Histoire de l’analyse économique Introduction générale 1 Section 1 : But du cours 1 A- Aspect chronologique. 1 B- Aspect transversal 1 Section 2 : Modalité du cours 2 Chapitre 1 : Adam Smith père de l’économie politique et du libéralisme ? Section 1 : Thèmes traditionnels de l’économie politique d’Adam Smith. 2 2 A- La division du travail et l’échange à la base de la création de richesse. 2 1- Définition de l’économie. 2 2- La division du travail. 3 a- Définition de la division du travail. 3 b- Conséquences générales. 3 c- La dynamique endogène de la division du travail. 3 Section 2 : Théorie de la valeur et des prix. A- Valeur d’usage, valeur d’échange. B- Valeur travail et prix naturel. 4 C- Prix naturel et prix de marché. 4 3 4 Introduction générale Section 1 : But du cours Il s’agit de poursuivre le cours de première année d’histoire de la pensée économique avec un aspect chronologique et un aspect transversal, théorique. A- Aspect chronologique. Comment la discipline économique s’est-elle formée ? Il s’agit de réinterroger les éléments traditionnels, comme par exemple, comment la discipline d’est constituée comme discipline autonome ? Comment l’économie s’est séparée de la sociologie, de la philosophie ? Au départ, l’économie n’a pas été conçue comme une discipline autonome. Aujourd’hui, cette question est réinterrogée de deux côtés, par des contestations ; la discipline serait devenue une matière modélisée, mathématisée qui serait déconnectée des réalités de la société ; et par des extensions actuelles, l’expansion de la microéconomie qui examine les questions d’égoïsme, d’altruisme, de morale. De quelle manière s’est constituée la partition entre microéconomie et macroéconomie ? Comment y’a-t-il eu remise en cause de cette partition ? Par exemple, les fondements microéconomiques de la macroéconomie, ou les problèmes d’agrégation, les agents individuels prennent des décisions mais l’interaction entre agents crée des phénomènes nouveaux non prévus par les agents. B- Aspect transversal L’aspect transversal est la définition du libéralisme. C’est une question actuelle et confuse. On peut partir d’une définition initiale du libéralisme économique. Il y a théorie économique libérale quand trois conditions sont respectées : - L’individu et ses capacités décisionnelles (information, calcul) sont à la base de la théorie. - On fait l’hypothèse de marché : il existe abstraitement ou réellement un mécanisme ou une institution qui met en relation offre et demande et crée une homogénéité de l’économie en confrontant les choix individuels autour d’une situation d’équilibre (équilibre partiel, équilibre global, équilibre inter temporel, équilibre temporaire). - Le rôle de l’Etat est limité sur le plan économique ou soumis à l’arbitrage du choix décisionnel des agents individuels. Cette première définition pose cependant une série de problèmes : Exemple 1 : L’Etat peut intervenir de manière essentielle pour restaurer le mécanisme de marché. On va trouver des cas où l’intervention de l’Etat sera extrêmement importante pour restaurer la politique de marché (politique de la concurrence européenne et mondiale). N’y aurait-il pas contradiction ? Exemple 2 : On peut admettre que les individus ont des capacités à faire des choix mais que l’interaction entre les choix des divers agents implique une telle complexité que l’individu lui-même ne peut concevoir l’effet global de ces interactions. Ainsi, on peut accepter l’hypothèse 1 tout en avançant l’idée que le fonctionnement global de l’économie n’est pas le produit conscient des individus. Il existerait donc un effet macroéconomique des actions microéconomiques (théorie de l’ordre spontané). Exemple 3 : Il existe de nombreuses exceptions à la possibilité pour l’agent individuel à établir un ordre de préférence (et donc maximisation sous contrainte), externalités, biens collectifs. N’y a t il pas là non plus contradiction ? Exemple 4 : L’hypothèse d’égoïsme, d’intérêt individuel est elle une des bases de l’hypothèse des capacités décisionnelles ou non ? C’est une question très controversée. Beaucoup de libéraux aujourd’hui répondraient non. Ainsi, on essaiera de montrer d’une part