HUME :Abrégé du traité de la nature humaine

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HUME :Abrégé du traité de la nature humaine
Cours de M.Folliot
I - L'introduction de l'abrégé.
Quels sont les thèmes abordés dans cette introduction?
- La distinction de deux sortes de philosophie, la philosophie des moralistes (de l'Antiquité) et la
nouvelle philosophie rigoureuse, la science de la nature humaine.
- La méthode de la nouvelle philosophie.
- La dette à l'égard de Newton.
- La méthode empiriste.
- Le problème de la probabilité
- L'annonce de la théorie de la causalité.
Dit de façon plus synthétique, il s'agit pour Hume, dans cette introduction, de préciser la méthode
et l'objet de ses recherches, telles qu'elles sont présentées dans l'abrégé.
1) La philosophie morale ou science de la nature humaine :
a) Distinction préliminaire :
Encore au XVIIIème, le mot "philosophie" a un sens très large, il est synonyme de
connaissance ou de science. Descartes, au XVIIème siècle ne disait-il pas que la philosophie était un arbre
dont les racines étaient la métaphysique, le tronc la physique (sciences de la nature : phusis) et les
branches les techniques, la médecine et la morale?
Mais il faut distinguer :
- La philosophie naturelle (voir p.2 de l'abrégé) qui est la connaissance de la réalité matérielle, des
corps extérieurs (physique, biologie, etc).
- La philosophie morale, ou science de la nature humaine, qui est la connaissance de l'homme dans
sa spiritualité et ses actes, bref de l'homme en tant qu'homme, dans sa spécificité1. C'est cette philosophie
morale qui intéresse Hume.
b) Les deux sortes de philosophie morale :
b1) La présentation de l'E.E.Humain :
Dans l'Enquête sur l'entendement humain, Hume distingue deux sortes de philosophie morale :
- La philosophie claire et plaisante des moralistes:
- Elle est claire et facile à comprendre : il est plus simple de lire Cicéron que de lire Descartes ou
Malebranche.
- Elle ne s'intéresse pas à l'homme en tant qu'être disposant d'un entendement (faculté de connaître)
mais elle s'intéresse à l'homme comme être né pour l'action (et donc concerné par la question du bien et du
mal).
- Son style est recherché (mais cette philo. n'est pas obscure), elle illustre, utilise des images, etc.
- Sa méthode n'est pas rigoureuse, elle incite au bien sans connaître avec rigueur le fonctionnement
de l'esprit humain. Elle incite au bien sans savoir quel est le principe qui, en l'homme, peut le porter au
bien (est-ce un sentiment? Est-ce un raisonnement?) Elle n'est pas organisée en système, en véritable
science dont les propositions se lieraient avec rigueur.
- Elle fait peu d'erreurs.
- La philosophie abstruse ou Métaphysique :
- Elle est compliquée, difficile à comprendre.
- Elle cherche à expliquer le fonctionnement de l'entendement humain.
- Elle a le souci de la rigueur, de l'exactitude.
1Hume
s'intéresse uniquemet à la philosophie morale. Autrement, il ne cherchera pas à mettre en lumière, par exemple, l'action
des corps extérieurs sur nos organes, ou le fonctionnement du corps - en tant qu'il pourrait expliquer le fonctionnement de
l'esprit. Par exemple, si Hume détecte une impression (au sens humien), il la prend comme un donné primitif, sans chercher
comment cette impression a été causée (par exemple, action de la lumière sur la rétine de l'oeil, fonctionnement du cerveau,
etc.).
- Elle vise la connaissance des principes (d'où vient que nous jugeons moralement? Quelle est la
faculté à l'oeuvre dans la connaissance? De quoi se compose cette faculté? D'où vient la connaissance?
etc.)
- Etant abstruse elle commet des erreurs et affirme souvent plus qu'il n'est permis (voir le
rationalisme dogmatique d'un Descartes par exemple.). Par ces erreurs, elle risque de d'être le refuge de la
superstition.
Alors?
Il ne faut pas rejeter trop vite la métaphysique classique, il faut - tout en tirant une leçon de la
clarté des moralistes - conserver l'esprit de méthode, de système, de souci de la vérité, mais il faut
construire une nouvelle philosophie, purgée de ses tendances au rationalisme dogmatique, une véritable
science de la nature humaine d'inspiration newtonienne, qui accordera une place fondamentale à
l'expérience. Il s'agira de comprendre comment l'esprit humain fonctionne, quelles sont les principales
opérations mentales. On saisira ainsi les pouvoirs et les limites de l'esprit humain.
b2) La présentation de l'abrégé :
Dans l'abrégé, Hume oppose directement la philosophie claire des moralistes (de l'Antiquité)(voir
p.1) au projet d'une science de la nature humaine (dont la méthode est précisée dès la page2), sans passer
par les défauts de la métaphysique (néanmoins, on notera des allusions p.2 à l'empirisme et au rejet des
hypothèses qui indiquent bien le rejet de la métaphysique abstruse).
2) La méthode de la science de la nature humaine :
a) Que faut-il entendre par "nature humaine"?
Il ne s'agit pas chez hume de retrouver, à la façon d'un Rousseau, une nature première,
primitive, dissimulée sous des couches de civilisation et de corruption, il s'agit simplement de comprendre
l'homme, dont les opérations essentielles sont empiriquement reconnaissables, ces opérations étant
universelles. Ce qui est observable universellement (par exemple les idées, les impressions, leur rapport,
les sentiments, etc.) appartient (sauf en cas de maladie ou de folie, dit Hume dans le TNH) à la
constitution humaine, forme la nature humaine. Il s'agit donc de connaître le fonctionnement de l'homme,
non par le corps (philosophie naturelle) mais par l'esprit et les actes (philosophie morale = science de la
nature humaine).
Dire qu'il y a une science de la nature humaine, c'est dire que tout sera présenté comme un
système, où tout se tient logiquement, alors que la philosophie claire des moralistes (voir p.1) ne suivait
pas "rigoureusement une chaîne de propositions" et ne disposait pas "les différentes vérités en une science
méthodique".
Autrement dit, il s'agit de mettre en lumière les principes de la nature humaine, les grandes lois
qui permettent de comprendre l'homme (par exemple, plus loin dans l'abrégé, l'idée que toutes nos idées
viennent des impressions constituera le 1er principe, ou encore plus loin, la fameuse théorie de la
causalité permettra d'énoncer un autre principe, etc.).
b) L'inspiration newtonienne :
Revoir ce qui a déjà été dit dans l'introduction (3)c) c1) l'anticartésianisme de
Newton c2) Le newtonisme de Hume. Relire aussi les textes de Newton.
Avant Newton, les astronomes se livraient déjà à des observations et essayaient de comprendre la
régularité des mouvements des astres. Mais Newton est allé plus loin, il a formulé les lois qui rendent
compte de tous ces mouvements et la loi de la gravitation universelle coiffe l'ensemble : elle permet aussi
bien d'expliquer un mouvement planénaire que la chute d'un corps sur terre. Hume a toujours fait
l'apologie du positivisme expérimental de Newton : il faut saisir les lois des phénomènes et l'idéal serait
de découvrir le plus petit nombre de lois générales, mais en ayant toujours à l'esprit l'interdiction d'un
"saut" métaphysique qui se dispenserait de l'expérience.
Ce que Newton a fait pour la physique, Hume prétend le faire pour la science de la nature
humaine. Il ne s'agit alors plus, comme en métaphysique, de spéculer sur la substantialité et l'immortalité
de l'âme, ou de dogmatiser sur les causes premières et dernières et sur la nature intime des choses, il faut
formuler les lois de l'esprit, en partant du particulier pour aller vers le général.
2
c) Les règles de la méthode :
- Le refus des hypothèses (voir p.2). Nous avons encore en mémoire le "hypotheses non fingo" de Newton
: il faut adopter la modeste méthode analytique.
- La méthode analytique, c'est-à-dire :
* Partir des faits d'expérience (et non des principes) et s'élever par degrés en privilégiant
l'induction (avec modestie).
* Faire l'anatomie ("anatomize", dit le texte anglais, rappelant ainsi la nécessité d'adopter les
méthodes de la philosophie naturelle), c'est-à-dire analyser, au sens de décomposer, chercher les atomes
psychiques, les éléments psychiques premiers, les éléments les plus simples (perceptions : impressions,
idées - tout se construit là-dessus) pour ensuite (et seulement ensuite) chercher les liaisons entre ces
atomes (par exemple, l'impression produit l'idée - ou telle idée, par liaison de contiguïté, produit telle
autre idée).
