1 Analyser l'évolution des conceptions de l 'entrepreneur et de son rôle de pus le début du XIXe siècle. Sujet ESC, 1999, épreuve d'analyse économique et historique des sociétés contemporaines, option économique. Problématique Pour François Perroux, l'entreprise est le «microcosme capitaliste, l'institution cardinale du capitalisme». L'entrepreneur, placé à la tête d'une entreprise qu'il dirige pour son propre compte, est en effet au coeur des mécanismes économiques depuis la révolution industrielle, comme l'a souligné Schumpeter. Cependant, son rôle dans le processus de croissance ainsi que la conception de ce rôle ont fortement évolué. Et l'entrepreneur dispose aujourd'hui de marges de manoeuvre plus réduites qu'aux premiers âges du capitalisme industriel. Glorifié par Schumpeter et l'idéologie du self made man américaine, l'entrepreneur est un personnage clé du développement du capitalisme. Dans les années 60, la séparation des rôles de propriétaire et de dirigeant au sein de vastes groupes à l'actionnariat dispersé a remis en cause cette figure historique. Peut-il être remis en selle par la nouvelle économie ? Plan possible 1. L'entrepreneur, héros de la croissance au XIXe siècle A- Vu par les économistes et les sociologues Chez Adam Smith (le mécanisme de la main invisible), le rôle de l'entrepreneur n'est pas analysé comme tel, mais plutôt dans sa contribution au bien-être général. C'est Jean-Baptiste Say qui, le premier, place celui-ci au centre du fonctionnement de l'économie : l'entrepreneur planifie la production et en assume les risques. Au début du XXe siècle, Joseph Schumpeter attribue à I 'entrepreneurinnovateur une importance déterminante dans le processus de « destruction créatrice » qu'est la croissance. Selon Max Weber, l'essor du capitalisme à partir des pays anglo-saxons s'explique par les valeurs que véhicule le protestantisme (l'enrichissement n'est plus honteux...). Le sociologue accorde à l'entrepreneur un rôle important dans ce triomphe du rationalisme qu'est le capitalisme. B- Le siècle de l'épanouissement de l'entrepreneur En fait, des conditions spécifiques au début de la révolution industrielle ont permis l'épanouissement de l'entrepreneur. Dans le schéma de Walt W Rostow, le décollage économique ne peut intervenir que si une classe d'entrepreneurs dynamiques s'est constituée au préalable. Le cas britannique, notamment dans le textile, illustre l'action, avant le XIXe siècle, de ces derniers dans la diffusion d'innovations majeures. Les faibles mises de fonds nécessaires pour lancer une entreprise (cf. Paul Bairoch), la relative simplicité des circuits économiques et financiers de l'époque et l'absence de législation du travail font que l'individu entreprenant dispose d'une large marge de manoeuvre. Après le décollage, l'émergence d'une catégorie de dirigeants ayant investi avec succès dans les leading sectors reste une des caractéristiques du XIXe siècle : self made men comme John D. Rockefeller aux Etats-Unis, grands capitaines d'industrie comme Eugène Schneider en France. 2. La « main visible des managers » au XXe siècle 2 A- Technostructure et managers Schumpeter prévoit déjà que la montée de la grande entreprise, qui administre mais n'innove pas, sonne le glas de l'entrepreneur «héroïque». En conséquence, les possibilités d'investissement vont se rétracter, mettant le système capitaliste dans l'impasse. John Kenneth Galbraith parle de la «technostructure», groupe de dirigeants salariés qui se substitue à l'entrepreneur traditionnel. Alfred Chandler évoque de son côté «la main visible des managers». Il rejoint en partie Galbraith : le capitalisme moderne, à la fin du XIXe siècle, substitue les managers aux entrepreneurs. Cependant, à la différence de Schumpeter, il n'y voit pas un risque d'étouffement du système, mais une évolution. Car le poids écrasant de l'investissement rend nécessaire la grande taille et une organisation plus bureaucratique et anonyme, dissociant propriété et gestion. B– Pourquoi les entrepreneurs-propriétaires ont décliné En effet, le capitalisme familial a fortement décliné durant le XXe siècle, le marché a connu une forte concentration, la domination des grands groupes pouvant freiner l'émergence de nouveaux venus. Le taylorisme et le fordisme ont facilité cette évolution, dans le cadre d'une production de masse qui accroît la taille de l'entreprise. Par ailleurs, après 1945, le renforcement du poids de l'Etat dans certains pays comme la France et les nationalisations amènent à la tête des entreprises des technocrates. 3. L'entrepreneur existe encore, mais est-il un héros ? A– Le retour des entrepreneurs... Les années 80 sont marquées, tant aux Etats-Unis qu'en Europe, par un renouveau de l'idéologie de l'entrepreneur, placé au coeur de la dynamique de l'économie (les années de croissance avaient été celles des managers et de la grande entreprise). Vingt ans après Bill Gates et Microsoft, le développement du capital-risque, servi par l'élargissement de l'appel public à l'épargne que permet le Nasdaq, se traduit dans un contexte de changement technique rapide par la floraison de start-up brillantes (E-Bay Cisco, Amazon, Google...), dont les dirigeants sont des vedettes, mettant les médias au service de leur stratégie économique et financière. Les années 80 ont aussi vu revenir la petite et moyenne entreprise (PME) au premier plan des préoccupations, berceau de l'initiative individuelle et vecteur de créations d'emplois. Ce renouveau s'est inscrit dans les politiques gouvernementales avec la mise en place de mesures d'aides spécifiques à la création d'entreprise. B– qui, seuls, ne sont rien Cela ne doit pas occulter les interrogations sur la validité du modèle de l'entrepreneur héros. Telle est la thèse de Sophie Boutillier et de Dimitri Uzunidis (dans La légende de l'entrepreneur). Reprenant certaines notions chères à Pierre Bourdieu, ces derniers soulignent que l'entrepreneur a de tout temps été redevable à l'environnement étatique, social et familial : sans Etat solidement structuré, voire protecteur, et sans famille dispensatrice d'éducation, de formation et d'aide financière, beaucoup d'entrepreneurs n'auraient pu mener à bien leur tâche.