Socialisation, règles informelles et construction identitaire Thomas Reverdy Introduction Le rapport au travail est autre chose qu’un simple contrat de travail, la mise à disposition d’une force de travail contre une rémunération. Le travail suppose une initiative, une mobilisation qui ne peut se résumer à un contrat de travail et à des règles formelles. On parle alors de « motivation », ce qui pousse l’individu à agir en l’absence de sanction ou de récompense immédiate. À tous les niveaux de l’échelle sociale, on trouve des gens qui font preuve d’initiatives, engagent leur volonté à satisfaire l’entreprise, alors que leurs chances d’évolution sont nulles. Mais on trouve aussi l’inverse : les managers ont souvent le sentiment d’être face à des individus ou même un groupe de travail qui « freinent », ne prennent pas d’initiative. Il existe des contrats de travail et des techniques de management qui ont pour objectif d’orienter l’action d’un subordonné : individualisation des rémunérations, enrichissement du travail, délégation de responsabilité, perspectives de carrières… Mais ces techniques ont des effets très variables d’une personne à l’autre, d’une situation à l’autre. Pour répondre à ces questions, les sociologues proposent d’étudier plus en détail le rapport des individus à leur travail. Ils se demandent par quoi ce rapport est déterminé initialement, comment il se construit, comment il évolue au gré des expériences. Ils montrent que notre rapport au travail est en grande partie déterminé par notre socialisation, notre milieu d’origine, nos expériences et nos insertions sociales diverses au fur et à mesure de notre existence. Il est aussi affecté par le fait que le travail participe à l’image que l’on a de soi ou que l’on veut donner de soi aux autres. On y investira davantage quand on pourra s’identifier à ce que l’on réalise. Il y a donc un lien entre le rapport de l’individu au travail et son identité. La première approche de la question identitaire se réfère à la question de l’appartenance à un collectif. L’appartenance à un collectif se pose d’abord comme une nécessité, compte tenu de notre dépendance à autrui. L’appartenance à un collectif donne un certain nombre de repères comportementaux qui nous permettent d’être acceptés, insérés, mais aussi d’accéder à une position sociale. On peut aussi se référer à un autre collectif que le groupe d’appartenance pour se positionner dans la société : ce que l’on appelle le groupe de référence. L’approche en terme de position sociale permet d’envisager de nombreux aspects des comportements au travail, par exemple, la façon de construire sa carrière, d’avoir recourt à la formation. Enfin, nous verrons que l’on peut établir des rapprochements entre la question identitaire et d’autres questions. Ainsi, identité et relation de pouvoir ont de nombreux liens. Tout collectif est engagé dans une relation de pouvoir avec ses membres et avec le reste de la société ou de l’organisation. Réciproquement, le sentiment d’appartenance à un collectif facilite l’action collective : organisation interne au collectif, valeurs partagées… Autre thème qui peut être rapproché de la notion d’identité : l’attitude face au changement. Dans un changement organisationnel, toutes les positions sociales ne sont pas menacées ou favorisées de la même façon. Une menace peut conduire le collectif à se ressourcer dans une définition la plus traditionnelle de sa culture commune, et donner du poids à ses leaders les plus radicaux. Une situation de changement organisationnel peut donc conduire à renforcer un collectif, qui peut ainsi développer une capacité d’action, de résistance, et de négociation du changement. 1. La socialisation Dans les travaux de sociologie de Durkheim, les comportements sont principalement expliqués par la notion de socialisation, c’est-à-dire l’intériorisation de repères, de représentations, de valeurs du groupe d’appartenance. Si on regarde son milieu d’origine, son éducation, mais aussi les diverses insertions sociales que l’on a connues dans son histoire (milieu étudiant…), tous ont laissé des traces, des comportements quotidiens que l’on ne questionne plus. Pourquoi un tel mécanisme d’intériorisation ? L’homme est le seul animal qui ne peut survivre sans l’aide des autres hommes : il a besoin de repères comportementaux pour être accepté. Dans un nouvel espace de socialisation, chacun adoptera les modèles de comportement, par souci de s’intégrer. Cette socialisation conduit à un apprentissage comportemental extrêmement important : la maîtrise de soi, le respect des « convenances »… Les déterminations sociales (origines sociales) sont renforcées par le phénomène d’exclusion des déviants : ceux qui se retrouvent dans un groupe dont ils ne maîtrisent les convenances, le langage, la culture, peuvent en être exclus. Ce qui a pour effet de renvoyer chacun dans son groupe d’appartenance et de renforcer la ségrégation sociale (le film « le goût des autres » en est un très bon exemple). De nombreuses études mettent en relation étroite les comportements des gens avec leur éducation : par exemple en ce qui concerne la différenciation entre les rôles féminins et masculins, et ce malgré une adhésion au discours sur l'égalité des sexes… Si l’on s’intéresse aux activités de loisir, la pratique sportive et artistique, les voyages, là aussi les origines sociales, sont déterminantes. On s’est aussi aperçu que des sports étaient d’autant plus pratiqués par une classe sociale qu’ils étaient porteurs de valeurs de cette classe sociales et de comportements qui ne sont pas si éloignés d’ailleurs des comportements attendus dans le travail. On peut prendre comme exemple le golf et le foot, sports individuels, concentration et calcul d’un côté, sports collectifs, force et réactivité de l'autre. Dans l’entreprise et