- Tout cela suppose le recours nécessaire à l'expérience (impressions). Les auteurs nommés au bas de la
page 2 et page 3 sont admirables - selon Hume - pour avoir placé le problème de la nature humaine sur le
terrain de l'expérience.
- Le souci de système : nécessité de liaisons cohérentes, démonstrations ordonnées, progrès réguliers par
compréhension des lois de l'expérience.
3) Les fonctions d'une science de la nature humaine :
Relire la page 3.
a) Le plaisir de la connaissance.
b) La connaissance des pouvoirs et des limites de l'esprit humain : que l'homme peut-il connaître? Une
métaphysique est-elle légitime? Etc.
c) La science de la nature humaine est une science principielle : Mis à part la philosophie naturelle, quatre
sciences regroupent tout ce qu' "il peut nous importer de connaître"(TNH).
- La logique : étude du logos, de notre entendement (ou raison), de notre faculté de connaître.
L'abrégé n'envisage pratiquement que ces questions de logique (mis à part quelques paragraphes qui
portent sur différentes questions que j'ai signalées en introduction ).
- La morale (au sens humien étroit) : connaissance des processus psychiques qui font que nous
jugeons moralement (c'est bien...).
- La critique (ou esthétique) : connaissance des processus psychiques qui font que nous jugeons
esthétiquement (c'est beau...).
- La politique : connaissance des relations humaines dans la cité (polis).
Quel rapport entre ces quatre sciences?
La logique (idées, impressions, rapports, théorie de la causalité, de l'habitude et de la croyance)
nous offre la méthode et les éléments simples ( les lois) qui vont servir de principes aux autres sciences.
Par exemple, sachant qu'une idée est toujours produite - directement ou indirectement - par une
impression, et ayant l'idée de beauté, je me poserai la question : de quelle impression dérive l'idée de
beauté. Ou encore je pourrai me demander si nous jugeons moralement à partir d'une idée morale ou à
partir d'un sentiment moral (réprobation). Bref, la logique est le point de départ obligé des autres sciences,
leur principe (d'où science principielle). Si toute connaissance part de l'expériene, l'étude de l'expérience
primitive (logique chez Hume) est la fondation des sciences.
4) Le problème de la probabilité :
Lisons les oeuvres de logique (auteurs cités page 4 2) : ces auteurs cherchent à comprendre les lois
de l'intellect humain, ils mettent en lumière les différents types de raisonnement, leurs lois, les critères du
vrai, etc., mais leurs oeuvres accordent - Leibniz le rappelle - fort peu de place à la question de la
probabilité.
2L'art
de penser est de A.Arnault et de P.Nicole (1662).
3
Si la certitude démonstrative (à l'oeuvre en mathématiques) ne comporte pas selon Hume de
degrés (c'est vrai ou faux), la certitude "morale" 3 (qui porte sur les faits d'expérience 4) comporte des
degrés de probabilité, selon la fréquence des associations de faits. Vous savez très bien que le degré de
probabilité de gagner aux jeux de hasard n'est pas le degré de probabilité de mourir un jour; que le degré
de probabilité qu'il pleuve en octobre n'est pas le degré de probabilité de voir mon crayon tomber si je le
lâche.
Chez Hume, le problème de la vérité n'est pas un simple problème logique (qui renverrait à de
simples critères en soi de la vérité), c'est un problème psychologique. Les associations de faits (par ex.
nuages noirs et pluie) se font en notre esprit et notre attente d'un fait (pluie par ex.) dépend de la fréquence
des associations. C'est là une loi psychologique (et pas simplement logique) qui fait comprendre
l'importance de la probabilité. En effet, la plupart de nos certitudes ne sont que probables, même si leur
degré de probabilité est parfois extrêmement élevé. Bientôt, en étudiant l'abrégé, nous comprendrons que
mis à part nos certitudes démonstratives (maths), toutes nos certitudes ne sont pour Hume que probables,
même dans les cas où la certitude subjective est totale5. Il faudra donc, au bac, utiliser pour cette
introduction ce qui sera dit plus loin sur la probabilité.
5) La causalité.
J'ai déjà précisé que l'abrégé n'envisageait de façon vraiment systématique que la théorie de la
causalité, qui est le centre de la pensée humienne. Les autres questions - libre arbitre, substantialité,
identité, passions, etc. ne sont abordées que sous forme d'allusions. Il eût été difficile - Hume le dit page 4
- de résumer tout le Traité de la nature humaine.
II - IMPRESSIONS ET IDEES
1) Définitions:
a) Le point de départ :
La distinction - que nous allons présenter - entre impressions et idées a la valeur
d'une évidence d'expérience. Il n'est pas besoin d'être habitué aux distinctions subtiles ou d'avoir l'esprit
métaphysique pour partir d'un tel point : la vie de notre esprit. Il s'agit donc de partir de l'expérience la
plus naïve : nous avons des perceptions en notre esprit. C'est tout ce qui est présent en l'esprit, tout vécu
psychique, tout ce dont nous avons conscience. Nous constatons, pat expérience simple, que nous avons
des perceptions.
Mais ce point de départ n'est pas si naïf.
* C'est d'abord le refus de partir d'une substantialité du sujet, d'une prétendue substance spirituelle (âme
chez Descartes, substance pensante) qui resterait identique à elle-même, une sorte de substrat permanent
sous les différentes perceptions changeantes6. La philosophie de Hume n'est pas une philosophie du
"cogito". Descartes partait de la substantialité du sujet. Hume part de l'expérience : l'expérience ne nous
révèle en rien l'existence d'un sujet-substance, elle nous révèle simplement que nous avons des
perceptions. Hume déclare, dans le T.N.H.7:
" Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moi, je bute toujours sur
une
perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou
de haine,
de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une
perception et je ne
peux rien observer que la perception."
3Il
n'est nullement question ici de morale au sens habituel du terme. Ici, "moral" s'oppose à "démonstratif".
exemple, "je suis certain qu'il va geler cette nuit" ou "je suis certain de mourir un jour".
5Par exemple, dans le cas: je suis certain de mourir un jour.
6Si l'on présente le problème autrement ( le "moi" et ses "attributs"), Hume refuse l'existence d'un "moi" qui resterait identique
tandis que les attributs se modifieraient, tout simplement parce que l'expérience ne nous révèle pas ce "moi" identique.
7Livre 1 - 4ème partie - section 6
4Par
4
* C'est aussi le refus de partir d'une psychologie des facultés. On ne distingue pas d'abord des prétendues
facultés, telles que l'entendement, la volonté, l'imagination, etc. Dans l'expérience, je vis telle volition, je
ne rencontre pas ma volonté, je vis telle image, je ne saisis pas mon imagination.
b) Distinction :
Nous avons donc des perceptions: j'éprouve de la haine, je pense à hier, je réfléchis,
j'anticipe, je ressens du plaisir. Mais certaines perceptions sont plus vives, plus fortes (comme des photos
récentes),d'autres plus faibles, plus estompées (comme de vieilles photos). Prenons un exemple : je tombe
et je me fais très mal au genou. Je ressens quelque chose, c'est une perception vive, forte. Six mois plus
tard, je pense à cet événement. La douleur est bien présente en mon esprit, mais sous une forme différente,
je ne souffre pas directement, je produis l'idée de la souffrance. On appellera avec Hume impressions les
perceptions les plus vives (primitives dit Hume dans l'E.E.H), et idées les perceptions les plus faibles.
Cette distinction correspond à la distinction sentir/penser.
Nous avons donc :
Perceptions
- 1) Impressions (ordre du sentir) :
- des 5 sens externes (voir, entendre, sentir, goûter, toucher)
- du sens interne (sentiments, émotions, passions)
- 2) Idées ( ordre du penser)
c) Affirmation du 1er principe de la nature humaine :
Nous avons distingué les deux grands types de perceptions. Mais quel est leur
rapport? La réponse est une profession de foi empiriste : toutes nos idées viennent des impressions. Un
aveugle, dit Hume dans l'E.E.H., n'a aucune idée des couleurs, un sourd aucune idée des sons. Rendezleur le sens manquant et, disposant des impressions, ils auront par là les idées.
