30 Mars 1966
Je rappelle aux quelques-uns d'entre vous qui
n'étaient pas là la dernière fois que
l'administration de l'Ecole m'a chargé de vous
demander de ne pas fumer, de ne pas fumer, cher
Alain. C'est une demande de l'administration de
l'Ecole.
Cette dernière fois, donc, Je vous ai parlé au
premier abord de ce que je pouvais en donner,
immédiatement de ma visite aux Amériques. C'est là un
sujet qui n'a pas fini, je pense, de porter ses
fruits, ou ses conséquences, dans la suite de ce que
j'aurais à vous dire. Pour aujourd'hui, nous le
laisserons radicalement de côté. On m'entend au fond?
Pas très bien. Et que donc, ce sujet, je ne le
reprendrai pas aujourd'hui. Je n'ai pas parlé que de
cela la dernière fois et pour ce que j'ai dit
d'autre, je me suis aperçu que j'avais mis, disons
certains, dans l'embarras, pour ne pas dire, produit
chez eux quelque scandale. En effet, j'ai touché à
deux points: le premier, à cause de l'article de
Michel Tort, j'ai dit, j'ai tenu sur le plagiat
quelques propos qui m'ont valu la manifestation d'un
étonnement. "Comment - a pu me dire l'un des
meilleurs de mes auditeurs - pouvez-vous faire bon
marché, comme vous l'avez énoncé, du plagiat?"
répétant, ce que pourtant j'avais dit depuis
longtemps, depuis très longtemps, depuis toujours -
ceux-là le savent qui me suivent depuis l'origine -
qu'il n'y a pas de propriété des idées. Est-ce que
vous ne semblez pas tenir, beaucoup, vous-même que de
ce qui vous est dû, hommage, à l'occasion, vous soit
rendu?
Je crois qu'il y a là un point à préciser si, en
effet, il est bon qu'à chacun, pas seulement à moi,
hommage soit rendu de ce qu'il peut apporter de
nouveau dans la circulation de ce qui s'articule d'un
discours cohérent, ceci ne peut être que du point de
vue de l'histoire, et d'une façon, qui doit y rester
limité. Qui donc songerait, faisant un cours de
mathématiques, à rendre à chacun des initiateurs de
ce qu'il est amené à articuler de son cours, sa place
et son dû. Tout ceci reste assimilé, réintégré,
repris, généralisé ou particularisé selon les cas, et
d'une façon, après tout, qui se passe fort bien de
toute référence au premier temps de la mise en
circulation d'une démonstration ou d'une forme.
C'est pourquoi j'ai entendu, déplacer l'accent sur ce
que j'ai appelé, d'une façon plus ou moins propre,
détournement d'un mouvement de la pensée. Ceci est
bien autre chose. Quand un discours, dans ce qu'il a
de conquérant, de révolutionnaire pour appeler les
choses par leur nom, est en train de se tenir et de
nos jours nous savons ou ces discours se tiennent, en
reprendre les opérations voire même le matériel pour
l'orienter à des fins qui sont proprement celles
d'où, il entend se distinguer, c'est là qu'au moins
serait-il nécessaire de rapporter les éléments du
discours là où on les a pris et où ils ont été créés,
orientés, à une fin parfaitement articulée et claire,
et qui est celle qu'on entend desservir.
Si l'analyse est une opération qui se poursuit en
référence à la science, et en tant que reposée d'une
façon entièrement orientée par l'existence de cette
science, la question de la vérité, cette
interrogation, est, par l'analyse portée à son
maximum, au minimum d'étroitesse, précisément, qui
correspond à cette visée, que c'est la science
qu'elle interroge.
Si, sur cette question de la vérité, c'est la
religion qui doit donner la réponse, que ne le dit-on
ouvertement! Mais alors, qu'on ne se targue pas, de
la position du philosophe, qui jusqu'à ce jour,
précisément, n'a jamais varié de s'en distinguer, de
cette réponse religieuse.
Personne n'a encore osé faire de Freud un apologiste
de la religion. Pour quelqu'un, ne pas reconnaître
que c'est moi qui lui ai appris à lire Freud, alors
que cette opération est en cours, pour en détourner
l'incidence, de cette lecture sur les sables du
désarroi de la pensée spiritualiste, ceci, est
proprement une malhonnêteté, non pas d'écrivain qui
dérobe tel ou tel passage du discours d'un confrère,
mais de philosophe.
C'est, à proprement parler, une trahison
philosophique à laquelle je ne donnerai pas cette
sorte de grandeur qui serait de révéler ce qu'il peut
y avoir à partir d'un certain moment de malhonnêteté
foncière dans la position philosophique ellemême si
elle ignore combien la psychanalyse la renouvelle.
Dans ce cas, c'est simplement une malhonnêteté
débile, un manque absolu de sérieux, un pur désir de
parade, dont je remercie Monsieur Tort d'avoir
démontré l'inopérance et le ridicule.
J'ai parlé ensuite d'autre chose que j'ai à peine
amorcée : j'ai parlé du retournement introduisant ce
que j'ai à vous dire aujourd'hui sur le plan du
topologique, et ma foi, de ce retournement il s'est
trouvé que certains se sont sentis un tant soit peu
retournés : qu'à la vérité, dans un certain contexte,
les mots portent, et que là encore, nous nous
trouvons, bien sûr, rapportés à ce qu'il en est, non
tant de l'usage des idées ,mais de l'usage des mots.
