I – GASTON DE RENTY : VIE, ŒUVRES ET SPIRITUALITÉ Vie : Né en 1611 à Bény – Bocage (Calvados) Père : Charles de Renty ; mère : Madeleine de Pastoureau. Fils unique Gaston reçut l’éducation d’un grand seigneur, collège de Navarre (Paris) et collège jésuite de Caen. A 17 ans à l’académie militaire. Son parrain : Gaston d’Orléans. IL fut baron et réside au Marais près de la Cour. Il rencontra le Père Charles de Condren, en reçut des leçons de théologie et le prit pour directeur de conscience. Mariage le 20.02.1633 avec Isabelle de Balsac : 3 fils et 2 filles. Tous les éléments d’une réussite mondaine sont réunis, mais son père est tué au combat de Poligny (juin 1638) et Gaston de Renty s’éloigne du monde. Une Mission des Pères de l’Oratoire aux environs de Paris lui donne l’occasion de sa « conversion ». De Renty se retire tout à fait de la Cour et dit adieu à « tous les emplois de vanité et d’ambition ». A la mort de Condren (7.01.1641) il sera dirigé par le Père jésuite J.B. de Saint Jure. Sa mère n’accepte pas cette décision qui ruine ses projets. Elle va poursuivre son fils de procédures pour lui disputer l’héritage paternel jusqu’à sa mort en 1646. L’affaire passe devant le Parlement de Dijon où, en 1643, il trouve le pôle mystique de sa vie : la Mère Thérèse de Jésus Languet, prieure du Carmel, qui devient son âme sœur. Au Carmel de Beaune, il se lie avec Elisabeth de la Trinité, prieure, qu’il dirigera, lui, laïc, jusqu’à sa mort, et la jeune Marguerite du St Sacrement dont la mort en 1648 exercera une influence décisive sur son âme (dévotion à l’Enfant Jésus). Il trouve le cadre de son action, 10 ans de vie chrétienne militante, dans le cadre de la Compagnie du St Sacrement, comme celle-ci trouve en lui un supérieur exemplaire de 1639 à sa mort en 1649. Gaston de Renty que ses parentés et amitiés introduisent auprès de la famille royale, de l’Eglise comme du Parlement, peut multiplier les fonctions charitables, sanitaires et sociales, en France et jusqu’au Canada. Il exerça des interventions apaisantes, c’est un laïc, entre Oratoriens et Carmes, Carmels bérulliens et thérésiens, Oratoriens et Eudistes, dont il fut le grand soutien, Dominicains réformés et non réformés, Jean Eudes et l’évêque de Bayeux. Il fut constamment coordinateur et médiateur. Accablé de besognes mais, écrit-il, « toute œuvre est oraison quand elle est faite pour Dieu et cette œuvre prie d’elle-même et honore Dieu » Il communie chaque jour. Il voulait sanctifier tous les métiers (création des frères cordonniers, tailleurs) G. de Renty meurt le 24 avril 1649 rue Beautreillis à Paris, paroisse St Paul, (mort de Ste Marie Euphrasie un 24 avril, en 1868.) Il est enterré à Citry sur Marne, près de la Ferté sous Jouarre. Œuvres Imprimés scientifiques : à 17 ans, traité de la sphère céleste, suivi d’ouvrages de cosmographie et de géographie, mais aussi monuments de fortifications. Textes : Réflexion sur la vie spirituelle, élévation à Dieu, traité de dévotion à l’Eucharistie ; Mémoire d’une admirable conduite de Dieu sur une âme particulière appelée Marie de Coutances (Marie des Vallées) Correspondance : 420 lettres de 1640 à sa mort 1 Gaston de Renty (1611- 1649) Figure spirituelle Courte vie, pleine, bousculée, mais équilibre spirituel qui fuit les extrêmes et participe à la vie divine. Spiritualité basée sur la Parole du Christ, qu’il accomplit à la lettre dans la vie laïque. Accents majeurs : Esprit de pauvreté : renoncer à soi-même, quitter tout, les richesses et les hommes, suivre Dieu La sainteté laïque : Gaston de Renty se fait l’idée la plus claire de la place des laïcs dans l’Eglise et de la sainteté qui les y appelle. Lettre du 16.06.1642 : « Tout autant que nous sommes des baptisés, nous avons revêtu Jésus Christ et ni les lieux, ni les habits, ni les vœux n’augmentent rien à la perfection chrétienne, mais sont des moyens faciles d’y arriver. Et je crois que ce serait une très grand erreur de vouloir faire changer une personne de son état et de sa condition pour lui faire trouver la perfection ; comme si Notre Seigneur n’avait pas sanctifié tous les états, fait usage de tous et ne communiquait pas la plénitude de son Esprit à toute son Eglise. » laïque La lettre, prône par la suite, la vocation qui unit l’action et la contemplation