Nous remarquons (pensons à l'exemple de la chute) :
- que l'impression et l'idée se ressemblent. La différence essentielle est de vivacité.
- que l'impression précède toujours l'idée correspondante.
Nous pouvons penser que l'idée vient donc de l'impression.
d) Une éventuelle objection :
Il semble bien que nous ayons des idées qui ne renvoient à aucune impression. Je
peux former l'idée d'une ville merveilleuse aux maisons faites de rubis, aux rues pavées d'or. Or, je n'ai
jamais vu une telle ville. On pourrait donc croire que l'esprit a le pouvoir de produire des idées qui ne
dérivent pas de l'expérience! Le 1er principe de la nature humaine (la première loi : les idées viennent des
impressions) serait-il mis à mal? Hume, dans notre texte, ne précise pas ce qu'il précise dans le T.N.H : il
y a des idées simples et des idées complexes. Une idée est complexe si elle peut être analysée,
décomposée en idées plus simples. Notre idée de ville est complexe (rues, maisons, pavés, or, etc.).
Analysons cette idée : nous découvrons des idées plus simples, et nous constatons que ces idées renvoient
bien à des impressions (une maison, un pavé, de l'or, etc.). Même en forgeant les plus formidables
fictions, nous utilisons les matériaux de l'expérience, les impressions. Le pouvoir de l'esprit n'est pas
d'inventer à partir de rien, mais de combiner de façon inédite les matériaux de l'expérience. Nous pouvons
donc réaffirmer le 1er principe de la nature humaine en ajoutant une précision : les idées dérivent
toujours, directement ou indirectement8, des impressions.
2) Où Hume veut-il en venir?
a) Les fameuses idées innées.
8Et
dans ce cas, il faut faire l'analyse de l'idée pour retrouver les impressions primitives.
5
Descartes et les cartésiens 9 affirment l'existence d'idées qui ne viennent pas de l'expérience, qui ne
sont pas non plus créées par nous, des idées que Dieu aurait, en nous créant, imprimées en notre âme (par
exemple l'idée de substance pensante, l'idée de Dieu, les idées mathématiques, etc.). Affirmer comme
Hume que les idées viennent des impressions est refuser ces idées innées. Même l'idée de Dieu vient de
l'expérience:
"(...) si nous analysons nos pensées, si complexes et si sublimes qu'elles soient, nous découvrirons
toujours qu'elles se résolvent en ces mêmes idées simples qui étaient les copies de sensations ou de
sentiments antérieurs. Les idées mêmes qui, à première vue, semblent les plus éloignées de cette origine,
en découlent aussi, comme nous le montre un examen plus approfondi. L'idée de Dieu entendu comme un
Être infiniment intelligent, sage et bon, est le résultat des réflexions que nous faisons sur les opérations de
notre propre esprit et de l'accroissement sans limite que nous donnons à ces qualités de bonté et de
sagesse. Qu'on poursuive cette recherche aussi loin qu'on voudra: on trouvera toujours à l'examen que
toute idée est la copie d'une impression analogue. Ceux qui soutiendraient que cette proposition n'est vraie
ni universellement ni sans exception, n'ont qu'un moyen - moyen facile - de la réfuter: qu'ils produisent
l'idée, qui, suivant eux, ne dérive point de cette source. C'est alors à nous qu'il incombera, pour défendre
notre doctrine, de produire l'impression, ou la perception vive, qui correspond à cette idée."
Enquête sur l'entendement humain - 2ème section: De l'origine des idées.
b) Le nominalisme :
Est nominaliste celui qui refuse l'existence d'idées générales (en notre esprit ou - comme Platon dans un "ciel" intelligible - dans l'esprit de Dieu, dit Malebranche). Si les idées dérivent des impressions,
l'impression étant toujours particulière (je vois un cheval, mais pas le cheval en général), son reflet, l'idée,
serait aussi particulier. Nous ne pouvons que manipuler des images particulières, jamais des idées
générales. C'est le seul langage (les mots, les noms - d'où nominalisme) qui crée les généralités. Otez le
langage et ne restent que des images particulières.
c) La surveillance de la mauvaise métaphysique :
Lisons la page 7 : Certes existent des idées fort complexes, surtout dans les traités de
métaphysique abstruse. Adoptons une règle de méthode. Analysons l'idée (c'est ce que nous avons fait
précédemment ave l'idée de Dieu) et essayons de trouver les idées simples (et donc les impressions) qui
ont permis d'élaborer l'idée complexe. En faisant ainsi, nous déjouons les subtilités sophistiques des
métaphysiciens. Il est même possible qu'un mot employé par un métaphysicien ne renvoie à aucune
impression, par exemple le mot substance10 ou le mot essence11. De nombreux faux débats
philosophiques cesseraient si l'on adoptait cette méthode. On cesserait enfin de s'interroger sur le sexe des
anges (féminin ou masculin)!!
3) L'allusion à Locke :
9Malebranche
est cité page 6. Il n'affirme pas l'existence d'idées innées au sens cartésien, mais il refuse que les idées puissent
venir en nous par l'action des choses extérieures. C'est Dieu qui imprime en notre âme les idées, au moment même où nous les
avons. Malebranche, sans partager le point de vue cartésien, est néanmoins tout comme Descartes un anti-empiriste.
10En simplifiant,la substance est une prétendue réalité qui demeure identique sous les attributs changeants (les modes de la
substance, dit Descartes). Si je crois que mon esprit est une substance pensante, je constate en effet que les façons d'exister de
cette substance (les modes) varient sans cesse (je me souviens, j'imagine, je calcule, je souffre,etc) mais j'affirme que sous ces
modifications permamentes, quelque chose demeure identique et ce quelque chose, je l'appelle "substance". Or, cette prétendue
substance, dit Hume (voir page 23 de l'Abrégé) n'est jamais donnée dans l'expérience. Affirmer son existence, c'est faire de la
métaphysique, au pire sens du mot, c'est-à-dire prétendre connaître quelque chose qui ne peut jamais être donné dans
l'expérience.
L'essence est une prétendue réalité générale. Voir ce que nous avons dit en cours de l'idéalisme platonicien. On a beau faire, dit
Hume, on ne trouve jamais de telles réalités dans l'expérience. Remarquons que Platon a bien soin de quitter le terrain du
sensible (de l'expérience) pour affirmer la réalité de telles essences.
11Voir note précédente.
6
L'empiriste Locke, au XVIIème, affirmait déjà, dans son Essai philosophique concernant
l'entendement humain12, que nos idées ne sont jamais innées. Mais Hume et Locke ne donnent pas le
même sens au mot idée. Locke déclare : il s'agit du terme "qui convient le mieux pour désigner (...) quoi
que ce soit sur lequel l'esprit est employé à penser."13 Autrement dit, le mot lockien "idées" est
synonyme du mot humien "perceptions"( tous les états de conscience, tous les contenus de l'esprit). Locke
range dans les idées les impressions. C'est la raison pour laquelle Hume consacre un paragraphe à Locke.
Il veut tout simplement signaler que si, en effet, les idées (au sens strict et humien) ne sont jamais innées,
les impressions le sont, en tant qu'elles font partie "de la constitution originelle de l'esprit humain".
Prenons un exemple : j'éprouve du plaisir. Il s'agit bien là d'une perception de l'esprit (ce plaisir est vécu
par un "sujet"). Mais cette perception est-elle innée ou acquise? Dit d'une façon plus simple, a-t-on besoin
de m'apprendre (ou ai-je besoin d'apprendre) le plaisir ou le déplaisir14. Non! Dès la naissance, de par le
fait que j'ai telle constitution naturelle, j'éprouve ces passions, et bien d'autres15 : la peur n'est pas non
plus acquise. Elle est une disposition naturelle de humain (dont les signes, ont dit plus tard les
béhavioristes, sont déjà observables chez le foetus).
Donc, aucune idée n'est idée, si l'on s'en tient au sens humien du mot "idée" (pensée, reflet affaibli
de l'impression), mais pas si l'on utilise le sens lockien car certaines passions sont naturelles.
On notera, dans ce paragraphe consacré à Locke :
* une allusion au Père Malebranche, rationaliste, qui serait bien embarrassé, selon Hume, pour produire
une idée qui ne soit pas le reflet d'une impression.
