LES POLITIQUES D'ACTIVATIONS : LE MODELE EUROPEEN DU WOKFARE Andrea Rea (GERME, Université Libre de Bruxelles) Au début des années 80’, les notions d'insertion professionnelle et d’exclusion sont associées à la situation des jeunes sans emploi. Cette terminologie française, inexistante en Allemagne et au Royaume-Uni, définit un mode d’intervention étatique spécifique. Dès le début des années 80’, la politique d'insertion professionnelle des jeunes vise à lutter simultanément contre la privation d’emploi (chômage) et la possible relégation sociale (exclusion). Dans une première phase, cette politique est définie prioritairement par des impératifs nationaux. Néanmoins l’Union européenne et ses institutions jouent déjà un rôle d’orientation, comme nous le verrons. A partir de 1995 (Livre blanc) et plus précisément à partir du Traité d’Amsterdam (1997), l’influence européenne est déterminante tant sur les objectifs que sur le contenu et le vocabulaire des programmes nationaux. En Belgique, le chômage des jeunes atteint statistiquement son point culminant en 1981. Comme en France, au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne, le chômage des jeunes devient un problème social et l’objet d’une politique spécifique dès le début des années 80’ même si la diversité des législations, des nomenclatures, des classifications utilisées dans les pays européens pour comptabiliser le nombre de chômeurs rend ardue les comparaisons internationales. Le chômage est aussi le produit de législations et d’institutions (Salais et al., 1986). Entre 1985 et 1990, l'amélioration de la conjoncture économique produit une baisse du taux de chômage au sein des pays de la Communauté européenne, passant de 14,9 % à 12 %. A partir de 1991, la tendance à la baisse des taux de chômage s'inverse dans pratiquement tous les pays européens et en particulier en Belgique, en France, en Irlande et au Royaume-Uni. Par contre, la situation du chômage en Allemagne se dégrade notamment suite à la réunification. Parmi les catégories statistiques les plus touchées par cette hausse du chômage figure celle des jeunes. Un profond changement s’opère durant les années 90’ tant en termes d’interprétation du chômage des jeunes qu’en termes d’interventions publiques pour y remédier. En effet, durant une première période (1981-1997), le chômage des jeunes est essentiellement interprété en termes de déficit de formation et de qualification. La politique de l’emploi reste dominée par les mesures passives, reposant principalement sur l’octroi d’allocations attribuées aux personnes 1 privées d’emploi. Néanmoins, les pouvoirs publics développent des dispositifs de formation. Particulièrement pour les jeunes, la formation du salarié est considérée comme primordiale pour lutter contre le chômage. Par contre durant la deuxième phase, davantage marquée par une convergence européenne, la préoccupation essentielle devient celle de la formation du salaire. L’emploi coûte cher aux entreprises. La politique de l’emploi multiplie alors les mesures actives ayant pour objectifs d’augmenter les taux d’activité en intégrant le plus possible les inactifs sur le marché de l’emploi. La lutte contre le chômage des jeunes, comme d’autres catégories de la population, passe par une mobilisation des chômeurs, une activation des dépenses sociales, une flexibilité des conditions d’embauche et de travail, une dégradation et une précarisation des formes de stabilisation sur le marché de l’emploi (Supiot, 1999). Cette politique publique peut être qualifiée de sociale-libérale, synthèse hybride entre d’une part, une politique libérale visant la flexibilisation radicale du marché de l’emploi (déréglementation de la législation sur les contrats de travail) et la diminution des dépenses sociales liées au chômage et d’autre part, une politique sociale-démocrate cherchant à maintenir des minimas sociaux (salaire minimum garanti, revenu minimum d’existence, allocations de chômage) et un système de protection sociale renouvelé. Cette synthèse hybride converge sur un point qui en fait une orientation unitaire basée sur une croyance partagée : la primauté de la remise au travail des inactifs. Pour les libéraux et pour les socialistes, cette orientation offre la seule possibilité pour assurer la croissance économique, ce qui permet aussi pour les premiers de réduire l’intervention publique et pour les seconds de lutter contre les formes de marginalisation. Cette deuxième phase de la politique de l’emploi est au centre des études menées dans le cadre de cette recherche. A l’instar de périodes antérieures de l’histoire des Etats européens, la société est de plus en plus dominée par le libéralisme économique et espère, comme après la période des lois de Speenhamland (Polany, 1983) en