Paulina 1880 Lecture analytique, chapitre 6 (corrigé partiel ; les introductions et conclusions partielles des axes manquent) Introduction : Situation. a – Rappeler que le texte est tiré du roman Paulina 1880, plus précisément de la partie « Torano », en référence au village des bords du lac de Côme où se situe une bonne partie de l’action. Rappeler que la date de publication est 1925 et que l’auteur, Pierre Jean Jouve, a été influencé par la psychanalyse. b – Le lecteur a déjà appris que la Paulina était une enfant à la personnalité complexe et profonde, issue d’une riche famille italienne qui la surveille étroitement. Lecture. Caractérisation. Ce texte est constitué de l’intégralité du chapitre 6. Il s’agit d’un récit à l’imparfait d’habitude, qui s’apparente à un portrait comportemental de Paulina adolescente, proposée par un narrateur omniscient. Deux parties successives, articulées par le « mais » de la ligne 9, présentent Paulina dans deux lieux, deux saisons et deux états d’esprit différents. Question. Que découvre-t-on ici sur le personnage de Paulina ? Annonce du plan. A faire. I – On apprend que Paulina entretient un rapport intense et intime avec le monde divin. 1) Un comportement extrême. Le rapport de Paulina à la divinité est marqué par un comportement particulier, qui se manifeste par ses « dévotions » (l.9). Pour Paulina, il semble que la dévotion se confonde avec la mortification (souffrance que l’on s’impose dans une intention spirituelle) : elle recherche des « souffrances plus pures, plus belles, plus atroces » (l.5). Les trois comparatifs accumulés et de significations apparemment contradictoires expriment la complexité et l’intensité des aspirations de Paulina. Le champ lexical de la souffrance est très présent dans la première partie du texte, notamment aux lignes 8 et 9. Les lignes 3 et 4, quant à elles, proposent des détails sur ces séances de mortification consistant en une torture physique par le froid que Paulina s’inflige en secret. L’intensité du froid est révélée et suggérée de diverses manières. On remarque, outre les références directes du début de la ligne 3, les références au fait que Paulina est « à demi nue » (l.2), dans une pièce orientée au Nord (l.3), couchée sur de la pierre (l.2) et que la fenêtre ouverte laisse entrer le vent (l.3) sans doute glacial. Paulina puise dans ces séances deux énergies antagonistes et complémentaires : épouvante et exaltation (l.3 et 4), c’est-à-dire une sorte d’intensité existentielle, de « violence » (mot utilisé l.1), correspondant à un trait profond de son caractère. 2) Une profonde conscience religieuse. Les mortifications de Paulina sont la conséquence extérieure de la « vie intérieure » (l.1) précoce de la jeune fille. Il existe chez elle une tension vers Dieu, un désir (verbe désire, l.4) pour Dieu. La quête de la souffrance s’explique par l’envie de donner à Dieu, ou de se donner à Dieu (verbes « donner » l.4 et « offrir » l.5). Ce don n’est pas gratuit : on comprend implicitement que Paulina attend en échange l’amour de Dieu. La ligne 8 explique de manière générale (utilisation de « nous » et du présent de généralité) que donner sa souffrance est destiné à satisfaire un besoin éprouvé par Dieu, et que satisfaire ce besoin est une manière de s’attirer l’amour de celui-ci. La phrase suivante, qui termine la première partie du texte, va plus loin : en se référant à la Passion du Christ (« Dieu lui-même a voulu souffrir en son Fils »), le narrateur fait comprendre qu’il existe chez Paulina un souhait de ressembler au Christ, de l’imiter... ce qui constitue une autre démarche dévotionnelle traditionnelle chez les catholiques1, au-delà de la simple prière mentionnée au début de la ligne 2. On peut enfin comprendre que les mortifications constituent aussi une recherche de la purification : Paulina a en effet une profonde conscience du péché originel (l.7) ; elle en a une conception tragique (la faute est liée au simple fait de vivre, l.6) ; elle désire en même temps la pureté... et pense justement l’acquérir par la souffrance2 (l.5). 3) La dimension païenne. Il est frappant de remarquer que cependant la conscience religieuse de Paulina ne se limite pas au catholicisme dans lequel elle évolue culturellement et familialement. La seconde partie du texte, où Paulina communie avec la nature (l’herbe, l’eau – l.13, le vent – l.14, les arbres de la cipressaia, le lac – l.17), est marquée par des références aux religions antiques, païennes. Il est question de la mythologie et de ses créatures (l.14), des « anciens dieux » (l.15)... Paulina se fond dans cet univers de « légendes » (l.15), s’y intègre en pensant devenir une de ces créatures divines (une dryade3, l.16). De la même manière que Paulina cherchait à imiter le Christ, on voit ici qu’elle cherche à s’introduire parmi le monde des dieux... Un autre lien symbolique fort avec la première partie est à retrouver dans la référence au vent : il était présent à la ligne 3, on le retrouve à la ligne 14 : « Elle se croyait aimée par le vent ». Dans ce contexte, le vent semble être une allusion significative au souffle divin, à la spiritualité (spiritus en latin désigne le souffle et est à la racine des mots « esprit », « spirituel »...). Être aimée par le vent est donc l’équivalent d’être aimée par Dieu, comme dans la première partie. II – On découvre également que Paulina a une personnalité riche, complexe et sensuelle. 