* une allusion à la prétendue liberté de l'esprit et particulièrement de l'imagination créatrice (nous
pouvons construire les plus folles fictions). Mais en fait, ces fictions reposent sur des idées complexes
qui, décomposées, révèlent des idées simples dérivant des impressions.D'où la nécessité déjà signalée de
présenter le premier principe de la nature humaine en ajoutant l'adverbe "indirectement" : nos idées
dérivent toutes, directement ou indirectement, de l'expérience, des impressions.
III - LA THEORIE DE LA CAUSALITE (p.7 à p.20)
Introduction : le projet de Hume.
Que Hume veut-il montrer? Si notre connaissances des faits repose sur le principe
de causalité (nous cherchons à comprendre les faits par les causes et les effets), il faut comprendre ce
principe, lui donner un statut : Est-ce un principe rationnel, qui appartient à la structure a priori de l'esprit
connaissant16? Est-ce un principe qui vient de l'expérience? Si oui, comment? Bref, qu'est-ce que la
causalité? Peut-on construire des sciences apodictiques sur ce principe de causalité?
1) Expérience et causalité (p.7 à p.12)
a) La raison et les faits. La raison et ses deux types d'objets :
Entendement, raison, ces deux mots synonymes chez Hume réapparaissent
systématiquement sous sa plume. Qu'est-ce que la raison?
"La raison est la découverte du vrai et du faux. Le vrai ou le faux consiste en un accord ou un
désaccord, soit avec les relations réelles entre les idées, soit avec l'existence et le fait réels."
Traité de la nature humaine Aubier tome 2 p.573
"Les opérations de l'entendement humain se divisent en deux genres : la comparaison des idées et
l'inférence des faits."
Traité de la nature humaine Aubier tome 2 p.578
"La raison juge soit des faits soit des relations."
12Edité
chez Vrin.
I,1,8.
14Ne confondons pas apprendre le plaisir (inutile car naturel) et apprendre les objets qui peuvent donner du plaisir (acquis).
15Notez que Hume utilise l'expression "a kind of natural instincts", une sorte d'instincts naturels.
16Ce sera la thèse de Kant dans la Critique de la raison pure.
13Idem,
7
Enquête sur les principes de la morale - GF p.208
"Tous les raisonnements peuvent se diviser en deux genres : à savoir, le raisonnement
démonstratif, qui touche les relations d'idées, et la raisonnement moral qui touche les choses de fait et
d'existence."
Enquête sur l'entendement humain (Nathan p.58)
Notre "faculté" de connaissance, raison ou entendement, cherche à distinguer le vrai du faux et elle
a deux types possibles d'objets :
- soit les idées mathématiques qu'elle met en relation. Par exemple, dans le théorème de
Pythagore, on met en relation le carré de l'hypothénuse et la somme des carrés des côtés de l'angle droit.
Dans ce cas, nul besoin d'expérience. Ce type de raisonnement est a priori et fonctionne sur le principe de
non-contradiction. Ce qui est faux est contradictoire.
- soit les faits d'expérience, qu'il s'agisse d'ailleurs des faits de l'expérience quotidienne (je mange,
je travaille, etc.) ou de l'expérimentation scientifique (je fais une "expérience" en laboratoire).
Le long passage que nous allons étudier ne traite que des faits d'expérience (ce qui passe par les
impressions). La question est d'abord de savoir comment s'élabore la connaissance de ces faits
d'expérience. Comment puis-je prévoir la pluie? Comment sais-je que le feu va me brûler ou que le pain
va me nourrir? Comment le scientifique peut-il comprendre les choses de l'univers?
Relisons le petit passage du bas de la page 7.
Rappelons d'abord ce qu'est une inférence : "Toute opération par laquelle on admet une
proposition dont la vérité n'est pas connue directement, en vertu de sa liaison avec d'autres propositions
déjà tenues pour vraies."(Dictionnaire de Philo. Lalande). Si, à partir des propositions "Les hommes sont
mortels" et "M. Dupont est un homme", vous déduisez la proposition "M. Dupont est mortel", vous faites
une inférence. Si, en voyant la pluie tomber, vous pensez "je vais être mouillé si je sors sans parapluie",
vous faites aussi une inférence. Dans ce dernier cas, il ne s'agit pas d'une déduction17, mais votre
inférence est passée d'une impression (voir la pluie) à une idée, une attente (être mouillé).
Hume affirme qu'il est évident que notre connaissance des faits repose sur la causalité. Nous
connaissons les faits parce que nous pratiquons des inférences. A partir d'un fait, nous énonçons d'autres
faits, causes ou effets. Remarquons d'ailleurs que la relation entre les faits peut être directe ou indirecte18.
b) Cause et effet donnés directement aux sens.
Hume ne commence pas par poser le problème de l'inférence que nous faisons, quand, d'un
fait A, nous inférons qu'un fait B est l'effet (ou la cause). Il prend d'abord un exemple (le billard) qui nous
permet d'avoir sous les yeux ce que nous appelons cause et effet. Il suffit donc de voir ce que nous donne
l'expérience de la causalité pour avoir un premier aperçu de l'idée de causalité.
L'exemple du billard est intéressant parce que :
* il est simple et ne fait pas intervenir des éléments non matériels, psychiques, qui
obscurciraient la question (par exemple une volition humaine, un mobile humain, etc).
* il atteint directement les sciences expérimentales et particulièrement ce que nous
appelons aujourd'hui la Physique. Poser la question du statut de la causalité en un tel exemple revient à
s'interroger sur le statut épistémologique de la physique.
L'exemple : une boule de billard heurte une deuxième boule qui acquiert alors un mouvement.
Nous avons une cause : le choc, et un effet, le déplacement produit par ce choc. Mais quel rapport
entretiennent ici ces deux faits que nous appelons cause et effet?
17On
remarquera que dans le langage courant, on dit souvent (et à tort) "j'en ai déduit que.." alors qu'on doit dire "j'en ai inféré
que...". Par exemple "vu telle ou telle chose, j'en ai déduit qu'on aurait une "interro." alors qu'il faut dire "j'en ai inféré qu'on
aurait une "interro.".
18"...unless they be connected together, either mediatly or immediatly". Relation directe, par exemple : fait A : gros nuages
noirs - fait B : pluie. Relation indirecte : fait A : gros nuages noirs - fait B : ils n'iront pas se promener (le fait intermédiaire
étant : pluie).
8
- Contiguïté spatiotemporelle : les deux événements sont proches l'un de l'autre dans le temps et
l'espace.
- Antériorité de la cause par rapport à l'effet. Le choc a eu lieu avant le mouvement de la
deuxième boule.
- Conjonction constante entre cause et effet : les événements se reproduisent de la même façon,
si nous refaisons l'expérience.
On a beau retourner la question dans tous les sens, il n'y a rien d'autre, dit Hume. Que veut-il
suggérer exactement? Il veut tout simplement signaler l'absence de connexion nécessaire entre cause et
effet19. Rien ne nous dit que la cause produit nécessairement son effet, qu'il ne peut en être autrement.
Cause et effet sont liés temporellement et spatialement (et nous constatons cette liaison), mais cette
liaison ne se révèle pas à nos sens comme nécessaires.
c) L'inférence de la cause à l'effet :
La question est alors celle de l'attente d'un fait b quand nous sommes en présence d'un fait
a. Nous faisons une inférence20 : autrement dit, du fait a nous "tirons" le fait B. Nous attendons le
mouvement de la seconde boule avant même que le choc n'ait lieu. Nous prévoyons de même la brûlure à
partir du feu, etc.
Remarquons qu'il s'agit ici d'une inférence essentielle dans la vie, faite, dit Hume, même par les
plus stupides et les animaux. Sans ces inférences, nous ne saurions plus nous orienter dans la vie
quotidienne. Constamment, nous attendons des faits qu'ils en produisent d'autres, et notre action s'inscrit
dans ces relations de causalité. L'élève travaillerait-il s'il n'attendait de ses efforts des effets? Mangerionsnous si nous n'étions pas assurés que les aliments vous produire les effets attendus?
La question est : de quelle nature est cette inférence? A priori? A posteriori? S'agit-il d'une
démonstration? D'une simple attente subjective?
d) Le sens de l'exemple d'Adam :
Relisons le passage, pp.11.12
1- Que s'agit-il de savoir? 2-Pourquoi choisir Adam?
1. Il s'agit de savoir de quelle nature est l'inférence causale. Il s'agit de savoir si elle vient de l'expérience
ou si elle est de l'ordre de la démonstration a priori?.
