PRISE EN CHARGE GLOBALE D'UN POLYTRAUMATISE EN URGENCE Dr Jean-Louis CAILLOT Centre Hospitalier Lyon-Sud Service d’Urgence Chirurgicale 69495 PIERRE-BENITE 1 – INTRODUCTION Le succès d'une approche globale de la prise en charge d'un polytraumatisé réside dans une appropriée et efficace de la gestion du temps. Pour Donald Trunkey l'établissement des priorités de traitement du polytraumatisé résulte d'abord d'une rapide évaluation initiale suivie d'une surveillance primaire, puis d'une surveillance secondaire et, enfin, d'une utilisation appropriée des diverses techniques de diagnostic et de réanimation. Cette planification rationnelle est suivie dans tous les centres européens de traumatologie avec quelques différences spécifiques que nous exposerons ici. 2 – L'EVALUATION RAPIDE INITIALE Pendant les premières secondes qui suivent l'admission du polytraumatisé en salle de déchocage, une rapide évaluation est nécessaire pour juger de la gravité générale de la situation. Si possible un seul médecin, qu'il soit chirurgien ou anesthésiste, sera en charge de cet examen et le reste du personnel médical présent devra rester calme et disponible ; toutes les énergies sont à focaliser sur le traumatisé. L'observation inclut les mouvements ventilatoires, l'activité cardiaque, la couleur du patient, les grosses asymétries, la présence ou l'absence de mouvements spontanés et tout cela suggère si le polytraumatisé est stable, instable ou mourant. Cet examen rapide va déterminer l'organisation de la prise en charge du blessé et donnera le ton de l'urgence en déterminant si le pronostic vital est en cause ou non. Le médecin peut alors procéder à la surveillance primaire. 3 – LA SURVEILLANCE PRIMAIRE L'American College of Surgeons a élargi le traditionnel score de surveillance ABC (Airway, Breathing, Circulation) en score ABCDE avec D pour Distability qui décrit le statut neurologique et E pour Exposure qui rappelle l'évaluation totale du patient après l'avoir totalement déshabillé. Ce système est utilisé dans tous les pays européens ; si possible cette surveillance primaire devra être réalisée par le même médecin qui a pris en charge initialement le polytraumatisé en salle de déchocage. Cela ne doit pas prendre plus de 2 à 5 minutes. 3.1 – LA LIBERTE DES VOIES AERIENNES SUPERIEURES C'est la première étape de cette surveillance primaire. L'établissement ou la maintenance de la liberté des voies aériennes est la première des priorités. Une phonation claire après un contact verbal avec un patient semi-conscient en lui posant une simple question (son âge ou son nom), montre que la liberté des voies aériennes est correcte. La mise en route d'une ventilation assistée dépendra de la stabilité neurologique et de la qualité des gaz du sang. A l'opposé, devant un patient inconscient ou un patient avec un traumatisme maxillo-facial important, il sera requis une assistance ventilatoire dès le début. Si une fracture du rachis cervical est suspectée, le cou devra être protégé pendant l'intubation mais en urgence la ventilation prend le pas sur tout traumatisme de la colonne cervicale. Une exploration au doigt de toute la cavité bucco-pharyngée donnera des informations sur l'intégrité du squelette du larynx, la présence d'un hématome rétropharyngé obstructif ou d'un corps étranger, ou encore la possible avulsion de la langue. Après une oxygénation à 100 %, à l'aide d'un embut ou d'un masque, une intubation orotrachéale ou éventuellement naso-trachéale est réalisée en moins de 60 secondes. En cas d'impossibilité, une trachéotomie peut être rapidement réalisée par le chirurgien et une sonde de trachéotomie N° 5 ou N° 6 sera rapidement mise en place. 3.2 – LA VENTILATION C'est la deuxième priorité pendant la surveillance primaire ; elle suit le rétablissement ou la maintenance de la liberté des voies aériennes supérieures : L'observation du rythme respiratoire, du travail des muscles respiratoires accessoires, la présence d'un enfoncement thoracique, pourront faire évoquer une possible contusion pulmonaire. L'auscultation détectera les bruits aéro-digestifs dans l'hémithorax en cas de rupture de la coupole diaphragmatique. La palpation de l'axe trachéal à la recherche d'un déplacement ou d'une rupture de la trachée, avec emphysème sous-cutané, pneumo ou hémo-pneumothorax. Les plaies soufflantes du thorax sont traitées par pansements compressifs et occlusifs et le thorax est drainé de son air ou de son sang par drainage thoracique. De tels drains doivent être mis très rapidement avant toute radiographie pulmonaire en cas de détresse respiratoire aiguë. 