CBP Avis n°50 relatif à la situation budgétaire du Réseau public de la Lecture (27-02-2015)
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AVIS N° 50
DU CONSEIL DES BIBLIOTHEQUES PUBLIQUES
RELATIF A LA SITUATION BUDGETAIRE
DU RESEAU PUBLIC DE LA LECTURE
(27-02-2015)
I. INTRODUCTION
Toutes les études nationales et internationales prouvent que la culture, d’un
point de vue économique, est un investissement qui rapporte. En France, par
exemple, un rapport commun au ministère de la Culture et au ministère de
l'Economie
1
constate quelle génère plus de bénéfice que l’industrie automobile.
En Belgique, une étude réalisée en 2010 par Henry Capron
2
, professeur émérite
de l’Ecole Solvay, démontre qu’un euro investi en rapporte deux, voire plus sur le
long terme et il ajoute : Cela se situe au niveau des multiplicateurs les plus
élevés de l’économie belge comme la construction ou les activités informatiques.
Valérie Abrial écrit dans La Tribune
3
: La culture a la cote en période de crise et
sert de levier de croissance pour renforcer l'attractivité d'un territoire. Et elle
poursuit : [] le dynamisme culturel rend le territoire plus attractif, attire les
visiteurs et les habitants, relance la consommation, les emplois et in fine favorise
le développement économique.
Et elle conclut : L'art pour combler le vide ? Un changement sociétal, de toute
évidence. Mais qu'elle nère de la croissance ou des émotions, en trente ans la
culture a réussi le pari fou de se réconcilier avec l'économie et les pouvoirs
politiques, laissant espérer la naissance d'une nouvelle économie culturelle.
Laure Kaltenbach et Olivier Le Guay
4
, responsables du Forum d'Avignon, en sont
convaincus : La nouvelle économie créative possède un potentiel considérable et
peut être envisagée comme un instrument de sortie de crise.
Mais rappelons que c’est en France que cela se passe. Et à l’étranger ? Citons de
manière exemplative, Bilbao et le musée Guggenheim, la Chine et son ambitieux
projet de 5.000 nouveaux musées pour 2014, le Brésil qui souhaite construire
300 centres artistiques pendant que le Mexique fait de la culture son fer de lance
1
Renier (Romain), La culture contribue sept fois plus au PIB que l'industrie automobile in La Tribune Web du
3 janvier 2014
2
Cité par Godard (Sarah), Pourquoi la culture fédérale est aussi un poids lourd sur le plan économique in
L’Echo Web du 31 octobre 2014
3
Abrial (Valérie), La "Culture" comme levier de sortie de crise in La Tribune Web du 04 décembre 2014
4
Ibidem
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pour redresser l'économie du pays, tout comme l'Inde et l'Indonésie et que les
pays arabes préparent l'après-pétrole en investissant des sommes pharaoniques
dans des infrastructures culturelles.
Et la Belgique ? Serions-nous les cancres de la classe ? Le gouvernement agit par
ukases en instaurant des mesures d’économies linéaires à l’encontre des
institutions culturelles fédérales. [] Les économies sont considérables,
extraordinairement difficiles à réaliser à court terme comme le signale Bernard
Focroulle.
5
Ces coupes aveugles dans les budgets culturels indignent le premier
mocrate venu.
Jacques De Decker
6
, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de
littérature françaises de Belgique, tente de décoder les attitudes mentales de nos
excellences. La décision aussi brutale qu’arbitraire [] est probablement fondée
sur quelques idées reçues à propos de la culture qui semblent même avoir
contaminé les plus hautes instances en la matière. Et il continue : [cela] consiste
à penser qu’une certaine forme de culture serait élitaire, à savoir anti-
démocratique. [] le socle de ce que l’on aimerait encore appeler notre
patrimoine est frappé de cet anathème. Y a-t-il signe plus évident d’une
détestation de soi, d’un reniement de ce qui nous a fait, de ce sur quoi notre
mémoire et notre conscience collectives se fondent ?
En effet, la culture constitue aussi bien une férence identitaire historique (on
«appartient» à une culture) qu’un processus ouvert de construction et de
réinvention permanentes. Mais elle est également, nous venons de le souligner,
un vecteur de développement territorial et économique. Elle participe ainsi au
rayonnement national et international contribuant largement au développement
de l’image de notre Fédération et de son identité à l’étranger.