Angleterre (1795-1834), constituer un grand marché de l’emploi dépourvu de réglementations faisant de chaque travailleur un entrepreneur de soi. Dans cet esprit, les politiques publiques nationales et européennes sont fondamentalement conçues à partir du référentiel du marché (Muller, 1989). LE DEFICIT DE LA FORMATION ET LES VERTUS DE L’ALTERNANCE (19831997) En Belgique, la grande transformation du marché de l’emploi des jeunes se déroule entre 1974 et 1984. En effet, les jeunes de moins de 25 ans perdent un tiers de leur possibilité d’emploi alors que les autres groupes d’âge, à l’exclusion des plus de 54 ans, connaissent une situation stable. Signe d’un profond changement, l’emploi ouvrier chez les jeunes régresse brutalement (- 2 41 %). Pour les jeunes de moins de 20 ans, l’emploi a pratiquement disparu (Rea, 1991). Dans le même temps, la généralisation de la scolarisation et l’allongement des études se poursuivent. Les taux de scolarisation des jeunes de 16 et 17 ans sont passés respectivement, entre 1970 et 1982, de 66,2 % à 84,2 % et de 52,7 % à 68,1 %. Allongement de la scolarité et exclusion du marché de l’emploi des plus jeunes constituent les deux caractéristiques de la situation des jeunes au début des années 80’. Face à cette situation, le traitement du chômage des jeunes est marqué par trois types d’intervention étatique (Erbès-Seguin, Gilain, 1990). La première consiste à intervenir sur la gestion des flux de main-d’œuvre. Ainsi, en 1983 le gouvernement décide de prolonger l’âge de l’obligation scolaire de 14 à 18 ans, postposant ainsi l’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi. À l’époque, le chômage des jeunes est essentiellement interprété en termes de déficit de formation. Selon les discours patronaux, et souvent gouvernementaux, les jeunes manquent de qualification. L’école subit alors de nombreuses critiques, elle serait incapable de fournir aux entreprises les salariés formés qu’elles attendent. Pour combler ce déficit de formation, la prolongation de scolarité s’accompagne d’un deuxième type d’intervention. L’Etat aménage les réglementations relatives à l'emploi en créant de nouveaux statuts de salariésétudiants et en développant les formations en alternance qui viennent s’ajouter à la forme historique de l’apprentissage, très utilisé par les petits indépendants et les artisans. Enfin, l’action de l’Etat se déploie également en accroissant le volume de l’emploi, notamment en finançant l’engagement d’agents temporaires dans les secteurs privé et public et en imposant aux entreprises et aux administrations, en contrepartie de primes, l’embauche de jeunes de moins de 30 ans (stages ONEm) à concurrence de 2 % de l’effectif qu’elles occupent. La politique d'insertion professionnelle se caractérise principalement par ses modalités d'application que sont les dispositifs d’insertion et par le public visé, essentiellement les jeunes. Ces derniers sont perçus, à partir du début des années 80’, comme une catégorie vulnérable sur le marché de l’emploi. L’Etat propose des actions agissant simultanément sur la formation et sur la mise au travail en subsidiant outre les institutions publiques, des associations ainsi que de nouveaux dispositifs d’insertion, surtout du côté francophone, tels que les associations d’insertion professionnelle, les entreprises d’apprentissage professionnel, les missions locales, les missions régionales, etc. L'insertion professionnelle ne dépend plus de la seule rencontre entre un employeur et un demandeur d'emploi ; elle est organisée institutionnellement formant un quasichamp de l’insertion. Cette politique publique se fonde sur l’organisation et la professionnalisation de nouveaux intermédiaires chargés de trois missions : l'accueil et l'accompagnement des demandeurs d'emploi, la formation et la mise au travail. Pour les jeunes encore en obligation scolaire et auxquels sont 3 proposées des formations en alternance, à l’exception de l’apprentissage, l’intermédiaire institutionnel reste l’école qui fournit la partie formative et éducative de ce dispositif. Tous ces dispositifs modifient, par leur existence et leur action, l'organisation du passage de l'école à l'emploi transformant aussi les identités de ces jeunes de moins en moins fondées sur des critères liés au travail. Ils participent au processus de juvénisation (Chamboredon, 1985) réorganisant et généralisant un nouvel âge : l’interminable jeunesse. Dans la mesure où les formations en alternance sont aussi organisées par les entreprises, ces dernières jouent un rôle déterminant dans le processus de sélection des candidats induisant dans la pratique une hiérarchie des formations proposées. Ainsi, les formations en alternance n'échappent pas à une logique classificatoire basée sur un