3.3 – LA CIRCULATION C'est la troisième priorité avec trois problèmes : . le contrôle d'une hémorragie externe . l'efficacité de la pompe cardiaque . l'état de la volémie L'hémorragie externe est généralement contrôlée par les équipes paramédicales de secours avant l'admission en salle de déchocage mais, parfois, une hémorragie importante est observée à l'arrivée. Dans ce cas, une compression directe peut contrôler le saignement et doit être appliquée sur la plaie. L'application de compresses avec bandage compressif est le plus 2 simple, les garrots ne doivent être utilisés qu'en cas d'hémorragie incontrôlée, directement en amont d'une amputation traumatique. L'application à l'aveugle de clamp ou de pinces sur des blessures hémorragiques peut causer des lésions ischémiques irréparables et doit être proscrite. Faire la différence entre une défaillance de la pompe cardiaque et un problème de volémie est en général facile. Si le diagnostic de choc est posé, la présence de veines cervicales vides ou collabées fera évoquer une hypovolémie tandis qu’une turgescence jugulaire laissera penser à une défaillance cardiaque. A la phase de surveillance primaire, plusieurs urgences absolues doivent être reconnues et traitées : a) l'arrêt cardiaque : Un patient sans pouls perceptible ni tension artérielle détectable est en arrêt cardiaque : la réanimation cardio-respiratoire doit être entreprise sans délai. Elle sera suspendue à intervalles réguliers afin de permettre une palpation de l'axe carotidien ou fémoral puis reprise si elle reste inefficace. Une thoracotomie en salle de déchocage donnera les meilleures chances de survie aux blessés en cas d'échec des méthodes externes de réanimation et devra atteindre 4 objectifs : . contrôler les gros vaisseaux et un saignement cardiaque éventuel, . traiter une tamponnade péricardique, . optimiser le débit cardiaque, . redistribuer le sang circulant aux organes vitaux en clampant l'aorte descendante si besoin. De toute façon si un traumatisme fermé du poumon ou de l'abdomen est la cause de l'arrêt cardiaque, les chances de sauvetage par thoracotomie ne dépasseront pas 5 %. Les meilleurs résultats de la thoracotomie en urgence sont naturellement obtenus si le chirurgien ouvre le thorax avec une boite d'instruments appropriés et si une salle d'opération parfaitement équipée est toujours tenue ouverte et prête à être utilisée sans délai pour assurer un traitement définitif en un temps. Ces deux conditions doivent toujours être combinées dans un département de chirurgie d'urgence pour donner les meilleures chances de survie au polytraumatisé. L'expérience personnelle du chirurgien en matière de traumatisme thoracique est un autre facteur dont il faut tenir compte pour décider quand réaliser une thoracotomie sur un patient en arrêt cardiaque. Après thoracotomie dans le 4ème ou le 5ème espace intercostal gauche, le péricarde est ouvert avec préservation des nerfs phréniques. Le chirurgien commencera un massage cardiaque interne avec une main tandis que de l'autre il clampera l'aorte thoracique descendante. L’aide quant à lui commencera le traitement des lésions accessibles et visibles pour donner au patient les meilleures chances de survie. b) l’hémo-pneumothorax compressif : Le blessé en détresse respiratoire aiguë avec une rupture trachéale, des veines jugulaires distendues, une hypersonorité thoracique unilatérale doit être suspect d’hémo-pneumothorax suffocant. Une contusion médiastinale supérieure majeure avec compression de la veine cave supérieure peut conduire à un arrêt cardiaque en l'absence de traitement immédiat. Une exsufflation de l'hémithorax par un pleurocath dans le 2ème espace intercostal sur la ligne médio-claviculaire, avant toute radiographie pulmonaire, est le traitement d'un patient qui présente une détresse respiratoire aiguë par pneumothorax suffoquant. Le traitement définitif consiste toujours en la mise en place d'un drainage thoracique par drain d'Argyle dans le 4ème espace intercostal sur la ligne axillaire moyenne ou postérieure après un contrôle radiologique. Le drain thoracique est immédiatement mis en aspiration à moins 20 3 cm d'eau et, en cas d'hémothorax, l'écoulement de sang est contrôlé à intervalles réguliers. Si la sortie de sang est massive (plus de 500 ml) et continue une auto-transfusion avec un cellsaver sera commencée. c) la tamponnade péricardique : Un blessé qui présente un choc, des vaisseaux du cou distendus, des extrémités froides et qui n'a pas de pneumothorax, doit être suspect d'une tamponnade péricardique. Une péricardosynthèse en urgence va consister en la mise en place par voie sous-xiphoïdienne d'une aiguille à ponction lombaire dans la direction de l'épaule gauche, sous électrocardiogramme de contrôle, suivie d'une aspiration à la seringue du sang. Si