en ce qui concerne les comportements au travail, on retrouve les marques des socialisations antérieures. Des comportements acquis lors de la scolarisation sont entretenus dans les situations de travail. Le comportement en salle de classe se reproduit en réunion : on n’ose pas poser de questions quand on n’a pas compris, on ose peu avancer ses propres opinions. La situation de travail elle-même façonne progressivement les comportements. La stabilité d’une situation de travail conduit à la stabilisation des pratiques et comportements sous la forme de routines, en général pertinentes dans la situation. Elles permettent en général à l’individu une certaine performance, de faire davantage de chose en moins de temps, en moins d'effort et donc de prendre en charge des activités supplémentaires. Progressivement, la personne ne va plus questionner ou remettre en question ce qui lui semble efficace La mise en place de ces routines, efficace dans une situation donnée, a évidemment une forte inertie : elles pourront perdurer malgré une évolution du contexte. L’intériorisation des comportements est renforcée quand la personne est soumise à une forte pression externe, à des facteurs de stress. On constate une attitude défensive dans les métiers directement confrontés au public ou à la clientèle, surtout quand celle-ci exprime une certaine agressivité ou une certaine souffrance : c’est comme cela que l’on explique l’attitude très "mécanique" et "distante" des agents au guichet de la sécurité sociale. Ils sont soumis à des pressions fortes : la file d'attente, l’obligation d’un respect scrupuleux des règles sinon le dossier ne passera pas quand il sera examiné… La tension est telle que l'agent finit par se blinder. On peut faire un constat similaire pour les infirmières. La socialisation dans un collectif de travail Les premières analyses systématiques des comportements au travail sont celles de l’École des Relations Humaines, sous la direction de Elton Mayo. Celles-ci font apparaître que les comportements ne correspondent pas directement aux règles formelles ou à l’action de la hiérarchie. Il y a d’autres facteurs à prendre en compte, en particulier l’existence de collectifs de travail, qui semblent imposer à leurs membres des modèles comportementaux, des règles aussi contraignantes que les règles formelles mais formalisées nulle part. Quand on entre dans l’entreprise, pour se faire accepter par ses pairs, il faut respecter ces règles informelles. Les règles informelles constituent une véritable organisation informelle, résultante de l’accumulation des comportements et des interactions. Ces règles informelles se développent et se reproduisent à la façon d’une culture commune, par le jeu des interactions entre les membres du groupe, par son langage, par ses rituels, ses échelles de valeurs et de prestige. Ces règles informelles comportent souvent des règles de solidarité entre les membres de chaque groupe et permettent la défense des intérêts du groupe. Elles deviennent rapidement des évidences que plus personne ne questionne. Chacun oublie leur existence et leur raison d’être. Dans l’entreprise, il n’y a pas d’homogénéité, chaque groupe développe ses règles informelles, sa sous-culture, sa façon de gérer ses relations avec d’autres groupes de travail, par exemple, les ouvriers professionnels par rapport aux ouvriers non qualifiés, par rapport aux cadres. Chaque groupe tente de se différencier avec ses échelles de valeurs et de prestige qui le valorisent. Chaque groupe développe un jugement sur les autres groupes à partir de ses propres valeurs. Ces échelles de valeurs et de jugements sont une façon pour chaque groupe de se situer dans l’échelle sociale. L’Ecole des Relations Humaines a été fortement contestée pour son orientation normative très marquée par un point de vue managérial. Le texte évoqué ici explique qu’il s’agit d’évaluer si cette organisation informelle sert les objectifs de l’organisation formelle, d’étudier comment elle pourrait mieux les servir, comment avoir une influence sur celle-ci. Cette école de pensée a surtout été critiquée pour avoir proposé une opposition entre une logique de coût et d’efficacité, qui appartiendrait au rationnel, à une logique des sentiments, irrationnelle, du côté de l’informel, expliquée par leur approche culturelle. Cette qualification des motivations est tout-à-fait asymétrique. Elle est marquée par le point de vue des cadres et dirigeants : le rationnel est associé à l’action des dirigeants et l’irrationnel, les sentiments, à celle des ouvriers. Or, on constate bien souvent que ce qui est irrationnel et inefficace pour les uns, est souvent tout à fait rationnel et efficace pour les autres, les certitudes des uns, seront jugées comme des croyances sans fondement par les autres, et c… 2. Identité et action collective Les règles informelles produites au sein d’un groupe ont longtemps été renvoyées dans le registre des sentiments, de l’affectif. Les travaux des sociologues montrent que ces règles résultent d’un effort de coopération entre acteurs qui ont aussi de « bonnes raisons » de coopérer. La règle informelle est le résultat d’un processus tacite de négociation. La règle informelle a pour raison d’être la défense d’intérêt bien compris dans le cadre d’un rapport de pouvoir entre le collectif et l’organisation qui l’entoure. Les travaux de D. Roy sur le « freinage » donnent une lecture davantage politique du rôle de la règle informelle. Dans un atelier d’usinage où les ouvriers sont payés au salaire aux pièces, D. Roy observe l’existence d’une norme de performance inscrite nulle part, mais respectée de tous les ouvriers : quand un ouvrier a atteint une certaine rémunération, il s’arrête de travailler. S’il va au-delà, il sait qu’il fait courir le risque que le prix de la pièce soit modifié pour