congrès international en management et gestion des projets

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LA GESTION DE PROJET HORS DES SENTIERS BATTUS :
L’ECLAIRAGE DES PERSPECTIVES POLITIQUE ET
PSYCHOSOCIALE
JAN SAINT-MACARY ET LAVAGNON IKA
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC EN OUTAOUAIS
RÉSUMÉ/ABSTRACT
Introduction
Cet article vise à faire ressortir certaines insuffisances de l’approche rationnelle en
gestion de projet —où l’on présume que le projet est le seul niveau d’analyse pertinent—
et à proposer une lecture plurielle à travers le triple prisme du mandat, du mandant et du
mandataire. Le gestionnaire de projet pourra regarder le projet dans la perspective
rationnelle du mandat, lorsque les critères d’efficience prévalent ex ante dans les
organisations parente et cliente; dans la perspective politique du mandant, si les
organisations sont elles-mêmes très politisées et ont des attentes divergentes à l’égard du
projet; et dans une perspective psychosociale axée sur le mandataire, lorsque les
membres qui participent au projet jouissent de beaucoup d’autonomie, sans crainte indue
de sanctions.
Vous voilà nommé gestionnaire de projet. Il vous faut répondre aux exigences de qualité
du client, pour créer, élaborer, mettre en place ou faire évoluer un produit ou un service,
tout en respectant des délais et un budget extrêmement serrés. Par expérience, vous savez
toutefois que les projets connaissent souvent des dérapages, des dépassements de délai et
de coût, et les déceptions des parties prenantes. Afin de pallier ces éventualités, vous
procédez à la planification opérationnelle détaillée du projet et vous vous apprêtez à faire
un suivi attentif de ses paramètres de délai, de coût et de qualité. Vous espérez ainsi
atteindre l’unique objectif spécifique du projet.
Voilà une lecture plutôt traditionnelle du projet qui s’inscrit dans une perspective selon
laquelle les organisations et les projets sont des entités rationnelles, objectives, libres de
tensions politiques, sociales, et culturelles majeures. Si ces hypothèses semblent être
adéquates dans le cadre de la gestion quotidienne et opérationnelle des organisations,
elles peuvent être irréalistes et mêmes trompeuses dans le contexte de projets, où les
individus et les organisations provenant de disciplines et d'horizons divers sont appelés à
travailler ensemble pour accomplir quelque chose d’unique, d’inédit et d’importance.
L’objectif de cet article est de proposer et d’évaluer deux alternatives à la perspective
rationnelle de l’organisation qui domine en gestion de projet : une perspective politique
ainsi qu’une perspective psychosociale de l’organisation et du projet. Il s’agit de deux
lectures concurrentes mais complémentaires dont l’éclairage est, à notre sens, utile pour
la gestion des projets en général et même indispensable dans certains cas. Dans cet
article, nous examinons le projet selon des perspectives qui sont donc peu abordées dans
la littérature.
La perspective rationnelle de l’organisation, in vitro : le projet en tant qu’activité
objective mandatée [pour passer de l’idée à l’action]
Comme l’organisation monolithe dont il est issu, le projet est réifié, c’està-dire considéré comme une entité concrète, qui a ses fonctions, ses
parties, ses structures, et ses relations avec l’environnement, et une
existence qui transcende celle de ses membres (Linehan et Kavanagh,
2006). Le projet est donc mobilisé pour réaliser un objectif spécifique qui
est unique, externe et consensuel : le mandat du projet. L’efficience, notamment le
respect des contraintes de délai et de coût, y est non seulement possible mais essentielle
pour le succès du projet et pour en comprendre le fonctionnement. Du coup, le problème
du projet est, d’abord et avant tout, technique et de gestion, et en conséquence, il suffit,
de façon rationnelle et objective, de bien planifier et contrôler pour le réussir. Tel un
architecte, le gestionnaire du projet l’aborde à travers le prisme d’une approche
prescriptive, universelle, mécaniste, instrumentale, monolithique, générique et
professionnelle (Cicmil et al., 2009). Ainsi, le projet fait le mandat et vice versa. Réussir
l’un, c’est donc réussir l’autre.