que la définition du libéralisme économique reste à éclaircir et d’autre par t que les pères du libéralisme, dont Adam Smith ne sont pas ce que l’on croit. Section 2 : Modalité du cours On effectuera une analyse d’auteurs (Adam Smith, Walras, Keynes). Des textes seront distribués. L’évaluation comptera plusieurs questions et durera 1h30. Chapitre 1 : Adam Smith père de l’économie politique et du libéralisme ? C’est le père de la discipline économique comme discipline autonome (rupture avec la morale et la politique). C’est le père du libéralisme : recherche de l’intérêt personnel (ordre global) par le biais d’un mécanisme de marché (main invisible). > Rôle de la concurrence. Rappel : Smith (1723-1790). En 1759, il écrivit la Théorie des Sentiments Moraux ; en 1776, la Richesse des Nations ; Leçons de jurisprudence. Smith fait partie du mouvement des « Lumières Ecossaises » avec notamment Hume. Il s’agit de constituer une science de l’homme dont l’économie fait partie. A ce titre, il a eu des liens directs avec toutes les Lumières européennes, Voltaire, Rousseau, Quesnay, Turgot. Smith a été professeur de logique et de morale à l’université de Glasgow. Section 1 : Thèmes traditionnels de l’économie politique d’Adam Smith. On va définir en quoi Smith est considéré comme le père de l’économie politique et du libéralisme. A- La division du travail et l’échange à la base de la création de richesse. On le trouve dans trois des chapitres les plus lus de la Richesse des Nations. 1- Définition de l’économie. On va trouver une définition de l’économie avec un objet propre, la science des richesses avec deux problèmes, l’origine et la répartition. La richesse est l’ensemble des objets utiles aux individus produits par le travail et consommés autour d’un cycle annuel. Cette richesse dépend du nombre de travailleurs relativement à la taille de la population et de l’habileté de ces travailleurs. Elle dépend de plus du capital employé que le nombre de travailleurs est capable d’utiliser. Fondamentalement, c’est la productivité du travail qui explique la création de richesses à cause à la fois du nombre de travailleurs et du capital utilisé. On trouve pour la première fois chez Smith un objet propre de l’économie qui semble indépendant des questions de morale et de politique. Le travail et sa productivité sont à la source des richesses et donc la richesse ne s’assimile plus à un ensemble monétaire, à la différence des mercantilistes, indépendante d’une forme matérielle déterminée (différents des physiocrates : produit agricole). Ce peut donc être des produits agricoles, des produits manufacturés, des produits matériels ou des services. 2- La division du travail. L’augmentation de la productivité du travail résulte de la division du travail. a- Définition de la division du travail. Pour décrire les effets de la division du travail, Smith prend l’exemple de la manufacture du travail avec une division technique qui procure trois effets bénéfiques : La division des tâches en opérations simples et répétitives conduit le travailleur à acquérir une plus grande habileté et donc augmenter sa productivité. La spécialisation sur une tâche permet d’économiser le temps généralement perdu pour passer d’une opération à l’autre. La simplification des tâches rend possible l’emploi de machines destinées à faciliter le travail et à l’abréger. Lorsque le travailleur est spécialisé, il a une plus grande connaissance de sa tâche et est plus capable d’y introduire des innovations. Ces innovations se traduisent par la mécanisation avec substitution par le travail machine du travail physique. b- Conséquences générales. Ces trois effets contribuent à augmenter la productivité du travail et donc sont une source de progrès et d’enrichissement qui crée ce que Smith appelle une opulence générale qui se répand jusque dans les dernières classes du peuple. La division du travail, dans la mesure où elle repose sur la maîtrise de l’individu dans son travail réduit les inégalités comme jamais auparavant. En effet, la division du travail suppose la liberté de se spécialiser et de vendre ou d’échanger le produit de son travail. Elle suppose donc l’indépendance des