2. Adam a toute sa vigueur intellectuelle. Autrement dit, il peut raisonner a priori, faire des
démonstrations. Il est donc capable de produire des inférences démonstratives. De plus, il n'a aucune
expérience des relations de faits. Nous allons donc savoir s'il est capable, sans expérience (et sans aide
divine : "inspiré"), de prévoir les effets.
Sans expérience, il est incapable de prévoir que le feu va le brûler ou qu'il va se noyer dans l'eau. Il
aura beau tenter d'opérer des démonstrations a priori, rien n'y fera. Nous pouvons donc dire que nos
inférences causales sont d'origine empirique.
Mais ce n'est pas suffisant. L'idée de causalité est bien loin d'être expliquée. Nous prévoyons donc
l'effet quand nous avons eu l'expérience21 de la relation constante des faits. Mais comment pouvonsnous passer d'un constat de faits à une prévision? Autrement dit, nous croyons que le futur sera
semblable au passé. Nous pensons que les faits non encore observés ressembleront aux faits observés.
Pour quelle raison? Comment pouvons-nous penser qu'une cause ne produira pas un autre effet (que nous
pouvons imaginer - il n'y a nulle contradiction logique là-dedans)? Pourquoi les nuages ne se mettraientils pas à dispenser des gouttes d'or dès demain? Pourquoi mon chat ne parlerait-il pas dans une semaine?
19La
question est assez compliquée: Hume ne nie pas que nous soyons capables de produire la fiction de la connexion
nécessaire. Il est vrai que, par exemple pour le billard, nous pensons que la cause va produire nécessairement son effet. Mais
pour l'instant il cherche dans l'expérience la présence de cette connexion et il ne la découvre pas. Il ne saisit que contiguïté,
antériorité et conjonction constante. Le problème de Hume sera donc plus de comprendre comment nous vient cette idée de
connexion nécessaire dans la causalité, comment nous pouvons subjectivement la construire.
20Inférence ne veut pas dire ici qu'il y a réflexion. L'attente subjective fonctionne de façon préreflexive.
21même par ouïe-dire
9
On dira : on n'a jamais vu de tels faits! Certes, mais pourquoi pensez-vous que le futur ressemblera au
passé? Voilà la question humienne essentielle!!!
2) Habitude et croyance.
a) L'habitude ou coutume (custom, habit)
Nous avons déjà distingué :
- le raisonnement démonstratif des mathématiques régi par l'a priori et la non contradiction. Les vérités
sont alors nécessaires.
- le raisonnement moral qui porte sur les faits d'expérience et qui ne peut jamais donner de vérités
nécessaires (degrés de probabilité).
La question, nous l'avons déjà compris avec l'exemple d'Adam, est de savoir si nous faisons un
raisonnement démonstratif ou un raisonnement moral quand nous attendons du futur une conformité avec
le passé.
La difficulté du passage que nous étudions tient à l'utilisation du mot raison (page 13). Le mot est
utilisé ici en un sens étroit, celui de raisonnement démonstratif. La question est alors : passons-nous de la
cause (par exemple présente à nos yeux) à l'effet parce qu'intervient la raison (raisonnement démonstratif)
ou ces deux éléments (cause et effet) sont-ils unis dans l'imagination ("raisonnement" moral)
indépendamment même de notre volonté22?
Hume nomme habitude (custom, habit) la répétition de faits (par exemple pluie et être mouillé)
qui finissent par se trouver liés de façon plus ou moins forte dans l'imagination (selon la fréquence
empirique des liaisons).
Or, la raison est inefficace : Nous ne pouvons connaître a priori le pouvoir d'un objet et par un
raisonnement en tirer l'effet. Par exemple, je ne peux, en inspectant un couteau, raisonner et pévoir la
blessure qu'il peut provoquer. Seule l'expérience et l'habitude peuvent me permettre d'attendre un effet.
Même les mathématiques, dit Hume dans l'E.E.H, ne peuvent nous permettre de faire a priori de telles
constructions. Les mathématiques ne sont que des outils permettant de quantifier les découvertes
empiriques et d'aider dans les applications d'une loi dans des circonstances où les paramètres varient23.
b) La croyance (belief) :
Quand nous voyons que que nous appelons la cause, notre esprit se contente-t-il
d'imaginer, de concevoir l'effet? N'y a-t-il pas ici autre chose qu'il faut préciser.
Reprenons l'exemple du billard : je vois une boule s'avancer vers une autre en ligne droite et
j'attends de ce mouvement un choc qui va provoquer le mouvement de la seconde bille (effet A). L'attente
n'est-elle ici que la conception de l'effet? A vrai dire, je peux concevoir d'autres effets. Dans le domaine
démonstratif, cette conception est impossible et ce qui implique contradiction ne peut être conçu. Par
exemple, si je divise 9 par 3, je trouve 3, et il m'est alors absolument impossible de concevoir que cette
division puisse donner 4. Si - dans le théorème de Pythagore, le carré de l'hypothénuse est égal à la
somme des carrés des deux autres côtés, je ne puis concevoir l'inégalité de ce carré et de cette somme des
carrés. Comme nous venons de le dire, dans le domaine de la démonstration a priori, ce qui est faux
implique contradiction et ne peut être conçu. Ce qui n'est pas du tout le cas dans l'exemple empirique du
billard : je puis concevoir de nombreux autres effets. Je puis penser que la seconde bille va s'élever dans
les airs, faire le tour de la pièce et revenir sagement à sa place (effet B). Je puis penser qu'elle va tourner
en rond pendant 24 heures (effet B'). Je puis en bref concevoir sans contradiction théorique n'importe
quel effet.
22Remarquez,
au bas de la page 12, le mot "immédiatement" : le processus se fait sans la médiation d'un raisonnement réfléchi.
La preuve en est que même les animaux ont de telles attentes subjectives (par exemple le chat qui entend ou voir la préparation
du repas). Il arrive que Hume utilise le mot "instinct" pour insister sur le caractère préréflexif de nos attentes.
23On pourrait faire remarquer que la physique théorique, à notre époque, remet en question cette idée. Voir par exemple dans
les écrits d'Einstein, le rôle fondamental donné aux constructions mathématiques a priori. Mais même les physiciens
contemporains sont bien obligés d'avouer que seule la pierre de touche que constitue l'expérience permet de décider de la
validité d'une théorie (qu'on adopte la thèse vérificationniste ou qu'on adopte la thèse falsificationniste*).
* cette distinction sera expliquée au cours de l'année.
10
Comparons donc l'effet A aux effets B. Quelle est l'essentielle différence? C'est une différence de
"feeling" (sentiment, manière de sentir), dit Hume dans le texte anglais. Mais qu'a de particulier l'idée de
l'effet A24? Y a-t-il une différence entre l'idée d'un fait et l'idée d'un fait existant. Par exemple, y a-t-il une
différence entre l'idée de Dieu et l'idée de Dieu existant? Non, répond Hume dans le TNH. La conception
de l'existence d'un objet n'ajoute rien à la conception de cet objet. Quand je pense à Dieu comme non
existant ou comme existant, mon idée, en elle-même (par exemple pour nous l'idée du Dieu
judéochrétien), mon idée de Dieu est la même (même attributs). Pourtant, il y a évidemment une
différence entre la simple conception de Dieu et la croyance en Dieu! Cette différence est la manière
(manner) dont nous le concevons : Dans le cas qui nous intéresse (Billard)"(...) une croyance peut être
très précisément définie une idée vive unie ou associée à une impression présente"(TNH). L'idée de l'effet
B est nettement moins vive que l'idée de l'effet A. Nous la sentons (feel) autrement. La différence est une
différence de vivacité, d'intensité. C'est toute la différence entre une croyance et la fiction. Dit plus
simplement, l'idée de l'effet A s'impose comme liée à l'impression de la cause avec une force que n'a pas
l'idée de l'effet B. La liaison cause - effet B est pensable mais l'effet B est alors lié sans conviction à la
cause. Par contre, la liaison cause - effet A se fait comme naturellement, l'idée de l'effet A s'impose avec
une force que n'avait pas l'idée fictive25.
