Le chômage

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Le chômage
Doc. a Taux de chômage harmonisés
Japon
Roy.-Uni
Zone €
3,4
5,6
10,8
en % de la population active
Estimation pour novembre 2015 en % de la population active
Allemagne
4,5
Autriche
5,6
Etats-Unis 5,2
Danemark
6,1
Pays-Bas
6,8
France
10,8
Italie
11,7
Espagne
21,8
Grèce
25,0
:
Source : O.C.D.E
.
Doc. b Trois définitions statistiques du chômage
1975
au sens du B.I.T.
ou déduit
(enquête-emploi
de l’INSEE)
Etre sans travail.
Etre disponible immédiatement pour travailler.
Etre en recherche effective d’un emploi
Etre sans emploi (sauf activité réduite > 78 heures)
Etre disponible pour travailler
Etre à la recherche d’un emploi à temps plein en CDI
(inscrit en catégorie A)
Se déclarer chômeur et ne pas déclarer ne pas être à la
au sens du recensement
recherche d’un emploi
ou spontané
Ou se déclarer mère de famille, femme au foyer ou
retraité et déclarer être à la recherche d’un emploi
Rapport entre les estimations extrêmes
au sens de Pôle Emploi
ou enregistré
(DEFM)
815
1990
2010
2015
2250
2653
2900
(3ème
trimestre)
755
2520
2680
3575(nov .)
(5442 toutes
catégories
confondues)
841
2733
3370
???
89,8%
82,4%
78,7%
Doc. c La critique keynésienne de la théorie classique du chômage
L'explication généralement admise est, si nous la comprenons bien, des plus simples. Elle ne fait intervenir aucune répercussion
indirecte, semblable à celles que nous examinerons par la suite. Le raisonnement est simplement le suivant: toutes choses égales
d'ailleurs, une réduction des salaires nominaux, en diminuant le prix des produits finis, stimule la demande et par suite développe
la production et l'emploi […]
Si tel est bien le principe du raisonnement (et sinon nous ignorons quel il peut être), l'argumentation est certainement fallacieuse.
Car, pour tracer la courbe de la demande dans une industrie particulière, on est obligé d'adopter certaines hypothèses fixes quant à
la forme des courbes de l'offre et de la demande dans les autres industries et quant au montant de la demande effective globale. Il
n'est donc pas légitime de transférer le raisonnement à l'industrie dans son ensemble à moins d'y transférer aussi l'hypothèse de la
fixité de la demande effective globale. Or cette hypothèse réduit l'argumentation à une pétition de principe. Personne en effet ne
songerait à nier que, lorsque la demande effective reste constante, une réduction des salaires nominaux s'accompagne d'une
augmentation de l'emploi ; mais la question qui se pose est précisément de savoir si les salaires nominaux réduits se trouveront ou
non associés à une demande effective globale qui, mesurée en monnaie, sera égale à la demande antérieure ou qui, au moins,
n'aura pas subi une réduction pleinement proportionnelle à celle des salaires nominaux (i. e. qui, mesurée en unités de salaire, sera
plus ou moins supérieure à la demande initiale). Mais, s'il est interdit à la Théorie Classique d'étendre par analogie à l'industrie
dans son ensemble ses conclusions relatives à une industrie particulière, elle est tout à fait incapable d'indiquer l'effet qu'une
réduction des salaires nominaux produit sur l'emploi, car elle n'a aucune méthode d'analyse qui lui permette de résoudre le
problème. La Theory of Unemployment du professeur Pigou nous semble extraire de la Théorie Classique tout ce qu'on peut en
tirer ; l'ouvrage est donc une preuve saisissante de l'inutilité de cette théorie lorsque on l'applique à la recherche des facteurs qui en
fait déterminent le volume global de l'emploi
John M. KEYNES, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936, Livre V, « Salaires nominaux et prix »
Le chômage
Doc. d la typologie de la théorie du déséquilibre
Marché des biens
O>D
D>O
Marché du travail
O>D
D>O
Chômage keynésien
Chômage classique Inflation contenue
D’après E. MALINVAUD, Réexamen de la théorie du chômage, 1980
Doc. e Le salaire minimum en France et aux Etats-Unis, 1950-2013
Lecture : Converti en pouvoir d'achat de 2013, le salaire minimum horaire est passé de 3,8$ à 7,3$ de 1950 à 2013 aux EtatsUnis, et de 2,1€ à 9,4€ en France.