agents économiques qui ne sont plus soumis à l’esclavage ou au travail forcé. Le produit global de l’économie ou le surplus économique dépend de cette dynamique de la division du travail. Ce sont les opportunités de la complexité de la division du travail avec l’invention perpétuelle de nouvelles manières de produite et d’échanger qui crée la richesse. La richesse n’est pas un don gratuit de la nature mais un processus de création lié à l’imagination humaine. c- La dynamique endogène de la division du travail. Pour Smith, la seule limitation au développement de la division du travail est l’étendue du marché, c’est-à-dire le volume de la demande. Si le marché est très petit, personne ne sera encouragé à s’occuper entièrement à une seule occupation faute de pouvoir échanger tout le surplus du fruit de son travail. La division du travail permet grâce aux gains de productivité qu’elle engendre d’augmenter le volume de production pour un nombre de travailleurs donné. Or cette production à plus grande échelle n’est rentable que si elle peut être écoulée sur le marché, que si d’autres agents spécialisés dans d’autres tâches sont amenés à acheter les produits. Donc il faut du pouvoir d’achat qui lui-même est fonction du revenu ; ce que Smith a vu, c’est que ce revenu est lui-même le résultat en monnaie du volume de la production, et ce volume de production est gouverné par la division du travail. Donc Smith indique finalement que la division du travail dépend dans une large mesure de la division du travail elle-même et donc qu’il y a une dynamique endogène de création de richesse dans les économies modernes. Smith donc conçoit l’économie comme un processus qui a tendance à s’auto organiser. Au cœur de ce processus, il y a la division du travail et l’innovation. Le changement se propage de lui-même dans les sociétés marchandes. Un accroissement de l’offre d’une partie quelconque de l’économie a un effet stimulant sur la production du reste de l’économie. L’offre crée sa propre demande. Cette thèse sera reprise et simplifiée par Say sous le nom de loi de Say ou loi des débouchés. Section 2 : Théorie de la valeur et des prix. C’est vraiment un thème standard qui fait de Smith le père de l’économie et surtout de l’économie politique classique (Smith, Ricardo, Say, Stuart Mill, …). Ensuite, la contestation socialiste a pris le pas (Saint Simon, Marx, …), le courant marginaliste (Walras, Jevons, Menger) qui va être à l’origine de la microéconomie. A la fin du XIXème siècle, l’Ecole Historique conteste un des aspects importants de l’abstraction, qu’on ne peut concevoir que des lois en fonction des populations pour lesquelles elles s’appliquent (institutionnalistes). Sa théorie de la valeur et des prix examine l’origine de la richesse et la fonction des prix. La richesse est issue de la division du travail est automatiquement associée à l’échange et l’échange va avoir lieu au travers des prix sur un marché. Cet échange est possible parce que les marchandises échangées possèdent deux qualités : l’utilité (rapport aux besoins) et la seconde est qu’elle permet l’acquisition d’autres marchandises. Sur cette base, Smith va distinguer la valeur d’usage et la valeur d’échange de la marchandise. A- Valeur d’usage, valeur d’échange. La valeur d’usage définit l’utilité d’un objet. C’est une condition nécessaire pour qu’un bien soit échangé mais elle ne permet pas à elle seule de mesurer la valeur d’échange de la marchandise. En effet, certains biens qui ont une grande utilité s’échangent à de faibles prix. La valeur d’échange est la faculté que donne la possession d’une marchandise d’acheter d’autres marchandises, pouvoir d’acquisition d’une marchandise contre une autre. Pour Smith, la valeur d’échange est décisive puisqu’elle va déterminer le prix naturel de la marchandise. La théorie de la valeur est l’explication des règles fondamentales de l’échange marchand, pourquoi une marchandise s’échange contre une autre. Pour répondre à cette question, il faut trouver un étalon commun et invariable mesurant la valeur d’échange d’une marchandise. Cet étalon commun est le travail. B- Valeur travail et prix naturel. La mesure de la valeur des