critère essentiel : le niveau scolaire atteint. La mise en relation d'une part, du public auquel est destinée chacune des formations et des spécificités de chacune des formes d'alternance, et d'autre part, des conditions d'accès et des contrats offerts, fait apparaître la hiérarchisation des formations en alternance. Plus le jeune est déclassé scolairement, plus la probabilité d'accéder à une formation en alternance performante diminue. Les avantages attribués sont inversement proportionnels au degré de marginalisation. La formation en alternance imaginée pour le public le moins marginalisé cumule le programme le plus finalisé, le meilleur statut pour le jeune, les exonérations des charges patronales les plus importantes. Par ailleurs, dans la mesure où ces contrats sont développés majoritairement dans des secteurs importants, ils peuvent bénéficier de tous les avantages y afférents. Inversement, les jeunes les plus marginalisés doivent se satisfaire de la formation en alternance la moins articulée, dans le cadre d'un contrat extrêmement précaire. L’imposition des formations en alternance s’inscrit dans un processus d’importation et de traduction européenne de ce type de dispositif. En effet, au début des années 80’, la faiblesse du chômage des jeunes en Allemagne est associée aux vertus du Dual system de ce pays. Le patronat vante les mérites de ce système où la formation est fournie par les entreprises qui sont plus à même de fournir une formation professionnelle performante. Cette importation s’exerce par l’intermédiaire de la Communauté européenne. À la fin des années 70’, plusieurs documents de la Communauté européenne incitent les Etats membres à développer des formations en alternance : une directive de la Commission et la résolution sur la formation en alternance adoptée par le Conseil des Ministres en décembre 1979 fournissent les axes de cette politique. Les réflexions et les orientations relatives à la formation en alternance sont particulièrement approfondies et font l’objet de nombreuses publications du CEDEFOP (1981 ; 1982) ou d’experts (Jallade, 1982). Par ailleurs, le Fonds social 4 européen attribue des aides financières à ce type d'action qui se multiplie en Belgique, mais aussi en France, en Espagne et en Italie. En raison de la structure historique des relations entre les écoles et les entreprises (Maurice et al., 1982), les formations en alternance ne produisent pas les effets escomptés en Belgique, comme dans les autres pays européens. L’importation de pratiques considérées comme bonnes s’avère déjà une illusion. Malgré le financement public considérable de ces dispositifs, ceux-ci ne sont que faiblement utilisés par les entreprises elles-mêmes. Dans le même temps, un changement s’opère quant au diagnostic du chômage en général et celui des jeunes en particulier. Ce serait moins le déficit de la formation ou encore l’inadéquation de la formation à l’emploi qui poserait problème que les coûts du travail. Un glissement s’opère de la formation du salarié à la formation du salaire. Dans ce changement d’interprétation du chômage, une convergence de solution à partir de prémisses analytiques différentes se constitue. La mise à l’emploi devient la priorité de la pensée conservatrice et de la pensée travailliste, synthèse qui organise la politique de l’emploi belge produite par des gouvernements de coalition sociaux-chrétiens/socialistes (1988-1999) et ensuite libéral, socialiste et écologiste (1999-2002). LES POLITIQUES ACTIVES : LA CONVERSION DES POLITIQUES PUBLIQUES La publication du Livre Blanc de Jacques Delors (1993) sur la Compétitivité et l'Emploi et le Conseil européen d'Essen (décembre 1994) constituent incontestablement des dates-clés pour le développement de la politique européenne de l'emploi. Ces deux événements initient le déclenchement du processus de convergence des politiques nationales de l'emploi au niveau européen. Pour la Commission, le défi majeur réside dans l’indispensable conjugaison des exigences de l’économie - la compétitivité internationale et la création d’emplois - et de la protection du modèle social européen. Selon elle, cette conjugaison n’est possible que dans le cadre d’"une économie saine, ouverte, décentralisée, compétitive, solidaire" (Delors, 1993 : 12), et elle préconise un "changement profond de la politique de l’emploi, qui doit être replacée au cœur de la stratégie d’ensemble". Le Conseil européen d'Essen a véritablement engagé le processus de convergence des politiques d'emploi des Etats membres en identifiant cinq domaines prioritaires. Parmi ceux-ci figurent les objectifs classiques comme le renforcement des investissements dans la formation professionnelle et celui des mesures en faveur des groupes particulièrement menacés d’exclusion