une rémunération moindre. Son intérêt individuel est de travailler avec la plus grande productivité possible. L’intérêt collectif est au contraire de respecter cette norme. On trouve des situations proches de celle décrite par D. Roy dans les situations de changement organisationnel, par exemple, quand on cherche à développer la polyvalence en production. Les jeunes recrutés, mieux formés que les plus anciens ouvriers, sont incités par l’entreprise à réaliser une grande diversité de tâches, y compris de tâches réservées auparavant aux techniciens (qualité, maintenance). On leur promet des possibilités d’évolution s’ils coopèrent. Mais la polyvalence n’est pas de l’intérêt des anciens qui risquent d’y perdre, du fait d’un travail plus intensif et plus complexe. En général, le collectif souhaite que ces nouvelles tâches soient reconnues et que les rémunérations soient adaptées en conséquence. Il arrive alors que le collectif fasse pression sur le jeune recruté pour qu’il refuse cette polyvalence, par exemple en l’excluant des espaces de convivialité, en refusant de l’aider pour les tâches qu’il ne connaît pas… Ces deux exemples montrent que ces règles informelles ne relèvent pas simplement du mimétisme mais d’une action collective et visent à établir un rapport de force avec l’entreprise, dans une négociation des statuts des membres du groupe, de la même façon qu’une grève. Dans la même logique, J.D. Reynaud propose les concepts de régulation de contrôle, de régulation autonome et de régulation conjointe. La régulation de contrôle désigne la production de règles par la hiérarchie, le pouvoir extérieur au collectif, par exemple ici, le salaire à la pièce. La régulation autonome désigne la production de règles par le collectif soumis à la régulation de contrôle, en réponse à celle-ci, par exemple le « freinage ». La régulation conjointe résulte de la combinaison des deux régulations. Cette régulation conjointe relève d’une négociation entre deux sources distinctes de règles. On peut expliquer que l’adhésion aux règles du collectif peut être « très rationnelle ». Mais il n’y a pas non plus toujours un calcul avant de participer à une action collective. Dans l’action collective, on trouve une grande diversité de registre, de l’intérêt personnel à la loyauté inconditionnelle. L’approche identitaire permet de mieux expliquer pourquoi, dans de nombreuses situations, les individus participent à une action collective (par exemple grève), respectent les règles du groupe, renoncent à leur intérêt individuel au profit de l’intérêt collectif. C’est le problème bien connu du paradoxe d’Olson, qui reprend à son compte l’idée de passager clandestin. En théorie, personne n’a d’intérêt à participer à une grève : le non-gréviste ne risque pas de perte de salaire et pourra bénéficier des augmentations distribuées à tous si la grève réussit. Bien sûr il y a parfois des pressions exercées par les leaders du mouvement, des menaces et des piquets de grève, mais ce type d’explication ne suffit pas. Il faut donc un fort sentiment d’appartenance au groupe, d’unité, de solidarité, et une forte légitimité de la grève (à ses propres yeux) pour que l’individu renonce à son intérêt individuel. Quand un groupe a un sentiment fort de communauté d’intérêt et de destin, quand ses membres partagent le même statut, les mêmes compétences, les mêmes contraintes de travail, la même idéologie, les mêmes valeurs, il a une forte capacité d’action collective, de négociation de sa position. C’est le cas des verriers, des cheminots, des ouvriers du livre… On parle alors d’identité collective. 3. La profession : une ressource essentielle de la construction identitaire Nous avons montré qu’il y a un lien entre l’identité personnelle, le collectif de travail, les règles définies par ce collectif, mais aussi comment ce collectif négocie sa place dans l’organisation. Les « professions » instituées se construisent avec les mêmes mécanismes, jusqu’à se donner une forme institutionnalisée, en général par l’existence d’une association qui en regroupe les membres, un titre qui les différencie… Décortiquer les fondements d’une profession institutionnalisée, formellement reconnue, comme les professions médicales ou paramédicale, permettra de mieux comprendre les mécanismes de différenciation sociale. On verra, à travers un exemple, comment une profession se différencie et s’institutionnalise. La profession instituée nous servira de « modèle » pour rendre compte de la construction d’identité professionnelle collective, mais non institutionnalisée. Une profession est institutionnalisée par l’existence d’un ordre ou d’une association professionnelle. Cette institutionnalisation peut prendre une forme juridique et s’exprimer à travers la possession d’un titre, qui qualifie le professionnel au-delà du simple diplôme : la possession du titre, l’appartenance à l’ordre ou l’association professionnelle est une condition pour exercer une activité. L’ordre garantit que les membres ont la compétence nécessaire pour exercer une activité donnée. Mais en même, il contrôle l’accès des membres : il peut exiger l’obtention d’un diplôme, et une expérience validée. Par exemple, pour appartenir à l’ordre des médecins, il faut avoir le diplôme, avoir pratiqué comme médecin interne… Un ordre gère aussi le nombre de ses membres, c’est ce que l’on appelle le numerus clausus. Elle se donne aussi la possibilité d’exclure les membres qui n’ont pas respecté certaines règles. En contrepartie d’un certain « monopole » sur une activité, les membres d’une profession ont aussi, en général, des obligations à respecter et même une responsabilité juridique personnelle. Dans de nombreux cas, ce modèle de la profession « instituée » prend une forme juridique. Cette forme juridique peut être plus ou moins marquée. Par exemple, il