marchandises est le travail au sens où cette valeur est commandée par le travail que la marchandise permet d’acheter. La théorie de Smith est la théorie de la valeur travail commandée (qu’on oppose à la valeur travail incorporée). Smith avance que ce n’est pas la quantité de travail incorporée dans la marchandise qui explique sa valeur mais c’est le rapport entre la quantité de travail incorporée dans une marchandise et celle qui est incorporée dans une autre marchandise. Si pour produire le bien A, il faut 5 heures de travail. Si pour produire le bien B, il faut 10 heures de travail. Smith dit qu’avec cinq heures de travail incorporée dans le bien A, on peut commander une demi unité du bien B. Si pour produire le bien B, il faut maintenant cinq heures de travail, on peut commander alors une unité du bien B avec le bien A. Ce qui varie, c’est la valeur de la marchandise et non la valeur du travail. La valeur d’échange s’exprime en quantité de travail qui forme donc son prix réel. La monnaie ne constitue pas un étalon invariable. Elle ne peut que traduire en signes monétaires le prix réel lié à la quantité de travail. La valeur d’échange est une mesure objective indépendante de l’appréciation individuelle de l’agent économique. C’est le travail et sa quantité objectivement mesurable qui fondent l’échange et finalement le prix. Donc, le prix naturel n’est pas un prix de marché mais c’est un prix qui est seulement l’expression monétaire de la valeur d’échange travail. La valeur d’échange ne concerne que les objets reproductibles par le travail. Pour les objets non reproductibles, air, eau, œuvre d’art, la théorie de la valeur travail ne s’applique pas et c’est la rareté qui déterminer la valeur d’échange. C- Prix naturel et prix de marché. Le prix naturel est le prix issu de la valeur travail. C’est donc ce que coûte réellement la marchandise à celui qui l’apporte sur le marché. Ce prix se détermine donc à l’intérieur de la sphère de la production et il est donc indépendant du niveau de la demande. C’est un prix d’offre ou de production. Cependant, Smith indique qu’il n’y a aucune raison pour que le prix naturel soit celui auquel la marchandise se vend sur le marché. En effet, la détermination du prix sur le marché suit une logique différente du prix naturel. Ce prix de marché est déterminé par une logique d’offre et de demande. La notion de demande chez Smith exprime la demande effective, celle qui vient des consommateurs qui ont un revenu suffisant pour amener les producteurs à vendre leurs marchandises. Les pauvres sont exclus de l’expression de la demande. C’est la demande sauvage. A partir de cette demande effective, un prix de marché va se former. Le mécanisme est le suivant. Lorsque le volume de production (offre) est égal à la demande effective, le prix de marché est égal au prix naturel. Mais lorsque la demande effective ne coïncide pas avec l’offre, le prix de marché est en décalage avec le prix naturel afin que le marché absorbe la totalité de l’offre. Si la demande effective est supérieure à l’offre, la pression de la demande va tendre à faire augmenter le prix de marché par rapport au prix naturel et inversement. Dans cette approche, le prix de marché se détermine toujours par rapport au prix naturel qui est une sorte de point fixe autour duquel gravite le prix de marché. C’est la théorie de la gravitation. Cette gravitation est expliquée par le mécanisme suivant : les décalages constatés entre prix naturels et prix de marché vont inciter à la période suivante à une réaffectation des moyens de production : par exemple, si à la période t, le prix de marché est en dessous du prix naturel, les producteurs à la période t+1 ne seront pas en mesure de renouveler leur niveau de production. Ils vont donc transférer une partie de leurs capitaux, de leur terre, de leur travail vers d’autres branches de l’industrie pour lesquels le niveau de marché est au moins équivalent au prix naturel. Ce que Smith utilise pour expliquer la gravitation du prix de marché autour du prix naturel est un mécanisme de concurrence. Ce mécanisme de concurrence a très vite été invoqué pour faire de Smith le père du libéralisme économique. Le