I. La cohésion commerciale au sein des pays asiatiques orientaux

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Chapitre 8
La dynamique de change régionale en Asie orientale
– vers un processus naturel d’intégration monétaire ?
Dans le chapitre précédent, nous avons mené une étude sur la dynamique de change
régionale en Europe, en mettant en évidence la nature institutionnelle du processus
d’intégration monétaire qui s’y déroule depuis plus de deux décennies, et qui se concrétise à
l’heure actuelle par la mise en place ultime de la nouvelle monnaie européenne, l’euro.
Contrairement aux pays européens, les pays d’Asie orientale demeurent, de nos jours,
relativement hétérogènes entre eux, en termes d’institutions et de politiques économiques.
Certes, la création et le fonctionnement continu des organismes régionaux tels que l’ASEAN
(Association des nations de l’Asie du Sud-Est) et l’APEC (Coopération économique AsiePacifique) reflètent une certaine volonté politique des gouvernements asiatiques de renforcer
la cohésion économique entre eux. Cependant, l’amplitude de l’influence que peuvent avoir
ces organisations sur le développement régional de l’économie asiatique reste limitée, en
raison de leur nature plutôt officieuse qu’officielle. A cet égard, l’impact de ces initiatives de
coopérations sur le processus d’intégration économique entre pays asiatiques demeure peu
significatif, si nous le comparons au processus d’intégration en Europe. D’ailleurs, les deux
principaux acteurs qui ont un poids prépondérant dans les économies de cette région, à savoir
les Etats-Unis et le Japon, sont toujours loin d’être des « partisans » enthousiastes, favorables
et prêts à mener un processus officiel d’intégration économique comme celui de l’Europe.
Cette absence de détermination de la part de ces deux « leaders régionaux » se traduit, en
conséquence, par un paysage varié dans l’économie asiatique.
Cependant, depuis la fin des années 80, un mouvement implicite de régionalisation
économique commence à être visible en raison de trois facteurs politico-économiques. Tout
d’abord, le processus de libéralisation et d’internationalisation des secteurs bancaire et
financier du Japon au cours des années 80 a permis aux entreprises japonaises de pouvoir
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enfin étendre plus facilement leurs activités en dehors du Japon, ce qui a, par conséquent,
pour effet de dynamiser l’investissement japonais à l’étranger, en particulier dans les pays
voisins. Le lien économique entre le Japon et les autres pays de la région s’est donc davantage
renforcé. Ensuite, la Chine et les pays indochinois (Viêt-nam, Cambodge et Laos) s’ouvrent
de plus en plus en termes d’économie vers les autres pays. Grâce au facteur de proximité, ces
nouveaux arrivants dans l’économie de marché commencent leur « expérience », en faisant du
commerce avec les pays d’Asie orientale. Sans doute la présence régionale de ces pays,
notamment celle de la Chine, étant donné la taille potentielle de son économie, a-t-elle servi à
intensifier les échanges commerciaux au sein de cette zone. Enfin, après l’émergence souvent
décrite comme « miraculeuse » des quatre « nouveaux pays industrialisés » asiatiques –
Taïwan, la Corée du Sud, Hong Kong, et Singapour – dont les économies ont pris leur essor
dès les années 70, un second groupe de pays asiatiques, dont la Malaisie, la Thaïlande, les
Philippines, et l’Indonésie, a également rejoint leurs pays voisins, en jouant un rôle plus
important dans le commerce « intra-asiatique ».
Ce processus de régionalisation en termes de commerce et d’investissement est ainsi
le principal « moteur » qui favorise une cohésion plus forte entre les économies de l’Asie
orientale. Cependant, il demeure loin d’être aussi institutionnalisé que le processus de
régionalisation en Europe, même si les politiques d’ouverture des pays asiatiques ont
implicitement participé à son émergence. Comme nous l’avons souligné précédemment,
l’existence d’une volonté suffisante, de la part des autorités officielles asiatiques, en matière
de coopération institutionnalisée, de créer une zone économique comme celle de l’Europe
s’avère, à l’heure actuelle, loin d’être vraisemblable. Ce sont, en revanche, les entreprises
privées dans ces pays asiatiques qui tissent les liens économiques entre eux, en diversifiant
leurs activités au sein de la région. En d’autres termes, le mouvement d’intégration
économique en Asie orientale représente, en grande partie, un processus de cohésion conduit
par les « forces du marché », lesquelles sont reflétées dans les diverses interactions entre
agents privés de cette région, qui cherchent une meilleure stratégie pour optimiser leurs
profits dans ce contexte.
Si le processus de régionalisation en Asie orientale est, depuis la fin des années 80,
considéré comme un fruit naturel résultant de la recherche permanente de la part des acteurs
privés d’une meilleure efficacité sur les marchés, il est, à cet égard, logique de soulever une
question connexe : ce processus « naturel » de régionalisation économique asiatique aura-t-il
pour effet de favoriser également une intégration monétaire des devises asiatiques, par ce
même biais que sont les « forces du marché » ? En d’autres termes, il serait important de
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savoir s’il existe également, dans la sphère monétaire, un processus implicite d’intégration,
comme dans la sphère économique en Asie orientale1. Afin de mieux répondre à cette
question, il est indispensable de mesurer d’emblée l’ampleur de la cohésion asiatique résultant
de ce processus implicite de régionalisation. Il est toutefois important de souligner que, dans
ce chapitre, nous nous contentons de porter notre attention essentiellement sur l’aspect
commercial de cette cohésion économique régionale en Asie orientale, pour deux raisons.
