Convergences pour une meilleure résistance
Dans le fouillis des propositions de sortie de crise, tant mondiales qu’européennes et
nationales, les citoyens les moins avertis se noient, d’autres estiment que les coopérations et
les dispositions sont lentes à l’accouchement, en déplorent l’avarice et le flou de leurs
contours. Enfin, les victimes les plus nombreuses et les plus carencées, celles par lesquelles la
part d’issue de crise la plus humaine et la plus collective trouverait sa voie, sont peu ou prou
laissées aux oubliettes. Mais les temps ne sont plus à la résignation. Du Nord au Sud et d’Est
en Ouest, le peuple gronde. Des émeutes ou manifestations à noyaux émeutiers éclatent. Face
à l’échec du capitalisme financier dévoyé, les consciences politiques se clivent, se durcissent,
et la résistance s’organise.
Le mouvement social belge, lui aussi, rassemble les revendications portées de longue date par
ses diverses composantes et travaille à en fondre les convergences, en vue de faire front d’une
seule voix, en l'occurrence, lors de prochaines interpellations de nos représentants politiques.
Le travail du réseau pour une justice fiscale « R.J.F. »
Ainsi, ce samedi 14 février, au cours d’une journée intitulée « Convergences pour une sortie
de crise », le RJF réunissait ses partenaires. Deux grands thèmes à l’ordre du jour, ponctués
chacun par trois interventions : « Réguler ? Oui, mais, comment ? » et « En finir avec un
modèle de développement inégalitaire et destructeur ». Autour de cette grande table, de
nombreux participants dont, notamment, Thierry Bodson pour la FGTB wal., Arnaud
Zacharie pour le CNCD-11.11.11., François Gobe pour Kairos W-B et Tax Justice Network
qui lancent le premier train du débat. Dans le second, suivent Felipe Van Keirsbilck pour la
CNE, Thierry Jacques pour le MOC, Anne De Vlaminck et Pauline de Wouters pour Inter-
Environnement Wallonie.
En guise de conclusions, Vicky Goossens, d’ATTAC Liège, tente une synthèse spontanée de
ce qui ressort de la rencontre et, Gaspard Denis, du CNCD-11.11.11., dresse le tableau des
convergences qui apparaissent entre d’une part, les propositions des partis CDH, PS, Ecolo, et
d’autre part, celles de la FGTB, la CSC, le MOC, ATTAC et le CNCD-11.11.11, en matière
de régulation financière. Pas de mauvaise pensée ! Si nous sommes privés des considérations
du MR dans cette analyse, ce n’est pas à un préjugé sur quelqu’incapacité de convergence
avec nos idéaux, c’est simplement à une absence de sources ou de déclarations officielles
de ce parti, sur le sujet!
Un diagnostic partagé
L’ensemble des participants définit la crise actuelle comme planétaire, globale et inédite.
Planétaire parce qu’elle frappe tant les Etats-Unis, l’Europe, le Japon, que les pays
émergeants et les pays pauvres. Globale et systémique parce qu’elle porte sur les structures
financières, économiques, sociales, environnementales, immobilières, alimentaires,
énergétiques, ... Inédite parce qu’elle est mondiale, augure d'incidences géopolitiques et de
"rapports de puissance multipolaires plutôt que bipolaires".
La crise sociale aurait précédé la crise financière. La crise financière révèle une crise de la
dette ; elle renforce et précipite la crise économique et sociale. Sortir de la crise suppose donc
"des réponses sur l’ensemble des systèmes".
Thierry B., Arnaud Z, Thierry J. soulignent qu'un consensus semble se dégager sur la
nécessité d'un état régulateur mais, à l'avantage des banques et des entreprises ; "sur le
refinancement mais sans intervenir sur la logique", genre remake assuré. Bref, il s'agit "d'une
relance de type keynésien, à la sauce libérale, sans plan politique intégré par derrière".
La question sociale
C’est la question sociale qui est prioritairement débattue par tous les intervenants ; elle atteste
des plus vives convergences. L'urgence sociale et la réduction des inégalités semblent
perçues comme les premières conditions de sortie de crise.
L'explication : la crise du surendettement atteste des politiques de croissance fondées sur la
consommation à crédit. Cette dernière résulte d'une diminution de la part des salaires dans le
PIB, orchestrée par le tout à la finance compétitivité, flexibilité, return à deux chiffres, -,
favorisé par les politiques libérales de ces 30 dernières années. L'accroissement des inégalités
ressort non seulement de la dégradation du rapport capital/salaire, mais aussi d'une mauvaise
répartition des salaires entre les différentes catégories de travailleurs. Ces constats s'inscrivent
dans la campagne FGTbiste sous le slogan "Le capitalisme nuit gravement à la santé".