mécanisme de concurrence permet d’éviter les déséquilibres économiques et pousse l’économie vers une situation naturelle d’équilibre PM = PN. Cette interprétation est très discutable pour deux raisons : - La concurrence chez Smith est une donnée secondaire. La donnée fondamentale est la valeur travail et le prix naturel. Fondamentalement, ce n’est pas la concurrence et le marché qui créent le prix, mais c’est la quantité de travail commandée. On est donc très loin d’une approche microéconomique qui explique la fondation du prix par un jeu concurrentiel sur le marché. - La concurrence présentée par Smith n’est pas une concurrence entre tous les agents économiques sur un marché. C’est seulement une concurrence des producteurs. Il faut donc distinguer concurrence et marché. Toute concurrence n’est pas concurrence de marché et donc le thème libéral de la concurrence devient confus. Contrairement à ce qu’on pense, l’hypothèse égoïste n’est pas retenue par Smith. On va trouver un appareillage subtil : - Passions. Les individus agissent selon des motifs divers. - Sympathie. - Spectateur impartial. Sur les passions, Smith distingue trois types de passions principales, sociales (bienveillance), égoïstes (amour de soi), asociales (ressentiment, soif de vengeance). Il y a un opérateur qui s’appelle la sympathie, déjà présent chez Hume. Ce n’est pas une passion mais un processus qui va diffuser les effets des passions. L’agent individuel est capable de se mettre à la place de l’autre. Il ressent ce que l’autre ressent. Ce que je ressens est relatif à une situation (situation de pauvreté). La sympathie ne naît pas tant de la vue de la passion que de celle de la situation qui l’excite. C’est plus subtil var je peux réagir même si l’autre ne réagit pas ou même s’il est absent. Je peux me représenter des situations extérieures dans ma tête. On passe ensuite au spectateur impartial. Quand l’opérateur de sympathie s’exerce, je me mets à la place de l’acteur dans une situation donnée mais je ne suis jamais l’acteur. Il y a donc toujours une dualité à l’intérieur de moi entre l’acteur et le spectateur. Cette dualité permet au jugement impartial de se constituer à l’intérieur de moi-même. Il y a en quelque sorte deux rôles à l’intérieur d’une même personne et cette personne va donc pouvoir juger de la justesse du rapport entre la passion et ce qui la cause. Sur cette base, l’opérateur de sympathie fait apparaître une sorte de spectateur impartial en chacun de nous qui va permettre la constitution de régularités de jugement dans les comportements. On pourra définir alors à partir d’une sorte de point de convenance quelles sont les passions vertueuses, justifiées, et celles qui sont nocives, et à quel degré. Le spectateur impartial est un mécanisme mental qui fait apparaître une appréciation moyenne d’un homme en général permettant d’apprécier les passions et leur intensité. Une action sera donc vertueuse si son intensité est proche du point de convenance. A partir de là, les trois types de passions vont être liés à trois types de vertus quand elles sont au point de convenance, la prudence qui est la recherche modérée de l’intérêt personnel (amour de soi au point de convenance), la bienveillance qui est la recherche modérée de l’intérêt d’autrui et enfin la justice qui est la recherche modérée de la vengeance. L’idéal de la société pour Smith est une société qui respecte les points de convenance et en économie, Smith va respecter cet impératif. Ainsi, la prudence est nécessaire dans les activités économiques. Les marchands, c’est-à-dire tous les hommes insérés dans la division du travail doivent veiller à leur intérêt, de même ils cherchent à être justes, par exemple pour respecter les contrats privés entre eux. Par contre, pour Smith, dans les activités économiques, les marchands n’ont pas besoin de bienveillance, de s’aimer les uns les autres. La bienveillance n’est pas nécessaire au lien social et économique pour Smith. En effet, ne pas vouloir de bien aux autres ne veut pas dire leur vouloir du mal, et donc les hommes peuvent être unis sans bienveillance. Cependant, pour Smith, on peut embellir le lien social et économique avec