Les patrimonialisations d'un géosymbole, les mises en ressource d'un volcan :
la Soufrière de Guadeloupe
Marie Redon
Résumé :
Autour de l’objet-géosymbole de la Soufrière, volcan actif de Guadeloupe, différents processus
de patrimonialisation sont à l’œuvre. La notion de géosymbole peut être définie, avec Joël
Bonnemaison comme « un lieu, un itinéraire, une étendue qui, pour des raisons religieuses, politiques
ou culturelles prend aux yeux de certains peuples et groupes ethniques, une dimension symbolique
qui les conforte dans leur identité » (1981, p.76). L’Etna pour les Napolitains (Gruet, 2008), le
Kilimandjaro en Afrique de l’Est et le Mont Nyiragongo pour celle des Grands Lacs (Bart) ou encore le
Piton des Neiges à la Réunion (Germanaz, 2004), les volcans font de solides géosymboles. La Soufrière
n’échappe pas à cette identification (Guillaud et Walter, 1998, p.32). Loin du simple marqueur
paysager, elle est investie d’une dimension plus qu’identitaire : «Ah non, la Soufrière ce n'est pas un
paysage. C'est une montagne. C'est elle qui dirige le pays. Elle est le cœur du pays. Sans elle on ne peut
pas vivre » (cité par Benoit, 1988, p.717). En ce sens, elle apparait comme une source d'énergie
symbolique permettant la subsistance des habitants, comme une ressource vitale.
Quant à la logique de patrimonialisation, elle n’est devenue un objet d’étude pour les
géographes que tardivement par rapport aux autres sciences humaines (Veschambre, 2007),
notamment l’Histoire et ses Lieux de mémoire qui émergent dès les années 1980 (Nora, dir., 1986). Les
premières réflexions sur une approche théorique du patrimoine en Géographie sont dues à Guy Di
Méo, à partir de 1992. Processus observé sur les espaces urbains (Melé, 2005, Tomas, 2004) et
touristiques (Lazzaroti, 2007 ; 2011), mais aussi naturel (Guichards-Anguis, Héritier, 2009), la
patrimonialisation met en jeu la construction d’une ressource. Ce néologisme de patrimonialisation
traduit l’intérêt pour un « processus social de reconnaissance de certains héritages » (Veschambre,
2007, p.367) et c’est précisément le propos de cette contribution : examiner comment les différentes
formes de mises en ressources de la Soufrière de Guadeloupe correspondent à des formes de
patrimonialisation d’un géosymbole, à la croisée de discours mettant en exergue sa nécessaire
protection.
L’accent est mis sur le recours à des rhétoriques sur la menace et la sanctuarisation de la
Nature comme ressource, d’une part, les formes d’appropriation territoriale, d’autre part. Nous nous
proposons de montrer comment la Soufrière fait l’objet de « mises en ressource » concurrentielles par
différents acteurs, qui font pourtant tous appel à sa dimension patrimoniale et à son caractère de
géosymbole. En croisant « patrimonialisation du territoire » et « territorialisation du patrimoine »
(Gravari-Barbas, 1996), ce sont des rapports de force, et de pouvoir, que nous voulons mettre en
lumière. La ressource patrimoniale, ici fortement symbolique, apparait comme un objet politique, au-
delà du « bien commun ».
Dans un premier temps, nous verrons à quel point la Soufrière est un lieu qui représente un
bien commun et revêt donc une dimension rhétorique de topos
, puis comment elle est constituée à
la fois en ressource du point de vue de la préservation d’un patrimoine naturel mais aussi en tant que
capital économique. Un projet touristique privé sur ses flancs, le Volcano Park (musée et télécabine),
En littérature, un argument ou un thème récurrent.