le sang est cailloté, le sac péricardique pourra être ouvert à travers une petite incision sous-xiphoïdienne ou par une thoracotomie antérieure gauche dans le 7ème ou le 8ème espace intercostal. Après péricardiotomie, en cas de lésions cardiaques, la cardiorraphie est l'essentiel du traitement et sera réalisée le plus tôt possible en salle de déchocage, si nécessaire. En cas d'arrêt cardiaque, un massage cardiaque interne est débuté et poursuivi, et une défibrillation est tentée. d) la contusion myocardique : Elle apparaît, en général, après un traumatisme en décélération ou un écrasement du thorax. La contusion du myocarde se manifeste en général par des troubles du rythme dans les premières heures, une surveillance permanente par électrocardiographe est essentielle ; la lidocaïne est le meilleur traitement de ces cas d'arythmie. e) l'infarctus du myocarde : Il peut précéder l'accident mais être aussi le résultat d'une hypoperfusion coronaire après le traumatisme. L'interrogation de la famille du blessé est primordiale pour déterminer une possible maladie cardiaque antécédente. Le traitement du choc cardiogénique est la seule issue. f) l'embolie gazeuse : Elle résulte du passage d'air dans la circulation pulmonaire après une blessure du parenchyme pulmonaire. Une contusion fermée ou une plaie pénétrante du poumon sont les causes les plus fréquentes de ces embolies gazeuses. Après une contusion thoracique, le diagnostic est posé en urgence devant : - La présence de mousse obtenue après ponction artérielle ; le passage d'une grande quantité d'air dans la circulation est ainsi prouvé ; le passage d'air dans la circulation coronaire peut être une des causes majeures d'arrêt cardiaque ; le traitement précoce consiste en une thoracotomie immédiate du côté de la blessure et en un clampage hilaire du poumon mais les résultats sont souvent extrêmement mauvais. - Un collapsus cardio-vasculaire soudain après intubation endo-trachéale ; la prévention est possible en évitant un excès de pression positive par la ventilation pendant la réanimation. L'utilisation d'une « jet-ventilation » à haute fréquence peut être utile en réduisant la gravité de l'embolie gazeuse et en diminuant la taille du passage de l'air dans la circulation. Un peu plus tardivement le diagnostic d'embolie gazeuse est suspecté devant des signes neurologiques focalisés apparaissant alors qu'il n’y a eu aucun traumatisme crânien ; ce diagnostic sera confirmé par l'examen du fond d'œil qui montrera des bulles d'air dans les artères rétiniennes. g) l'hypovolémie et le choc : 4 Trois niveaux d'hypovolémie déterminent trois degrés de choc : . le choc débutant (10 à 20 % de perte de volume) : la peau est froide, le patient se sent froid et a soif, on note une tachycardie avec pâleur. . le choc modéré (20 à 40 % de perte de volume) : la maintenance d'un débit cardiaque et cérébral correct est réalisée aux dépens des autres organes : le rein est affecté le premier et la diurèse contrôlée par une sonde à demeure est la meilleure méthode pour surveiller et normaliser la volémie par remplissage adapté. . le choc sévère (plus de 40 % de perte de volume) qui induit un déficit majeur du débit cérébral et cardiaque : une agitation qui se transforme peu à peu en coma avec arythmie et une ischémie myocardique à l'électrocardiogramme sont les principaux symptômes. Un accès veineux adapté permettra de fournir des informations diagnostiques, de restaurer le volume circulant et d'anticiper d'autres pertes. Dans tous les cas un accès veineux à l'aide d'un angiocathéter est placé dans une veine du membre supérieur ; un échantillon de sang est prélevé pour bilan complet, en particulier groupe, rhésus, numération formule et bilan biologique classique (ionogramme, glycémie, urée, amylases). En cas de choc modéré, la mise en place d'un second cathéter veineux au niveau du membre supérieur controlatéral est utile. En cas de choc sévère, un troisième accès veineux à l'aide d'une veine jugulaire interne ou d'une veine sous-clavière sous contrôle radiologique ou, plus rarement, par voie saphénienne ou fémorale est souhaitable. Le choix du soluté de perfusion se limitera aux solutions isotoniques comme le Ringer lactate et au sang, et seulement en cas d'absolue nécessité. Le plus souvent, 2 litres de solution salée isotonique sont passés immédiatement pendant la première perfusion. La pression veineuse centrale, la diurèse, le niveau de conscience et l'amélioration de la perfusion périphérique sont les meilleurs indicateurs d'une réanimation satisfaisante. Le maintien d'une pression artérielle systémique satisfaisante et d'une diurèse normale sont les meilleurs arguments. La décision quant à une éventuelle transfusion sanguine est difficile et doit respecter les risques concernant HIV, HBV et HCB. En cas d'hémorragie externe sévère, l'autotransfusion par cell-saver est le meilleur moyen. En cas d'urgence absolue, une transfusion de sang sera réalisée si le taux d'hémoglobine est inférieur à 7 gr/ml (9gr en cas d'antécédents cardiaques sévères). 