Thomas PIKETTY, Le capital au XXIème siècle, chap. 9
Doc. f La substitution des facteurs de production lorsqu’on prend en compte la qualification du travail :
Travail substituable au Capital
 Travail non qualifié
substituable au
substituable au
Travail qualifié
complémentaires
Capital
Doc. g Taux de croissance annuels moyens du PIB, de la productivité et de l’emploi en France
en %
1950-1974 1975-1989 1990-2007 2008-2014
PIB (Y)
5,3
2,4
1,9
0,3
Productivité par tête (Y/N)
4,8
2,2
1,1
0,3
Emploi (N)
0,5
0,2
0,9
0,0
Doc. h Politiques de stimulation de la demande de travail
1795-1834 : Speenhamland Act.
Mars-juin 1848 : expérience des Ateliers Nationaux à Paris.
1935-1943 : Work Progress Administration aux Etats-Unis
1936 : Durée réglementaire du travail hebdomadaire à 40h
en France
1938 : le Fair Labor Standars Act instaure un salaire
minimum et plafonne la durée réglementaire du travail à
44h au x Etats-Unis
1981 : Durée du travail hebdomadaire à 39h en France
1982 : désindexation des salaires
1984 : Travaux d’Utilité Collective.
Depuis 1993 : allègement de cotisations sociales
1997-2002 : emplois-jeunes
1998-2000 : lois Aubry I et Aubry II fixant à 35h par semaine
la durée réglementaire du travail
2003 : Loi Fillon assouplissant les lois Aubry
2012 : Emplois d’avenir et contrats de génération
2013 : Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi
(C.I.C.E.)
2014 : pacte de responsabilité
2016 : Prime à l'embauche pour les P.M.E.
Le chômage
doc. i Demandeurs d’emploi et naissances
Michel AGLIETTA, Didier BLANCHET &
François HERAN,
« Démographie et économie », Rapport du
C.A.E., 2002
http://www.cae.gouv.fr/Demographie-eteconomie.html
Doc. j Impact théorique de l’immigration sur le marché du travail en équilibre partiel
w/p
L’immigration déplace LS vers la droite.
S
L avant immigration
LS après immigration
L’emploi d’équilibre augmente de LI à LF, le salaire d’équilibre
diminue de (w/p)I à (w/p)F.
L’emploi des travailleurs présents avant l’immigration diminue
de LI à L’F.
(w/p)I
(w/p)F
L’emploi immigré correspond à LF-L’F.
LD
L’F
LI
LF
L
L’aire colorée correspond à l’augmentation du profit des
employeurs.
D’après M. BURDA & C. WYPLOSZ,
Macroéconomie, une perspective européenne, 2014
Doc. k Les politiques de l’offre de travail :
des politiques malthusiennes…
… à l’activation des dépenses passives
1974 : interruption de l’immigration de travail
2001 : la Prime Pour l’Emploi (P.P.E.) instaure un crédit
1977 : aide au retour
d’impôt pour les salariés
1979 : programme de préretraites dans la métallurgie
2001 : Plan d’Aide au Retour à l’Emploi (P.A.R.E.)
1985 : congé parental (Allocation Parentale d’Education 2009 : Revenu de Solidarité Active (R.S.A.)
A.P.E.) pour les parents de 3 enfants ou plus qui interrompent 2016 : la prime d'activité Fusionne la P.P.E. et le R.S.A.
leur activité.
2016 : proposition de loi visant à faire disparaître le chômage
1994 : extension du congé parental rémunéré dès le 2ème enfant. de longue durée
Doc. l : Taux de chômage courant et NAIRU en France en % de la population active
Taux de chômage courant
NAIRU
Données O.C.D.E.
Le chômage
Doc. m Le modèle d’appariement
Forme de VS : lorsque le taux de chômage augmente, les
salaires réels tendent à être plus faibles et les emplois vacants
trouvent plus facilement preneurs, ce qui peut inciter les
entreprises à accroître l’offre d’emplois vacants.
v (taux d’emplois vacants)
Position de VS : dépend de chocs macroéconomiques.
VS (job vacancies supply)
(offre d’emplois vacants)
Forme de la courbe de Beveridge : moins les entreprises offrent
d’emploi, plus le chômage est important.
