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La psychiatrie évolutionniste
Albert DEMARET *
ABSTRACT
Evolutionary psychiatry
The authors perspective is that of a naturalist and ethologist. ln this paper, he looks for
evidences of phylogenetic components inherited from evolutionary adaptive behaviours in the
etiology of psychopathological syndroms: bipolar depressions, seasonal affective disorders,
obsessive-compulsive disorders, hysterical syndrome, impulsive behaviours, eating disorders,
etc. Evolutionary psychiatry which sets present human pathological behaviour in the context
of our species past evolution and of our ancestor's adaptations to their natural environment}
leads the psychopathologist to revise certain of classic concepts in this field and resort to
some of the concepts used by the ethologists, such as territory, hierarchy, allo-grooming and
altruistic behaviour. It constitutes an invitation to reconsider the heredity of mental disorders
in the light of phylogenetic consideration. As Freud and Lorenz have always recommended,
one should not dissociate ontogeny from phylogeny in the study of human behaviour, whether
normal or pathological.
Key words: Evolutionary psychiatry, Ethology, Territoriality, Grooming, Altruism,
Mania, Depressions, Hysterical and obsessive-compulsive disorders, Eating disorders,
Adaptation, Phylogeny, Animal models, Hunters-gatherers.
La psychiatrie évolutionniste est une approche épigénétique des maladies
mentales, donnant une place importante
à
la phylogenèse dans l'étiologie des
syndromes et symptômes psychiatriques. Selon cette perspective, les maladies
mentales ne sont pas seulement le produit de facteurs familiaux, sociaux et
culturels, mais aussi de facteurs génétiques dont certains, loin d'être «morbides »,
sont au contraire des programmes phylogénétiques de comportements adaptatifs
hérités d'époques plus ou moins lointaines du passé de l'espèce. Elle est une
psychiatrie biologique au même titre que l'éthologie est une «biologie du
comportement» (Eibl-Eibesfeldt, 1972; Ruwet, 1969).
* Neuropsychiatre. Président de la Société Royale de Médecine Mentale de Belgique. Médecin-spécialiste des
Hôpitaux de l'Univ. de Liège. Service de Médecine psychologique et de psychiatrie dynamique (Pr. D.
Luminet).
198
ETHOLOGIE ET PSYCHIATRIE
De l'Animal à l'Homme
L'intérêt des analogies
S'il existait encore des représentants des espèces intermédiaires entre l'homme et
l'animal, des
Homo erectus, des Homo faber, des Australopithèques,
et des espèces
constituant les « chaînons manquants
»,
il ne serait sans doute pas nécessaire de
recourir aux analogies de comportements que nous offrent les espèces animales
contemporaines pour comprendre la phylogenèse de nos conduites. Et il serait plus
aisé d'établir des homologies. Mais il ne nous reste que les espèces animales
actuelles.
De la même façon qu'il a fallu se baser sur l'anatomie comparée pour reconstituer
la phylogenèse des organes ne laissant pas de fossiles, il faut recourir à
l'éthologie
comparée pour reconstituer la phylogenèse des comportements. Les homologies de
programmes phylogénétiques sont a priori les plus intéressantes parce qu'elles
témoignent d'une origine commune. Elles se voient chez les primates proches, en
particulier chez les Chimpanzés commun
(Pan troglodytes)
et nain
(Pan paniscus).
Toutefois ces espèces n'ont pas évolué dans le même milieu que l'espèce humaine,
et à ce point de vue elles ne peuvent nous donner que des indications plus limitées
que ce que l'on pourrait espérer sur la base de leur proximité génétique. Il faut donc
aussi étudier les espèces, me éloignées au plan phylogénétique, qui ont évolué
dans des milieux comparables à l'environ-
ETHOLOGIE ET PSYCHIATRIE
199
nement primitif de l'homme, une forme de savane tropicale arborée. Les Babouins
comptent parmi celles-ci. Mais des enseignements peuvent être retirés d'espèces
encore plus éloignées, par exemple de la comparaison des comportements des
ongulés solitaires et forestiers, relativement proches des ancêtres du groupe entier
des ongulés, avec ceux qui ont colonisé les savanes en formant des groupes ou des
troupeaux (Schäppi, 1979; 1981), et même de l'observation des oiseaux (Lorenz,
1989).