du marché du travail (les jeunes, les femmes, les travailleurs âgés, les chômeurs de longue durée). On y trouve aussi d’autres axés plus directement sur la mise au travail : croissance 5 des emplois, l’abaissement des coûts indirects du travail et, surtout, le passage d’une politique passive à une politique active de l’emploi. Au niveau belge, la décision du Conseil européen d'Essen a pour effet une première conversion de la politique de l’emploi : l’investissement accru dans les mesures actives au détriment des mesures passives. L’OCDE (1993), comme la Commission, pointe du doigt le système d’allocations de chômage de la Belgique. En effet, le caractère illimité dans le temps de l’attribution des allocations de chômage constituerait une source de découragement à la recherche d’un emploi. De nombreuses mesures sont prises en vue d’exclure ceux qui connaîtraient un "chômage anormalement long" (excédant 2 fois la durée moyenne) ou de postposer le bénéfice de certaines allocations (par exemple, à partir de 1995, les jeunes doivent attendre 9 mois lieu de 6 avant de percevoir des allocations d’attente à la fin de leurs études). La stratégie européenne pour l’emploi se précise davantage à la suite du Conseil européen d'Amsterdam des 16 et 17 juin 1997. Le Traité prône l'action au niveau communautaire et donc l'interdépendance et la coordination des politiques européennes de l'emploi. Il assigne à l'Union européenne l'objectif d'assurer un niveau élevé d'emplois et prévoit des mesures communes de lutte contre le chômage. A long terme, l'objectif de l'UE est d'atteindre un taux d'emploi comparable à celui de ses partenaires commerciaux, soit 70 %. À plus courte échéance, l'objectif est d'augmenter le taux d'emploi de 60,4 % à 65 % en cinq ans, avec une réduction du taux de chômage de 7 %. Cela implique qu'au moins 12 millions d'emplois soient créés. A la suite du Conseil européen extraordinaire sur l'emploi qui se tient à Luxembourg les 20 et 21 novembre 1997, la Commission européenne adopte une proposition relative aux lignes directrices pour la politique de l'emploi des Etats membres. Sur base des lignes directrices, des objectifs quantifiés sont fixés en ce qui concerne les jeunes sans emploi, les chômeurs de longue durée et l'amélioration de l'accès à la formation pour les chômeurs. La mise en œuvre des plans d'action nationaux pour l'emploi (PANs) font l'objet d'un suivi régulier et la Commission et le Conseil procèdent à une évaluation commune des résultats. Cependant, comme les indicateurs de performance devant servir à définir les best practices, doivent pouvoir être exportées, ils reposent surtout sur des critères quantitatifs. Rien n’est prévu pour répertorier la qualité du travail, les niveaux de salaires, les conditions de travail, les liens entre santé et travail, etc. Cette politique européenne se caractérise par une conversion essentielle de la politique de l’emploi : l’objectif n’est plus de réduire le chômage, mais d’augmenter le taux d’emploi qui est fixé à 70 % pour 2010 lors du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000. Pour les jeunes, il s’agit de leur offrir une activité sous forme de formation, de reconversion, d'expérience professionnelle 6 ou d'emploi avant qu’ils n’atteignent six mois de chômage. Néanmoins, la méthode change. Pour atteindre cet objectif, la stratégie européenne pour l’emploi encourage la mobilisation générale : réduction du coût du travail grâce à des exonérations sociales et fiscales, activation de revenus de remplacement (allocations de chômage, aide sociale, etc.) et réduction de toutes les mesures qui "désincitent" à la recherche d’emploi. Pour la Belgique, en 1999, la Commission recommande notamment d’augmenter l’effet dissuasif des prestations sociales et la mise en œuvre d’une approche personnalisée pour tous les jeunes chômeurs. Au même moment, le gouvernement dévoile son plan pour l’emploi. Pour les jeunes, ce plan s’articule autour de trois mesures : le plan d'accompagnement qui oblige les jeunes chômeurs à être suivis après 6 mois de chômage par les institutions officielles de placement supposées lui proposer une activité, les programmes de transition professionnelle (PTP) qui vise à donner la possibilité aux jeunes chômeurs peu qualifiés d'acquérir une expérience professionnelle dans le secteur public et non marchand après 9 mois de chômage et enfin, la mesure la plus ambitieuse de la stratégie belge : le "plan Rosetta". Ce dernier consiste à offrir un premier emploi à tout jeune au chômage (contrat de travail à temps plein, d'une période d'un an minimum, avec 100 % du salaire normal). Toutes les entreprises et les administrations (à l'exception de l'enseignement) de 50 travailleurs au minimum sont tenues d'engager des jeunes