Position de la courbe de Beveridge : sa proximité par rapport
aux axes est une indication de l’efficacité de l’appariement
v*
UV (courbe de Beveridge)
u*
u (taux de chômage)
D’après William BEVERIDGE,
Full Employment in a Free Society, 1945
Dale T. MORTENSEN & Chrisotpher A. PISSARIDES,
"Job Creation and Job Destruction in the Theory of
Unemployment", Review of Economic Studies, 1994)
Doc. n La courbe de Beveridge dans la zone Euro
Part des employeurs déclarant rencontrer des pénuries de main
d'oeuvre
Lecture : au 2ème trimestre
2014 (14Q2), le taux de
chômage dans la zone € s'élève
à 11,5%. Environ 5% des
employeurs déclaraient
rencontrer une pénurie de main
d'oeuvre.
Sources : Eurostat,
Commission Européenne
Boele BONTHUIS, Valerie
JARVIS, Juuso VANHALA,
« Shifts in euro area Beveridge
curves and their
determinants »,
Bank of Finland Research
Discussion Papers, 2015 , p.5
Taux de chômage en %
https://helda.helsinki.fi/bof/bitstre
am/handle/123456789/13552/BoF
_DP_1502.pdf
Doc. o Les politiques de flexibilité du marché du travail
1967 : A.N.P.E.
1986 : libéralisation du recours au C.D.D. et à l’intérim
1987-2007 : contribution Delalande
1998-2000 : lois Aubry I et Aubry II fixant à 35h par semaine la durée réglementaire du travail
2001 : Plan d’Aide au Retour à l’Emploi (P.A.R.E.)
2002 – 2006 : réformes Hartz en Allemagne : « mini-jobs » et « midi-jobs », fusion de l’assistance sociale et de l’assistance chômage
(Hartz IV), placement des chômeurs.
2003 : Loi Fillon assouplissant les lois Aubry
2005 : le placement est ouvert à la concurrence
2008 : Rupture conventionnelle du contrat de travail + C.D.D. sur objet défini. Fusion de l’A.N.P.E. et de l’assurancePôle-emploi.
2013 : loi sur la sécurisation de l’emploi.
2016 : assouplissement du droit du travail ? / 500 000 formations pour les chômeurs de longue durée.
L’emploi temporaire (CDD + intérim) représente actuellement plus de 15% des salariés et 80% des embauches.
Le chômage
Doc. p les formes de la flexibilité du travail
interne
externe
quantitative
chômage partiel,
flexibilité salariale
CDD, intérim, mini-jobs,
rupture conventionnelle…
qualitative
Polyvalence
Sous-traitance
Doc. q Les inégalités face à l’emploi en 2013
Global
10,3
5,2
69,6
77,3
Femmes
10,2
4,9
65,6
72,5
Jeunes (15-24 ans)
24,8
7,8
44,5
58,1
Seniors
Nés à l'étranger
France
16
Taux de chômage
(chômeurs / pop. active)
Allemagne
8
France
45,6
Taux d’emploi
(actifs occupés / pop. totale) Allemagne
63,6
Données Eurostat et O.C.D.E. en %
La stratégie de l’Europe pour l’emploi - Europe 2020 - donne pour objectif un taux d’emploi global fixé à 75%
Doc. r Le modèle WS/PS
w/p (salaire réel)
PS
(w/p)*
WS
u*
u (taux de chômage)
Forme de PS (Price Setting) : les entreprises fixent le niveau des prix p en
fonction du salaire w, de sorte à dégager une marge bénéficiaire. Elles opèrent en
concurrence imparfaite. Une hausse du chômage les pousse à comprimer leur
marge et le prix, ce qui entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une hausse du
salaire réel. Le salaire réel est donc une fonction croissante du chômage.
Position de PS : tout ce qui accroît les prix déplace PS vers la droite, par exemple
une hausse du prix du pétrole, des prélèvements obligatoires, une moindre
concurrence.
Forme de WS (Wage Setting) : les exigences salariales des salariés et de leurs
syndicats sont tempérées par le niveau du chômage : le salaire réel est donc une
fonction décroissante du taux de chômage.
