SESS_3_-_RESUME_S._GUEZ

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Choc anaphylactique, œdème de Quincke :
prise en charge en urgence et prévention
Stéphane Guez, C.H.U. Pellegrin-Tripode, Service de Médecine Interne et
d'Allergologie - 33076 Bordeaux cedex
Introduction :
Les connaissances physiopathologiques et les données expérimentales permettent de penser que la
prise en charge d’une réaction anaphylactique sévère (choc ou œdème de Quincke) est simple, basée
sur l’utilisation d’adrénaline qui contrecarre les effets indésirables liés à la libération massive
systémique d’histamine. Mais en pratique, le traitement de l’anaphylaxie n’est pas aussi facile, et la
réalité clinique ne correspond pas toujours aux résultats escomptés d’après les données théoriques.
Nous allons donc partager notre exposé en 2 parties :
- la première concernant le rappel physiopathologique de l’anaphylaxie de l’enfant,
- et la deuxième concernant la réalité clinique de cette anaphylaxie aussi bien dans ses conditions de
survenue que dans son traitement curatif et préventif, en s’appuyant sur les données d’études
récentes réalisées en milieu pédiatrique.
1 – Physiopathologie de l’anaphylaxie et applications thérapeutiques : (1)
L’anaphylaxie est la manifestation la plus sévère de l’allergie.
Le déroulement de la réaction allergique est maintenant bien connu. Il faut un premier contact dit
sensibilisant avec l’allergène, qui correspondant à la production d’IgE spécifiques de cet allergène.
Durant cette phase asymptomatique, les IgE se fixent sur les cellules cibles en particulier les
mastocytes et les basophiles. Lors d’un deuxième contact dit allergisant, la liaison directe de
l’allergène avec les IgE fixées sur les cellules cibles entraîne l’activation de celles-ci avec libération
massive d’histamine. Le plus souvent cette libération augmente au fur et à mesure des contacts
répétés avec le même allergène : il existe donc d’abord des réactions allergiques mineures, qui
deviennent ensuite de plus en plus sévères jusqu’à l’anaphylaxie. Cependant, il est également
possible d’entrer directement dans la maladie allergique par une réaction anaphylactique comme dans
l’allergie au venin d’hyménoptère. C’est l’augmentation brutale d’histamine dans la circulation générale
qui est responsable des manifestations cliniques de l’anaphylaxie. (A noter que l’histamine peut être
également libérée de façon non spécifique soit par d’autres immunoglobulines soit par l’activation de
récepteurs membranaires comme ceux des fractions du complément (C3a et C5a). La prise en charge
de cette réaction, dite alors anaphylactoïde, est identique à celle de l’anaphylaxie puisque la libération
d’histamine est équivalente.)
Le choc anaphylactique évolue en deux phases : une phase hyperkinétique avec urticaire et/ou angioœdème, puis une phase hypovolémique liée à la vasodilatation du système capillaire avec
augmentation de la perméabilité vasculaire responsable de l’œdème laryngé et de l’oblitération des
bronchioles. En l’absence de traitement, le choc peut se cycliser conduisant au décès. L’adrénaline
par son effet vasoconstricteur antagonise la vasoplégie, et les actions  1 et 2 vont avoir un effet
tonicardiaque et broncho-dilatateur. Ainsi, l’adrénaline représente le traitement étiologique curatif de
l’anaphylaxie. Le risque de décès dans l’anaphylaxie sévère est lié au retard ou à l’absence
d’utilisation d’adrénaline. C’est la raison pour laquelle il a été recommandé d’équiper les patients à
risque d’anaphylaxie d’un système auto injectable d’adrénaline pour intervenir le plus vite possible en
cas de contact accidentel avec l’allergène.
A priori, on pourrait donc penser :
- que tout patient allergique est à risque de faire une anaphylaxie
- que cette anaphylaxie survient chez tous les allergiques quelque soit l’age
- que la bonne réponse thérapeutique est l’adrénaline
- que le traitement rapide par adrénaline doit sauver tous les patients.
Qu’en est-il dans la réalité ?
2 – Traitement curatif et préventif de l’anaphylaxie de l’enfant : enseignements des études cliniques
2.a – Toutes les réactions anaphylactiques sont-elles sévères ? (2)
Il est important de préciser la signification du terme anaphylaxie : il s’agit d’une réaction générale liée
à un taux sanguin circulant élevé d’histamine. Les manifestations en sont le choc dont il existe des
formes d’intensité moyenne, sévère voire suraigue. Le risque d’une évolution rapidement mortelle
distingue ce choc des autres réactions allergiques comme l’urticaire, le simple angio-œdème ainsi que
l’eczéma, la rhinite, ou l’asthme. Cependant, l’œdème de Quincke, dans sa forme avec œdème de la
glotte, est inclus dans l’anaphylaxie en raison du risque vital par asphyxie aigue.