à concurrence de 3 % de leur effectif. A ces trois mesures, il convient d’en ajouter une quatrième qui ne relève pas directement de la stratégie européenne bien qu’elle s’en inspire. Il s’agit de la réforme de l’aide sociale adoptée en avril 2002 et qui transforme le revenu minimum d’existence en revenu d’intégration sociale. Pour les jeunes de moins de 25 ans, une disposition spécifique leur est destinée ; ils ne peuvent en bénéficier que s’il accepte un emploi. Cette mesure institue une forme de workfare soft. Ces transformations des politiques de l’emploi s’opèrent alors que le gouvernement libéral-socialiste-écologiste entreprend une vaste réforme touchant principalement aux modes de représentations de la protection sociale. DE L’ETAT SOCIAL PROTECTEUR A L’ETAT SOCIAL ACTIF Le ministre des Affaires sociales, Fr. Vandenbroucke, est à l’initiative d’une vaste réforme à la fois idéologique et réglementaire de l’Etat social, réforme à laquelle adhèrent tant les libéraux que les socialistes et écologistes du gouvernement. La déclaration sur la politique fédérale du 12 octobre 1999 précise que l’Etat social actif entend "faire participer un maximum de personnes au processus de travail". La perspective est encore plus explicite dans la déclaration sur la politique générale du gouvernement du 17 octobre 2000 : "Il faut remédier à la faiblesse du taux d’activité. La société doit offrir à tout un chacun une place à part entière, des perspectives d’avenir et la meilleure 7 protection sociale . Le travail est la meilleure arme à cet effet. En outre, le travail élève la personne non seulement dans une perspective économique mais également du point du vue moral". La perspective est donc macro-économique accroître les taux d’emploi -, sociale – acquérir une position sociale - et morale – inculquer l’éthique du travail. Le projet d’Etat social actif du ministre Vandenbroucke est issu de la thèse de doctorat en sciences économiques (2000) que le ministre a consacré aux transformations de l’Etat social en s’inspirant de la théorie de la justice de Rawls d’une part, et s’inscrit dans une réflexion plus ample sur les changements de l’Etat social entreprise par des sociologues et des économistes sociauxdémocrates d’autre part. En effet, la conception de Fr. Vandenbroucke n’est pas neuve, elle s’inscrit dans les analyses relatives à la troisième voie, pour reprendre la terminologie de Giddens qui propose de remplacer le Welfare state par le Social Investment State (1998). En outre, on la trouve aussi chez Rosenvallon qui utilise un terme semblable (État providence-actif). Vandenbroucke inscrit délibérément son analyse dans la perspective du renouvellement de la pensée sociale-démocrate. Selon lui, l’Etat social traditionnel est démodé parce qu’il ne sait pas faire face aux problèmes que pose le vieillissement de la population, au faible taux d’activité et surtout au déséquilibre entre actifs et inactifs. Outre la question des pensions, le vieillissement va tendre à augmenter les frais de l’assurance maladie. Ensuite, la féminisation du marché de l’emploi tend à éloigner l’objectif du plein emploi et l’Etat social traditionnel n’est pas à même de répondre aux besoins naissant de la nouvelle combinaison vie familiale et emploi. Enfin, l’Etat social traditionnel ne propose qu’une allocation et pas une nouvelle chance. Dès lors, "la dépendance des allocations représente, dans une mesure plus ou moins large, une vulnérabilité sociale" (Vandenbroucke, 1999). Sur ce point, la pensée sociale-démocrate nouvelle rejoint les pensées libérales dénonçant les pièges à l’emploi et les incitants au chômage que constituent les allocations sociales (allocations de chômage et aide sociale). L’Etat social actif entend promouvoir une "société de personnes actives" en restaurant deux principes : la participation et la responsabilité. En référence à la sociale-démocratie scandinave, la participation est pensée comme la meilleure manière de combattre la pauvreté, en assurant simultanément un emploi et une protection sociale. La référence scandinave sert à distinguer ce modèle de celui du work for welfare, voire du workfare américain (Mead, 1986 ; Murray, 1984), voire même du New Deal anglais. L’Etat social actif ne s’inscrit pas dans la lignée du modèle libéral résiduel (Esping-Andersen, 1990). La participation n’est pas seulement envisagée comme un emploi ; elle renvoie aussi à des activités pouvant relever de la sphère de la réciprocité pour reprendre le terme de Polany (engagement social, formation, etc.). La deuxième 8 notion à la base de l’Etat social actif est celle de responsabilité. Vandenbroucke se défend de toute assimilation entre responsabilité et faute. La responsabilité telle qu’il l’énonce repose sur une acception de