existe un ordre des architectes, mais des entreprises générales peuvent assurer une grande partie des tâches de conception d’un architecte. On constate aussi qu’une même profession n’est pas instituée de la même façon dans différents pays : aux Etat Unis, l’exercice du métier d’ingénieur suppose l’appartenance à une association professionnelle, qui valide certes le diplôme mais aussi les premières expériences comme assistant, alors qu’en France, s’il existe un diplôme celui-ci n’est pas imposé systématiquement. Autre exemple : le titre de psychologue est nécessaire pour un certain nombre d’activité (faire passer des tests) mais ce droit peut être délégué à un autre membre de la structure. On trouve des formes d’affirmation d’une profession, sans qu’il y ait de véritablement de titre ou d’obligation d’appartenir à un ordre. Cette affirmation emprunte en général, de façon beaucoup moins officielle, les mêmes stratégies de fermeture, de monopole… Pour bénéficier de ce statut particulier, la profession a besoin de définir son utilité sociale, montrer qu’elle assure une fonction sociale ou économique indispensable. Elle produit donc une représentation de la société ou de l’entreprise de telle façon qu’elle apparaisse comme un rouage essentiel. Ces discours sont produits par les associations professionnelles et repris dans diverses situations. On retrouve aussi ce discours des professionnels lors des réorganisations. Par exemple les valeurs associées au service public (l’égal accès au savoir par exemple) fait partie des sources d’investissement des agents des entreprises publiques ou des fonctionnaires. L’ouverture à la concurrence ou la privatisation de certaines entreprises publiques a fait face à une certaine résistance liée à cette identité fortement stabilisée. L’existence d’une profession, son institutionnalisation n’est pas une évidence en soi : l’institutionnalisation d’une profession est le résultat d’une construction historique, d ’un rapport de force avec d’autres professions, et avec l’Etat, qui peut reconsidérer l’utilité sociale de cette profession, son degré d’ouverture ou de fermeture... L’exemple des auxiliaires-puéricultrices illustre ce travail de construction, par un groupe professionnel, de reconnaissance de son rôle et de ses savoir-faire. Pendant longtemps, l’activité des auxiliaires-puéricultrices était assurée par des femmes de formation courte, dont les savoirs n’étaient pas reconnus, mais qui, en maternité, pouvait avoir des responsabilité importante du fait du manque d’infirmières. Elles se sont organisées en association et ont tenté à plusieurs reprises d’obtenir une reconnaissance de savoirs de soin des nouveaux nés ou des enfants. Cette reconnaissance a été bloquée par les infirmières, craignant de voir des compétences de soin reconnues pour des non-infirmières. L’association professionnelle connut une mobilisation très forte suite à la publication de textes officiels qui alignaient les auxiliaires-puéricultrices sur les aides soignantes. Elles ont refusé ce qu’elles ont considéré comme une assimilation à une profession dont elles souhaitaient se différencier : par exemple, elles revendiquaient un « rôle » éducatif auprès des enfants, rôle que ne tiennent pas les aides-soignantes. Plutôt que d’obtenir une reconnaissance de compétence de nature médicale, voie qui leur était refusée, elles ont eu comme stratégie de faire reconnaître des compétences de nature éducative et psychologique. Cela s’est traduit par la définition d’un cursus de formation où la psychologie tient une place importante. De nombreuses professions ne sont pas institutionnalisées. On peut trouver néanmoins les mêmes efforts de leur membres pour les faire reconnaître. Dans l’entreprise, les cultures professionnelles s’affrontent, chacune essaie de faire reconnaître sa légitimité. Les groupes professionnels permettent aux individus de se situer. Un groupe professionnel s’affirme par des compétences particulières, des savoir-faire, mais aussi une habileté, et même des savoir-être (autrement dit des règles de comportements). Ces savoirs lui permettent de se différencier des autres et de justifier la position sociale du groupe. En même temps ces savoirs offrent aux membres du groupe des repères pour se positionner personnellement par rapport aux autres. Chaque groupe professionnel contient sa propre échelle de valeur pour évaluer les savoirs et les comportements de ses membres. L’autonomie joue un rôle essentiel dans la possibilité de construire une identité professionnelle. L’expression de ces capacités personnelles, reconnues par soi et par les autres au travers des réalisations, dans l’entreprise, suppose un espace d’autonomie. Le cadre de travail et donc l’espace d’autonomie est en général défini par son niveau professionnel. Dans une organisation, l’organisation formelle et le contrôle hiérarchique tentent de définir l’espace d’autonomie. Mais l’espace d’autonomie est parfois conquis de façon informelle dans le cours même de l’activité de travail. Cet espace d’autonomie joue un rôle essentiel de la construction identitaire : c’est dans cet espace que la personne exprime ses compétences, ses spécificités, affirme son appartenance à un groupe professionnel ou non, affirme ses compétences particulières au sein d’un groupe professionnel. Si l’autonomie vient à se réduire, du fait d’une réorganisation, cela peut affaiblir le rapport de l’individu à son travail et l’investissement personnel. Le concept de stratification sociale est utile pour évoquer les relations entre groupes professionnels. On parle de stratification sociale souple pour désigner les situations où la mobilité est importante entre strates sociales, entre groupes professionnels, et de stratification sociale rigide quand elle est plus limitée. Par exemple, on peut dire que