Ces espèces nous montrent des programmes de comportements adaptatifs à des
milieux naturels variés. Certains de ces milieux ont pu constituer à des phases
successives de l'évolution, les environnements naturels auxquels notre espèce et ses
ancêtres ont s'adapter également. Si des programmes analogues semblent
décelables dans les comportements «normaux» ou «pathologiques» de l'homme, on
est fondé à
les considérer comme de possibles héritages phylogénétiques
d'anciennes adaptations comportementales à
ces milieux, comme des témoignages
d'une phénomène de «convergence» au cours de l'évolution.
Rappelons comme exemple d'analogies au plan anatomique, la patte antérieure
fouisseuse des taupes et des courtilières. Ces analogies ne révèlent évidemment
aucune parenté entre ces mammifères et ces insectes, mais témoignent que ces
espèces ont subi des pressions évolutives comparables dans des milieux semblables.
Il en va de même pour les comportements. Pour plus de détails sur ce sujet
important, le lecteur peut se reporter à
Lorenz (1974) et à
Eibl-Eibesfeldt (1974).
Le thème des analogies et des homologies nous donne l'occasion de dire quelque
mots sur le sujet des
pleurs
et des
larmes)
développé par van Renynghe de Voxvrie
(1991). Psychiatres ou psychothérapeutes, quelle que soit notre empathie envers nos
patients, nous ne nous étonnons pas assez de ce comportement hautement
spécifique des pleurs que nous voyons se produire tous les jours dans nos thérapies
et de la contagion émotionnelle qu'il tend à créer. Son origine ne se découvre pas
dans les observations primatologiques, puisque même nos plus proches cousins
dans la phylogenèse ne pleurent pas. Les pleurs sont, de ce
point de vue, encore
plus spécifiques de l'Homme que le rire. Les seules analogies que l'on peut faire à
propos des larmes renvoient aux mammifères marins, qui ont aussi d'importantes
glandes lacrymales, dont la fonction est d'éliminer les sels en excès. Or, l'hypothèse
d'une période de notre phylogenèse pendant laquelle nos ancêtres seraient passés
par une phase aquatique transitoire n'est pas insoutenable (Hardy, 1960; Morgan,
1972, McNaughton 1989). Elle a été desservie par les regrettables fictions et les
dangereuses applications «thérapeutiques» (par exemple naissance sous l'eau) que
certains se sont empressés
de
développer Mais il est défendable de faire certains
parallélismes entre quelques-unes
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ETHOLOGIE et PSYCHIATRIE
des caractéristiques anatomiques, physiologiques et comportementales de notre
espèce avec celles de mammifères qui se sont adaptés à la vie aquatique,
notamment par la réduction du pelage et l'apparition de graisse sous-cutanée:
otaries, phoques, etc.
En ce qui concerne les larmes, l'hypothèse est qu'après avoir eu une fonction
physiologique d'élimination des sels absorbés en excès pendant cette phase de la
phylogenèse en milieu marin, complémentaire à celle du rein produisant les urines,
les glandes lacrymales surdéveloppées ont été conservées, après l'abandon de la
phase aquatique, à des fins de communication non-verbale des émotions. Il est
certain que les pleurs exercent une forte influence sur autrui et inhibent l'agressivité
(jusqu'à un certain point en tout cas).
Dans cette perspective, nous rappellerons une idée émise par D. Morris (1972),
mais qui paraît avoir été délaissée ensuite, selon laquelle les larmes auraient le
pouvoir de déclencher les soins de type parental, de la même façon que
l'écoulement de l'urine chez le nourrisson déclenche les gestes d'essuyer et de
sécher la peau inondée. On pense à l'analogie avec les canidés, le chiot parvenant à
calmer instantanément l'agressivité des adultes en colère en se jetant sur le dos et en
émettant quelques gouttes d'urine, un des comportements de type infantile auxquels
recourent les chiens dominés pour exprimer leur soumission. Si l'on pouvait con-
firmer un jour que pleurer a effectivement eu chez l'homme une première fonction
physiologique parallèle à celle d'uriner, il serait d'autant plus fascinant de découvrir
que l'apparition de la nouvelle fonction de signalisation s'est produite en conservant
la trace de la fonction première, réutilisant, comme c'est souvent le cas dans les
processus évolutifs, des matériaux existants pour construire du nouveau.