Les signes du choc anaphylactique sont les suivants : cutanéo-muqueux (urticaire, exanthème,
œdème de Quincke), respiratoires (oppression thoracique, bronchospasme), circulatoires
(tachycardie, pouls filant, hypotension, malaise, perte de connaissance), digestifs (nausées,
vomissements, diarrhées), neurologiques (angoisse, sensation de mort imminente, vertiges,
confusion). Plus il y a de signes associés plus le choc est sévère.
Les diagnostics différentiels sont en pratique peu nombreux : le malaise vagal s’accompagne d’une
bradycardie, l’œdème angio-neurotique et les mastocytoses sont rares.
2.b – Les enfants peuvent ils faire une réaction anaphylactique mortelle ?
Il semble que la survenue d’une anaphylaxie avant l’age de 1 an soit rarissime. Ensuite on observe
une augmentation de fréquence avec l’age. Les données sont cependant différentes selon qu’elles
proviennent de population adressées pour bilan allergologique ou de services d’urgence qui ont eu à
traiter des réactions anaphylactiques sévères. Pour ces derniers, l’anaphylaxie se manifeste en réalité
à tout age avec un délai de survenue de la réaction par rapport au contact allergique inversement
proportionnel à l’age. Il faut donc une intervention d’autant plus rapide que l’enfant est plus âgé.
La littérature rapporte 2 difficultés cliniques : (3)
- la confusion possible entre asthme aigu et anaphylaxie chez un enfant ayant une allergie alimentaire
et un asthme : la non reconnaissance de l’anaphylaxie est alors responsable du décès par choc
irréversible. L’association à l’asthme de signes cutanés mêmes mineurs comme une urticaire ou un
angio-œdème, de troubles digestifs comme une diarrhée, et l’absence anormale de réponse au
traitement par béta2mimétique doit faire envisager la possibilité d’une réaction anaphylactique.
- des chocs en 2 temps, avec une première réaction d’intensité moyenne, puis une deuxième réaction
beaucoup plus sévère. Tout patient ayant fait une réaction anaphylactique même mineure doit donc
être surveillé 24 heures, et l’injection préventive d’adrénaline doit être recommandée, même si la
réaction n’est pas de forte intensité selon la nature de l’allergène et les antécédents allergiques
(anaphylaxie antérieure).
2.c – Quels sont les facteurs de risque d’une anaphylaxie mortelle chez l’enfant ? (4, 5, 6)
- Le plus souvent le décès est lié au retard d’utilisation de l’adrénaline auto injectable.
Ce retard à des causes multiples :
° Mauvaise connaissance de l’allergie : l’absence d’exploration précise conduit à multiplier les
contacts accidentels avec l’allergène, conduisant à des réactions de plus en plus sévères
° L’absence de prescription d’adrénaline auto injectable par méconnaissance de la sévérité de
l’allergie
° L’absence d’éducation du patient et surtout de sa famille : le dispositif injectable ne sera utilisé
correctement que s’il y a une éducation des parents et de l’enfant, avec démonstration du
fonctionnement et entraînement régulier. Enfin, le matériel doit suivre l’enfant dans tous ses
déplacements en particulier à l’école et dans les activités para-scolaires.
- Parfois c’est la technique d’utilisation de l’adrénaline qui est en cause :
° Voie d’administration : la voie orale (adrénaline per os sur un sucre) ne peut pas être recommandée
en raison des grandes variations observées dans l’absorption du produit. La voie sous-cutanée est
beaucoup moins performante que la voie IM qui est la meilleure voie d’administration, permettant
d’obtenir le plus rapidement un pic sérique efficace.
° Péremption de l’adrénaline : l’efficacité décroît avec le temps. Si la coloration brunâtre du contenu de
la seringue auto-injectable (Anahelp) traduisant l’oxydation de l’adrénaline conduit à renouveler le
traitement, ce contenu n’est pas visible dans les stylos auto injectables (Anapen) : il faut donc bien
surveiller la date de péremption.
° Posologie inadéquate : Il n’existe que 2 dosages pour l’Anapen (O.15 mg et 0.30mg). Il est donc
difficile d’avoir une dose précise de 0.01mg/kg pour les enfants de moins de 15 kg ou d’un poids
compris entre 15 et 30 kg.
- Cependant, malgré l’injection rapide d’adrénaline, des chocs alimentaires peuvent entraîner une
évolution fatale. Les facteurs de risque d’une réaction grave sont :
° Un asthme pré existant,
° La nature de l’allergène : les réactions les plus sévères sont liées aux fruits à coque, au poisson et
au lait.
Le décès survient soit par choc irréversible réfractaire à l’adrénaline, soit par asphyxie aigue par
œdème de la glotte.
L’éviction de l’allergène reste donc le meilleur traitement préventif de l’anaphylaxie sévère.