3.4 – L'INSTABILITE NEUROLOGIQUE Le niveau de conscience et un rapide examen neurologique donnent le degré de l'instabilité neurologique du patient au début de la surveillance. Le score AVPU est utilisé aux Etats-Unis (A = alerte, V = réponses au stimulus verbal, P = réponses au stimulus douloureux, U = absence de réponse). En France des constantes identiques sont relevées à l'admission du patient en salle de déchocage : c'est le score de GLASGOW (EMV) côté de 3 à 15 avec E = ouverture des yeux au stimulus (noté de 1 à 4), M = mouvements au stimulus (noté de 1 à 6) et V = réponses verbales au stimulus (noté de 1 à 5). 3.5 – L'EXAMEN GENERAL Le patient est totalement déshabillé pour un examen complet. L'utilisation de ciseaux pour couper les pantalons et sous-vêtements est autorisée. 5 4 – LA SURVEILLANCE SECONDAIRE Elle demande 5 à 10 minutes et est réalisée de la tête aux pieds. La mise en place d'une sonde naso-gastrique et d'une sonde urinaire accompagne, en général, cette séquence. 4.1 – L'EXAMEN DE LA TETE L'examen de la tête est complet avec observation et palpation du scalp, examen des pupilles et de leur taille, recherche d'anomalies oculaires, inspection des pavillons de l'oreille et des conduits auditifs externes ainsi que des membranes tympaniques (l'issue de sang ou de liquide céphalo-rachidien est en général associée à une fracture de la base du crâne), et détection d'ecchymoses péri-orbitaires. 4.2 – LESION DU RACHIS CERVICAL Tous les patients victimes d'un gros traumatisme maxillo-facial sont suspects d'une lésion du rachis cervical associée jusqu'à ce que l'examen radiologique ait prouvé l'inverse. La tête doit être manipulée précautionneusement et contenue par un matelas coquille ou une minerve avant la radio. 4.3 – L'EXAMEN DU COU Inspection et palpation à la recherche d'une plaie pénétrante, d'un emphysème sous-cutané, d'une déviation de la trachée ou d'anomalies au niveau des veines jugulaires. 4.4 – L'EXAMEN DU THORAX Il doit être complet : palpation des clavicules et de toutes les côtes, auscultation pulmonaire et des bruits du cœur, compression antéro-postérieure du sternum pour détecter une éventuelle fracture du sternum ou des côtes, et mise en place d'un monitoring cardiaque. 4.5 – L'EXAMEN DE L'ABDOMEN Il est capital pour savoir s'il existe une indication chirurgicale en urgence : une plaie pénétrante de l'abdomen demande, bien sûr, une exploration chirurgicale immédiate. En cas de traumatisme fermé, la radiographie, l'échographie et le scanner sont utilisés. Une sonde naso-gastrique doit être mise en place pour à la fois évacuer et inspecter la couleur du suc gastrique. 4.6 – L'EXAMEN DU RECTUM A la recherche de sang mais aussi d'une lésion de la prostate ou de l'urètre ou même du canal anal et du rectum. L'appréciation du tonus sphinctérien et la recherche d'une fracture pelvienne exposant le rectum complètent le TR. 4.7 – LA MISE EN PLACE D'UNE SONDE URINAIRE A la seule condition qu'il n'y ait pas de sang s’écoulant par le méat urétral. 6 4.8 – INSPECTION DE TOUTES LES EXTREMITES DES QUATRE MEMBRES ET PALPATION DES POULS PERIPHERIQUES Recherche de lésions des parties molles, d'hématomes et de fractures. 4.9 – EXAMEN NEUROLOGIQUE Pour évaluation des fonctions hémisphériques, des fonctions du cervelet, du tronc cérébral et de la moelle épinière. Recherche de troubles sensitifs et analyse des réflexes. La réanimation est bien engagée après 5 à 10 minutes de cette première puis seconde phase de surveillance. La stabilité du patient définira le temps qui pourra être pris en toute sécurité pour définir les problèmes à traiter et l’ordre de traitement. 5. DIAGNOSTIC 5.1 – ANTECEDENTS ET RECONSTITUTION DE L'ACCIDENT Une rapide relation des faits par les sauveteurs est toujours informative. Les détails sur la difficulté d'extraction du blessé, sur une suspicion de lésion rachidienne, sur l'activité cardiaque et respiratoire sur le lieu de l'accident, sur l'évolution pendant le transport. Parfois le blessé lui-même peut répondre aux questions avant de perdre conscience ou de présenter des signes de choc. Les amis et les proches sont alors interrogés après la deuxième phase de surveillance ; cette consultation précoce, à proximité de la salle de déchocage, est élémentaire pour connaître les circonstances du traumatisme et le statut global du patient (traitement, mode de vie, âge). 