Les politiques d`activations:le modele europeen du workfare

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LES POLITIQUES D'ACTIVATIONS : LE MODELE EUROPEEN
DU WOKFARE
Andrea Rea (GERME, Université Libre de Bruxelles)
Au début des années 80’, les notions d'insertion professionnelle et
d’exclusion sont associées à la situation des jeunes sans emploi. Cette
terminologie française, inexistante en Allemagne et au Royaume-Uni, définit un
mode d’intervention étatique spécifique. Dès le début des années 80’, la
politique d'insertion professionnelle des jeunes vise à lutter simultanément
contre la privation d’emploi (chômage) et la possible relégation sociale
(exclusion). Dans une première phase, cette politique est définie prioritairement
par des impératifs nationaux. Néanmoins l’Union européenne et ses institutions
jouent déjà un rôle d’orientation, comme nous le verrons. A partir de 1995
(Livre blanc) et plus précisément à partir du Traité d’Amsterdam (1997),
l’influence européenne est déterminante tant sur les objectifs que sur le contenu
et le vocabulaire des programmes nationaux.
En Belgique, le chômage des jeunes atteint statistiquement son point
culminant en 1981. Comme en France, au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne,
le chômage des jeunes devient un problème social et l’objet d’une politique
spécifique dès le début des années 80’ même si la diversité des législations, des
nomenclatures, des classifications utilisées dans les pays européens pour
comptabiliser le nombre de chômeurs rend ardue les comparaisons
internationales. Le chômage est aussi le produit de législations et d’institutions
(Salais et al., 1986). Entre 1985 et 1990, l'amélioration de la conjoncture
économique produit une baisse du taux de chômage au sein des pays de la
Communauté européenne, passant de 14,9 % à 12 %. A partir de 1991, la
tendance à la baisse des taux de chômage s'inverse dans pratiquement tous les
pays européens et en particulier en Belgique, en France, en Irlande et au
Royaume-Uni. Par contre, la situation du chômage en Allemagne se dégrade
notamment suite à la réunification. Parmi les catégories statistiques les plus
touchées par cette hausse du chômage figure celle des jeunes.
Un profond changement s’opère durant les années 90’ tant en termes
d’interprétation du chômage des jeunes qu’en termes d’interventions publiques
pour y remédier. En effet, durant une première période (1981-1997), le chômage
des jeunes est essentiellement interprété en termes de déficit de formation et de
qualification. La politique de l’emploi reste dominée par les mesures passives,
reposant principalement sur l’octroi d’allocations attribuées aux personnes
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privées d’emploi. Néanmoins, les pouvoirs publics développent des dispositifs
de formation. Particulièrement pour les jeunes, la formation du salarié est
considérée comme primordiale pour lutter contre le chômage. Par contre durant
la deuxième phase, davantage marquée par une convergence européenne, la
préoccupation essentielle devient celle de la formation du salaire. L’emploi
coûte cher aux entreprises. La politique de l’emploi multiplie alors les mesures
actives ayant pour objectifs d’augmenter les taux d’activité en intégrant le plus
possible les inactifs sur le marché de l’emploi. La lutte contre le chômage des
jeunes, comme d’autres catégories de la population, passe par une mobilisation
des chômeurs, une activation des dépenses sociales, une flexibilité des
conditions d’embauche et de travail, une dégradation et une précarisation des
formes de stabilisation sur le marché de l’emploi (Supiot, 1999). Cette politique
publique peut être qualifiée de sociale-libérale, synthèse hybride entre d’une
part, une politique libérale visant la flexibilisation radicale du marché de
l’emploi (déréglementation de la législation sur les contrats de travail) et la
diminution des dépenses sociales liées au chômage et d’autre part, une
politique sociale-démocrate cherchant à maintenir des minimas sociaux (salaire
minimum garanti, revenu minimum d’existence, allocations de chômage) et un
système de protection sociale renouvelé.
Cette synthèse hybride converge sur un point qui en fait une orientation
unitaire basée sur une croyance partagée : la primauté de la remise au travail
des inactifs. Pour les libéraux et pour les socialistes, cette orientation offre la
seule possibili pour assurer la croissance économique, ce qui permet aussi
pour les premiers de réduire l’intervention publique et pour les seconds de
lutter contre les formes de marginalisation. Cette deuxième phase de la
politique de l’emploi est au centre des études menées dans le cadre de cette
recherche. A l’instar de périodes antérieures de l’histoire des Etats européens, la
société est de plus en plus dominée par le libéralisme économique et espère,
comme après la période des lois de Speenhamland (Polany, 1983) en Angleterre
(1795-1834), constituer un grand marché de l’emploi dépourvu de
réglementations faisant de chaque travailleur un entrepreneur de soi. Dans cet
esprit, les politiques publiques nationales et européennes sont
fondamentalement conçues à partir du référentiel du marché (Muller, 1989).