la bienveillance. Sans bienveillance, l’économie fonctionne selon une base minimale que le spectateur impartial peut chercher à dépasser. Lorsque Smith parle de l’intérêt personnel des individus qui ne jouent aucun rôle dans l’efficacité économique, il ne traite que de la bienveillance. Il ne faut pas confondre l’intérêt personnel et la bienveillance. Les rapports économiques peuvent être vertueux, par exemple en recherchant l’intérêt de long terme au lieu de la jouissance immédiate, c’est le point de convenance de la prudence qui se déplace, l’amour de soi, par exemple peut se modérer par le jeu du spectateur impartial en se traduisant en désir d’amélioration de sa condition ou en recherche modérée de la distinction sociale. Tout dépend du degré puisque cette recherche de distinction sociale peut se transformer en vanité. La prudence des marchands peut inciter à ne pas dépenser plus que ce qu’on le gagne, à épargner pour des projets futurs, et donc à accumuler. Enfin la justice permet elle aussi de modérer les passions pour obtenir l’approbation du spectateur impartial. Cependant, cette modération nécessite parfois le recours à un agent supplémentaire, à savoir l’Etat. Problème de l’économie comme discipline. Est-ce que, à partir de Smith, se constitue une discipline économique autonome séparée de la morale et de la politique (voir la loi de la valeur, les analyses de la division du travail, les lois de l’accumulation, les lois de la distribution des richesses). En aucun cas, Smith sépare économie politique, morale et politique. L’économie n’est qu’une branche de ce que Smith appelle la philosophie morale, c’est-à-dire de l’exploitation des comportements humains en sciences humaines et sociales. Les comportements reposent sur des principes de la nature humaine qui rendent possible l’évaluation des actions humaines et l’établissement de règles de comportement. L’économie ne fait que traiter des principes généraux qui concernent la police, le revenu, les armes au sein d’un ensemble beaucoup plus vaste. Ce que Smith veut faire, c’est insérer une nouvelle dimension de l’activité humaine, l’activité économique dans une science globale. Donc pour comprendre la Richesse des Nations il faut regarder aussi les autres ouvrages d’Adam Smith. Il y a en effet continuité entre la philosophie morale et l’économie politique même s’il y a de nouvelles notions (accumulation, division du travail, prix). L’économie a bien un objet spécifique, la richesse mais les comportements économiques sont insérés dans l’ensemble des comportements humains. Le développement de la vertu, c’est-à-dire des règles sociales positives concerne aussi l’économie et il est nécessaire au fonctionnement de l’économie marchande. De même, l’Etat est nécessaire chez Smith. Libéralisme économique. Smith est-il le père du libéralisme économique ? On va voir deux éléments : - Le rôle de l’Etat. - Le rôle de la main invisible. L’Etat apparaît chez Smith comme un résultat de la modération des passions au fur et à mesure de la complication des liens sociaux. Le raisonnement est le suivant ; d’abord se constituent des règles morales, ces règles morales permettent le lien social et ce lien social peut être complété par une relation d’autorité liée à l’Etat. Donc, chez Smith, l’Etat n’est pas du tout un corps étranger extérieur aux relations individuelles. L’Etat est un produit du jeu passionnel régulé des agents. L’Etat se constitue progressivement au fur et à mesure de l’évolution des liens sociaux. Par exemple, dans une société de chasseurs, il n’y a pas besoin d’Etat car l’entente et la relation d’autorité peuvent s’établir autour des plus forts ou des plus sages. Par contre, dans la société marchande, il y accumulation, donc inégalité, il faut un degré d’autorité plus fort et le rôle de l’Etat est nécessaire. Chez Smith, il n’y a pas de société marchande sans Etat. L’Etat est lui aussi soumis aux exigences de vertu puisqu’il n’est finalement qu’une extension de la division du travail. L’Etat a trois devoirs chez Smith : protéger la société de la violence et de l’invasion, exercer la justice, faire certains travaux et développer l’éducation. Sur chacun de ces