5.2 – LES EXAMENS DE LABORATOIRE Une numération globulaire rapide, des gaz du sang artériel, une analyse d'urine et un groupage avec identification rhésus sont indispensables. Le dosage des électrolytes, des toxiques, des transaminases et des amylases est demandé dans le même temps mais les décisions en urgence absolue sont, en général, prises avant les résultats. L'hématocrite et le taux d'hémoglobine sont les examens essentiels pour orienter la réanimation en cas de choc. 5.3 – LES EXAMENS DE ROUTINE EN SALLE DE DECHOCAGE a) la radiographie conventionnelle La radiographie doit être ordonnée sélectivement en salle de déchocage ; Une radiographie thoracique et une radiographie de la colonne cervicale dans un premier temps qui sont essentielles avant de transporter le blessé s'il est instable en salle d'opération ou au scanner. Une radiographie de l'abdomen sans préparation est utile pour détecter la présence anormale d'air dans le péritoine, pour localiser exactement la place de la sonde naso-gastrique en cas de rupture du diaphragme, et pour apprécier, éventuellement, le trajet et la position d’un projectile. Des clichés de l'ensemble du rachis pourront être réalisés en cas de suspicion de lésion de la moelle épinière ; les 7 vertèbres cervicales doivent être vues intactes avant de mobiliser le blessé. Un scanner sera réalisé pour compléter les informations en cas de doute. 7 Une radiographie du crâne est utile pour rechercher une fracture en cas de lésion crânienne évidente sans déficit neurologique focalisé ; dans ce cas le scanner cérébral est toujours demandé dès que l'examen neurologique est anormal ou qu'il existe un traumatisme crânien manifeste lors de l'admission. Une radiographie de routine du pelvis et des os longs des membres inférieurs est indispensable. Le nombre précis et l'ordre des autres radiographies seront déterminés après la surveillance secondaire et en fonction de la stabilité du patient. b) L'échographie L'échographie dans le diagnostic initial de polytraumatisés avec traumatisme abdominal est systématique dans la majorité des centres d'urgence européens. Les avantages de l'échographie par rapport au lavage péritonéal sont évidents. La méthode n'est pas invasive, elle est rapide (quelques minutes) et elle donne, finalement, une vue très convenable de l'anatomie abdominale. La possibilité d’obtenir cette échographie à l'aide d'un appareil mobile en salle de déchocage pendant la première phase de surveillance est un très grand avantage par rapport au scanner. Une médiocre sensibilité pour des petites lésions initiales ou pour toutes lésions qui ne donnent pas naissance à un épanchement intrapéritonéal ou lorsque le météorisme et l'emphysème brouillent les images, fait partie des désavantages de l'échographie. L'expérience du radiologue est importante dans l'interprétation des images. De toute façon le taux de sensibilité pour détecter un épanchement intrapéritonéal est de l'ordre de 90 %. Si la détection d'une rupture de rate ou d'un traumatisme du foie sévère est possible, la visibilité de lésions pancréatiques reste médiocre en cas d’estomac plein. Les collections rétropéritonéales importantes sont clairement et rapidement détectées, en particulier après lésions de la colonne vertébrale ou du bassin. L'intégrité de la vessie est facilement prouvée après mise en place d'une sonde urinaire et remplissage par un soluté physiologique stérile. c) le lavage péritonéal L'utilisation du lavage péritonéal a considérablement diminué dans les centres européens d'urgence depuis que l'échographie et le scanner sont facilement réalisables. Ce test est pourtant fiable à 97 % en l’absence d'hématome rétro-péritonéal ou de rupture de vessie. Il consiste à inciser sur la ligne médiane l'abdomen sous l'ombilic et à insérer un cathéter de lavage dans la grande cavité péritonéale ; 500ml de sérum salé isotonique sont instillés tandis que les flancs du blessé sont percutés avec douceur. Puis le flacon est posé à terre pour un siphonnage qui permet de laisser le fluide s'écouler librement. La présence de sang, de bile ou de liquide digestif est détectée visuellement ou par examen biochimique. La meilleure indication pour le lavage péritonéal reste celle du patient instable pour lequel il est impossible d'utiliser le scanner, et lorsque l'échographie n'a pas permis de conclure. 