Or, nous constatons qu’aujourd’hui, crise oblige, nous glissons lentement mais
sûrement d’une territorialité politique à une territorialité concurrentielle faisant
du marché global le territoire symbolique et réel des politiques et des pratiques
de développement. L’ère est arrivée des comptables, des financiers, de la
recherche du bénéfice immédiat à tout prix. Une attitude qui dorénavant pollue
également les domaines culturels.
En réaction, les opérateurs culturels doivent affirmer leur détermination d’inscrire
leur combat pour la démocratie culturelle dans la perspective d’une action de
résistance au monopole de la raison économique, à la violence silencieuse qu’elle
impose et à la pensée unique qu’elle génère. En un mot, envisager la culture
comme outil du développement territorial.
Dans ce contexte, on parle davantage de processus, de changement, d’itinéraire.
Mais quelles que soient les modalités d’intervention, la démarche devrait viser à
désenclaver la culture et mutualiser les ressources, tout en préservant
5
Focroulle (Bernard), Lettre ouverte au Premier ministre, Charles Michel : Culture en danger ? in Le Soir du 28
octobre 2014, p. 18
6
De Decker (Jacques), « C’est Mozart qu’on assassine », in Le Soir du 30 octobre 2014, p. 22
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l’autonomie des acteurs culturels et en organisant une plus forte coopération des
opérateurs autour d’objectifs partagés.
Diminuer les moyens alloués à la culture, c’est réduire notre capacité à aider
tous les protagonistes à aller à la rencontre des publics potentiels dans leur
milieu de vie afin de développer des actions à proximité des expériences des
individus, de manière à initier une réflexion sur leurs conditions de vie, les
événements qu’ils vivent et leurs attentes. C’est remettre en cause un travail de
terrain à même de faire émerger des projets susceptibles de produire une parole
collective et de construire une histoire commune.
Ne commettons pas à nouveau l’erreur de penser que la culture ne sert à rien,
quelle n’est pas indispensable, qu’elle n’est pas égalitaire voire qu’elle est
antidémocratique. Errare humanum est, perseverare diabolicum.
II. CONSTAT
Le Conseil des Bibliothèques publiques a été informé de différentes mesures
concernant le subventionnement par la Fédération Wallonie-Bruxelles tant des
bibliothèques reconnues dans le cadre du Décret de 2009 sur les pratiques de
Lecture que de celles qui sont toujours dans l’ancien Décret de 1978.
Il apprend ainsi que
22 bibliothèques qui auraient pu prétendre à la reconnaissance en vertu
du Décret de 2009 à partir du 1er janvier 2015 voient leur processus
interrompu pour des raisons budgétaires contrairement au calendrier mis
en place par l’Arrêté portant application du Décret du 30 avril 2009 et cela
sans dérogation actée par une décision du gouvernement ;
la Ministre n’a pas encore pris position sur les reconnaissances à venir ;
les paliers de progressivité des subventions prévus par les articles 27 et
44 de l’Arrêté sont figés alors qu’aucun mécanisme de ce type n’est prévu
par la législation et n’a fait l’objet d’une approbation parlementaire ;
le Décret-programme prévoit, en décembre 2014, un rabotage des
montants de 1% ;
de plus, vu l’insuffisance du budget 2015 tel que voté en regard des
nécessités liées aux reconnaissances décidées jusqu’en 2014, un courrier
de l’administration annonce la fusion de la mesure précédente avec un
nouveau prélèvement de 18% sur les subsides de fonctionnement et
d’activités tant pour les bibliothèques reconnues dans le cadre du Décret
de 1978 que pour celles reconnues dans le cadre de celui de 2009 (encore
une mesure sans lien avec la législation décrétale), une récupération de
moyens ne permettant même pas encore la reconnaissance des 22 entités
citées.
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Le cumul de ces mesures provoque des répercussions graves sur l’emploi. Des
préavis ont déjà été lancés, des fins de contrats peuvent être constatées y
compris dans les structures qui, l’année dernière, ont été subventionnées pour
une demi-année alors que du personnel avait été engagé et qu’un
subventionnement sur une demi-année n’est pas prévu dans le Décret de 2009
7
.
Le Conseil des Bibliothèques publiques regrette ces modifications unilatérales des
textes touchant au seul secteur des bibliothèques, prouvant, une fois de plus,
des inégalités de traitement en sa défaveur. Le seul argument soulevé serait le
rattachement des politiques de Lecture publique au code budgétaire 5
(contrairement au secteur proche de l’Education permanente code 4) mais un
tel argument est dépourvu de cohérence dans une logique de bonne
gouvernance.