Les moyens envisagés visent "plus de justice sociale et de solidarité tant intergénérationnelle
qu'intragénérationnelle" (MOC) fondée sur la redistribution et le partage. La régulation à elle
seule ne modifie rien. Selon Felipe (CNE), "la redistribution fondée sur la fiscalité et la
sécurité sociale soustrait des masses importantes au capital [] elle provient des richesses
produites […] le travail est le seul fondement démocratique d'accès aux ressources […] la
sécurité sociale est émancipatrice parce qu'elle garantit un revenu socialisé et non une
redistribution ponctuelle". "Mais qui décide de qui perçoit ? Personne, seulement le rapport
de force, le conflit syndical".
Emploi et revenus
La FGTB Wal. et le MOC soulignent la nécessité du partage du travail par la réduction
du temps de travail ;
Le CNCD-11.11.11. rapporte une proposition de la CNUCED : adaptation des salaires
à l'accroissement des taux de productivité ;
parallèlement, les marges bénéficiaires devraient être réduites à moins de 5 % ;
la FGTB Wal. en réfère à la concertation transnationale et à des conseils d'entreprises
européens.
Sécurité sociale
Les représentants du MOC et de la CNE défendent un élargissement des missions de
la sécu et la définition d'autres dépenses utiles, d'intérêt commun ;
le retrait du privé vers le public étouffe le système bancaire, ainsi par exemple
convient-il de défendre les retraites par répartition et d'abandonner les 2ième et 3ième
piliers ; (FGTB, ATTAC)
le renforcement du financement de la sécu ne suffit pas, il faut aussi revoir son
système de liaison au bien-être et ses principes, ainsi, par exemple celui de
l'individualisation aujourd'hui galvaudé par l'appréciation de la situation de ménage
(MOC).
la FGTB Wal. prône la cotisation sociale généralisée et un accord interprofessionnel
sur le financement de la sécurité sociale.
Fiscalité
En cette matière, les propositions émises renvoient au travail longuement maturé au sein du
RJF et sur lesquelles un consensus semble acquis de longue date.
Une fiscalité progressive et équitable entre les revenus du capital et les revenus du
travail en vue du financement des biens publics mondiaux ; 120 associations sont déjà
signataires d'une pétition dans ce sens (appel lancé par le CNCD-11.11.11. à la CSC et
à la FGTB)
l'accroissement de la progressivité de l'impôt, les taux de 80 et 90 % des tranches
marginales supérieures sont rappelés aux mémoires (MOC) ;
le renforcement des impôts immobiliers et mobiliers (FGTB wal.) ;
la suppression du mécanisme de l'impôt notionnel (FGTB wal.) ;
la suppression des paradis fiscaux ;
la levée du secret bancaire ;
l'établissement d'un cadastre des fortunes ;
l'harmonisation des normes sociales et fiscales (FGTB wal.).
La question économique et environnementale
L'assemblée est totalement acquise au fait que la croissance n'est pas la solution à la crise :
"le système de croissance traditionnel est dans le mur" (Arnaud Z) ; les instruments de mesure
du bien-être fondés sur la croissance du PIB ne sont pas valides (Thierry B.) et l'indice de
développement humain (IDH) n'intègre pas mieux l'emprunte écologique. "La croissance ne
crée plus le bien-être", elle crée le besoin de l'inutile et produit du mal-être ; "l'accumulation
du capital ne crée par le bien-être" non plus ; le capitalisme fondé sur un système à haut
rendement n'est pas viable (Felipe Van Keirsbilck). "Le capitalisme financier multiplie les
risques" (François Gobbe). Inter-Environnement Wal. est alarmiste sur la question de
l'énergie, de la bio-diversité, : "l'homme ne domine pas la nature, il est dans la nature".
Cette association en appelle non pas à un nouveau système économique, mais à une "nouvelle
civilisation".
Sur le plan des réponses à la crise environnementale deux approches sont envisagées. L'une,
consiste à suivre fidèlement le "cercle vertueux de la décroissance" selon la théorie de Serge
Latouche (Inter-Env.Wal.). L'autre, postule un "projet collectif" et "démocratique", éludant le
"fait du prince" et visant à définir "le contenu de la croissance et celui de la décroissance", en
termes d'intérêt commun et de "dépenses souhaitables". "L'activité humaine vendue chaque
jour est incompatible avec les droits humains et les fondements démocratiques" : ici intervient
la question de la propriété de l'entreprise. (CNE).
