Apôtre se glorifiait, disant qu’il ne savait autre chose que Jésus-Christ et Jésus-
Christ crucifié (1 Co 2,2). Et si tu veux encore d’autres visions et révélations divines
ou corporelles, regarde-le aussi en son humanité, et tu y trouveras plus que tu ne
penses, parce que l’Apôtre dit aussi que toute la plénitude de la divinité demeure
corporellement dans le Christ (Col 2,9).
7. Il ne faut donc plus consulter Dieu de cette sorte, et il n’est pas nécessaire
qu’il parle davantage, puisqu’ayant achevé de dire toute la foi dans le Christ, il n’a
plus de foi à révéler ni n’en aura jamais plus. Et quiconque voudrait maintenant
recevoir quelque chose par voie surnaturelle (comme il a été dit) ce serait comme
voir une lacune en Dieu, de n’avoir pas donné en son Fils tout ce qui était requis.
Car, encore qu’on le fasse supposant la foi et la croyant, c’est une curiosité qui
montre moins de foi. Donc, il ne faut point attendre ni doctrine ni autre chose par voie
surnaturelle. Car lorsque le Christ dit en la croix ces paroles : Tout est consommé
(Jn 19,30), quand il expira, non seulement ces anciennes façons prirent fin, mais
aussi toutes les cérémonies et coutumes de la vieille loi. Et ainsi nous devons nous
gouverner en tout par la loi du Christ-Homme et par celle de son Église et de ses mi-
nistres, humainement et visiblement, et remédier par cette voie à nos ignorances et
faiblesses spirituelles. Car nous trouverons par cette voie d’abondants remèdes à
tout. Et ce qui sortira de ce chemin ne sera pas seulement curiosité, mais grande
témérité ; et il ne faut rien croire par voie surnaturelle, sinon seulement ce qui sera
enseigné par le Christ-Homme (comme je le dis) et par ses ministres, hommes. De
sorte que si un ange du ciel (dit saint Paul) vous annonce autre chose que ce que
nous, hommes, vous avons prêché, qu’il soit maudit et excommunié (Ga 1,8).
8. Vu donc qu’il est vrai qu’on doit toujours s’arrêter à ce que le Christ a
enseigné, et que tout le reste n’est rien, et ne doit être cru s’il n’est conforme à cela,
celui qui veut traiter en ce temps avec Dieu à la façon de l’ancienne loi chemine en
vain. D’autant plus qu’il n’était pas permis à toutes sortes de personnes de ce temps-
là d’interroger Dieu, et lui non plus ne répondait à tous, mais seulement aux prêtres
et aux prophètes. Car c’était par leur bouche que le peuple devait savoir la loi et la
doctrine. Et si quelqu’un voulait savoir une certaine chose de Dieu, il le demandait
par le prophète ou le prêtre et non lui-même. Que si David parfois consultait Dieu
sans l’entremise d’un tiers, c’était parce qu’il était prophète ; encore, avec tout cela,
ne le faisait-il pas sans le vêtement sacerdotal, comme on voit dans le premier livre
de Samuel où il dit à Abiathar, prêtre : Mettez l’éphod sur moi (1 Sm 23,9) - qui était
un des vêtements de la plus grande autorité du sacerdoce - et c’est avec lui qu’il
consulta Dieu. Mais, d’autres fois, il consultait Dieu par Nathan et par les autres
prophètes, par la bouche desquels - et des prêtres - il fallait croire que ce qu’on leur
disait était de Dieu, et non leur jugement personnel.
Tout l’Ancien Testament tend à Jésus-Christ et est éclairé par lui. Les citations
bibliques, fort judicieuses, montrent à quel point la vie spirituelle consiste à se mettre
à l’École de l’unique Maître (cf. Mt 23,10), qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jn
14,6). Chercher une autre source de révélation est faire injure au Père qui nous a
tout donné en son Fils.
Jean de la Croix indique ici un élément essentiel du discernement évangélique : « Il
ne faut rien croire par voie surnaturelle, sinon seulement ce qui sera enseigné par le
Christ-Homme et par ses ministres, hommes. » La Loi Nouvelle est celle de
l’Incarnation : les voies de Dieu sont toujours empreintes d’humanité et leur
discernement se fait en Église. Lorsque l’âme croit pouvoir discerner seule, elle est
bien prête d’être trompée. « La loi du Christ-Homme (…), l’enseignement
(enseñanza) du Christ-Homme » : l’Évangile. « La loi (…) de son Église » : la
tradition, les médiations, qui transmettent l’Évangile à chaque génération. Le dis-
cernement en Église est parfois semé d’embûches, mais il aboutit toujours pour celui
qui cherche avec droiture.