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RSCA 2
2ème semestre d’internat
Mai 2011-Novembre 2011
Unité de Gériatrie aiguë, Hôpital Antoine Béclère
Dorothée MOLLARD-RAMBAUD (TCEM1)
Tuteur : Dr Claire ZYSMAN
Maître de stage : Dr Yann MARTIN
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INTRODUCTION
Lors du précédent RSCA, j’ai raconté la triste histoire d’un Monsieur de 82 ans dont
j’avais eu la charge au service porte des urgences et dont le retour à domicile imposé,
peu préparé (pas préparé ?), c’était révélé catastrophique.
Quand lors de mon deuxième stage, en gériatrie aiguë, avec plus de temps, plus de
moyens humains et matériels et plus de bonne volonté de la part des médecins, j’ai pu
participer à l’organisation d’un retour à domicile que j’estime réussi, je me suis dit que
j’allais en faire mon 2ème RSCA.
NARRATION DE LA SITUATION AUTHENTIQUE
Quand elle est arrivée dans l’unité de Gériatrie aiguë (UGA), Madame E était bien mal en
point… Elle venait du service porte des urgences où elle avait été admise 4 jours
auparavant dans les circonstances suivantes.
Son médecin traitant, qui ne l’avait pas vue depuis 6 ans, appelé à son chevet par son
mari, l’avait adressée aux urgences de l’hôpital Béclère pour « Troubles de la parole,
jargonophasie, marche incertaine avec chute, sans déficit latéralisé ; elle a
vraisemblablement fait un AVC ».
A l’arrivée aux urgences elle est hypertendue (235/97 à droite, 254/119 à gauche),
ventilation correcte, HGT 5,2 mmol/l. Le médecin qui l’accueille la trouve désorientée,
mais ne décèle pas de signe neurologique de localisation. Il fait réaliser :
1. Un bilan biologique : la numération, le ionogramme sanguin, la fonction rénale
sont normaux.
2. Un TDM cérébral sans injection qui montre : De multiples séquelles ischémiques
bicarotidiennes et basilaires
3. Un Doppler des Troncs supra-aortiques de débrouillage qui montre
A gauche : « thrombus circonférentiel partiellement calcifié qui réduit la lumière
circulante de 75% ».
A droite : « un thrombus partiellement calcifié au niveau de l’ostium de la carotide
interne où il réalise sur approximativement 1cm une occlusion presque totale. »
L’équipe des urgences prend alors contact avec le centre chirurgical Marie Lannelongue,
situé au Plessis Robinson et spécialisé dans la prise en charge vasculaire en général.
Rendez-vous est pris pour le lendemain pour un éventuel geste sur les carotides.
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Malheureusement, 4 heures après son arrivée aux urgences, Madame A fait une crise
convulsive tonico-clonique pour laquelle elle a reçu une ampoule de CLONAZEPAM
Rivotril® puis un traitement d’entretien par CLOBAZAM Urbanyl®. L’idée de la prise en
charge vasculaire est alors abandonnée. Il n’est pas fait mention des éléments ayant
motivé cette décision dans le dossier médical des urgences.
Après 3 jours dans un état stationnaire et somnolent aux urgences, elle est admise à
l’UGA.
Madame E est âgée de 86 ans, elle vit avec son mari (même âge) dans un appartement
au 1er étage avec ascenseur. Elle a une fille et un petit fils qui vivent à la Réunion.
Aucune aide professionnelle n’intervient à domicile.
Un entretien avec son mari permet de préciser la chronologie d’apparition des déficits.
Les troubles de la marche évoluent depuis 15 jours. Les troubles de la parole sont
apparus 8 jours après (et 8 jours avant la consultation aux urgences), la
compréhension étant initialement conservée. Avant cela elle marchait et parlait de façon
presque satisfaisante, d’après le mari. De plus Monsieur E a observé que pendant les
repas, « ce que Madame E mange se mélange avec ce qu’elle respire ».
Par téléphone, la fille de madame E précise que son père refuse pour son épouse et pour
lui-même tout suivi médical depuis 5-6 ans, qu’il estime que les médicaments rendent
malade, que son domicile est « incurique » et qu’il refuse toute aide.
A l’entrée, Madame E est très somnolente. L’examen clinique relève un souffle systolique
aux 4 foyers, une aphasie évidente. La motricité n’est pas testée. Elle présente le signe
des « ongles de sorcière » (= longs et sales +/- vernis en piteux état), très sensible pour
dépister une perte d’autonomie récente chez la femme âgée, de même que le signe de la
couleur de cheveux qui permet en plus de dater le début de la perte d’autonomie (durée
= longueur de cheveux blancs / vitesse de pousse des cheveux).
Les 5 premiers jours d’hospitalisation Madame E reste très somnolente, elle est perfusée
mais pas alimentée. On réduit les doses d’antiépileptique. C’est un vrai challenge de faire
respecter son hypertension artérielle.
Un angio scanner des vaisseaux du cou rectifie partiellement les résultats très péjoratifs
du 1er Doppler : la surcharge athéromateuse de la partie proximale de la carotide interne
est responsable d’une réduction de calibre estimée à 60% à droite et 50% à gauche.