Cette croyance est produite par l'habitude, c'est-à-dire par la liaison répétée, dans l'expérience des
faits que nous appelons causes et des faits que nous appelons effets. La vivacité de l'idée d'effet dépend
donc de la fréquence des liaisons. Si la relation est vraiment constante dans l'expérience, l'idée de l'effet
est la plus vive possible, mai si cette relation est moins constante, l'idée est moins vive. L'idée de pluie quand nous voyons le ciel gris clair - est évidemment plus vive qu'une simple idée fictive (par exemple il
va tomber des rubis) mais elle n'a pas la vivacité qu'aurait l'idée de pluie si de gros nuages noirs
emplissent le ciel. C'est tout le problème de la probabilité.
Comprenons bien que tout ce processus fonctionne de façon automatique, sans réflexion ("la
coutume agit avant que nous ayons eu le temps de la réflexion".TNH), il agit, dit Hume, sans la mémoire
(il veut dire que même si notre passé est utilisé - évidemment - il n'y a point d'acte réflexif de mémoire).
Par exemple, l'arrivée d'une automobile - quand vous traversez la chaussée - provoque un comportement,
sans qu'il soit nécessaire de faire appel à ses souvenirs et à la réflexion qui lierait dans l'esprit l'impression
présente de mouvement d'une automobile à l'idée de choc et de blessures. Ce caractère préréflexif du
processus est évidemment indiqué par les attentes subjectives des animaux!!!
c) Appliquons aux opérations de l'esprit (page 19) :
L'exemple du billard est un exemple de liaison de cause et d'effet dans le domaine de la
matière. Appliquons maintenant ce que nous savons à l'esprit. je veux mouvoir le bras, et je le meus (effet
A). Une volition26 a agi comme une cause sur un effet, le mouvement du bras.
c1- Pourrions-nous a priori et par démonstration établir cette liaison?
c2-Pensons-nous qu'une volition pourrait faire que notre tête fasse trois tours sur elle-même (effet
B), et pourquoi?
-c1) Par quel pouvoir? Seule l'expérience et l'habitude nous apprennent que nos volitions comme causes
peuvent produire des effets, comme des mouvements de notre corps.
-c2) Non, nous le pensons pas, et pourtant, nous pouvons lier notre volition à l'idée d'un tel mouvement de
la tête. Il n'y a là nulle contradiction. Mais l'idée de l'effet B n'a pas la force de l'idée de l'effet A, et seule
l'habitude explique la vivacité de l'idée de l'effet A.
Remarquons d'ailleurs les conséquences métaphysiques du propos. Tout ce que nous connaissons
du rapport de notre esprit à notre corps, c'est un ensemble de relations constantes (fait A puis fait B). Nul
pouvoir de l'esprit n'est révélé comme essence de cet esprit, nulle capacité spirituelle ne peut être mise en
24N'oublions
pas en effet que, dans notre exemple, ce que nous appelons cause est donné aux sens, mais que ce que nous
appelons effet (attendu) est pensé (idée), imaginé (image). Donc l'effet A est bien, quand nous voyons le mouvement de la
première bille, une idée.
25Hume reconnaît qu'il a beaucoup de mal pour trouver les mots qui permettraient de bien comprendre la croyance.
26Acte de la volonté , un "je veux".
11
lumière par des raisonnements métaphysiques. Tout ce que nous savons du rapport de l'esprit et du corps
s'exprime en termes de relations de contiguïté entre des évéments!!!
Le même genre de remarque serait valable pour les passions.
IV - DIVERS NON DEVELOPPE
1) L'idée de pouvoir (p.20-21)
a) Le problème
Nous avons dit que l'expérience nous offre seulement, dans ce que nous appelons cause et effet :
- Contiguïté
- Antériorité de la cause
- Conjonction constante
Or, certains prétendent qu'il y a entre la cause et l'effet une connexion nécessaire. Le lien ne serait
plus factuel, il serait d'une nécessité absolue. Pour cela, ils font appel aux notions de "pouvoir, de force,
d'efficace, d'énergie", autant de termes considérés par Hume comme des synonymes. Le but de notre
auteur est de montrer qu'il n'y a pas de connexion nécessaire entre la cause et l'effet, mais seulement une
relation de fait fondée sur l'expérience.
b) L'efficace des causes matérielles
La thèse que Hume va réfuter est celle-ci : il y a dans la cause un pouvoir, une énergie de produire
un effet, le pouvoir - par exemple - pour la pierre de briser une vitre, le pouvoir pour un corps qui tombe
d'écraser un autre corps ou de lui communiquer du mouvement. Si nous avons une telle idée de pouvoir,
elle doit bien dériver d'une ou plusieurs impressions. Or, nous le savons, l'expérience n'offre rien de tel,
mais elle n'offre que contiguïté, antériorité de la cause et conjonction constante. Ces mots (pouvoir,
énergie, etc) ou n'ont donc aucun sens, ou sont des mots désignant improprement l'habitude. Rien de plus.
c) L'efficace divine
c1) Rappel : les idées innées
Selon Descartes et les cartésiens, existent a) des idées adventices, qui viennent des sens b) des
idées factices, qui sont produites par l'imagination créatrice et c) des idées innées. Ces dernières (les idées
mathématiques, l'idée de Dieu, l'idée de substance, etc) ne dérivent pas de l'expérience. Elles sont des
germes de vérité mis en nous par Dieu. Inutile de rappeler ce qu'un empiriste pense de telles idées!
c2) Le pouvoir de Dieu
Les cartésiens (il s'agit surtout de Malebranche) disent que l'essence de la matière est l'étendue (3
dimensions), et pas la force. La matière en elle-même n'est douée d'aucun pouvoir. Seul Dieu peut, par
son pouvoir, provoquer des événements. Au moment où je tape sur la boule de billard, Dieu donne à cette
boule un mouvement, et si cette boule heurte une autre boule, c'est encore Dieu qui donne un mouvement
à la seconde boule.
Mais le problème est le même : d'où peut dériver l'idée de pouvoir divin, d'efficace divine. Il ne
peut s'agir pour Hume, empiriste, d'une idée innée. Il faut donc que cette idée dérive de l'expérience,
directement ou indirectement. La solution est la même. Ou l'expression "efficace divine" ne veut rien dire
ou elle désigne de façon impropre l'habitude.
2) Le scepticisme (p.22)
a) Rappel : le pyrrhonisme
Nous avons déjà présenté en classe ce scepticisme radical : la vérité ne peut être découverte, tout
est douteux, et il faut suspendre tout jugement (épochè : suspension du jugement) et être indifférent à
toute opinion et à toute pratique. Sans critères de la vérité, les opinions et les pratiquent se valent toutes.
b) Le scepticisme mitigé de Hume
Le scepticisme humien n'est pas le scepticisme pyrrhonien. En quoi consiste-t-il?
- La métaphysique dogmatique est impossible, ce que reprendra Kant dans la "Cripure". Soyons modestes
et reconnaissons les limites de la connaissance humaine
12
- Les seules vérités apodictiques se trouvent dans les mathématiques. Pas d'apodicticité dans le domaine
des faits, seulement des degrés de certitude subjective renvoyant à l'habitude. Les sciences de la nature
sont elles-mêmes affectées par ce défaut d'apodicticité, et c'est la raison pour laquelle Kant voudra réfuter
l'empirisme humien. Avec Hume, la raison dans le domaine des faits est plus du domaine de notre
existence sentante que de celui de notre existence pensante. En effet, l'habitude n'est pas proprement
humaine, elle est un quasi-instinct présent même chez les animaux.