LE DEFICIT DE LA FORMATION ET LES VERTUS DE L’ALTERNANCE (1983-
1997)
En Belgique, la grande transformation du marché de l’emploi des jeunes
se déroule entre 1974 et 1984. En effet, les jeunes de moins de 25 ans perdent un
tiers de leur possibilité d’emploi alors que les autres groupes d’âge, à
l’exclusion des plus de 54 ans, connaissent une situation stable. Signe d’un
profond changement, l’emploi ouvrier chez les jeunes régresse brutalement (-
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41 %). Pour les jeunes de moins de 20 ans, l’emploi a pratiquement disparu
(Rea, 1991). Dans le même temps, la généralisation de la scolarisation et
l’allongement des études se poursuivent. Les taux de scolarisation des jeunes de
16 et 17 ans sont passés respectivement, entre 1970 et 1982, de 66,2 % à 84,2 % et
de 52,7 % à 68,1 %. Allongement de la scolarité et exclusion du marché de
l’emploi des plus jeunes constituent les deux caractéristiques de la situation des
jeunes au début des années 80’.
Face à cette situation, le traitement du chômage des jeunes est marqué
par trois types d’intervention étatique (Erbès-Seguin, Gilain, 1990). La première
consiste à intervenir sur la gestion des flux de main-d’œuvre. Ainsi, en 1983 le
gouvernement décide de prolonger l’âge de l’obligation scolaire de 14 à 18 ans,
postposant ainsi l’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi. À l’époque, le
chômage des jeunes est essentiellement interprété en termes de déficit de
formation. Selon les discours patronaux, et souvent gouvernementaux, les
jeunes manquent de qualification. L’école subit alors de nombreuses critiques,
elle serait incapable de fournir aux entreprises les salariés formés qu’elles
attendent. Pour combler ce déficit de formation, la prolongation de scolarité
s’accompagne d’un deuxième type d’intervention. L’Etat aménage les
réglementations relatives à l'emploi en créant de nouveaux statuts de salariés-
étudiants et en développant les formations en alternance qui viennent s’ajouter
à la forme historique de l’apprentissage, très utilisé par les petits indépendants
et les artisans. Enfin, l’action de l’Etat se déploie également en accroissant le
volume de l’emploi, notamment en finançant l’engagement d’agents
temporaires dans les secteurs privé et public et en imposant aux entreprises et
aux administrations, en contrepartie de primes, l’embauche de jeunes de moins
de 30 ans (stages ONEm) à concurrence de 2 % de l’effectif qu’elles occupent.
La politique d'insertion professionnelle se caractérise principalement par
ses modalités d'application que sont les dispositifs d’insertion et par le public
visé, essentiellement les jeunes. Ces derniers sont perçus, à partir du début des
années 80’, comme une catégorie vulnérable sur le marcde l’emploi. L’Etat
propose des actions agissant simultanément sur la formation et sur la mise au
travail en subsidiant outre les institutions publiques, des associations ainsi que
de nouveaux dispositifs d’insertion, surtout du côté francophone, tels que les
associations d’insertion professionnelle, les entreprises d’apprentissage
professionnel, les missions locales, les missions régionales, etc. L'insertion
professionnelle ne dépend plus de la seule rencontre entre un employeur et un
demandeur d'emploi ; elle est organisée institutionnellement formant un quasi-
champ de l’insertion. Cette politique publique se fonde sur l’organisation et la
professionnalisation de nouveaux intermédiaires chargés de trois missions :
l'accueil et l'accompagnement des demandeurs d'emploi, la formation et la mise
au travail. Pour les jeunes encore en obligation scolaire et auxquels sont
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proposées des formations en alternance, à l’exception de l’apprentissage,
l’intermédiaire institutionnel reste l’école qui fournit la partie formative et
éducative de ce dispositif. Tous ces dispositifs modifient, par leur existence et
leur action, l'organisation du passage de l'école à l'emploi transformant aussi les
identités de ces jeunes de moins en moins fondées sur des critères liés au travail.
Ils participent au processus de juvénisation (Chamboredon, 1985) réorganisant
et généralisant un nouvel âge : l’interminable jeunesse.