Comme le sourire, les larmes peuvent être un stimulus-signal inhibiteur de
l'agression. Mais comme c'est le cas pour beaucoup d'autres signaux « ritualisés »
d'apaisement, l'effet n'est pas garanti. Contrairement à ce que Lorenz a pensé, la
ritualisation des conduites agonistiques ne supprime pas tout danger de meurtre,
même chez les animaux. On connaît maintenant de nombreux exemples
d'infanticides par des mâles de différentes espèces, et notamment de primates
comme les Langurs, les Gorilles et les Chimpanzés. Nous ne pouvons développer
ce sujet ici, mais nous saisirons seulement l'occasion de suggérer que les pleurs et
les larmes révèlent peut-être aussi par leur existence la nécessité de dresser un
maximum d'inhibitions contre l'agressivité naturelle dans notre espèce. Ainsi que
nous l'avons déjà exprimé par ailleurs, notre espèce est, au plan de la biologie des
comportements, à la fois plus agressive et plus altruiste que les autres (Demaret,
1987). Les influences culturelles ne font que renforcer ou inhiber ces
prédispositions biologiques (Schäppi, 1981).
ETHOLOGIE ET PSYCHIATRIE
201
La Durée: une quatrième dimension de la Métapsychologie
Certains syndromes psychiatriques paraissent porteurs de traces de l'influence de la
phylogenèse plus nettement reconnaissables que les comportements des sujets
indemnes de pathologie. Toutefois la psychiatrie n'est pas le seul domaine où
s'expriment de façon privilégiée des programmes de comportement conservés du
passé de l'espèce. Des émotions fortes et soudaines, par exemple, peuvent faire
apparaître des réactions «toutes faites
»,
non apprises et cependant adaptatives,
même si elles ne réussissent pas toujours. Il en est ainsi du « réflexe de mort
»,
que
chacun peut présenter devant un danger terrifiant - comme devait l'être la brusque
apparition d'un prédateur dans le milieu primitif - et qui est tout à fait analogue à
celui observable chez les animaux. Des exemples bien connus sont donnés par la
couleuvre, l'opossum et d'autres espèces comme le lapin, qui présentent cette
réaction d'immobilisation, parfois qualifiée, de façon assez approximative,
d'hypnose animale. L'expérience du R.P. Kircher sur la poule est largement connue.
La psychopathologie amplifie cette réaction, occasionnelle et brève chez le sujet
normal, jusqu' à réaliser le syndrome catatonique, chronique ou récidivant chez les
schizophrènes anxieux (Vieira, 1972; Gallup et Maser, 1977, Demaret, 1979; 1984).
Cette réaction repose très certainement sur un programme phylogénétique construit
à une époque lointaine de l'évolution et conservé en raison de sa valeur de survie.
La réapparition de conditions d'environnement très hostiles, comme on peut
l'observer en temps de guerre, par exemple, peut être aussi un révélateur de la
nature adaptative de certains comportements jugés pathologiques dans les
conditions de vie normale. Nous pensons à un grand nombre de comportements dits
« impulsifs
»,
tels les passages à l'acte psychopathiques, l'attrait pour le jeu,
certaines formes de boulimie, de kleptomanie, la pyromanie, etc., sur lesquels nous
reviendrons, et qui ont pu être à la base de conduites adaptatives chez les chasseurs-
cueilleurs de la préhistoire.
On doit se rappeler que les périodes pendant lesquelles se sont produites les
adaptations comportementales de notre espèce, au cours de l'évolution, représentent
une durée à proprement parler inimaginable, se comptant par millions d'années. Il
n'est guère défendable de soutenir que les programmes mis en place pendant cette
longue durée se sont effacés dans le courant des quelques derniers millénaires, en
raison de l'apparition du langage et de l'évolution culturelle qui les auraient rendus
sans fonction. Déjà la période pendant laquelle notre espèce à évolué en subsistant
de la chasse et de la cueillette, et qui représente une étape essentielle de
l'hominisation, s'étend au moins sur deux millions d'années, soit quatre cent fois la
période historique, si on estime celle-ci à cinq mille ans. Et si
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