Position de WS : tout ce qui accroît les exigences salariales déplace WS vers la
droite, par exemple une meilleure indemnisation du chômage, un pouvoir de
négociation des syndicats renforcés etc…
D’après R. LAYARD, S. NICKELL & P. JACKMAN Unemployment, Macroeconomic Performance and the Labour Market, 1991
Doc. s Le modèle danois de flexicurité
On peut parler de complémentarité
institutionnelle, puisque la fonction de
réallocation du travail n’est assurée qu’à
travers la conjonction de trois dispositifs – le
droit du travail, la couverture sociale et une
politique d’emploi active – régissant les
relations des trois acteurs : les entreprises, les
salariés et l’État. Les bénéfices de cette
configuration – plus grande réactivité et
croissance de la productivité – sont ensuite
partagés entre ces mêmes acteurs, selon leurs
propres objectifs : la survie et la profitabilité
des firmes grâce à la compétitivité, la sécurité
du revenu pour les salariés, la capacité de
prélèvements obligatoires pour l’État.
Robert BOYER,
La flexicurité danoise, quels enseignements
pour la France , 2006, p.19,
http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS
02.pdf
Le chômage
Doc. t Dépenses en faveur des chômeurs en points de PIB
… et rapportées au taux de chômage
Données O.C.D.E, 2013
In Jérôme GAUTIE,
Le chômage, 2015, p..90
doc. u Des politiques de l'emploi timorées ?
Ce livre apporte une mauvaise et une bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle est que le marché du travail ne fonctionne pas
comme nous l'aurions rêvé. […] La bonne nouvelle est que nous connaissons aujourd'hui un peu mieux qu'hier les grandes lignes
des réformes pour diminuer le chômage et créer des emplois. Elles ne sont pas faciles à mettre en oeuvre, car les résultats à court
terme sont peu spectaculaires et elles soulèveront inévitablement l'opposition, parfois légitime, de groupes d'intérêt. Mais
construire une nouvelle liaison ferroviaire présente les mêmes difficultés. Les riverains y sont en général hostiles même si elle est
souhaitable pour la collectivité. Qu'il s'agisse de l'assurance chômage, de la législation sur les licenciements, du système fiscale ou
de la réorientation des politiques d'emploi, toute intervention publique désavantagera certaines personnes. Le rôle du politique est
de surmonter ces difficultés afin de mettre en oeuvre des réformes qui augmentent l'emploi et donc, du même coup, les possibilités
de redistribution, notamment en faveur des plus démunis. L'analyse économique s'est efforcée de dégager ce qui pourrait fonder
un consensus minimal. Récapitulons brièvement les enseignements les plus marquants.
1. 10 000 emplois sont détruits et créés chaque jour ouvrable en France. Ce processus est le moteur de la croissance et du
progrès matériel. Si nous voulons améliorer notre niveau de vie, nous devons accepter de vivre dans une société où des
milliers d'emplois sont quotidiennement créés et détruits. Actuellement, la législation du travail se fonde pour l'essentiel
sur une logique répressive inadaptée à cette réalité. Il faut lui substituer une logique de prévention qui n'est pas synonyme
d'absence de régulation. La protection de l'emploi doit être basée sur des mesures fiscales incitant les entreprises à mieux
2.
3.
4.
Le chômage
tenir compte de la valeur sociale des emplois. D'autre part, le système d'assurance chômage doit être bâti sur un
engagement mutuel entre les services de l'emploi et le chômeur, dans lequel des indemnités conséquentes et un
accompagnement permanent sont fournis en contrepartie d'obligations et de contrôles en matière de recherche d'emploi.
En France, le coût du travail au niveau du salaire minimum est un obstacle à l'emploi. Il est possible d'y remédier en
poursuivant les allégements des charges sociales, voire en subventionnant certaines embauches. Cette voie présente
l'avantage de préserver le pouvoir d'achat de travailleurs dont les rémunérations sont les plus faibles et de ne pas accroître
les inégalités salariales. Mais cette voie coûte cher car les baisses de charges et les subventions doivent être financées.
Une solution alternative consisterait à redistribuer du revenu via le RSA qui permet de mieux cibler les bénéficiaires.
A première vue, retirer des personnes de la population active (en les dispensant de rechercher un emploi par exemple) ou
créer directement un emploi dans le secteur public sont les façons les plus sûres de diminuer le chômage.
Malheureusement, les évaluations disponibles montrent que c'est exactement le contraire qu'il faut faire : réduire la
population active détruit des emplois et, à terme, les aides à l'emploi sont plus efficaces lorsqu'elles sont ciblées vers un
emploi régulier du secteur marchand.