le monde de la santé connaît une stratification sociale rigide parce qu’il est impossible pour une infirmière de devenir médecin. Autre exemple, entre technicien et ingénieurs… La rémunération fait aussi partie de l’identité professionnelle. Elle est un objet de construction identitaire important : elle participe à l’obtention d’un statut social. Nombreuses sont les dépenses dont le rôle est d’afficher à l’extérieur son niveau de richesse. La rémunération tend à s’affirmer comme un mode dominant de valorisation du travail. Un des signes est la désaffection pour les métiers mal payés mais auparavant très valorisés, comme le métier d’infirmière par exemple, pour lequel les revenus ne correspondent plus au niveau de contrainte et de responsabilité. Enfin, il ne faudrait pas limiter la construction identitaire au simple lieu de travail. Les ressources mobilisées par les individus dans la construction de l’image qu’ils ont d’euxmêmes sont d’une très grande diversité. Elles appartiennent tout autant au monde du travail que dans le monde hors du travail, l’un et l’autre pouvant d’ailleurs interagir. Cela peut se traduire par un rapprochement entre travail et loisir. Beaucoup d’entreprises (par exemple, Renault, Peugeot, Petzl ou Salomon) encouragent l’identification à l’entreprise, aux produits fabriqués, en investissant le champ hors travail par des offres de loisirs, des avantages dans l’achat des équipements... Identité : rapport au collectif, à l’autorité, à l’entreprise, au reste de la société R. Sainsaulieu, a tenté de rapprocher construction identitaire et stratégie d’acteur. Son projet est de rapprocher l’analyse en termes de régulation conjointe de J.D. Reynaud, l’approche identitaire de Merton, et l’analyse stratégique des acteurs de Crozier. Les jeux de pouvoirs et de stratégies contribuent aussi à construire l'image de soi et l’image que l’on a des autres. Une position sociale, la reconnaissance par les autres, l’autonomie, résultent aussi des relations de pouvoir engagées avec les autres. Sainsaulieu explique aussi que l’entreprise est le terrain de grands affrontements idéologiques qui traversent notre société, de grandes évolutions sociales. On peut prendre comme exemple les débats autour de l’emploi, de l’environnement, le rapport entre le travail et le hors travail, l’évolution du rôle des femmes et des structures familiales… Les systèmes de pensée, les idéologies sont aussi des supports à la construction identitaire. Se situer par rapport aux autres, c’est aussi se situer aussi dans une certaine représentation du monde. En général, chacun se forge une représentation du monde au fur et à mesure de ses expériences, sur la base des connaissances acquises, des représentations proposées par les médias, des échanges avec les proches. Les systèmes de pensée, des idéologies, permettent de comprendre ce monde, son fonctionnement. L’idéologie de lutte des classes à contribué à donner du sens aux actions collectives du monde ouvrier. Pendant toute la période après guerre, le monde ouvrier a vécu selon l’idée que la progression de chacun était principalement liée à la progression de l ’ensemble de la classe ouvrière, du fait de l’absence de perspective individuelle de carrière mais aussi de l’efficacité de l’action syndicale dans la réduction des inégalités de revenus. Depuis les années 80, la situation s’est modifiée. D’un côté, l’organisation du travail, le contenu du travail s’est transformé avec l’automatisation, la recherche de flexibilité, le développement de la participation, et une partie des ouvriers a connu de nouvelles possibilités de progression, mais cette fois-ci individuelles. Plus globalement, la crise économique, la montée du chômage, le discours sur les délocalisations, sur la nécessaire rentabilité des entreprises, a conduit beaucoup d’ouvrier à abandonner l’idée qu’il était possible de progresser collectivement. Inévitablement cela a eu des conséquences importantes en matière d’action collective, de participation aux activités syndicales… On voit apparaître de nouvelles formes d’action collective, plus soudaines et brutales, de jeunes bacs professionnels souvent embauchés sur des postes sous-qualifiés. Pour qu’il y ait action collective, il faut aussi que les personnes estiment que l’action collective soit la seule possibilité envisageable sérieusement de maintenir ou d’améliorer leur propre situation. Il faut aussi que la grève ait de bonne chance d’être rapidement efficace et de déstabilise le partenaire. R. Sainsaulieu propose quatre modèles identitaires représentant les différentes manières de se définir par rapport aux collègues, chefs, groupes et leaders. Ces modèles dépassent la question identitaire au sens strict, puisqu’ils touchent aussi les relations d’autorité et de pouvoir dans l’organisation. Il s’agit des modèles de fusion, affinités, négociation et retrait qui traduisent quatre façons reconnaissables de s’impliquer couramment dans les milieux de travail. Ces modèles montrent aussi toutes les façons de s’identifier, des manières de vivre et de se définir par rapport à l’entreprise. La fusion Ce modèle concerne essentiellement les ouvriers spécialisés et se caractérise par des relations intenses entre collègues, sur un mode affectif. Il s’agit en général d’individus fragilisés par une certaine aliénation au travail, la parcellisation des tâches et la déqualification. Du fait de cette fragilité, la cohésion prime sur l’expression d’un point de vue différent. En général, un leader charismatique ou un chef autoritaire sont nécessaires car ils contribuent à renforcer la cohésion. L’identité passe par la protection d’un large groupe. La négociation La possibilité de se faire reconnaître un pouvoir de négociation constitue la valeur essentielle de l’identité des individus concernés par ce modèle. C’est