Prendre un mot comme support d'un noeud du discours
n'est assurément pas une opération inoffensive
puisque ce mot a déjà pu être pris dans un autre
discours. C'est un autre niveau de la fonction de
l'homonymie et dans certains cas, il peut en effet,
en porter avec lui, certaines conséquences.
Ce retournement que j'ai donc amené au jour, ou
plutôt ramené, comme vous allez le voir, à propos de
la figure du tore. J'ai cru pouvoir le faire d'une
façon assez rapide croyant qu'au moins dans une
partie de mon auditoire, on se souvenait qu'à la fin
de l'année 1962, c'est le séminaire l96l-62, sur
l'identification, celui où j'ai mis au jour la
fonction fondamentale du trait unaire, de la coupure
et où introduisant déjà, la fonction des différentes
formes topologiques dont je vais avoir à parler
aujourd'hui, à propos du tore, 1e 30 Mai 1962
exactement, j'ai expressément montré comment
s'articulait deux champs qui étaient proprement
ceux de deux bords, si vous voulez, pris l'un dans
l'autre, telle que cette figure peut le représenter,
et, comme je l'ai longuement détaillé, comment il est
possible de voir, dans les roulements de l'un sur
l'autre, roulements dont il est indémontrable qu'il
est spéculativement possible - la possibilité - d'un
entier décalque de tout ce qui peut se dessiner sur
l'un, au cours de ce roulement sur l'autre, avec ce
que ceci comporte : c'est que, la coupure suivante,
dont j'ai montré l'importance, parce que c'était
précisément là ce sur quoi j'ai, pendant cette année,
longuement insisté, que la coupure suivante, que nous
avions appris à traduire comme le chemin entourant,
si l'on peut dire, le corps du tore, c'est le manche.
Et comment il est nécessaire qu'une demande qui
se répète dans cette forme d'équivalence, ne
puisse se permettre que - je m'exprime dans des
termes imagés et simples de façon à bien me faire
entendre d'un auditoire qui n'est pas forcément
initié aux formes proprement mathématiques qui
donneraient à ceci sa rigueur - à faire, si je puis
dire, le tour, de ce trou central, qui est la
propriété topologique essentielle du tore, celle qui
introduit dans son extérieur, cette énigme de
contenir un intérieur par rapport à l'intérieur du
tore, ou si vous voulez, d'une façon plus
rigoureuse, de permettre que des circuits fermés à
l'intérieur du tore, s'enchaînent ou se bouclent par
rapport à des circuits fermés qui sont extérieurs. Je
vous l'illustre : voici, - je vais le faire dans
une autre couleur - voilà un circuit fermé à
l'intérieur, vous voyez que c'est un tore. Il est
possible de faire un circuit fermé à l'extérieur qui
soit bouclé avec le circuit fermé intérieur. Ce qui
est strictement impossible dans la formule
topologique qui forme depuis toujours le modèle sur
lequel s'articule la pensée de l'intérieur et de
l'extérieur, qui est la sphère, quelque circuit fermé
que vous fassiez à l'intérieur de la sphère, il ne
sera jamais pour vous avec un circuit fermé
extérieur. Cette forme topologique étant restée
longtemps la forme prévalente pour toute conception
de la pensée, et restant par exemple, immanente à
l'usage des cercles d'Euler en logique, c'est
précisément là l'intérêt des nouveautés topologiques
que je promeus devant vous, et de vous montrer de
quel usage elles peuvent être, pour résoudre
certaines impasses des problèmes qui nous sont, à
nous posés par la topologie de notre expérience, et
qui trouvent, dans ces nouvelles formes
topologiques, leur support et leur solution.
Que ce retournement soit bien un retournement, ceci
peut se voir aisément, et je le dis tout de suite.
C'est de l'ordre, semble-t-il, de la récréation
mathématique que de le représenter, comme je vais
vous le représenter. Néanmoins cela garde tout son
intérêt et toute son importance, et comme
je ne pourrais pas l'insérer aisément dans la suite
de mon discours, je vais vous en donner tout de
suite l'image. Considérez simplement ceci comme une
introduction à ce qui va vous être dit d'une façon
plus cohérente et plus développée.
Ce n'est pas simplement d'un autre tore qu'il s'agit
dans celui-ci qui peut servir de décalque à ce qui
est inscrit sur l'autre. Topologiquement, un tore
est quelque chose de tout à fait équivalent à ce
qu'on appelle en topologie l'insertion sur une
sphère d'une poignée. Vous voyez bien que par
transformation continue comme on s'exprime dans
certains manuels, c'est exactement la même chose, un
tore ou une poignée, que cette espèce de cloche
fermée.
A partir de là, il vous sera aisé de comprendre la
légitimité du terme de retournement si nous donnons
à ce mot, son sens intuitif, son sens intuitif dont
ce n'est pas pour rien qu'il évoque la manipulation,
la manoeuvre, la main, cette main qui est présente
jusque dans le terme allemand pour désigner ce
traitement : Handlung.
La faveur que nous pouvons y trouver est justement
celle, sinon de complètement réduit à ce qu'il y a de
prévalence visuelle dans le terme d'intuition, tout
au moins de le faire reculer. Déjà les stoïciens en
avaient senti 1'importance et là nécessité certains
d'entre vous savent ce qu'ils faisaient de la main
ouverte, de la main fermée, du poing, voire
justement de ce retournement que la main image.Ici,
c'est à proprement parler de cette sorte de
retournement qui est lié à l'usage de la main, le
retournement d'une peau qui la recouvre, le
retournement du gant, pour l'appeler par son nom, à
quoi nous faisons référence. Ce fait qu'un gant droit
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