- Ce que nous disons plus loin du phénoménisme et de l'identité de la substance entre aussi dans le cadre
du scepticisme mitigé de Hume.
c) Le phénoménisme
D'où viennent nos impressions? Renvoient-elles à des objets extérieurs existant indépendamment
de nos impressions et conformes à ces impressions (réalisme, que vous partagez tous)? Sont-elles
"envoyées" en notre esprit par Dieu, auquel cas les objets extérieurs n'existent pas (par exemple
immatérialisme de Berkeley)? Sont-elles produites par notre structure d'esprit, la chose en soi restant
inconnaissable (idéalisme kantien encore appelé idéalisme transcendantal)? Nous n'en savons rien. Quoi
que nous fassions, nous ne pouvons aller au-delà de nos impressions. Demandez à un réaliste de prouver
l'existence de cette feuille que vous tenez. Il dira qu'il la voit, qu'il la touche, qu'il peut la sentir, etc. Ce
sont là des impressions. Otez ces impressions, et la feuille disparaît. Non, dira le réaliste, elle demeure et
nous ne la voyons plus, etc. Qu'il prouve donc ce qu'il avance!! C'est absolument impossible. Taisonsnous donc sur ce sujet et reconnaissons que les seules informations que nous possédons sont des
impressions. Un objet est un ensemble d'impressions. Le monde entier est pour nous un ensemble
d'impressions!!
d) La force de la nature
Laissez un pyrrhonien agir dans la vie de tous les jours. Va-t-il douter que la pain qu'il mange va le
nourrir? Va-t-il douter que sa chute d'une falaise produira sa mort? Il est toujours facile d'adopter au
niveau théorique un scepticisme radical, mais la nature est toujours la plus forte (page 22 - fin du
paragraphe)? Hume le sait, et comme il le reconnaît, quand il joue au billard avec ses amis, l'habitude,
quasi-instinct, est la plus forte. Pas un instant il n'imaginerait que la bille va modifier tout à coup sa
trajectoire. Il ne va pas non plus penser que ce tapis de billard n'est qu'un ensemble d'impressions
(phénoménisme), il va le considérer comme un objet extérieur ayant une existence extérieure. La vie nous
empêche d'être uniquement philosophes, elle nous rappelle à notre statut d'homme, et même (puisqu'il y a
une raison animale) à notre statut d'être vivant. Elle nous sauve d'un complet scepticisme.
3) La critique de la substance et de son identité (p.22-23)
Selon Descartes, l'esprit (ou âme) est substance, ce qui signifie que derrière les changements
permanents (je réfléchis, je souffre, je me souviens, j'imagine, etc), il y a un substrat, un support
permanent qui ne se modifie pas : la substance pensante (ou plus simplement le moi). Nous avions déjà
dit que Hume refusait de partir d'une psychologie des facultés (la volonté, l'imagination, etc). Nous ne
constatons pas en nous une volonté mais des volitions, nous ne faisons pas l'expérience d'une imagination
mais d'images diverses. Le problème est le même pour la substance pensante. Nous avons des perceptions
qui se modifient sans cesse, impressions et idées, mais nous avons beau faire, nous n'avons nullement
conscience d'une substance identique qui supporterait ces perceptions. Les différentes perceptions
n'appartiennent pas à un esprit-substance, mais leur somme constitue ce que nous appelons esprit. Ce que
nous disons de l'esprit, nous pouvons le dire de toute réalité. La tasse qui est devant mes yeux n'est pas
une substance recevant des attributs, des propriétés (comme si ces propriétés enlevées pouvait rester
quelque chose!!). La tasse n'est que l'ensemble de ces propriétés, une couleur, une dureté, une forme, etc.
L'idée de substance est une idée inintelligible.
L'esprit n'est ni une substance simple (car elle est composée de multiples perceptions) ni une
substance identique ( car ces multiples perceptions se modifient sans cesse).
4) Le problème de la géométrie (p.24-25)
La question à peine ébauchée par Hume dans cette partie est très complexe et fait appel à
des débats philosophiques et mathématiques que nous ne pouvons aborder dans ce cours et en Terminale.
Nous saisirons l'essentiel.
Pourquoi Hume s'intéresse-t-il à la géométrie? On peut retenir deux choses :
13
* Il vient de faire preuve d'un scepticisme mitigé : nos connaissances sont limitées. Il va désormais
montrer dans cette optique que la géométrie n'est pas une science exacte, et il va le faire en abordant la
question de la congruence, c'est-à-dire de l'égalité des figures mathématiques.
* L'empirisme affirme que toutes nos idées, directement ou indirectement, renvoient à des impressions
primitives; ce qui signifie que toute idée complexe doit pouvoir être divisée en idées plus simples,
jusqu'au moment ou l'analyse n'est plus possible. On est alors renvoyé aux impressions. Si nous
admettions une division à l'infini de nos idées, les bases mêmes de l'empirisme seraient sapées. Il faut
absolument qu'il y ait des minima perceptifs. D'où la question, soulevée par Hume, de la divisibilité à
l'infini de l'espace. Cete question est traitée par Hume par le biais de la question de la congruence.
Expliquons dans le détail.
Quel est l'objet essentiel de la géométrie selon Hume ? Réponse: égalité et inégalité des éléments
géométriques (droites, cercles, triangles ...). Or, la question est de savoir comment on peut vérifier la
congruence. Traçons par exemple deux segments de droite. Comment vérifier leur égalité?
On remarquera d'emblée qu'une telle question, d'une certaine façon, est déjà une négation de
l'idéalité des figures géométriques.Les notions mathématiques sont d'origine empirique. Si, dans le cas de
l'arithmétique et de l'algèbre, les opérations se font le plus souvent par la démonstration théorique
indépendante de l'expérience27, dans le cas de la géométrie, il faut des images sensibles particulières (un
cercle sur une feuille, par exemple) qui font fonction de figures générales mais qui font obstacle à la
totale idéalisation. La géométrie ne sera donc qu'une discipline dépendante du sensible, au moins dans ses
principes, et les fruits des démonstrations à partir de ce sensible n'auront pas plus d'exactitude que ces
principes. La géométrie n'est ni totalement sensible, ni totalement idéale.
Notre question était : comment vérifier l'exactitude de deux segments de droite?
1) Si nous admettons la divisibilité à l'infini de l'espace28, cette égalité n'est pas vérifiable, puisque
chaque segment va comporter un nombre infini d'éléments que nous ne pourrons jamais découvrir. Plus!
Un segment de 1 cm aura, tout comme un segment de 2 cm, un nombre infini d'éléments!! Il faut donc
admettre, si nous voulons comparer deux segments, qu'ils aient un nombre fini d'éléments indivisibles,
des points. Mais ces points, à vrai dire, ne peuvent jamais être comptés...
2) Prenons une unité, par exemple le millimètre. On dira que deux segments sont égaux quand ils ont le
même nombre de millimètres. Or comment savoir qu'un millimètre dans le premier segment est égal à un
millimètre dans le deuxième segment. La question est toujours la même et nous n'avançons pas dans le
raisonnement. Allons jusqu'au dixième de millimètre, etc, et le problème sera toujours le même. De toute
façon, la mesure, par une règle, ne donne aucune certitude, elle est toujours approximative!
3) On pourrait dire que l'égalité se voit de façon sensible, ou (variante) qu'il suffit de superposer les
segments pour constater leur égalité ou leur inégalité. Mais c'est faire des sens le juge suprême en matière
de géométrie et avouer son caractère incertain. L'intuition sensible peut vérifier des inégalités flagrantes
mais se révèle incertaine quand l'inégalité se réduit (par exemple entre un segment de 1,11 cm et un
segment de 1,12 cm).
La géométrie est donc une science incertaine. Or, certains mathématiciens, qui s'occupent de
géométrie affirment la divisibilité à l'infini de l'étendue. Traitant d'une discipline incertaine, leurs
affirmations sont pour le moins douteuse. La thèse de la divisibilité finie de l'espace, essentielle à
l'empirisme, est donc préservée, ce qui est essentiel pour Hume.
6) Les passions (p.26)
Remarquons une chose : Hume nomme certaines passions, et précise quelques causes, mais ne
propose dans notre livre, aucune théorie des passions. L'examinateur ne peut donc pas, en toute rigueur
vous interroger sur ce passage. Néanmoins, il peut vous questionner sur les passions. En cours général,
nous traiterons cette question et parlerons de Hume. A cette occasion, je vous signalerai les propos qui
doivent intégrer à cette leçon.
27Parfois
aussi par l'intuition directe ( 3 + 2 par exemple).
au passage que l'argument humien porte aussi, dans le TNH sur la question de la divisibilité à l'infini du temps.
28Précisons
14
7) Le libre arbitre (27,28,29)
Attention ! faute de frappe ligne 1 de la page 28 (... il n'y a pas un seul cas ...)
Cette partie de l'oeuvre n'est pas très difficile.
Le modèle de référence de Hume est la matière : Tout comme nous comprenons le déterminisme matériel,
nous pouvons comprendre le détermisme psychique. En effet, que faut-il pour que le déterminisme (la
nécessité) soit reconnu dans la matière?
- L'union constante d'un fait a e d'un fait b
- L'antériorité de a
- L'inférence de l'esprit (nous l'avons vu : c'est le processus de l'habitude et de la croyance)
Nous ne sommes pas capables, nous l'avons vu aussi, d'aller plus loin, de saisir une causalité en
soi, ou un pouvoir de A de produire B. Nous sommes réduits à produire une inférence à partir de l'union
constante des phénomènes (impressions).