un modèle typique des professionnels mais aussi de l’encadrement, en mesure de se différencier et de communiquer de façon contradictoire, accomplissant des tâches individuelles mais pour lesquelles les échanges et alliances avec d’autres sont importants. Les relations entre les collègues sont nombreuses, intenses et sensibles aux différences. Le groupe est crucial, c’est un lieu de confrontation « démocratique ». De ce fait, le chef autoritaire est mal accepté et l’on préfèrera le leader, sorti du groupe pour le contrôler, de qui l’on attend qu’il s’impose par ses capacités personnelles de médiateur. Les affinités Ce modèle concerne les personnes ayant quitté leur groupe d’appartenance d’origine suite à une ascension professionnelle, vivant intensément et parfois avec angoisse les situations de mobilité. Les relations entre collègues sont acceptées seulement avec un petit nombre « d’élus » auprès de qui se recherche et s’échange l’entraide. Les relations sont affectives mais aussi sensibles aux différences de point de vue. Ces relations conduisent à la constitution de petits groupes qui se tiennent à l’écart des grands groupes. Dans ce modèle, le chef est important car c’est de lui que dépend la carrière. Un soutien et une attention personnalisés sont attendus de sa part. Par contre, le leader est rejeté car il supposerait une implication collective dans des groupes dont on se méfie profondément. Le retrait Ce modèle renvoie à une autre compréhension de la définition identitaire. En effet, l’investissement majeur n’est pas dans le travail qui est considéré surtout comme un moyen de réaliser une vie extérieure (loisirs, vie familiale …). De fait, les relations avec les collègues sont peu recherchées, elles sont superficielles et évitent les confrontations de points de vue différents. Le groupe a peu d’existence collective, c’est un rassemblement d’individus ayant chacun ses propres préoccupations. En cas de désaccord sur une décision, chacun agit comme il l’entend. Dans ce cas, le chef seul permet une structuration, il est considéré comme nécessaire et doit agir avec autorité. Les individus caractéristiques de ce modèle choisissent la passivité et la désimplication à l’égard de tout ce qui déborde la stricte application de la règle de travail. Il s’agit souvent de personnes exclues du pouvoir en entreprise. Si on combine les différentes approches, on comprend mieux comment s’organisent les actions collectives majeures comme les grèves. On constate que celles-ci s’appuient sur des alliances entre les groupes évoqués plus haut, tout autant que sur une idéologie partagée : - Dans l’histoire, dès les premiers exemples de lutte, on constate une alliance entre les ouvriers qualifiés et les ouvriers spécialisés dans la lutte politique : les ouvriers qualifiés fournissent l’organisation, le leadership du mouvement, les ouvriers spécialisés, les troupes. En effet, la force des ouvriers qualifiés, c’est la cohésion identitaire offerte par une identité professionnelle commune. La cohésion des ouvriers spécialisée est beaucoup moins forte : il s’agit d’une cohésion par défaut. Dans ce contexte, l’idéologie partagée, la lutte des classes, renforce l’action collective... - On constate aussi une alliance de fait entre les OS en « retrait », les techniciens « affinité » et la « hiérarchie » : l’ordre social est accepté par les OS en retrait, qui estiment que l’action collective ne donne rien, il est accepté aussi par les techniciens qui ont l’espoir de tirer leur épingle du jeu, la hiérarchie profite de leur mobilisation. 4. Groupe de référence et socialisation anticipative La notion de socialisation telle qu’elle est définie par les premiers sociologues établit un lien entre le groupe auquel on appartient, le groupe d’appartenance, et les comportements que l’on adopte. En général, face à un groupe relativement homogène, on doit pouvoir trouver des comportements, des attitudes et des jugements homogènes. Merton, lors d’une enquête sur la satisfaction des soldats dans l’armée américaine, a été confronté, au sein d’un même groupe homogène, à des réponses très variables aux mêmes questions. Il s’est aperçu que les soldats interrogés n’avaient pas la même façon de juger de leur sort personnel non pas selon le groupe auquel ils appartiennent mais selon le groupe auquel ils s’identifient. Par exemple, les soldats mariés mettent majoritairement en doute la légitimité de leur mobilisation dans l’armée. Ils comparent leur sort aux autres hommes mariés qui ont été exemptés. Pour eux, le fait d’être marié est plus important que d’autres catégorisations. Ces constats ont amené Merton à distinguer deux concepts : le ‘ groupe d’appartenance » et le « groupe de référence ». La notion de groupe d’appartenance renvoie à une définition objective de l’identité : un ensemble de personnes qui partagent les mêmes conditions, qui sont en interaction, qui se perçoivent comme membres du même groupe, et qui sont perçues comme telles par les autres membres du groupe. La notion de « groupe de référence » renvoie à la dimension subjective de l’identité : c’est le groupe dans lequel on se projette, le groupe auquel on se compare, le groupe que l’on veut atteindre. Dans l’enquête, une autre question avait été posée : « pensez vous qu’un soldat qui a de bonne capacité peut espérer de l’avancement ? » Cette question avait donné des réponses très contrastées, et surtout contradictoires avec la réalité des pratiques d’avancement. Dans l’armée de l’air, la réponse était majoritairement négative alors que la promotion était rapide. Dans la gendarmerie, c’était l’inverse, la réponse était majoritairement positive alors que la promotion est bien plus lente. La réponse a ce type de question est révélatrice de la représentation que les personnes construisent de la société, davantage