D’une part, contrairement aux échanges commerciaux, les investissements directs à l’étranger
représentent, pour les entreprises en question, une stratégie alternative en partie fondée sur
une logique de couverture du risque de change dans une optique de long terme. Aussi est-il
plus pertinent d’examiner la dynamique du commerce extérieur entre pays asiatiques, et non
pas celle des investissements croisés au sein de cette région, si notre objectif consiste à
apprécier le lien de la régionalisation économique en Asie orientale, avec un éventuel
processus implicite d’intégration monétaire au sein de cette zone économique. D’autre part, la
qualité des statistiques disponibles concernant ces investissements directs « intra-asiatiques »
demeure encore peu satisfaisante, d’autant que ces statistiques sont souvent peu compatibles
entre elles.
C’est dans cet esprit que nous organiserons ce chapitre de la manière suivante. Dans la
première section, nous analyserons l’évolution de la cohésion commerciale entre pays
asiatiques sous un angle global, et étudierons ensuite, dans la seconde section, l’évolution du
rôle spécifique que joue chaque pays d’Asie orientale vis-à-vis de ses voisins, dans le domaine
du commerce extérieur. Ces analyses nous permettront de mieux percevoir, d’un côté, à quel
stade est arrivé ce processus de régionalisation asiatique aujourd’hui, et de l’autre, quelles
sont les relations commerciales privilégiées par chaque pays asiatique pour des raisons
différentes. Avant de transposer le résultat de ces analyses concernant l’aspect commercial de
la régionalisation asiatique, à la sphère monétaire, nous examinerons, dans la troisième
section, les études connexes dans la littérature économique, et analyserons enfin, dans la
1
Il existe, certes, des dialogues régionaux en matière de coopération monétaire au niveau des institutions,
entre autres, l’EMEAP (Executive Meeting of East Asia and Pacificic Central Banks) qui englobe l’Australie, la
Chine, Hong Kong, l’Indonésie, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Corée
du Sud, et la Thaïlande. Le Japon a même proposé en 1997 la mise en place d’un certain « Fonds monétaire
asiatique » visant à protéger les devises asiatiques contre des crises de change. Cette proposition fut pourtant
rejetée par les Etats-Unis et la Chine, et s’avère à l’heure actuelle encore loin d’être réalisable. Un processus
d’intégration monétaire asiatique, s’il est présent, ne peut donc être conduit que par les forces du marché, et non
pas les institutions asiatiques.
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quatrième section, l’impact qu’a cette régionalisation commerciale au sein de la zone
asiatique sur une éventuelle présence implicite d’un processus d’intégration des monnaies
nationales en Asie orientale.
I. La cohésion commerciale au sein des pays asiatiques orientaux : bilan
Avant de déterminer l’impact de la régionalisation commerciale sur la cohésion
monétaire au sein des pays asiatiques, il convient d’apprécier d’emblée la profondeur du
processus d’intégration conduit dans le domaine du commerce extérieur, activité clé pour ces
économies asiatiques. Nous présentons, tout d’abord, le tableau 8-1 à la page suivante, lequel
récapitule, au cours des deux dernières décennies, l’évolution des échanges internationaux
asiatiques, en termes de poids des trois principaux acteurs : les Etats-Unis, le Japon, et
l’ensemble des pays de la zone euro1. D’après ce tableau, nous constatons que le Japon, pôle
économique de la région, entretient toujours une relation commerciale privilégiée avec les
Etats-Unis, relation particulièrement forte pendant la seconde partie des années 80. Nous
pouvons remarquer également un déséquilibre entre les deux rôles que jouent les Etats-Unis
en tant que partenaire commercial du Japon : les Etats-Unis ont une importance beaucoup plus
grande dans les exportations japonaises que dans les importations, ce qui explique en partie la
persistance du déficit courant américain. Par rapport aux Etats-Unis, les pays de la zone euro
sont relativement « timides » dans le commerce extérieur japonais, notamment dans les
importations japonaises : à peine 10 % de « part de marché » malgré une hausse significative
depuis la fin des années 80.
Après avoir examiné le commerce du Japon avec les Etats-Unis et les pays de la zone
euro, nous abordons ensuite l’influence de ces trois acteurs sur les autres pays de l’Asie
orientale. Nous constatons ici une hétérogénéité du mode d’échanges commerciaux, au sein
de ces différentes économies.
1
Le choix des pays de la zone euro au lieu de l’ensemble des pays de l’Union européenne nous sert à mieux
appréhender l’évolution du rôle potentiel que l’euro peut jouer en Asie dans les transactions commerciales
internationales.
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