Examinons maintenant l'homme. Ne sommes-nous pas capables de reconnaître des unions
constantes entre des actions et des motifs (ou mobiles, peu importe ici le vocabulaire). Les hommes
agissent, mus par leurs passions, amour, haine, avarice, ambition, peur, amour-propre, etc. Nous pensons
rarement qu'un génocide a été fait par philanthropie ou qu'un vol a été commis par souci du respect des
lois. Vous ne pensez pas que le passant que vous frappez par surprise va vous remercier. Il y a donc une
grande uniformité de la nature humaine. Les mêmes mobiles sont liés aux mêmes actions.
Mais attention! Hume a bien compris que sur ce fond d'uniformité, il y a une grande diversité et
des relations complexes entre raisons et actes. Nos mobiles ne sont pas les mêmes : l'un agit par ambition,
l'autre par amour, et les mêmes actes peuvent être liés à des mobiles très différents. Hume écrit, dans
l'E.E.H:
"Les résolutions des hommes les plus irrégulières et les plus inattendues peuvent fréquemment être
expliquées par ceux qui connaissent chaque circonstance particulière de leur caractère et de leur situation.
Une personne d'obligeantes dispositions répond d'une façon bourrue : mais elle a mal aux dents ou n'a pas
dîné. Un stupide personnage montre dans son air une vivacité inaccoutumée : mais il lui est advenu une
bonne fortune soudaine."
Nous savons que, malgré le caractère constant de la nature humaine, les hommes sont capricieux et
inconstants, de même que sous l'uniformité du climat (les saisons) il y a de grandes variations. On ne peut
prévoir toutes les actions d'un individu sans le connaître. Mais apprenons à le connaître, voyons-le agir,
écoutons-le parler et peu à peu, nous serons de plus en plus capables de prévoir son comportement. N'estce pas là la preuve manifeste du déterminisme.
Ne connaissant jamais parfaitement les individus, nos conclusions ne seront jamais que probables,
ce qui ne crée aucune différence entre la matière et l'esprit puisque, nous le savons, les résultats
apodictiques des mathématiques ne sont jamais obtenus dans l'expérience.
Certains résisteront certes à l'application de la nécessité matérielle à l'esprit humain (ils auront
même parfois jusqu'à affirmer la liberté de la volonté, par exemple Descartes), mais c'est parce qu'ils n'ont
pas compris le mot "nécessité". Si nous admettons que ce mot renvoie à la seule relation des faits et à
l'inférence de l'esprit, nous n'aurons aucun mal à reconnaître le déterminisme psychique.
Si ce déterminisme n'était pas reconnu, comment pourrions-nous comprendre l'histoire des
hommes d'hier (liaison actes-mobiles)? Comment le législateur pourrait-il attendre un comportement des
sujets? comment le moraliste envisagerait-il l'influence des préceptes moraux? Comment pourrions-nous
même entretenir des relations humaines, relations possibles parce que chacun agit en fonction du
déterminisme humain? Pourquoi l'élève ferait-il de bons devoirs si la liaison entre la qualité du travail et
le jugement du professeur n'avait pas une certaine constance. En fait - et je crois que Hume fait preuve de
bon sens - nous reconnaissons tous, par nos jugements et nos actions, le déterminisme.
8) Les lois d'association (30,31)
Pourtant, si nous nous observons intérieurement, nous constatons que notre esprit a une grande
liberté : nous sommes capables de nous transporter par la pensée à l'autre bout de l'univers, ou dans une
époque du passé; nous sommes capables d'inventer les fictions les plus éloignées de la réalité empirique.
Serait-ce là la négation de liaison de nos perceptions? En fait "quelque illimitée que paraisse la liberté de
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notre pensée, nous découvrirons, en y regardant de plus près, qu'elle est en réalité resserrée dans des
limites fort étroites, et que tout ce pouvoir créateur de l'esprit n'est rien de plus que la faculté de combiner,
transposer, accroître ou diminuer les matériaux que nous fournissent les sens et l'expérience. Quand nous
pensons à une montagne d'or, nous ne faisons que réunir deux idées capables de s'accorder, celle d'or et
celle de montagne , qui nous étaient déjà familières. Nous pouvons concevoir un cheval vertueux; car,
d'après le sentiment propre que nous en avons, nous pouvons concevoir la vertu; et il nous est possible de
joindre celle-ci à la figure et à l'image du cheval, animal qui nous est familier. En un mot, tous les
matériaux de la pensée tirent leur origine de notre sensibilité externe ou interne: l'esprit et la volonté n'ont
d'autre fonction que de mêler et combiner ces matériaux. Ou encore, pour m'exprimer en termes
philosophiques, toutes nos idées, c'est-à-dire nos perceptions les plus faibles, sont les copies de nos
impressions, c'est-à-dire de nos perceptions les plus vives."(E.E.H)
Notre liberté semble bien n'être qu'apparente. De plus, examinons les discussions les plus
décousues, les rêveries, etc., et nous nous rendrons compte que nos idées ne se lient pas n'importe
comment. Pourquoi vais-je - pour prendre d'abord des exemples simples - passer de l'idée de lycée à l'idée
d'élève? Pourquoi vais-je passer de l'idée de samedi à l'idée de dimanche? Pourquoi vais-je passer de
l'idée de Feu à l'idée de brûlure? On remarque qu'il y a entre nos idées des liaisons qui sont
essentiellement :
- la contiguïté (spatiale et temporelle)
- La ressemblance
- La causalité
Si nous pouvons comprendre un récit, c'est parce que l'auteur respecte ces liaisons. Il ne le ferait
pas que le récit deviendrait incompréhensible. Derrière l'apparente liberté de notre esprit (et
particulièrement de l'imagination créatrice) se dissimulent des principes réguliers de la nature humaine,
des lois d'association des perceptions. Ce constat renforce la thèse du déterminisme.
9) Le "pour nous" de la fin de l'abrégé :
Relisez les dernières lignes de l'abrégé : Les relations d'association (contiguïté, ressemblance,
causalité) renvoient à notre nature, à notre constitution psychologique, non à une réalité autre (monde
objectif du réalisme, etc). C'est pour nous, hommes, que les impressions (et non les objets extérieurs) se
lient selon ces lois de la nature humaine. Hume n'est pas Kant, nous l'avons déjà dit (il ne statue pas sur
l'existence d'une réalité autre que les impressions - noumènale chez Kant) mais il y a déjà en germe l'idée
de phénomène, l'idée que le monde est un monde irrémédiablement 29 relatif au sujet 30.
HUME :PLAN
I - L'introduction de l'abrégé.
1) La philosophie morale ou science de la nature humaine :
a) Distinction préliminaire :
29Irrémédiablement.
Autrement dit n'existe pas de démarche particulière (ontologie, métaphysique, etc) qui pourrait nous
permettre d'accéder à autre chose (par exemple comme Platon qui passe du sensible à l'intelligible).
30Je ne parle pas ici du sujet individuel, mais du sujet universel.
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b) Les deux sortes de philosophie morale :
b1) La présentation de l'E.E.Humain :
b2) La présentation de l'abrégé :
2) La méthode de la science de la nature humaine :
a) Que faut-il entendre par "nature humaine"?
b) L'inspiration newtonienne :
c) Les règles de la méthode :
3) Les fonctions d'une science de la nature humaine :
4) Le problème de la probabilité :
5) La causalité.
II - IMPRESSIONS ET IDEES
1) Définitions:
a) Le point de départ :
b) Distinction :
c) Affirmation du 1er principe de la nature humaine :
d) Une éventuelle objection :
2) Où Hume veut-il en venir?
a) Les fameuses idées innées.
b) Le nominalisme :
c) La surveillance de la mauvaise métaphysique :
3) L'allusion à Locke :
III - LA THEORIE DE LA CAUSALITE
Introduction : le projet de Hume.
1) Expérience et causalité (p.7 à p.12)
a) La raison et les faits. La raison et ses deux types d'objets :
b) Cause et effet donnés directement aux sens.
c) L'inférence de la cause à l'effet :
d) Le sens de l'exemple d'Adam :
2) Habitude et croyance.(p.12 à 20)
a) L'habitude ou coutume (custom, habit)
b) La croyance (belief) :
c) Appliquons aux opérations de l'esprit (page 19) :
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