dans la vie « La grâce bouillonne en beaucoup et j’en connais nombre et qui ont grâce d’agir. Et plût à Dieu que prêtres et séculiers , hommes et femmes, que tout le monde travaille à cela. Il y a assez d’ouvrage pour tous. » Cette vocation laïque est fondée chez G. de Renty sur une vie intérieure si ardente que le juste équilibre entre Marthe et Marie sera toujours pour lui une recherche. « Il me semble que Ste Marthe est reprise, non de faire une bonne œuvre, mais de la faire avec empressement. » L’Evangile G. de Renty n’est pas un auteur spirituel au sens où il enseignerait une doctrine. Il avait une parfaite connaissance de l’Ecriture et des grandes tendances de la spiritualité de son temps, mais il n’en fait aucun étalage. « Je respecte les maximes solides de l’Evangile. Cherchons Dieu en imitant Jésus Christ. Allons simplement en confiance dans la vie qui est vivre avec Jésus Christ, selon l’Evangile devant Dieu et pour Dieu. » L’ascèse Sous le signe d’un prudent réalisme, G. de Renty pourtant porté aux pénitences, sait garder un juste équilibre. Toutes les lettres à Elisabeth de la Trinité, prieure du Carmel de Beaune, parlent de confiance, abandon, humble fidélité, soumission aux charges et travaux quotidiens, méfiance envers l’extraordinaire où se nichent l’amour propre et le diable. L’âme trop portée à la pénitence peut « débiliter le corps et l’esprit». « Je vous assure, ma sœur, qu’il est bien plus facile de porter une chaîne que de supporter les petites croix qui se présentent, sans murmurer. » Dévotion à l’Enfance de Jésus Noël 1643, acte de consécration au St Enfant Jésus. 6 janvier 1645, billet de « grâces à l’Enfant Jésus » « Pour être crucifié il faut être innocent avec Jésus Christ. Il nous faut être configurés à lui en tous états, mais celui de l’enfance est le fondement de tous les autres. » ; « l’enfance de Notre Seigneur nous enseigne l’anéantissement de nous-mêmes, la docilité à Dieu, le silence, l’innocence avec l’abandon d’un enfant de grâce. » G. de Renty, par sa sainteté agissante, se distingue de 2 autres célèbres mystiques laïcs du siècle : Jean de Bernières, son ami, et son émule Blaise Pascal. Il est le digne héritier de Condren et de Bérulle, lesquels ont moins proposé de fonder une dévotion particulière à Jésus Enfant que de répandre un esprit particulier, l’esprit de l’enfance chrétienne. 2 Gaston de Renty (1611- 1649) II - GASTON DE RENTY ET JEAN EUDES : MISSIONNAIRES Eudes et de Renty, ces 2 apôtres majeurs de la Normandie, se sont souvent rencontrés, depuis la peste de Can en 1631 ou la répression des Nu-pieds en 1650. En 1641, Jean Eudes fut appelé à Landelles, diocèse de Coutances, par un homme encore très jeune mais déjà investi de grosses responsabilités. Gaston de Renty, déjà supérieur de la puissante Compagnie du St Sacrement fondée en 1627 à Paris par le duc de Ventadour et un groupe dont faisaient partie Condren et Vincent de Paul. De Renty allait devenir, à 30 ans, un des plus fidèles et proches amis de Jean Eudes et subvenir aux frais de sept missions animées par lui. A l’été 1646, G. de Renty invite les missionnaires de Jean Eudes au Beny Bocage. Il raconte comment, deux fois par semaine Jean Eudes rassemble les ecclésiastiques pour leur faire des conférences, il assemble aussi la noblesse une fois par semaine, leur propose de former des groupes se réunissant une fois par mois. De Renty participe lui-même activement à la mission et en dresse un bilan : « Les missionnaires eussent souhaité être 100, aussi bien qu’ils n’étaient que 18, pour satisfaire le peuple qui attendait quelquefois 2, 3 et 4 jours pour pouvoir se confesser, et au bout de 4 semaines, quantité ne l’ont pu ». Il est impossible que l’on ne soit pas touché de voir la ferveur des pauvres gens quitter tout pour se rendre à la Parole de Dieu, et il faut rendre cet honneur au Père Eudes de le tenir comme un admirable et extraordinaire organe de Dieu pour le ministère où il l’a appelé. On ne peut résister à des vérités dites si saintement et si fortement. Parallèlement à 3 missions de 1646 en Normandie Jean Eudes avait poursuivi ses démarches afin de faire reconnaître enfin sa Congrégation. Il s’adressa à l’évêque de Bayeux et lui demande confirmation pour le séminaire de Caen. La requête fut adressée aux