Dans la mesure les formations en alternance sont aussi organisées par
les entreprises, ces dernières jouent un rôle déterminant dans le processus de
sélection des candidats induisant dans la pratique une hiérarchie des formations
proposées. Ainsi, les formations en alternance n'échappent pas à une logique
classificatoire basée sur un critère essentiel : le niveau scolaire atteint. La mise
en relation d'une part, du public auquel est destinée chacune des formations et
des spécificités de chacune des formes d'alternance, et d'autre part, des
conditions d'accès et des contrats offerts, fait apparaître la hiérarchisation des
formations en alternance. Plus le jeune est déclassé scolairement, plus la
probabilid'accéder à une formation en alternance performante diminue. Les
avantages attribués sont inversement proportionnels au degré de
marginalisation. La formation en alternance imaginée pour le public le moins
marginali cumule le programme le plus finalisé, le meilleur statut pour le
jeune, les exonérations des charges patronales les plus importantes. Par ailleurs,
dans la mesure ces contrats sont développés majoritairement dans des
secteurs importants, ils peuvent bénéficier de tous les avantages y afférents.
Inversement, les jeunes les plus marginalisés doivent se satisfaire de la
formation en alternance la moins articulée, dans le cadre d'un contrat
extrêmement précaire.
L’imposition des formations en alternance s’inscrit dans un processus
d’importation et de traduction européenne de ce type de dispositif. En effet, au
début des années 80’, la faiblesse du chômage des jeunes en Allemagne est
associée aux vertus du Dual system de ce pays. Le patronat vante les mérites de
ce système la formation est fournie par les entreprises qui sont plus à même
de fournir une formation professionnelle performante. Cette importation
s’exerce par l’intermédiaire de la Communaueuropéenne. À la fin des années
70’, plusieurs documents de la Communauté européenne incitent les Etats
membres à développer des formations en alternance : une directive de la
Commission et la résolution sur la formation en alternance adoptée par le
Conseil des Ministres en décembre 1979 fournissent les axes de cette politique.
Les réflexions et les orientations relatives à la formation en alternance sont
particulièrement approfondies et font l’objet de nombreuses publications du
CEDEFOP (1981 ; 1982) ou d’experts (Jallade, 1982). Par ailleurs, le Fonds social
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européen attribue des aides financières à ce type d'action qui se multiplie en
Belgique, mais aussi en France, en Espagne et en Italie.
En raison de la structure historique des relations entre les écoles et les
entreprises (Maurice et al., 1982), les formations en alternance ne produisent pas
les effets escomptés en Belgique, comme dans les autres pays européens.
L’importation de pratiques considérées comme bonnes s’avère déjà une illusion.
Malgré le financement public considérable de ces dispositifs, ceux-ci ne sont que
faiblement utilisés par les entreprises elles-mêmes. Dans le même temps, un
changement s’opère quant au diagnostic du chômage en général et celui des
jeunes en particulier. Ce serait moins le déficit de la formation ou encore
l’inadéquation de la formation à l’emploi qui poserait problème que les coûts
du travail. Un glissement s’opère de la formation du salarié à la formation du
salaire. Dans ce changement d’interprétation du chômage, une convergence de
solution à partir de prémisses analytiques différentes se constitue. La mise à
l’emploi devient la priorité de la pensée conservatrice et de la pensée
travailliste, synthèse qui organise la politique de l’emploi belge produite par
des gouvernements de coalition sociaux-chrétiens/socialistes (1988-1999) et
ensuite libéral, socialiste et écologiste (1999-2002).
LES POLITIQUES ACTIVES : LA CONVERSION DES POLITIQUES
PUBLIQUES
La publication du Livre Blanc de Jacques Delors (1993) sur la
Compétitivi et l'Emploi et le Conseil européen d'Essen (décembre 1994)
constituent incontestablement des dates-clés pour le développement de la
politique européenne de l'emploi. Ces deux événements initient le
déclenchement du processus de convergence des politiques nationales de
l'emploi au niveau européen. Pour la Commission, le défi majeur réside dans
l’indispensable conjugaison des exigences de l’économie - la compétitivi
internationale et la création d’emplois - et de la protection du modèle social
européen. Selon elle, cette conjugaison n’est possible que dans le cadre d’"une
économie saine, ouverte, décentralisée, compétitive, solidaire" (Delors, 1993 :
12), et elle préconise un "changement profond de la politique de l’emploi, qui
doit être replacée au cœur de la stratégie d’ensemble". Le Conseil européen
d'Essen a véritablement engagé le processus de convergence des politiques
d'emploi des Etats membres en identifiant cinq domaines prioritaires. Parmi
ceux-ci figurent les objectifs classiques comme le renforcement des
investissements dans la formation professionnelle et celui des mesures en
faveur des groupes particulièrement menacés d’exclusion du marché du travail
(les jeunes, les femmes, les travailleurs âgés, les chômeurs de longue durée). On
y trouve aussi d’autres axés plus directement sur la mise au travail : croissance
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