que de la réalité de cette société. Plus il y a de possibilités de promotion, plus il y a de différence entre le sort des personnes, plus on se compare les uns aux autres, moins on a le sentiment que l’avancement est justifié. La réponse diffère selon de la rigidité ou de la souplesse de la stratification sociale. Si une stratification sociale est très rigide, les individus d’une strate sociale ne se comparent qu’au sein de la même strate. C’est pour cette raison que les personnes situées dans les strates les moins favorisées dans une hiérarchie rigide (par exemple, les gendarmes évoqués par Merton) sont généralement moins insatisfaites que des personnes mieux situées dans une hiérarchie souple (par exemple, les aviateurs de Merton). La notion de groupe de référence permet d’expliquer pourquoi certains individus ont des comportements qui échappent aux règles du groupe d’appartenance. On parle de socialisation anticipative quand une personne essaie de se conforme aux valeurs et comportements du groupe auquel elle souhaite appartenir. Le groupe de référence est une construction subjective. Il n’est pas une réalité vécue. Comme l’individu n’appartient pas au groupe en question, il se construit un rôle, des comportements qu’il estime correspondre au groupe dans lequel il se projette. N’appartenant pas au groupe en question, il n’y est pas socialisé, il n’a pas la possibilité d’adopter progressivement les conventions de ce groupe. Son comportement diffère de son groupe d’appartenance, mais aussi du comportement des personnes qui appartiennent au groupe ou à la position sociale convoitée. On a tous en tête l’image du « snob », le bourgeois qui se prend pour un aristocrate, qui imite quelques comportements sans maîtriser l’ensemble des conventions. On constate, par exemple, que les membres subordonnés, ou non encore intégrés au sein d’un groupe, ont tendance à se conformer aux valeurs proclamées du noyau le plus prestigieux et respecté du groupe. Ils ne sont pas encore tout-à-fait socialisés dans le groupe, ils n’en maîtrisent pas toutes les conventions, mais ils ont une telle inquiétude de ne pas être acceptés qu’ils développent un comportement caricatural. C’est souvent le cas des étudiantsingénieurs : encore étudiants, ils se projettent dans le métier d’ingénieur, ils en adoptent les stéréotypes. Dans la plupart des cas, la socialisation anticipative n’est acceptable pour l’individu que temporairement. Elle peut être génératrice de frustration ou même d’exclusion de son groupe d’appartenance. Elle peut être aussi facteur de dynamisme social, d’ambition, de prise de risque, d’apprentissage. On constate par exemple que les personnes qui investissent dans la formation continue sont en général dans des situations de socialisation anticipative : elles connaissent par leur origine familiale ou leur conjoint, des niveaux professionnels supérieurs de ceux qu’elles occupent. 5. Les dimensions subjective et objective de la construction identitaire L’intuition de Merton, le fait que l’identité se construit dans un aller-retour permanent entre la subjectivité et l’image renvoyée par les autres et par la société dans la construction identitaire, a été reprise par C. Dubar. C. Dubar distingue l’identité pour soi, la dimension subjective de l’identité, l’image que l’on a de soi-même, et l’identité pour autrui, la dimension objective de l’identité, la position sociale. Identité pour soi ou identité subjective : l’image de soi Chacun recherche une cohérence dans sa propre biographie, construit une continuité entre l’expérience passée et les décisions d’aujourd’hui. On se demande par exemple comment, dans un nouvel environnement, s’adapter tout en restant fidèle à ses valeurs. On se construit une ambition : qu’est ce que je souhaite devenir ? Comment j’évalue mes chances d’atteindre telle ou telle position ? On fait aussi des choix : on est prêt à renoncer à certains principes, à certains comportements à rejeter une partie de son héritage passé quand il semble contraire à notre projet. C. Dubar parle alors de transaction entre l’héritage et la trajectoire avenir : une sorte de négociation avec son passé pour envisager l’avenir. Cette transaction peut s’inscrire dans la continuité ou la rupture. Elle s’inscrit dans la continuité quand l’environnement offre un espace potentiellement unifié de réalisation de soi, une trajectoire continue est possible, soit vers une prise de responsabilité (hiérarchie), soit vers plus de technicité (métier). On a rupture quand il y a une impossibilité de construire son avenir dans l'espace passé. La rupture peut être souhaitée et vécue positivement, ou subie, du fait d'une transformation de l'environnement de travail. La personne ne peut plus penser son avenir en termes de continuité. La personne doit être capable de se projeter dans un autre espace, d’imaginer une autre image d’elle-même, ce qu’elle fera d’autant plus facilement qu’elle a les ressources identitaires pour le faire, que par le passé elle a pu vivre une diversité de statut et de rôle (professionnels, associatifs…). Il est une erreur de dire que les gens ne peuvent pas changer. Ils peuvent changer, mais surtout ils veulent être acteurs de ce changement, acteurs de leur recomposition identitaire. C’est pourquoi certaines personnes préfèrent démissionner et se mettre à leur compte plutôt que d’accepter un nouveau poste qui leur est imposé, quitte à affronter un changement plus important encore. Dans cette construction subjective, il peut y avoir un fort souci de cohérence et de continuité. Parce que c'est insoutenable de ne pas savoir ce que l'on est, ce que l'on veut, de repenser ses choix tous le temps. C’est pourquoi, inévitablement, sauf si l’environnement change, on ne remet plus en question ses choix, son positionnement. Par simplicité, on ramène les