échevins de Caen, mais il n’y eut pas consentement de ces derniers, les Oratoriens veillaient ! G. de Renty s’engagea alors pour le Père Eudes le 03.09.1646. Lettre au supérieur de Caen :. « Je vois des prêtres assemblés qui désirent avec le Père Eudes et même sans lui, servir l’Eglise selon l’intention du Concile de Trente, dans un séminaire ; je voudrais contribuer à cette œuvre dans tous les diocèses du monde, s’il m’était possible. J’ai connu les grands talents du Père Eudes dans les emplois où je l’ai vu et les grands fruits que peuvent produire ses confrères. Pardonnez-moi si j’ose vous dire mon sentiment, lequel je tiens du très digne Père de Condren, que ce serait une grande grâce à la congrégation si elle pouvait fournir quantité de bons ouvriers à l’Eglise » Quelle fermeté et sûreté de jugement chez un laïc de 35 ans. En mai 1647, Jean Eudes partit prêcher dans le diocèse de Chartres à Nogent le Rotrou. C’est G. de Renty qui l’appelait. La mission connut des difficultés au début (oppositions locales). Gaston de Renty écrivit à Jean Eudes « Votre mission accroîtra en grâce par la contradiction que vous y portez. Votre confiance et votre humilité surmonteront tout cela. Que vous êtes heureux d’être en si pleine moisson, et que je sens votre cœur qui voudrait ouvrir et épandre de toute part pour faire connaître le royaume de Dieu en Jésus Christ. Mais la mission s’acheva dans l’allégresse. Les gens de Nogent ne voulurent plus laisser partir les missionnaires. Jean Eudes écrivit : « Je n’avais encore rien vu de semblable ; Plus il y a des croix dans les affaires de Dieu, plus les bénédictions y sont abondantes. » (cf. Marie Euphrasie, croix et grâce). En septembre 1647 , Jean Eudes se présente à Paris au nouvel évêque de Bayeux, Edouard de Molé, de réputation médiocre, fils du premier président du Parlement de Paris (ça aide !) ; mais accueil glacial. Une fois de plus, G. de Renty réconforte son ami Jean Eudes. « Je vous avoue que j’ai été touché lorsque j’ai appris combien de tempêtes vous avez eu à supporter. Mais je ne m’étonne nullement de ces traverses : il suffit de savoir que vous êtes à Jésus Christ. Soyez seulement fidèle à vous confier à Notre Seigneur et prenez garde que le battement du dehors ne mette du trouble et de l’obscurité dans la lumière qui vous a éclairé et pressé de sortir. » Jean Eudes regagna le diocèse de Chartres, prêcha à la Ferté Vidame, invité par le duc de St Simon (1607 – 1693, père du mémorialiste) qui connaissait Jean Eudes. Grâce à Gaston de Renty la mission dure 9 semaines. Jean Eudes fut gravement malade, fièvre continue de 3 3 Gaston de Renty (1611- 1649) semaines et guérison miraculeuse, qu’il attribua à la prière de Marie des Vallées et à son intercession auprès de Marie. G. de Renty toujours vigilant, lui écrivit « Permettez que je vous dise tout simplement qu’une de mes plus grandes appréhensions à votre égard est que vous n’entrepreniez trop sur vous même. Vous n’êtes plus à vous, mais un homme à tout le monde. » Oui, G. de Renty fut un laïc soucieux de la vie de Jean Eudes : religieuse, physique, morale, bref, spirituelle et temporelle. En novembre 1647, Jean Eudes fut reçu à Paris, grâce au duc de St Simon, par Louis XIV (9 ans) et Anne d’Autriche. Il reçut le 19, 3 lettres signées Louis pour Rome (le Pape Innocent X, le Cardinal d’Este promoteur des affaires de France à Rome, et l’Ambassadeur de France) ; il avait lutté avec obstination et témérité pour imposer la Congrégation du Cœur de Jésus et de Marie. Là encore grâce à l’action indirecte de G. de Renty. Du 20.11.1647, donc le lendemain, au 30.11.1647 Jean Eudes se rendit à Autun à pied. Et la mission débute le 1er décembre, pour 11 semaines d’hiver. Le 12 décembre Jean Eudes écrivait : « Dieu verse sur cette mission des bénédictions extraordinaires ». G. de Renty avait préparé cette mission depuis 2 ans et désirait vivement sa réalisation, il en a assuré les frais. De Bourgogne, Jean Eudes gagne le village de Citry (Brie) dont G. de Renty était le Seigneur. La mission débute à la Pentecôte le 31.05.1648. G. de Renty écrivit le 16.06.1648, 2 lettres au Père St Jure et à Monsieur Olier. « Le Père Eudes travaille ici avec une bénédiction incroyable ; la puissance de sa grâce à découvrir les vérités de Dieu, son