Les dépenses publiques en formation professionnelle améliorent les perspectives d'emploi et de revenu dans des
circonstances très particulières. Très fréquemment, elles profitent surtout à ceux issus des milieux les plus favorisés et
n'ont aucun impact sur les personnes les plus déshéritées. Elles ne constituent, en aucun cas, un remède miracle. Il est
certes possible d'améliorer la productivité des travailleurs adultes peu qualifiés ; mais cela coûte très cher et il est
généralement plus efficace d'intégrer ces personnes dans l'emploi en réduisent le coût de leur travail. Les dépenses
publiques de formation devraient être réorientées dans deux directions : tout d'abord, vers les jeunes enfants issus de
milieux défavorisés en intervenant surtout en marge de l'école et en interaction avec le milieu familial ; ensuite vers des
programmes ciblés, avec un suivi long et coûteux des bénéficiaires, ce qui suppose d'en finir avec le saupoudrage des
aides.
Ces résultats ne nous font pas forcément plaisir, mais ils sont incontournables. Qu'ils soient si peu acceptés -non seulement de
beaucoup de nos concitoyens, mais aussi de nombreux hommes politiques-, explique en partie pourquoi il y a tant de chômeurs en
France. On comprend que les hommes politiques, au pouvoir ou aspirant à y accéder, répugnent à affronter le réel. Les échéances
électorales répétées encouragent à privilégier le court terme et incitent à ménager les groupes d'intérêt. Mais un grand nombre
d'intellectuels portent aussi une part de responsabilité. En rejetant les enseignements de l'analyse économique, souvent sans
discernement, ils se sont privés des outils qui leur auraient permis de réfléchir objectivement aux mécanismes qui gouvernent la
production et la distribution des richesses dans le monde réel. Cet aveuglement fait qu'une grande partie des élites françaises vit
dans une forme de pensée économique qui relève plus des croyances fantasmagoriques que du rationalisme. On y attend
l'inversion des courbes et le retour de la croissance, comme les anciens attendaient le retour de la pluie.
Pierre CAHUC & André ZYLBERBERG, Les ennemis de l'emploi, Champs Flammarion, 2015, pp.217-220
Doc. v La flexicurité aveugle-t-elle les politiques de l'emploi ?
Tous les marchés du travail des grands pays européens souffrent donc des mêmes maux. Partout s’impose un mouvement
puissant de transformation des relations de travail générées par les modes de production de la révolution industrielle en cours.
Partout, les travailleurs européens font face à l’importation par les entreprises de technologies (et d’organisation) adaptées aux
profils de la main-d’œuvre américaine.
Cela ne signifie pas que le « Nous n’y pouvons rien » de François Mitterrand soit exact. La politique éducative a cherché à
répondre au besoin en personnels qualifiés des entreprises et de l’Etat. Mais la politique de l’emploi a plutôt eu tendance à
surréagir en accentuant la mécanique du capitalisme vers une précarisation des trajectoires professionnelles ; l’Etat lui-même est
devenu un acteur de la précarisation d’une part croissante de ses agents. Cette fuite en avant se dévoile dans la redécouverte
permanente de dispositifs, pourtant déjà expérimentés, sans grande efficacité et dans la recherche constante d’un modèle étranger
meilleur que le sien. La « flexibilité » du marché du travail est de fait atteinte partout sans avoir tenu sa promesse d’amélioration
des opportunités d’emploi. […]
Parallèlement, l’obsession du plein emploi a poussé l’ensemble des grands pays occidentaux à abandonner la question des
salaires au nom de l’emploi : déflation du salaire minimum sous Reagan, affaiblissement des syndicats sous Thatcher,
désindexation des salaires sous Fabius, mini-jobs de Schröder. Conjugué aux biais technologiques et organisationnels, cet abandon
a légué une déformation du partage primaire des richesses au détriment de la grande masse des travailleurs, source de déséquilibre
du capitalisme. Les salaires sont également devenus flexibles à travers la montée des parts variables, les transformant en variable
d’ajustement face aux retournements conjoncturels, et donc en assurance du rendement du capital.
Le partage des richesses ne pouvant être encore plus déformé sans accentuer ce déséquilibre, les « rigidités » du marché du
travail étant abolies ou mitées, les politiques de libéralisation du marché du travail ont partout atteint leurs limites.
Philippe ASKENAZY, Les décennies aveugles, Emploi et croissance, 1970-2010, 2011, pp. 276-278
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