5.4 – TECHNIQUES D'IMAGERIE SPECIALES a) le scanner Il est très important dans la prise en charge du polytraumatisé. Lla proximité du scanner par rapport à la salle de déchocage est déterminante ; il devrait se situer dans le département d'urgence, le plus près possible de la salle de déchocage et au même étage. L'horaire est un autre paramètre dans la décision pour réaliser ou non un scanner ; un scanner combiné de la tête, du thorax et de l'abdomen demande 30 à 60 minutes dans les 8 meilleures conditions mais l'envie d'avoir une imagerie extrêmement précise ne doit pas retarder ni éclipser l'impression clinique et ne doit pas retarder un geste opératoire s'il doit être réalisé sans délai. Aucun scanner ne doit être réalisé avant que la première et la deuxième surveillance n'aient été réalisées complètement et que les voies d'abord veineuses pour la réanimation ainsi que le monitoring approprié ne soient mis en place. Il faut avoir défini très clairement les priorités avant la réalisation de ce scanner. Naturellement la surveillance du patient pendant le scanner est très importante. Dans notre centre hospitalier tout patient bénéficiant d'un scanner dans le cadre d'un polytraumatisme est accompagné par un réanimateur (ou un chirurgien disponible) et une infirmière spécialisée en anesthésie. Si l'état du patient se dégrade pendant le scanner, l'examen est rapidement terminé. Le chirurgien senior et l'anesthésiste, toujours présents dans l'hôpital, prendront la décision d'opérer le patient plus rapidement. Seule la présence 24 heures sur 24 de deux chirurgiens, d'un anesthésiste et d'un radiologue autorise la prise en charge complète et sans faille de tout polytraumatisé. Les performances diagnostiques du scanner sont remarquables pour toutes les parties du corps mais le chirurgien doit faire attention de traiter des blessures et non pas des images. Un traumatisme crânien sévère est, bien entendu, diagnostiqué précisément par le scanner ; si le patient est dans un état hémodynamique stable l'association de scanner de haute résolution avec injection de produit de contraste permettra de détecter rapidement un hématome sousdural ou extra-dural, une contusion hémorragique, un hématome intracérébral, une hémorragie méningée, une hémorragie intraventriculaire, un collapsus cérébral ou une hydrocéphalie traumatique. Une extrême rapidité dans le diagnostic et l'évaluation de telles lésions est évidente. Des dommages neurologiques irréversibles peuvent survenir rapidement en cas d'hématome extra-dural, augmentant sévèrement la mortalité s'il n'est pas traité dans des délais corrects. L'évaluation d'un traumatisme maxillo-facial par le scanner associé à la réalisation de radiographies traditionnelles est nécessaire en cas de fracture du plancher de l'orbite, de fracture de Lefort, de fracture fronto-ethmoïdale ou de plaies faciales par arme à feu. Le scanner du cou est utile pour évaluer des plaies des parties molles ou des lésions du pharynx, du larynx ou de la trachée ; une laryngoscopie directe pourra être réalisée en cas de doute. L'évaluation d'un traumatisme médullaire a considérablement évolué grâce au scanner surtout avec l'apparition des scanners en trois dimensions permettant de décrire très précisément les fractures des vertèbres et les éventuelles lésions médullaires. L'évaluation de la sévérité d’un traumatisme thoracique grâce au scanner est maintenant possible : rechercher des lésions médiastinales souvent en association avec ingestion de produit de contraste dans l'œsophage ; reconnaître un pneumothorax et un hémothorax qui n'auraient pas été évidents sur la radiographie pulmonaire initiale, ou enfin détecter une rupture du diaphragme. Si une petite lésion de l'aorte thoracique est suspectée une aortographie droit être immédiatement réalisée. Le scanner abdominal a prouvé sa capacité à définir les problèmes avant l'intervention et c'est le meilleur complément de l'échographie. Il n'est pas invasif et il montre tous les organes ; par contre, il nécessite plus de temps que l'échographie pour diagnostiquer les lésions intraabdominales dans la phase pré-opératoire. La stabilité hémodynamique du patient est donc déterminante pour prendre la décision de réaliser un scanner abdominal. Les indications du scanner abdominal chez les traumatisés sont les suivantes : 9 un examen abdominal équivoque chez un patient stable, la présence d'une lésion crânienne ou rachidienne associée à la suspicion d'un traumatisme abdominal, une hématurie, une fracture du bassin avec hémorragie nécessitant la détection de lésions abdominales associées, la présence de lésions associées nécessitant une chirurgie avec anesthésie générale avant toute observation clinique de l'abdomen. Le pouvoir diagnostic du scanner est excellent dans l'évaluation des lésions de la rate, du foie, des reins, mais également dans l'appréciation des lésions du bassin et des hématomes rétropéritonéaux. Parfois, les lésions duodéno-pancréatiques ne sont pas apparentes les premières heures tant