » ou de « centre-périphérie ». Il était
déjà clair au 19ième siècle que l’augmentation du commerce mondial creusait les inégalités. Le
centre peut exploiter la périphérie, jusqu’à la saigner à blanc. Ce modèle est la négation de la
solidarité. En Europe en 2012, l’écart entre les différents taux auxquels les pays sont en
mesure d’emprunter sur les marchés obligataires est un mécanisme classique de centre-
périphérie. Volontairement ou non, l’économie allemande profite à court terme de la