INFLATION L’inflation revient ; l’inflation fait peur. Et on en parle en sachant à peu près ce que c’est : il s’agit en gros de la montée des prix. Les denrées coûtent de plus en plus cher, l’indice des prix dérape, s’envole. Cette signification économique donnée au mot n’est pas si vieille. On l’a empruntée à l’anglais juste après la Première Guerre mondiale. C’est une époque d’inflation exceptionnelle dans certains pays, notamment dans l’Allemagne vaincue, mais pas seulement. Alors le mot est productif… on remarque l’existence de son symétrique inverse : la « déflation »… et dans leur sillage, deux adjectif, inflationniste et déflationniste, qui peuvent qualifier des périodes, des tendances ou des politiques. Mais on en retiendra de l’usage du mot « inflation » un cliché toujours très vif : quand l’inflation augmente fortement, quand surtout, on a l’impression qu’on ne la maîtrise plus, et que les prix échappent au contrôle des gouvernements, on parle d’inflation galopante. L’idée de la vitesse est présente, mais plus encore peut-être, celle de l’animal dont la force et l’élan ne peuvent plus être domptés : le cheval s’est emballé, et de la même façon on dit que les prix s’emballent quand on a trop d’inflation. Laissons tomber un instant l’image du cheval ; une autre est fréquente qui s’appuie sur une représentation graphique : la courbe qui monte, qui monte. Mais précisément, cette image ne correspond pas à celle qui, à l’origine, est portée par le mot « inflation » : le mot ne fait pas penser à quelque chose qui monte, mais à quelque chose qui enfle, qui gonfle, qui prend du volume. En effet, « enfler » et « gonfler » sont deux verbes cousins, et le nom « inflation » se trouve d’abord dans le vocabulaire médical. Il est aujourd’hui sorti d’usage, mais le verbe « enfler » est encore tout à fait courant, et désigne le signe d’une inflammation : une piqûre d’insecte, des ganglions trop importants ? On dit que ça enfle. Mais à part cet emploi médical, le verbe « enfler » est souvent péjoratif : on pense à quelqu’un qui s’enfle d’importance, c’est-à-dire se prend pour ce qu’il n’est pas. Et la fable de La Fontaine, sur la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, est exemplaire à cet égard. Toute entière, elle repose sur cette image, sur l’idée qu’on se gonfle de ridicule quand on se gonfle d’une importance qu’on n’a pas : on se remplit de vide ! Et on sait bien que dans la langue populaire, traiter quelqu’un d’enflure est très injurieux et très méprisant. Le mot « inflation », de nos jours, est surtout à l’aise dans le vocabulaire économique, mais sa fréquence fait qu’il en sort parfois : on l’utilise dans la langue courante, comme image, pour désigner simplement un accroissement. On peut parler d’inflation des étudiants dans tel ou tel domaine qui plaît. Ou d’une inflation judiciaire, à propos de la manie de porter plainte à tout propos. Ou simplement de l’inflation de la demande dans un secteur donné. Enfin, si l’on revient au verbe « enfler », on remarquera un emploi très particulier, lié à la perception sonore. Ce qui enfle, c’est un son, un bruit, au départ très bas, et dont l’intensité monte progressivement. Et là encore, on peut avoir un usage figuré : ce qui enfle le plus facilement, c’est la rumeur, ce qu’on raconte sur tel ou tel… ou la calomnie !