devoirs, il faut un exercice vertueux. Le rôle particulier de l’Etat va être dans le développement de la bienveillance puisque la société marchande par elle-même n’en a pas besoin. On trouve de nombreux passages chez Smith où Smith dit qu’il faut respecter la liberté individuelle et d’autres passages où il défend des limitations au laisser-faire. Ces deux éléments sont en fait liés au respect de règles morales par l’Etat. L’Etat par exemple peut remédier à la faiblesse de vertu des marchands concernant la justice. C’est la répression des vols, des fraudes commerciales. De même, il peut remédier à une prudence insuffisante par la fixation d’un taux d’intérêt légal. En effet, di le taux d’intérêt est trop élevé, les gens mesurés vont plus s’aventurer dans la concurrence. L’Etat aussi par exemple peut aller au-delà du fonctionnement minimum de l’économie concernant les règles de comportement. C’est en particulier le cas pour la bienveillance. Il peut pousser au bon rapport mutuel en économie. C’est le cas pour les travaux d’intérêt général et de l’éducation qui vont être financés par ceux qui en bénéficient mais aussi par les uns aux bénéfices des autres par l’impôt. Par exemple, l’Etat peut faire payer les riches pour les pauvres ; et surtout développer l’instruction face aux ravages de la division du travail qui rend idiot les agents économiques du fait de la spécialisation sur certains travaux. On voit que l’intervention d’Etat chez Smith n’est pas forcément minimale. Cependant cette intervention d’Etat, si elle n’est pas minimum reste limitée. En effet, si la bienveillance est favorisée par l’Etat, celui-ci peut aller trop loin et la bienveillance mal utilisée peut contredire la justice que l’Etat doit aussi soutenir ; en particulier il y a une justification du laisser-faire chez Smith sur la direction de l’emploi des capitaux vers les usages les plus utiles. L’Etat ne peut intervenir sur cette question. En effet, l’Etat peut être partial envers certains marchands. Par exemple, les monopoles, les protections du marché intérieur résultent d’une bienveillance de l’Etat transformée en partialité. Ce sont les intérêts privés des marchands qui se sont imposés à l’Etat. Chez Smith, il n’y a pas une méfiance envers l’Etat, mais il y a une crainte de voir l’Etat détourné de son devoir par les marchands. Au total, il s’agit plus d’un laisser-faire de résistance avec une intervention d’Etat qui doit contrebalancer le critère de bienveillance et le critère de justice pour respecter le jugement du spectateur impartial en économie politique. En aucun cas chez Smith, il n’y a de théorie du désengagement de l’Etat en économie ni d’Etat minimal. Est-ce que la main invisible est une préfiguration du rôle équilibrant du marché établi plus rigoureusement par la microéconomie ? La réponse est non. La main invisible indique bien qu’il y a des conséquences inattendues, inintentionnelles des actions individuelles mais pour autant il n’y a pas de résultat optimum de ce fonctionnement. Les individus modèrent leurs passions en se conformant au jugement du spectateur impartial seulement pour le plaisir d’être approuvés. Ils ne le font pas pour créer volontairement des liens sociaux. Il y a bien une sorte d’ordre spontané. Cependant, le résultat n’est pas la meilleure répartition des richesses ni le plus haut niveau possible de richesses. En effet, cet ordre est perturbé par toute une série d’éléments historiques. Par exemple, en Europe, le développement économique s’est fait d’abord par le commerce extérieur puis par les manufactures alors que le cours naturel des choses aurait du être l’inverse. Autre exemple, les marchands, de par leur poids politique et économique empêchent la liberté de s’installer et donc la théorie de la gravitation des prix autour des prix de marché autour des prix naturels n’est pas parfaite, et c’est pour cela qu’il faut une intervention d’Etat, c’est-à-dire un perfectionnement intentionnel d’un ordre inintentionnel. Donc ce que l’on peut appeler le rôle de la liberté, des marchés, de l’Etat chez Smith renvoie à une conception subtile que le terme libéralisme économique ne permet sans doute pas de prendre en compte.