On trouve des situations proches de celle décrite par D. Roy dans les situations de
changement organisationnel, par exemple, quand on cherche à développer la polyvalence en
production. Les jeunes recrutés, mieux formés que les plus anciens ouvriers, sont incités par
l’entreprise à réaliser une grande diversité de tâches, y compris de tâches réservées auparavant
aux techniciens (qualité, maintenance). On leur promet des possibilités d’évolution s’ils
coopèrent. Mais la polyvalence n’est pas de l’intérêt des anciens qui risquent d’y perdre, du
fait d’un travail plus intensif et plus complexe. En général, le collectif souhaite que ces
nouvelles tâches soient reconnues et que les rémunérations soient adaptées en conséquence. Il
arrive alors que le collectif fasse pression sur le jeune recruté pour qu’il refuse cette
polyvalence, par exemple en l’excluant des espaces de convivialité, en refusant de l’aider pour
les tâches qu’il ne connaît pas…
Ces deux exemples montrent que ces règles informelles ne relèvent pas simplement du
mimétisme mais d’une action collective et visent à établir un rapport de force avec
l’entreprise, dans une négociation des statuts des membres du groupe, de la même façon
qu’une grève.
Dans la même logique, J.D. Reynaud propose les concepts de régulation de contrôle, de
régulation autonome et de régulation conjointe. La régulation de contrôle désigne la
production de règles par la hiérarchie, le pouvoir extérieur au collectif, par exemple ici, le
salaire à la pièce. La régulation autonome désigne la production de règles par le collectif
soumis à la régulation de contrôle, en réponse à celle-ci, par exemple le « freinage ». La
régulation conjointe résulte de la combinaison des deux régulations. Cette régulation
conjointe relève d’une négociation entre deux sources distinctes de règles.
On peut expliquer que l’adhésion aux règles du collectif peut être « très rationnelle ». Mais il
n’y a pas non plus toujours un calcul avant de participer à une action collective. Dans l’action
collective, on trouve une grande diversité de registre, de l’intérêt personnel à la loyauté
inconditionnelle. L’approche identitaire permet de mieux expliquer pourquoi, dans de
nombreuses situations, les individus participent à une action collective (par exemple grève),
respectent les règles du groupe, renoncent à leur intérêt individuel au profit de l’intérêt
collectif. C’est le problème bien connu du paradoxe d’Olson, qui reprend à son compte
l’idée de passager clandestin. En théorie, personne n’a d’intérêt à participer à une grève : le
non-gréviste ne risque pas de perte de salaire et pourra bénéficier des augmentations
distribuées à tous si la grève réussit. Bien sûr il y a parfois des pressions exercées par les
leaders du mouvement, des menaces et des piquets de grève, mais ce type d’explication ne
suffit pas. Il faut donc un fort sentiment d’appartenance au groupe, d’unité, de solidarité, et
une forte légitimité de la grève (à ses propres yeux) pour que l’individu renonce à son intérêt
individuel. Quand un groupe a un sentiment fort de communauté d’intérêt et de destin, quand
ses membres partagent le même statut, les mêmes compétences, les mêmes contraintes de
travail, la même idéologie, les mêmes valeurs, il a une forte capacité d’action collective, de
négociation de sa position. C’est le cas des verriers, des cheminots, des ouvriers du livre… On
parle alors d’identité collective.
3. La profession : une ressource essentielle de la construction identitaire
Nous avons montré qu’il y a un lien entre l’identité personnelle, le collectif de travail, les
règles définies par ce collectif, mais aussi comment ce collectif négocie sa place dans
l’organisation.
Les « professions » instituées se construisent avec les mêmes mécanismes, jusqu’à se donner
une forme institutionnalisée, en général par l’existence d’une association qui en regroupe les
membres, un titre qui les différencie…