amour vers nous en Jésus Christ et l’horreur du péché a tellement pénétré les cœurs que les confesseurs sont accablés de pénitents. Ses sermons sont des foudres qui font fondre en larmes et ne donnent point de repos aux consciences qu’elles ne se soient ouvertes de leurs péché recélés » De Renty souligne « la sainteté et la grâce du Père Eudes et de ses ouvriers. Ils ne font que prier et travailler. » Quel accord profond devait unir ces deux êtres ! a écrit le Père Paul Milcent dans son livre « St Jean Eudes ». Janvier 1649, les soucis ont miné Jean Eudes. Il subit une épreuve de santé qu’il a évoquée (hémorroïdes) pertes de sang durant 2 mois. « Ce misérable corps ne veut rien faire s’il n’est bien servi et traité. Souvent cette misérable carcasse me donne bien de la peine ». Il s’adressa à nouveau à Marie des Vallées qui le recommanda à la Vierge Marie qui le guérit. A peine remis, il appris la douloureuse nouvelle : la mort lui ravit son ami, soutien et collaborateur : G. de Renty Dans un climat de violences et de misères, la Fronde, les divisions entre princes et parlementaires, G. de Renty cherchait à secourir toutes les détresses, épuisé, il prit froid, dut s’aliter, dicte son testament et mourut le 27.04.1649, à 37 ans, laissant 5 enfants. Jean Eudes vécut cette souffrance dans la foi, et célébra avec ses confrères dans l’action de grâce, tout ce que Dieu avait opéré en lui et par lui . Avant sa mort, G. de Renty avait préparé une mission au bourg de St Sever en Normandie. Mme de Renty paye les frais de cette mission. Jean Eudes était débordé, mais G. de Renty avait recommandé aux paroissiens de prendre patience, car, avait-il écrit à son sujet, « le personnage vaut bien qu’on l’attende. » Nous l’avons vu l’an dernier, Jean Eudes a reconnu et posé vigoureusement les fondements théologiques d’une responsabilité des laïcs et leur vocation à la sainteté. Sera-t-il un jour Docteur de l’Eglise ? Pendant 7 ans G. de Renty a été pour lui un ami très proche qui l’a stimulé, encouragé, peut-être même aidé à discerner le chemin de Dieu, et Jean Eudes a accepté le soutien de ce jeune laïc dont il admirait l’exceptionnelle familiarité avec Dieu. G. de Renty fut non seulement un homme de bien, mais un grand homme qui mériterait de devenir un exemple pour l’Eglise entière, si commençait enfin pour lui une procédure de béatification. Jean Marie Demange Angers, 10.09.2005 4 Gaston de Renty (1611- 1649) Bibliographie Ecole Française de spiritualité fédère une trentaine de Congrégations. Accès aux documents suivants grâce à une sœur de la Congrégation St Jean l’Evangéliste d’Evreux, par l’intermédiaire de Sœur Marie Establier RBP, Paris, dans un établissement tenu par les sœurs de St Joseph de Cluny. 1651 : « La vie de M. de Renty, l’idée d’un chrétien parfait » par le Père J.B. de St Jure (14 éditions rien qu’au 17ème siècle). 1925 : Henri Brémond « Histoire littéraire du sentiment religieux en France, depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours » (tome 3, école de spiritualité) 1979, Raymond Triboulet, correspondance de Gaston de Renty 1987, Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, tome 13, article « Renty » par R. Triboulet 1991, Raymond Triboulet « Gaston de Renty, homme de ce monde, un homme de Dieu » 1994, Bernard Pitaud, « Histoire d’une direction spirituelle au 17ème siècle : G. de Renty , Elisabeth de la Trinité » Contexte historique G. de Renty : 1611 – 1649 (Jean Eudes : 1601 – 1680) Louis XIII, roi de France de 1610 à 1643, Gaston d’Orléans, son frère et Louis XIV né en 1638) Europe : guerre de 30 ans, 1618 – 1648 Fronde : 1648 – 1653 Pourquoi évoquer G. de Renty ? ex : sainteté du laïc Il est étonnamment actuel, engagé à fond dans l’apostolat, sens social hyper développé, confiance absolue dans les solides maximes de l’Evangile, esprit missionnaire qui l’a sensiblement rapproché de St Jean Eudes, l’un et l’autre ayant une très haute conception de la vocation baptismale. Partage, mai 2005 « La présence des laïcs associés est importante pour les religieuses. Elle les aide à redécouvrir la complémentarité des vocations, à redécouvrir leur charisme exprimé en d’autres mots, en d’autres engagements, et enrichir leur service apostolique » Sr Odile Laugier 5 Gaston de Renty (1611- 1649)