l’égalité privilégiant l’égalité des chances sur l’égalité des résultats, qui se fonderait sur une lecteur de gauche de la théorie de la justice de Rawls (Van Parijs, 1996). L’EMPLOI A TOUT PRIX Quelles sont les incidences de cette réforme idéologique sur les politiques publiques ? La première et la plus importante est une profonde transformation de la frontière entre l’emploi et le chômage. Durant les années 80’, dans une optique très keynésienne et du rapport salarial fordiste, les socialistes ont défendu des mesures qui interdisaient de cumuler les allocations de chômage et une activité professionnelle. Ainsi, les personnes au chômage ne pouvaient absolument pas travailler ; elles devaient être disponibles sur le marché de l’emploi. Dans cette conception, les allocations de chômage constituent aussi le seuil en dessous duquel les salaires ne peuvent pas baisser. Devant les difficultés économiques persistantes, les taux de chômage élevés et l’insistance des discours et des attitudes négatives envers les chômeurs, et parmi eux les jeunes, les socialistes, en échange du maintien du régime des allocations de chômage, se sont convertis à la conception de l’activation des allocations de chômage et de l’emploi à tout prix. Cette conversion trouve aussi des racines dans la pensée sociale-démocrate : la valorisation du travail comme moyen d’intégration dans la société. Cette conversion est présentée comme une optique pragmatique. Les jeunes qui terminent leurs études et entrent sur le marché de l’emploi ne peuvent rester au chômage, cette situation constituerait une entrave à leur intégration. Les mesures gouvernementales consistent en un programme volontariste d’imposition de l’emploi des jeunes aux entreprises et aux administrations publiques par l’intermédiaire du plan Rosetta d’une part, et en des mesures visant à permettre à ceux qui sont considérés comme les plus exclus de transformer une partie de leurs indemnités de remplacement (allocation de chômage ou aide sociale) en une fraction de salaire d’une activité professionnelle par l’intermédiaire des programmes de transition professionnelle d’autre part. S’il est possible de considérer la politique d’insertion du gouvernement comme une forme du workfare (Barbier, 1996) ayant une portée universaliste plutôt que libérale, il est possible d’analyser les mesures plus récentes comme les programmes de transition professionnelle et la réforme de l’aide sociale qui impose la conditionnalité de l’attribution de l’aide aux jeunes à l’exercice d’une activité professionnelle comme de véritables mesures libérales-sociales, des mesures de workfare soft. Il ne s’agit plus de défendre par ces mesures la forme instituée du rapport salarial fordiste codifiant les frontières entre le travail et le non-travail ; une nouvelle articulation non conditionnelle organise les relations entre d’une part, l’activité 9 professionnelle plutôt que l’emploi, et d’autre part, la protection sociale. Les jeunes sont les premiers acteurs à être confrontés directement à cette nouvelle forme d’emploi. Ces formes de mise à l’emploi ont essentiellement deux conséquences sur les jeunes. La première consiste à transférer de la société sur les individus euxmêmes la responsabilité de leur situation. Ainsi, les jeunes qui ne trouveraient pas d’emploi à la sortie des études alors que des mesures leur sont proposées deviennent responsables de leur sort. S’ils ne travaillent pas, c’est en raison de leur manque d’effort et de volonté. La restauration du rôle idéologique de l’entreprise comme acteur économique, au cours des années 80’, dédouane celle-ci de toute responsabilité collective, sauf lors de licenciements collectifs dans le cadre des délocalisations. En outre, les politiques sociales changent de sens ; elles ne visent plus l’égalité des chances mais la recherche de l’offre de ressources à ceux qui en sont démunis au départ. En cas d’échec, la responsabilité ne revient ni aux institutions ni aux agents d’insertion, mais aux individus eux-mêmes. Des politiques sociales telles que le programme de transition professionnelle, le plan Rosetta ou le revenu d’intégration pour les jeunes (aide sociale) visent à offrir des chances non à atteindre des résultats d’égalité. Ces politiques consistent en cela à faire des jeunes au chômage des entrepreneurs de soi (Mauger, 2001). C’est pour ces deux raisons que ces mesures peuvent être qualifiées de formes de workfare soft. Cependant, ces réformes des politiques sociales trouvent aussi un soutien dans les transformations du champ de l’insertion professionnelle en Belgique. En effet, depuis la fin des années 80’, des associations et des professionnels souvent issus de l’éducation permanente (éducation populaire) ont investi le champ de l’insertion