Marie Cartier, CENS, Université de Nantes La diversité des pratiques protestataires dans les emplois de service féminisés : le cas des salariées de la petite enfance A l’instar d’autres activités de service féminisées, le travail rémunéré de prise en charge des jeunes enfants, en forte croissance numérique, apparaît peu propice à l’action collective et peu à même de favoriser la politisation : il s’exerce souvent à temps partiel dans de petits établissements de création récente et concerne majoritairement des femmes (et plus précisément des mères) des classes moyennes et des classes populaires ; l’éthique du care (du soin et de la prise en charge matérielle et morale des personnes dépendantes) semble y interdire la dénonciation des difficultés du travail (Sadock, 2003). Mais cette impression que le travail de care alimenterait l’individualisme et la nonpolitisation doit être testée empiriquement. Ainsi une recherche sur les aides-à-domicile a-t-elle récemment montré que dans les emplois précaires et peu qualifiés du tertiaire, l’action collective est par définition discrète et que sa mise au jour requiert des dispositifs d’enquête originaux et une approche renouvelée des conflits du travail comme de l’action syndicale (Avril, 2009). Qu’en est-il des pratiques protestaires et conflictuelles dans le travail de prise en charge des jeunes enfants ? Dans quelle mesure sont-elles spécifiques ou conventionnelles, rares ou fréquentes ? Débouchent-elles ou non sur des formes de politisation ? La prise en charge des jeunes enfants relève aujourd’hui de professions variées tant par leur niveau de qualification et leur formation (depuis les éducateurs jeunes enfants et les auxiliaires de puériculture jusqu’aux assistantes maternelles considérées comme « non qualifiées ») et leurs conditions d’emploi (depuis le statut de fonctionnaire territorial jusqu’au salariat du particulier en passant par le salariat associatif couvert par des conventions collectives inégalement protectrices) que par leur cadre de travail (travail en solitaire à domicile ou en collectif dans les institutions d’accueil de jeunes enfants). Mais aussi diverses soient-elles et quoiqu’elles en disent— prises qu’elles sont dans des rapports de concurrence et de distinction— ces professions exercent un même travail de prise en charge des jeunes enfants et sont également confrontées à l’éthique du care. De plus, les recompositions actuelles du secteur favorisent les rapprochements et les passerelles entre les diverses professions. Il est donc intéressant d’explorer les obstacles à l’action collective, mais aussi les ressources collectives et les effets de politisation ou de non-politisation liées au travail en s’intéressant à l’ensemble du secteur de la petite enfance et non à telle ou telle profession prise isolément. L’actualité française récente est propice à une telle recherche. Alors que la loi de financement de la sécurité sociale de 2009 a relevé le seuil d’agrément pour les assistantes maternelles à l’accueil de 4 enfants simultanément—y compris de moins 3 ans—(au lieu de 3 enfants précédemment) sans que cela ne suscite guère de débats ni de protestations, un décrêt gouvernemental réformant les conditions d’accueil dans les crèches (il prévoit la diminution de la proportion de personnels qualifiés et l’augmentation de la capacité d’accueil) a suscité la mobilisation des personnels des crèches qui ont mené plusieurs journées de grève depuis mars 2010 à l’initiative du collectif « pas de bébé à la consigne » mais qui ont aussi, de façon plus discrète, mené des actions en direction des parents. Les professions qualifiées des structures collectives fonctionneraient-elles comme des espaces de mobilisation collective et de politisation et celle, moins qualifiée et plus isolée, d’assistante maternelle comme espace d’individualisation et de non-politisation ? Pour explorer cette question, je m’appuierai sur la littérature sociologique disponible et sur des investigations empiriques variées dans la région nantaise : campagne d’entretiens auprès d’assistantes maternelles, enquête de terrain en crèche, entretiens avec des syndicalistes impliqués dans le mouvement « Pas de bébé à la consigne ».