2.d – L’injection non justifiée d’adrénaline est-elle dangereuse pour l’enfant ? (7)
L’administration d’adrénaline entraîne des manifestations qui ne doivent pas être confondues avec les
signes d’aggravation du choc anaphylactique : anxiété, peur, agitation, céphalées, palpitations, pâleur,
tremblements. Plus rarement, an cas de surdosage on peut observer une arythmie ventriculaire, une
hypertension. Une étude rapporte des décès directement liés à des surdosages en adrénaline par une
confusion entre les signes de choc et les signes adrénergiques, la pâleur et la tachycardie
réactionnelles ayant été interprétées comme des signes d’aggravation du choc anaphylactique.
2.e - Faut-il prescrire un kit auto injectable d’adrénaline pour tous les enfants ayant une allergie
alimentaire ou une allergie au venin d’hyménoptère ? (8, 9)
La réponse est difficile, à la fois « oui » et « non » ou « oui mais ».
- Oui car :
° Il n’est pas possible de prévoir quelle sera pour un patient donné l’intensité de la réaction lors d’un
nouveau contact avec l’allergène. Le temps entre l’ingestion alimentaire et le choc dans les réactions
graves est très court d’environ 30 minutes : il est difficile de proposer d’abord un antihistaminique dont
l’absorption est lente, et d’injecter l’adrénaline s’il y a aggravation car le choc une fois déclarée son
évolution peut être fatale.
° Certains allergènes sont particulièrement « dangereux » : l’arachide, les fruits à coque, les produits
de la mer, le sésame. Ils peuvent entraîner des réactions anaphylactiques pour des doses très
minimes, même sans antécédents de réactions préalables sévères.
-Oui, mais :
° A la condition que l’usage de l’adrénaline auto-injectable soit bien expliqué avec un apprentissage et
l’élaboration d’un plan pratique de conduite à tenir.
° Il faut bien rappeler qu’en aucun cas la prescription de ce kit d’urgence ne doit dispenser d’observer
de la façon la plus rigoureuse possible l’éviction du ou des aliments responsables.
- Non si :
° L’urticaire, l’eczéma et l’angio-œdème ne relèvent pas d’une prescription d’adrénaline autoinjectable.
° Une simple sensibilisation ne doit pas conduire à prescrire de l’adrénaline « au cas ou ». Un
diagnostic d’allergie alimentaire repose sur l’association d’une symptomatologie clinique, de tests
cutanés positifs de RAST positifs, un résultat biologique isolé ne permettant en aucun cas d’affirmer
une allergie.
Conclusion :
- Le traitement préventif d’une allergie sévère en particulier alimentaire reste l’éviction stricte.
- Le traitement d’un choc anaphylactique ou d’un œdème de Quincke avec œdème de la glotte repose
sur l’injection rapide en IM d’adrénaline à une dose nécessaire et suffisante (O.O1 mg/kg).
- Un système auto-injectable d’adrénaline doit être prescrit chez les enfants ayant : des antécédents
de réactions sévères, pour une allergie alimentaire bien identifiée, surtout s’il s’agit d’allergènes
puissants comme l’arachide, le poisson les fruits à coque, le sésame et le lait. Mais cette prescription
doit obligatoirement s’accompagner d’une formation et d’une éducation des parents à l’utilisation du
système injectable.
Bibliographie :
1 - Ponvert C. Physiopathologie et grands principes diagnostiques et thérapeutiques des réactions
anaphylactiques et anaphylactoïdes. Rev Fr Allergol Immunol Clin 2000, 40 : 793-803.
2 - Bourrier T. Le choc anaphylactique chez l’enfant. Arch Pédiatr 2000, 7 : 1347-52.
3 - Rainbow J, Browne G.J. Fatal asthma or anphylaxis ? Emerg Med J 2002, 19 : 415-17.
4 - Novembre E, Cianferoni A et al. Anaphylaxis in children : Clinical and Allergologic Features.
Pediatrics 1998, 101(4).
5 - Moneret-Vautrin D.A, Kanny G, Parisot L. Accidents graves par allergie alimentaire en France.
Première enquête du Réseau d’allergovigilance. Rev Fr Allergol Immunol Clin 2001, 41 : 696-700.
6 - Bock S.A, Munoz-Furlong A, Sampson H.A. Fatalities due to anaphylactic reactions to foods. J
Allergy Clin Immunol 2001, 107 : 191-3.
7 - Simons F.E.R. First-aid treatment of anaphylaxis to food : focus on epinephrine. J Allergy Clin
Immunol 2004, 113 : 837-44.
8 - Vervloet D. Adrénaline injectable à tous les allergiques alimentaires. Rev Fr Allergol Immunol Clin
2001, 41 : 641-3.
9 - Rancé F. La prescription de l’adrénaline dans les allergies alimentaires de l’enfant : doit-elle être
systématique ? Rev Fr Allergol Immunol Clin 2001, 41 : 644-50.
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