qu'une hémorragie ou un écoulement péri-pancréatique suffisant ne se sont pas manifestés ou tant qu'une pancréatite aiguë post-traumatique n'a pas débuté ; un second scanner devra donc être réalisé dans une telle éventualité. En cas de lésions pénétrantes des flancs ou de la paroi abdominale postérieure, le scanner est utile pour montrer une éventuelle plaie pénétrante du péritoine, mais la laparotomie reste indispensable en cas de diagnostic douteux. Le scanner pelvien associé à la réalisation de radiographies traditionnelles permet de planifier le traitement orthopédique de lésions du bassin ou de la hanche. L'injection de produit de contraste dans la vessie et dans le rectum permet de visualiser simultanément les deux organes. Une fracture importante du bassin bénéficiera ainsi à la fois d'un scanner abdominal et pelvien, ce qui permettra de déterminer la séquence de traitement des lésions abdominales et extra-abdominales. b) les examens avec produit de contraste Ces examens permettent d'évaluer l'état de l'arbre vasculaire, l'état du tractus digestif et urinaire ; ils sont fréquemment combinés au scanner. Les indications de l'angiographie sont les suivantes : les lésions sévères du cou les lésions thoraciques avec élargissement médiastinal, fracture de la première côte ou déviation de la trachée les lésions de l'abdomen avec rein muet à l'urographie intraveineuse les fractures du bassin avec hémorragie massive les lésions pénétrantes à proximité des gros vaisseaux les fractures dislocation du genou les fractures des membres inférieurs avec abolition des pouls Les meilleures indications pour l'urographie intraveineuse sont les suivantes : hématuries massives après traumatismes fermés de l'abdomen la confirmation de la présence de deux reins rapidement visualisés : deux films à 5mn d'intervalle donnent les informations suffisantes ; la non visualisation des reins demande un examen rapide par artériographie ou angioscanner. L'analyse des tractus gastro-intestinaux par produit de contraste est réalisée à la gastrografine ; les plaies pénétrantes du cou ou du médiastin ou les sévères traumatismes 10 thoraciques nécessitent un transit œsophagien pour faire le diagnostic précoce d'une plaie pénétrante de l'œsophage ; le transit gastro-duodénal est utilisé à la recherche d'une lésion traumatique de la coupole diaphragmatique gauche avec hernie gastrique intra-thoracique. L'injection de produit de contraste par voie intra-rectale est utile après un traumatisme pénétrant du rectum ou après rectoscopie non informative. La cystographie et l’urétrographie rétrograde La vessie et l'urètre sont visualisés par cystographie et urétrographie rétrograde. Tout saignement extériorisé par le méat urétral nécessite une urétrographie avant de mettre en place une sonde urinaire. Les patients qui présentent une lésion de l'urètre bénéficieront d'une cystostomie ou d'un cystocath pour évacuation vésicale. La cystographie est essentielle en cas de fracture sévère du bassin avec hématurie ou après traumatisme fermé hypogastrique sur vessie pleine. 5.5 – LA COELIOSCOPIE EXPLORATRICE L'indication de coelioscopie en urgence est controversée. Le risque théorique est celui de l'embolie gazeuse en cas de large plaie veineuse. En pratique, la coelioscopie ne peut être réalisée que sous anesthésie générale chez un patient stable sans suspicion d'hémorragie interne massive. Elle pourra détecter une plaie de l'intestin grêle ou du colon, une hémorragie splénique initiale modérée, une lésion peu importante du foie ou un hématome rétro-péritonéal. Quoiqu'il en soit, le traitement complet de telles lésions requiert en général une laparotomie complémentaire. A l'opposé, en cas de doute, une coelioscopie permet un examen complet de la cavité abdominale et peut éviter une laparotomie inutile. Le chirurgien devra se souvenir que l'exploration complète par voie laparoscopique de la face postérieure du colon ou de l'estomac reste très difficile à réaliser principalement dans une athmosphère d'urgence. 6 – L'APPROCHE GENERALE DU PATIENT POLYTRAUMATISE 6.1 – LA PROPHYLAXIE CONTRE L'INFECTION L'antibiothérapie péri-opératoire est utilisée en cas de fracture ouverte, de plaies des parties molles manifestement souillées, de plaies du colon ou de l'intestin grêle, ou de l'atteinte des tendons ou des articulations. L'efficacité d'une antibiothérapie prophylactique en cas de traumatismes thoraciques est controversée. Le traitement est en général donné pour un total de 48 à 96 heures. La prophylaxie contre le tétanos doit être réalisée pour toute plaie pénétrante. 