1) Une psychologie profonde et complexe. La personnalité précoce de Paulina est marquée par divers traits frappants... a – Une forte imagination. Paulina est une adolescente dont la « vie intérieure » (l.1) se caractérise par l’imagination. Les dévotions de la première partie sont d’ailleurs présentées comme le fruit de celle-ci : « elle imaginait » (l.4). La seconde partie montre une imagination plus ludique et enfantine, exprimée notamment à travers l’utilisation à deux reprises du verbe croire (lignes 14 et 16) qui révèle la capacité de Paulina à s’immerger dans l’illusion... b – Une personnalité contradictoire et secrète. Affectivement, on constate que Paulina passe par des moments très contradictoires, résumés par la phrase centrale, à la ligne 9. D’un côté on constate la tendance obscure, la recherche de la souffrance, qui constitue une sorte de maladie, puisqu’il est question de s’en guérir. D’un autre côté s’impose la gaîté, bien suggérée par le cadre printanier et le comportement de l’adolescente dans la seconde partie. La première ligne évoque un « esprit souterrain », ce qui nous fait comprendre que ces tensions psychologiques, ces contradictions, sont cachées, gardées secrètes. c – Un caractère bien trempé. La violence (l.1) et l’énergie de Paulina semblent se prolonger par une force de caractère remarquable, révélée par le fait que le narrateur mentionne aux ligne 9 et 10. Une jeune adolescente de treize ans, très surveillée, dans le contexte pourtant très contraignant de la haute société italienne et catholique du XIXe siècle, parvient à imposer à tous sa propre décision : quitter Milan. L’imitation du Christ, celle de la Vierge ou celle des saints font partie des dévotions. Se faire souffrir équivaut à se punir, et donc à payer pour la faute dont on cherche ainsi à se purifier, se débarrasser. 3 Divinité des arbres dans la mythologie grecque. 1 2 2) La sensualité de Paulina. Mais parmi les traits caractérisant Paulina, un des plus importants et visibles est sa sensualité, coexistant avec sa spiritualité, de manière contradictoire et complémentaire. Ainsi dans les séances de dévotion elles-mêmes on constate que la dimension physique du don de soi-même est marqué par un certain érotisme : Paulina est « couchée » « à demi nue » (l.2) pour s’offrir au vent et à Dieu. La souffrance elle-même semble devenir presque sensuelle : la ligne 5 montre par ses antithèses que l’atrocité du mal aboutit à une sensation de douceur (« doux de lui offrir »). Faut-il alors parler de masochisme ? A cette sensualité quelque peu malsaine et morbide s’oppose la sensualité libre, joyeuse et naturelle de la seconde partie. Le plaisir est ici celui du contact sensoriel4 avec la nature printanière : courir dans l’herbe (on l’imagine volontiers pieds nus) et se baigner dans l’eau fraîche (lignes 12-13), sentir le contact du vent (l.14)... le sens du toucher est ici le plus sollicité. « intriguer avec un faune » (l.16) semble indiquer l’éveil des désirs amoureux, l’attraction du sexe opposé. Mais l’image la plus étonnante de la sensualité du personnage est sans doute ce comportement étrange et excessif : « elle mangeait des fleurs à pleine bouche » (lignes 13-14). Le commun des mortels s’arrêterait à regarder, humer le parfum des fleurs : les désirs de Paulina l’entraînent jusqu’à cet acte un peu fou, manger les fleurs, comme pour rendre le contact plus profond, plus intime, plus riche de plaisir... Conclusion. Bilan, réponse définitive. Nous découvrons donc dans ce chapitre que Paulina est un personnage intimement imprégné d’une profonde conscience religieuse et/ou spirituelle qui l’entraîne dans des comportements extrêmes de mortification par lesquels elle cherche à se purifier du péché originel et à obtenir l’amour de Dieu. Cette conscience dépasse d’ailleurs les limites du catholicisme et, dans la seconde partie, se prolonge par une dimension païenne. Nous découvrons aussi la complexité d’une personnalité forte, imaginative, contradictoire et surtout sensuelle. Ouverture. Des rapprochements sont possibles - avec la suite du roman, par exemple le texte « La mystique », où la spiritualité de Paulina pousse le côté « masochiste » encore plus loin ; - avec toute la dimension baudelairienne du roman : rencontre de la sensualité (aventure avec Michele) et de la spiritualité ; - avec l’affiche du film ; - avec Madame de Merteuil (précocité, force de caractère... mais chez Merteuil, pas de dimension spirituelle)... 4 En plus du contact spirituel.