situations nouvelles aux décisions passées. On reste sur une position alors que l’environnement change progressivement, d’où la brutalité des ruptures. Identité pour autrui, ou identité objective : la position sociale L’identité pour autrui renvoie à notre position sociale, comment les autres nous situent : à quelle groupe on appartient, à qui l’on ressemble. On parle de « transaction entre soi et les autres » : je bénéficie de l’identité commune à un groupe, à un statut, de l’intégration sociale qu’elle permet, d’une certaine « sécurité existentielle », en même temps, je participe implicitement à renforcer l’identité commune en me conformant à ses règles, à ses convenances. Le principal enjeu est la reconnaissance par les institutions et par les groupes d’appartenance. Quand il y a reconnaissance, l'identité visée par l'individu est reconnue, il y a une interaction positive entre l'ambition de l'individu et l'institution. Par exemple, l’initiative personnelle dans son travail fait partie des comportements reconnus par la hiérarchie. Quand il n’y a pas de reconnaissance : l'identité visée est refusée, l'avenir de l'institution est incompatible avec celle de l'individu. Confrontation entre identité objective et identité subjective L’identité se construit donc dans une interaction entre identité pour les autres et identité pour soi. On participe à sa propre identité par ses choix d’appartenance à condition qu’ils soient acceptés par les autres et par les institutions. Nos choix ne sont pas complètement irréalistes : on tentera ce qui, de notre point de vue, a des chances de réussir. Bourdieu explique ainsi comment les rapports de dominations entre groupes sociaux se reproduisent. Le croisement des deux dimensions (objective et subjective) a permis à C. Dubar d’expliquer de nombreux comportements en entreprise, en particulier les attitudes par rapport à la formation professionnelle. Identité pour autrui Transaction objective Reconnaissance Non-reconnaissance Promotion (interne) Blocage (interne) Identité pour soi Continuité Identité d'entreprise Identité de métier Rupture Conversion (externe) Transaction Subjective Identité incertaine Identité de réseau Exclusion (externe) Identité Identité travail menacée de hors Deux catégories sont intéressantes à développer. Les personnes qui connaissent des situations de rupture dans leur trajectoire mais dont l’identité est reconnue auront davantage de « ressort » : ils estiment que leur probabilité de retrouver une place d’un même niveau est élevée, ils n’hésitent pas à investir, parfois lourdement, pour réussir leur reconversion. Parfois, leur réseau personnel, la diversité des expériences personnelles (y compris hors travail) enrichissent leur « ressources identitaires », ce qui facilite leur insertion dans d’autres espaces. Par contre les personnes qui éprouvent à la fois la rupture et la non-reconnaissance n’ont plus le même ressort. En général, ces personnes estiment leur chance de reconversion comme faible. 6. Identité et rapport au changement N. Alter montre qu'il existe trois logiques d’action collective, trois façons de se comporter, se cristallisant au moment de l’introduction d’une innovation technologique ou organisationnelle : les innovateurs appelés les pionniers, les conservateurs actifs nommés légalistes, et les exclus. Les pionniers Ils sont caractérisés par une nette attirance vers l'innovation technique et organisationnelle, et le changement dans les habitudes de relations et de vie collective. Leurs valeurs sont l'aventure, la découverte, les contacts et la nouveauté. Ils acceptent les règlements formels mais craignent énormément la bureaucratie et le retour à l'ordre. Ils disposent d'atouts techniques et de réseaux pour profiter du désordre en instaurant des jeux d'alliances autour de l'innovation. Leur objectif final est une professionnalisation nouvelle et installée à leur profit en échange des jeux stratégiques créés qu'ils auront su assumer. Les légalistes Ils ne sont pas absolument contre l'innovation, mais plus fondamentalement contre les bouleversements du système social déjà fondé sur des responsabilités hiérarchiques et des métiers connus où ils ont leur place. Leur jeu est tourné vers la résorption du désordre en banalisant l'innovation, en la rangeant dans des fonctions et un ordre rationnel acceptable. Les exclus Ils sont les sans-pouvoir du jeu de l'innovation. Il s'agit de personnes peu qualifiées mais aussi de cadres, de techniciens cantonnés sur les productions classiques. Ils subissent le changement, avec désintérêt, car ils n'ont aucun contrôle du mouvement. Il s'agit souvent des personnes les plus menacées par le changement, notamment en matière d'emploi. Cette classification des comportements identitaires met aussi en avant l'importance des capacités stratégiques des individus. Il est évident que les pionniers et les légalistes sont les acteurs ayant de grandes capacités de jeux et d'alliances stratégiques. Alors que les pionniers encouragent l’implantation du changement, les légalistes peuvent développer des comportements allant à l’encontre du changement. Bibliographie Alter N., L’innovation ordinaire, Presses Universitaires de France, 2000. Dubar, C. La Socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, 1991 Piolet F. Sainsaulieu R., « L’entreprise comme source d’identité et de culture », Méthodes pour une sociologie de l’entreprise, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques & ANACT, 1994, p 202-213 Seguin-Bernhard F., Chanlat J.F, L'analyse des organisations, une anthologie sociologique, Tome I, les théories de l'organisation, Gaetan Morin Editeur, Quebec, 1992 Seguin-Bernhard F., Chanlat J.F, L'analyse des organisations, une anthologie sociologique, Tome II, les composantes de l'organisation, Gaetan Morin Editeur, Quebec, 1992