Autre inégalité de traitement : l’accès au Fonds Ecureuil et aux Tournées Art &
Vie (d’application dans tous les secteurs culturels) sollicité pour les bibliothèques
depuis plusieurs années, n’a toujours pas été examiné et l’on semble préférer
que celles-ci remboursent aux banques les crédits qu’elles ont ouvrir suite à
des paiements de la Fédération Wallonie-Bruxelles étalés dans le temps.
Ces décisions sont d’autant plus étonnantes qu’à l’heure actuelle ce Décret de
2009 fait l’objet d’une évaluation par un prestataire universitaire extérieur
8
. La
sagesse voudrait que l’on attende la fin de ses travaux.
Sur le fond, le Conseil des Bibliothèques publiques déplore qu’il n’ait pas été tenu
compte de ses avis sur les derniers dossiers de reconnaissance, ni d’ailleurs des
avis de l’Inspection sur ces mêmes dossiers.
Il constate également que contrairement à ce qui a été prévu par le Décret de
2009, la décision de Madame la Ministre notifiée par le Service de la Lecture
publique de ne pas reconnaître au 1er janvier 2015 les bibliothèques ayant
introduit leur dossier en 2014 ne résulte pas d’une décision individuelle relative à
chaque demande de reconnaissance, mais d’une décision collective relative à
toutes les demandes de reconnaissance.
Le Conseil des Bibliothèques publiques constate que cette décision ne respecte
en aucune manière le principe d’équité et d’égalité de traitement entre les
bibliothèques ayant déposé leur dossier de reconnaissance. Sur base des mêmes
critères, certaines ont été reconnues (entre 2011 et 2014) et d’autres pas (celles
qui devaient l’être au 1er janvier 2015).
7
Ce mécanisme a été analysé de manière précise par la Fondation Roi Baudouin dans son rapport annuel 2014.
8
Milquet (Joëlle), Pas de lecture sans lecteurs in Lectures, novembre-décembre 2014
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III. LES BIBLIOTHEQUES AU COEUR DE LA POLITIQUE
CULTURELLE
Au-delà des remarques ci-dessus, le Conseil des Bibliothèques publiques entend
faire part à Madame la Ministre de son enthousiasme et de ses inquiétudes.
Enthousiasme par rapport aux points de convergence forts entre d’une part,
certaines priorités du secteur liées à l’application du Décret du 30 avril 2009
relatif au développement des pratiques de lecture organisé par le réseau public
de la lecture et les bibliothèques publiques (« le Décret du 30 avril 2009 ») et
d’autre part, les priorités de la politique culturelle de Madame la Ministre.
1. Les bibliothèques au cœur d’enjeux de société prioritaires
- 20% des enfants wallons et 34% des enfants bruxellois grandissent dans
un ménage dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté (Fondation
Roi Baudouin 2013),
- 23% des enfants de 15 ans ne maîtrisent pas les compétences de base
(lecture écriture) (Pisa 2009)
Depuis 2009, le secteur des bibliothèques s’inscrit pleinement dans un projet
global de lecture qui rassemble le social, l’éducation/formation et le culturel.
Comme le disait André Canonne « la lecture est un bien commun, elle est
l’affaire de tous ».
Ce Décret a su anticiper la problématique support papier/ support numérique
en déplaçant le curseur du livre vers la lecture et vers le développement des
capacités langagières (écriture, oralité) sur quelque support que ce soit ; tout en
visant à améliorer les services destinés à un public de lecteurs aguerris, il permet
de toucher le public qui a d’autres besoins là où il est (politique de présence hors
les murs) : publics en difficulté et éloignés de la lecture (jeunes, apprenants en
alpha, en français langue étrangère, public en remobilisation ou réinsertion
sociale, résidents Fedasil, foyers divers, primo arrivants…).
Afin de soutenir cet axe numérique, les bibliothèques sont tenues de mettre à
disposition des usagers non seulement des ressources numériques, mais aussi le
matériel nécessaire à leur bonne utilisation (notamment art 10 § 1er de l’Arrêté
de 2011). Les bibliothèques proposent l’accès aisé à des plateformes
numériques, soit de manière propre, soit en lien avec les Services de la
Fédération Wallonie-Bruxelles. Les bibliothèques s’investissent dans ces
nouveaux médias, et sont des acteurs incontournables de la mise en place de ces
innovations, à travers plus de 45.000 activités formatives et créatives touchant
plus de 800.000 personnes. Elles participent à la lutte contre la fracture
numérique auprès de publics fragilisés ou non formés, comme les personnes
âgées par exemple. Le constat est souvent fait, de la part du responsable des
EPN labellisés de Wallonie que les EPN les plus « stables » dans leurs activités et
1 / 9 100%