6.2 – LA DEFINITION DES PRIORITES Sauver la vie d'un polytraumatisé nécessite une claire définition des priorités. Dans les premières heures après le traumatisme, le problème n'est pas de traiter les lésions individuelles mais de déterminer et de manager celles qui vont permettre au patient de survivre. Une obstruction des voies aériennes supérieures, une hémorragie externe sévère, un traumatisme thoracique provoquant une détresse cardio-respiratoire, un traumatisme crânien avec augmentation de la pression intra-cérébrale, une lésion cervicale avec atteinte 11 médullaire, sont autant de lésions qui menacent directement la vie et doivent être traitées sans délai. La libération de l'axe aérien supérieur prend le pas sur toutes les autres urgences. Les saignements des organes pleins intra-abdominaux ou des structures rétro-péritonéales, les lésions crânio-cérébrales stables, les brûlures et les plaies extensives des parties molles peuvent, bien sûr, mettre en jeu le pronostic vital mais leur traitement peut être retardé de quelques minutes si une réanimation intensive préalable est nécessaire. N'importe quel patient aura des complications ou une perte de fonction si le diagnostic et le traitement sont retardés de quelques heures. Les lésions tendineuses périphériques, les lésions vasculaires et les lésions nerveuses, les lésions oculaires et les amputations partielles des membres en sont quelques exemples. Les fractures fermées, les luxations et les petites plaies des parties molles sont les seules lésions dont le traitement peut être retardé de plusieurs heures. Une approche en équipe est appropriée pour tout polytraumatisé et doit pouvoir inclure le traitement simultané d'un hématome extra-dural par un neurochirurgien et la réalisation d'une splénectomie par un chirurgien généraliste. En cas de patients avec lésions intra-abdominales sévères et sans lésion médiastinale extensive, l'exploration de l'abdomen avec traitement des lésions est indiquée en premier. Une aortographie après laparotomie est parfois nécessaire. Si le patient présente un traumatisme abdominal sévère associé à une lésion vasculaire majeure des extrémités, ces lésions doivent être contrôlées les premières ou mieux, en même temps, pendant l'exploration abdominale. Si le patient reste stable pendant la réanimation, la laparotomie exploratrice pourra être réalisée avant le traitement des lésions périphériques vasculaires. Retenons, de toute façon, que le polytraumatisé n'est pas "démontable" ! 6.3 – LA PREPARATION CHIRURGICALE ET L'EXPOSITION Le patient traumatisé doit être préparé et champé largement de sorte que le chirurgien ait accès à toutes les parties de l'individu et puisse facilement placer des drains thoraciques. Le thorax entier doit être préparé et aseptisé de sorte que le chirurgien dispose d'un champ stérile du cou jusqu'aux membres inférieurs. En cas d'urgence absolue, une laparotomie immédiate ou une thoracotomie express peuvent être réalisées avant toute préparation cutanée. Pour un rapide accès et une exposition complète de l'abdomen, la voie médiane est la meilleure. Les incisions transverses ou obliques sont rarement utilisées en chirurgie d'urgence. La laparotomie doit pouvoir être agrandie en haut vers le sternum, à droite ou à gauche vers le thorax si cela s'avère nécessaire. Les cœlioscopies ou les mini-laparotomies dans la région juxta-ombilicale doivent être réalisées quand le doute existe sur une lésion intra-abdominale. L'incision pourra alors être étendue si une lésion est détectée. En général, le patient est en décubitus dorsal sauf si les lésions sont précisément connues avant l'intervention et doivent être traitées dans une position spécifique (thoracotomie postéro-latérale par exemple pour contrôler un sévère saignement pulmonaire). Après que les lésions neurochirurgicales et abdominales aient été traitées, les lésions maxillofaciales et orthopédiques sont prises en charge, dans cet ordre si possible, pendant la première anesthésie, mais des exceptions peuvent exister. 12 8 – CONCLUSION La prise en charge du polytraumatisé commence par un rapide examen qui consiste en une inspection complète et rapide. Elle révèlera si le patient est stable ou non et donnera l'ordre de la réanimation. La surveillance primaire suit avec comme but d'assurer le minimum physiologique vital. A la fin de cette surveillance primaire, le pronostic vital est à nouveau évalué avant que ne débute la surveillance secondaire. Les priorités sont données aux lésions de la colonne cervicale, du thorax, du crâne et de l'abdomen. Les procédures d'imagerie spéciale, comme le scanner, doivent être interrompues en cas de dégradation du patient : il devra bénéficier immédiatement d'une thoracotomie ou d'une laparotomie. L'utilisation de la coelioscopie reste controversée. 13