pour remédier à la sélection des institutions publiques de formation ou des agences marchandes qui refusaient d’inscrire les "moins employables". Ces associations ont été reconnues durant les années 90’ comme des opérateurs de la formation et de l’insertion professionnelles pour les publics les plus marginalisés sur le marché de l’emploi (jeunes sans diplôme, analphabètes, étrangers, chômeurs de longue durée, etc.). Ces associations et leurs agents historiques ont transféré du champ de l'éducation populaire, l’éducation extra-scolaire, à celui de l’insertion professionnelle certains outils pédagogiques tels que la formation continue et la pédagogie du projet (Grain, 1985). Alors que ces associations ont débuté leurs actions par des formations généralistes ayant pour objectif la détermination d’un projet professionnel pour chacun de leurs usagers, en particulier dans les Missions locales ou les Missions régionales, la rationalisation du champ de l’insertion et la récupération de leur philosophie d’intervention par les autorités politiques nationales et européennes (par exemple, le Fonds social européen) font maintenant de ces acteurs des instances d’orthopédie morale qui inculquent aux usagers les 10 manières d’être conformes aux exigences de la société entrepreneuriale. Pour assurer leur propre subsistance, ces institutions issues de l’éducation populaire adhèrent aujourd’hui à une logique managériale qui consiste à accepter d’organiser des formations "clé sur porte" pour répondre à certains segments du marché de l’emploi, comme par exemple l’usage des programmes de transition professionnelle pour des activités de pavage (place publique et trottoirs), des assistantes logistiques (hôtesses d’accueil) ou des assistantes médicales et hospitalières (aides soignantes). Elles acceptent, par conséquent, d’opérer une sélection des demandeurs d’emploi, ce contre quoi elles s’étaient constituées. Les effets les plus marquants de ces nouvelles politiques sociales s’évaluent par des indicateurs quantitatifs comme les taux d’emploi et les taux de chômage. Ainsi, le chômage des jeunes a effectivement reculé en Belgique depuis 1999 grâce aux mesures d’accroissement des actifs. Cette évaluation repose cependant aussi sur des manipulations statistiques puisque les personnes qui ont une activité professionnelle financée en partie par l’activation de leur allocation de chômage ou l’aide sociale est enregistrée comme des actifs et non des demandeurs d’emploi. Néanmoins, l’orientation politique du gouvernement "arc-en-ciel" et les programmes d’insertion inscrit dans la politique européenne permettent de confirmer la diminution du chômage parmi les jeunes. Cependant, la diminution du chômage ne signifie pas corrélativement la diminution de la précarité. Pour évaluer cet impact, il importe d’intégrer des critères qualitatifs, d’évaluer la qualité de l’exercice de l’activité professionnelle, à savoir le salaire et les conditions de travail. PRECARITE ET QUALITE DU TRAVAIL Pour apprécier les effets des mesures d’insertion et d’activation et leur degré de précarité, nous avons réalisé diverses recherches. Pour le plan Rosetta, les données chiffrées (plus de 50.000 conventions signées) attestent de la réussite de la mesure. Néanmoins, le succès est à nuancer à plusieurs égards. Nous avons pu constater qu’en pratique, le plan Rosetta instaure chez les jeunes une certaine "précarité à l’emploi" et paradoxalement, contribue dans un certain sens à la déstabilisation du marché du travail. Cinq éléments permettent d’affirmer que cette mesure contribue à la déstabilisation de la condition salariale. Les activités professionnelles chez divers employeurs sont souvent de type occupationnel et faussement transitoire. En effet, des activités professionnelles ne correspondent pas nécessairement à un poste dans un procès de production ; elles sont parfois créées pour la circonstance. Dès lors, les jeunes ne peuvent aucunement attendre un engagement ultérieur. Les incitants financiers ne contribuent pas nécessairement à la fixation dans l’emploi. Le plan Rosetta reproduit alors la forme jeune de l’emploi (Rose, 1998) qui encourage la logique de rotation du personnel et sa substitution au sein de 11 l’entreprise. Des jeunes chassent d’autres jeunes. Ces emplois qui ne sont pas précaires si on prend comme référent le salaire (respect des barèmes conventionnels). La précarité tient davantage à l’incertitude quant à la fixation dans l’emploi. Ce type d’emploi concourt en fait à favoriser la généralisation des contrats atypiques (emplois temporaires, à temps partiel, à durée déterminée, etc.), entretenant de la sorte la précarité. Il rend aussi difficile l’intégration des jeunes dans l’entreprise et, notamment au sein des activités des