La perspective politique de l’organisation, in situ: le projet en tant
qu’instrument [au service de plusieurs groupes mandants]
L’organisation est constituée de plusieurs coalitions qui ont des attentes
divergentes à l’égard du projet, lequel est d’ailleurs un instrument pour
chacune d’entre elles. « Compromis entre le possible de la situation et le
souhaitable des finalités », le projet exige une médiation de ses objectifs
opératoires, et des motifs, mobiles et désirs plus ou moins implicites de
ses nombreuses parties prenantes (Boutinet, 2005: 258 et 269). Ces multiples pressions
externes font que le projet est tiraillé et que ses objectifs multiples voire contradictoires
doivent être négociés et réconciliés au mieux. Tel un politicien, le gestionnaire du projet
doit évoluer dans une arène où les conflits, la négociation, et les compromis entre les
intérêts des coalitions prennent toute leur importance. Ainsi le projet est plus que le
mandat, car les mandants font plutôt le projet. Le réussir, c’est le réussir pour les
mandants – mais lequel ? « Such political perspectives on projects tend to suggest the
need for a wider picture which considers what goes on in the social construction of
projects and project management by focusing on who and which agendas are included or
excluded from decision-making processes… » (Cicmil et al. 2009: 85).
La perspective psychosociale de l’organisation, in vivo : le projet en tant que construit
social [conçu par ses membres mandataires]
L’organisation est constituée par des membres qui y adhèrent et qui
contribuent au projet pour des raisons personnelles et collectives. Le
projet ne se trouve-t-il pas souvent entre logiques individuelles et
logique collective (Boutinet, 2005) ? Les membres en conçoivent donc
les frontières et les objectifs de façon progressive, au fil du temps. La satisfaction de leurs
besoins et de leurs attentes est donc essentielle à la bonne conduite et au succès ultime du
projet. L’exemple du promoteur qui se projette lui-même à travers le projet est intéressant
car « …il n’y a pas de projet sans auteur, un auteur individuel ou collectif qui authentifie
le travail de conception et de réalisation qu’il est en train de mettre en place à travers son
projet – Car projeter, c’est toujours « se » projeter» (Boutinet, 2005, p. 255). Tel un
sociologue, le gestionnaire de projet gagnerait à appréhender ces logiques individuelles et
collectives, c’est-à-dire, les besoins, les perceptions et les attentes des membres. Ainsi, le
projet est plus que le mandat, il dépasse les mandants, et les mandataires font plutôt le
projet. Le réussir, c’est le réussir pour les mandataires – mais lequel ?
Cadre méthodologique
Cet article est conceptuel. En ce sens, il s’appuie sur une analyse de la littérature de la
gestion de projet, sur l’expérience de ses auteurs, et plus spécifiquement sur la théorie de
l’agence (Agency theory) pour contraster les prismes du mandat, du mandant et du
mandataire du projet. Afin de permettre au lecteur de se familiariser avec les lentilles des
différentes perspectives et d’apprécier les caractéristiques, l’apport et les limites de
chacune d’entre elles, les auteurs les illustreront à l’aide d’un exemple concret,
d’envergure internationale.
Références
Boutinet, J-P. (1990), Anthropologie du projet, Paris, PUF, réédition : 2005, Quadrige.
Cicmil, S., Hodgson, D., Lindgren, M. & Packendorff, J. (2009). Project Management Behind the façade.
Ephemera, Theory & politics in organization, 9 (2), 78-92.
Linehan, C., Kavanagh, D. (2006). From Project Ontologies to Communities of Virtue. In D. Hodgson,
Cicmil, S. (ed.) (2006). Making projects critical. New York: Palgrave Macmillan, 51-67.
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