
CTM – Groupe conscience et neurosciences. Denis Forest, Neuroscepticisme. 5
près la réflexion de Vincent Descombes
je dois dire que j’aurais aimé trouver chez Forest
une discussion plus précise de ses positions. Descombes n’a pas écrit un seul livre sur la
question, La denrée mentale, (le seul qui soit cité ici) mais un deuxième qui lui est
inséparable, Les institutions du sens. Le travail de Descombes, me semble-t-il, aurait pu
intéresser Forest car, pensant à l’aujourd’hui des neurosciences et à leur avenir, il estime, à
plusieurs reprises, qu’elles ne peuvent progresser qu’en « co-évolution »
avec les autres
disciplines. Malheureusement, il ne tient pas beaucoup compte ni de la sociologie ni de
l’anthropologie culturelle qui sont les domaines privilégiés de Descombes : les faits
sociaux, les faits culturels et les concepts fondateurs de ces disciplines qui nous mettent en
présence d’un « esprit objectif » qui s’exprime et se réalise à un autre niveau de réalité que
l’esprit subjectif des individus ou les relations intersubjectives. Autre regret, celui que
Forest ne se mesure pas explicitement au holisme anthropologique et à l’intentionalisme
du mental qui sont les thèses fondamentales de Descombes et qui pourraient (devraient ?)
intéresser un « philosophe de l’esprit »... Je dois préciser que la lecture du livre de Forest
ne m’a pas amené à modifier ce que j’ai écrit dans ce chapitre. J’aurais souhaité que Forest
pratique avec Descombes la même attention et le même effort de compréhension, (voire d’
« empathie »), que celui qu’il manifeste à l’égard d’un article d’Alain Ehrenberg dans son
chapitre sur « le cerveau social »
.
Je suis resté sur ma faim également avec la manière dont Forest mène sa réflexion
sur le concept de « condition »
. Forest ne reconnaît que deux sens au terme
« condition » : (a) sens faible (circonstances favorables ou cause occasionnelle) ; (b) sens
fort : celui de cause de la réalisation de quelque chose, ou de « véhicule » au sens de
Kenny. Il semble attribuer à Descombes l’idée que le cerveau est seulement une cause
occasionnelle. L’intérêt du travail de Descombes est précisément qu’il pose moins le
problème de la causalité
du cerveau que celui du lieu où se trouve l’ esprit. ce qui
l’intéresse le plus, c’est la question “Où“ . “Où“ se trouve le plus manifestement l’esprit ?
Dans le cerveau ou dans les productions artistiques, culturelles, la « denrée mentale » de
Mallarmé, les règles sociales et les « institutions du sens » ? Il me semble tout à fait
possible de reconnaître le cerveau comme une condition nécessaire de notre vie mentale et
de nos capacités tout en reconnaissant que l’esprit humain se manifeste et se réalise aux
mieux dans ses créations : l’art, la science comme questionnement surtout et comme
connaissances acquises (y compris les neurosciences), les institutions sociales et politiques,
la culture, la philosophie, les traditions religieuses…
J’ai été arrêté aussi dans ce chapitre par la remarque, “triviale“ selon Forest,
« c’est Paul et non son cerveau qui écrit son courrier ». A ce propos Forest aborde la
catégorie de personne, « concept primitif » selon Strawson
. Ricœur rencontre lui aussi
« L’esprit entre nature et culture » dans Penser et croire au temps des neurosciences et des sciences cognitives,
éditions des archives contemporaines, 2001. pp. 143-166.
p. 198 et passim.
pp. 192-195.
pp. 86-91.
En ce qui concerne la causalité il faut se rappeler aussi la robustesse de la distinction cause nécessaire et
cause suffisante. Une cause nécessaire est une cause sans laquelle (sine qua non)…mais une cause sans laquelle
n’est pas une cause suffisante ou une cause qui a forcément une primauté sur d’ autres causes qui prennent
appui sur cette condition nécessaire. Avoir des jambes est une condition nécessaire pour que je puisse aller
me promener à pieds, la cause principale est mon « désir « ou mon « intention » ou ma « volonté » de le
faire.
p. 89.