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L’évolution est marquée par une amélioration de la vigilance. Au 5ème jour elle prononce
les premiers mots, on reprend alors l’alimentation orale avec un régime mixé, sans eau
plate pour limiter le risque de fausses routes. Au 7ème jour elle marche à très petit pas
encadrée par 2 kinés.
Madame E est à nouveau capable de marche seule le 11ème jour ; la désorientation
temporo-spatiale est toujours totale, sans perplexité.
Alors que nous nous émerveillons de ces progrès, le mari de Madame E se désespère de
la voir si peu autonome. « Elle ne mange rien, ne marche pas, etc… »
Quand mon senior évoque un retour à domicile avec 3 passages par jour, j’avoue que je
suis vraiment perplexe et je n’ai pas été la seule difficile à convaincre ; Monsieur E n’était
vraiment pas chaud non plus !!!
La préparation du retour à domicile a commencé par une visite du dit domicile avec
l’assistante sociale, Madame L. Après avoir pris rendez-vous avec Monsieur E, nous voilà
parties toutes les deux pour visiter le domicile réputé « incurique » aux dires de la fille.
Nous avons été extrêmement surprises de découvrir un grand 3 pièces au premier étage
d’une résidence de standing (poignées de porte dorées) avec grand balcon fleuri et vue
imprenable sur la tour Eiffel. L’appartement est très ordonné (trop ?). Le parquet du
salon est comme neuf, nous repérons un épais tapis sous la table à manger que nous
prévoyons de faire enlever… Il est possible de passer avec un déambulateur voire un
fauteuil roulant dans toutes les pièces. Les 2 salles de bain, les toilettes, la cuisine ne
sont pas rutilantes mais propres. Nous remarquons même la présence d’une tomate
fraîche dans la cuisine, un frigo un peu vide. Les piles de vêtements dans les placards ont
l’air d’avoir été tracées à la règle. Seul les draps mériteraient d’être changés, de même
que la chemise de Monsieur E, la même depuis le début de l’hospitalisation de son
épouse. Après négociation nous obtenons de Monsieur E qu’il apporte une chemise de
nuit et une robe de chambre propres à son épouse qui vit depuis 15 jours dans les
pyjamas en papier de l’hôpital.
Alors que tout nous paraît vraiment parfait pour organiser le RAD, Monsieur E lui ne voit
que des obstacles infranchissables :
- Et si Madame E urine sur le parquet ? dans son lit ?
- Où allons-nous mettre le lit médicalisé (dans une chambre de 20m2)
- Comment faire pour payer le portage des repas qui ne prend que les chèques.
« Vous comprenez, c’est ma femme qui paie les repas, je peux faire son code
de CB à sa place, mais je ne peux pas signer de chèque en son nom. »
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- « Un repas par jour ça suffira largement, de toute façon, elle ne mange rien »
- Une infirmière ET une auxiliaire de vie ?? ça fait beaucoup de monde chez
Monsieur E…
- Il faudra acheter des protections ?? c’est remboursé par la sécurité sociale ??
Nous rencontrons l’infirmière coordinatrice du SSIAD (Services de Soins Infirmiers A
Domicile) de Clamart pour faire le point sur les aides à mettre en place. A son tour elle
rencontrera Monsieur E.
L’assistante sociale, l’association de maintien à domicile et Monsieur E réussissent à se
mettre d’accord sur les mesures suivantes :
- Mise en place d’un lit médicalisé
- Portage des repas
- 1 passage par jour le matin (pas plus !) pour distribuer le traitement et faire la
toilette de Madame E avec le projet de convaincre doucement Monsieur E de
l’utilité d’un deuxième passage
On avait vraiment bien avancé sur le projet de retour à domicile quand, patatras, un soir
dans le service, Madame E a lourdement chuté sur la face ; elle voulait aller danser avec
son mari nous racontera-t-elle. Elle n’avait pas perdu connaissance, le TDM cérébral n’a
pas montré de saignement intra ou péri-cérébral. Madame E s’en est tirée à plutôt bon
compte avec un gros hématome frontal qui n’a pas tardé à dessiner de drôles de
lunettes.
Monsieur E n’a bien sûr pas manqué de signaler que son épouse ne pouvait pas rentrer
dans cet état. Mais mon senior a été ferme. Et moi je n’ai trop rien dit…
EPILOGUE
J’ai eu l’occasion de revoir Madame E aux urgences, quelques semaines après le retour à
domicile. Elle avait à nouveau chuté, sans graves conséquences et après une nuit de
surveillance aux urgences, était prête à retourner chez elle. Entre temps, sa fille était
passée par là, madame E avait une belle coupe de cheveux, était souriante et s’exprimait
encore mieux qu’à sa sortie de l’UGA.
Le 6 Septembre j’ai eu des nouvelles de Madame E par l’intermédiaire de l’infirmière
coordinatrice du SSIAD qui m’a raconté ses premières semaines à domicile.
o La fureur initiale du médecin traitant voyant arriver Madame E à domicile et sa
demande auprès du SSIAD de la faire ré-hospitaliser ou institutionnaliser.
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