ADJONCTIONS AU TEXTE ORIGINAL
question et sur les tendances à venir qui semblent s'en dégager. Ainsi nous pouvons
interpréter le développement des divorces comme le signe d'une plus grande liberté
individuelle ou, au contraire, nous pouvons pronostiquer que leurs répercussions sur les
enfants auront les effets les plus fâcheux sur la société à venir. Un tel jugement suppose
implicitement que nous savons déterminer quelles sont les causes de ces évolutions et, qu'en
pronostiquant ce que sera l'avenir, nous avons une bonne maîtrise des enchainements sociaux.
D'où tenons nous ces compétences? De nos lectures diverses, des informations télévisées, de
ce que nous a dit notre entourage - famille, amis,...- ainsi que de nos expériences personnelles;
mais les conclusions que nous tirons de nos propres expériences ou de celles de nos proches
sont elles généralisables? La vie des enfants divorcés que nous connaissons correspond elle à
ce que la plupart des enfants dans la même situation connaissent?
En réalité, notre jugement peut toujours être faussé par le fait que nous ne sommes jamais en
contact avec la société dans son ensemble mais que nous vivons dans des secteurs particuliers
de la société. Un fils de médecin étudiant dans un lycée de centre-ville et cotoyant des
camarades de même milieu social ou d'un milieu proche risque fort de généraliser son
expérience personnelle et de supposer que ce que pensent ses camarades est ce que pensent
tous les lycéens. Il est donc nécessaire de se prémunir contre ce type de généralisation hâtive.
De plus, même si une analyse est partagée par tous, sommes nous sûrs qu'elle est bien
réelle? Est ce parceque l'humanité a vu pendant des millénaires, et verra toujours, le soleil
tourner autour de la terre que c'est bien ce qui se passe? Il a fallu, pour connaitre la réalité, un
travail d'abstraction dépassant les perceptions communes. L'astronome qui découvrirait un
village dans lequel on a toujours pensé que le soleil tournait autour de la terre se trouverait
dans une situation similaire à celle de certains chercheurs en sciences sociales. "Comment", se
dirait on alors, " un seul individu peut il prétendre avoir raison contre tout le monde, le bon
sens et l'évidence?", mais l'évidence est parfois mauvais conseillère. Le sociologue américain
Paul Lazarsfeld s'est amusé à donner des résultats d'enquête qui semblent évidents et à
montrer ensuite que c'est la réponse exactement inverse qui est vraie et qui parait tout aussi
évidente. Ainsi, à l'affirmation : "Pendant leur service militaire les ruraux ont meilleur moral
que les citadins", une réaction fréquente est de dire que c'est évident car les ruraux sont
habitués à une vie plus dure; or, en réalité, ce sont eux (aux Etats-Unis) qui ont le moins bon
moral. De même, on peut tout aussi bien dire qu'en période de crise les grèves sont plus
nombreuses car les gens sont mécontents (c'est la réponse la plus fréquente) ou qu'au contraire
les grèves sont moins nombreuses car les gens réclament peu de peur de se retrouver au
chômage. Cette "réversibilité" de l'évidence, on la retrouve dans les proverbes révélateurs, dit-
on, du bon sens populaire : par exemple, tout le monde sait que "Qui se ressemble s'assemble"
mais personne n'ignore non plus que "Les contraires s'attirent".
On ne peut cependant pas dire que le bon sens est seulement nuisible et que le savoir
sur le "social" n'appartiendrait qu'aux seuls spécialistes. Contrairement à la plupart des
"sciences dures" (comme l'astronomie, la physique, les mathématiques,...) les individus ont un
certain savoir sur le social et il n'y a pas de ruptures nette entre le savoir commun (le savoir
des non spécialistes) et le savoir savant. Nous pouvons dire, en suivant Auguste Comte,
l'inventeur du terme "sociologie", que la science sociale est la systématisation d'un certain bon
sens développé par les individus mais il faut pouvoir contrôler ce "bon sens" et éviter un
certain nombre de dérives.
C) Pragmatisme et théorie.
Il faut notamment se méfier parfois de ce qu'on appelle le "pragmatisme" quand cela
consiste à prétendre que celui qui est "sur le terrain" verra tout ce qui concerne un problème et