organisations syndicales. D’une manière générale, le plan Rosetta contribue à renforcer la mainmise de l’employeur sur une main-d’œuvre bon marché et qui, en raison de la précarité des conditions d’insertion, est souvent docile. Si la plupart des discours tendent aujourd’hui à valoriser l’emploi choisi chez les jeunes, discours amplement diffusés par les campagnes publicitaires des agences intérimaires ("L’emploi si je veux, quand je veux"), les entretiens réalisés tendent plutôt à conclure à la recherche par les jeunes d’emplois stables et permanents. Pour les jeunes bénéficiant des programmes de transition professionnelle, la précarité ne se limite pas à l’incertitude et au faible intérêt de l’activité professionnelle exercée.Elle renvoie plus au statut même. L’hybridité de ce dernier, chômeur pas tout à fait travailleur et travailleur pas tout à fait salarié, est au principe de nombreuses frustrations et d’une difficulté à s’attribuer une identité professionnelle et statutaire. Le bénéficiaire se trouve dans cette position inconfortable de devoir rendre des comptes d’une part, à son employeur et d’autre part, à l’institution qui active son allocation (Office national de l’emploi ou Centre public d’aide sociale). La précarité de cette mesure s’évalue également par la faiblesse du salaire dans la mesure où le bénéficiaire ne dispose pas nécessairement du barème conventionnel. C’est pourquoi les bénéficiaires se considèrent comme une main-d’œuvre bon marché, même s’ils affirment préférer travailler qu’être au chômage. C’est ce qui constitue la force de ce genre de mesure, elle est insatisfaisante mais elle est préférable à l’inactivité. Des études réalisées sur l’évolution de l’aide sociale, la discrimination à l’embauche des jeunes femmes musulmanes et des sans-abri, il ressort que les politiques sociales actuelles se caractérisent par une référence constante à l’objectif d’intégration. La réforme la plus marquante concerne l’aide sociale qui est résulte d’une forme d’importation-traduction de mesures d’un autre pays européen, en l’occurrence la France, appréhendée comme un best practice. Alors que le revenu minimum d’existence depuis sa création en 1974 ne prévoyait aucune conditionnalité de l’aide, l’accroissement constant des demandeur âgés de moins de 25 ans a conduit le gouvernement à s’approprier l’esprit de la loi du RMI français. L’aide sociale pour les moins de 25 ans n’est pas supprimée mais elle est conditionnée à l’exercice d’une activité professionnelle. Pour bien 12 marquer l’objectif de la réforme, le gouvernement a changé le nom de l’aide sociale qualifiée dorénavant de contrat d’intégration. Le terme de contrat évoque que le revenu octroyé fait l’objet d’un contrat négocié entre l’usager et les services sociaux. Quant au terme d’intégration, synonyme d’insertion désigne l’objectif visé. Toutefois, à l’inverse des politiques sociales keynésiennes et celles du rapport salarial fordiste, l’intégration n’est plus considérée comme une forme d’interdépendance entre les individus et un objectif sociétal devant être réalisé par l’Etat et ses institutions. L’intégration est une injonction imposée aux individus qui vivent dans les conditions les plus précaires. Les précarisés sont sommés de s’intégrer. Ils sont responsables de leur sort et doivent participer à la vie collective non pour contribuer à la formation d’une propriété sociale mais pour disposer des ressources financières et sociales pour se réaliser comme individu autonome. Ces diverses mesures qui s’inscrivent dans les lignes directrices des politiques européennes cherchent avant tout à limiter les investissements publics et à transférer sur les individus eux-mêmes la charge de la sortie du chômage. Si les mesures analysées ne s’apparentent pas au workfare américain, elles s’en inspirent. Afin d’analyser l’impact exact de ses mesures nationales et européennes, il convient indéniablement d’introduire dans l’analyse des indicateurs qualitatifs permettant de mieux apprécier ce que la notion de précarité recouvre. BIBLIOGRAPHIE Barbier, J.-C. (1996), “Comparer workfare et insertion”, Revue française des affaires sociales, n°4, pp. 7-27. CEDEFOP (1981), Le chômage des jeunes et la formation en alternance dans la CEE, Berlin, CEDEFOP. CEDEFOP (1982), La formation en alternance pour les jeunes dans la CEE, Berlin, CEDEFOP. Chamboredon, J.-Cl. (1985), ”Adolescence et post-adolescence : la juvénisation”, in Alléon A.-M. et al. (Eds), Adolescence terminée, adolescence interminable, Paris, PUF, pp. 13-28. Delors, J. (1993), Croissance, compétitivité et emploi, Livre Blanc, Luxembourg, Supplément 6/93 au Bulletin des CE, Office des publications officielles. Erbes-Seguin, S., Gilain Cl. 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