De manière plus pragmatique, certains revendiquent le renforcement des productions du non
marchand, des services publics et, l'extension des activités du secteur de l'économie sociale et
solidaire.
Thierry B. (FGTB wal.) souligne la nécessité de relancer l'investissement et défend les
sociétés régionales d'investissement : "elles ne demandent pas de return, pratiquent des taux
d'intérêt peu élevés, ne sont pas cotées en bourse, … ".
La question financière
Alors que chacun se prononce abondamment sur la crise sociale et celle du modèle
économique, seuls les trois premiers intervenants convenus pour s'exprimer sur la finance s'y
attachent. François (Kairos) fustige l'"économie casino" et le "shadow banking system". Les
propositions émises ne visent pas que des régulations mais envisagent aussi des changements
profonds, à savoir :
l'appel à un G.192 plutôt qu'un G.20 en vue de la construction d'un système financier
mondial qui intègre tous les États-partenaires (CNCD) ;
la constitution d'un système monétaire fondé sur des réserves "régionales" en vue de la
stabilisation des taux de change ; (CNCD, proposition analogue de la CNUCED) ;
un contrôle des mouvements de capitaux (CNCD) ;
l'éradication de la spéculation sur les produits alimentaires et énergétiques (CNCD,
proposition analogue de la CNUCED) ;
la transparence sur les produits, les détenteurs, … la traçabilité des opérations (3x) ;
l'arrêt de la spéculation sur les produits dérivés (Kairos) ; ***
l'interdiction de vente de gré à gré sur les produits dérivés (Kairos) ;
l'instauration d'une "bad bank" qui purgerait les banques de leurs produits toxiques en
attendant qu'à moyen terme, peut-être, leur valeur se revitalise (Kairos) ;
un contrôle public sur les institutions financières (CNCD) ;
un contrôle public sur les agences de notation (Kairos) ; ***
une taxe Tobin ou une mesure comparable en vue de limiter la spéculation sur le
marché des changes (FGTB wal.) ; ***
le renforcement des règles prudentielles (FGTB) ; ***
l'existence de pôles bancaires d'intérêt public ou la création d'une banque publique qui
refuse l'emprise de la finance et soutient l'économie réelle (2x) ;
resituer les banques dans leur rôle : dépôts et crédits aux ménages et entreprises ; ***
l'annulation de la dette du Tiers-Monde (2x) ;
la suppression des paradis fiscaux (3x) ; ***
la suppression des espaces off shore (Kairos) ;
l'établissement d'un cadastre des fortunes (2x) ;
le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale (Kairos) ;
la levée du secret bancaire, par ailleurs obtenue de la Suisse par les Etats-Unis, pour
19.000 de ses ressortissants (Kairos) ; ***
l'arrêt des bonus accordés aux traders (Kairos) ; ***
la suppression des investissements à effet de levier et un contrôle syndical sur la
gouvernance des fonds (Kairos) ;
la disparition des hedge found (Kairos) ;
L'assemblée avalise mais des membres d'ATTAC, un représentant des Equipes Populaires et
une personnalité politique PS prolongent la discussion sur quelques points sensibles. Une
clarification est demandée quant à la représentation précise des orateurs sur la nécessité d'une
banque/d'un pôle public(que), quid de Fortis ? Un membre insiste sur la gestion/le contrôle
des fonds de pensions dans les entreprises belges. Le mandataire PS souligne le travail
parlementaire sur la régulation du "crédit facile" et l'investissement responsable.
Enfin, l'absence de toute considération sur l'autonomie des banques centrales interpellent
deux personnes qui resteront sans réponse. La volonté d'intervention de l'État, d'extension de
production d'utilité collective, de renforcement des services publics et de contrôle public tant
défendue ce jour, semble incompatible avec la situation d'indépendance d'une banque centrale
qui gère seule la politique monétaire, détient le portefeuille, et poursuit comme principal
objectif la maîtrise de l'inflation, ce qui implique, notamment, la modération salariale!
Les travaux se clôturent sur l'exposé de Gaspard Denis (CNCD-11.11.11.) quant aux
convergences identifiées avec les partis. Celles-ci sont notées par *** dans les propositions
qui précèdent. La note positive réside dans le constat selon lequel les partis visés rejoignent
certaines de nos préoccupations. Toutefois, leurs vœux ne sont pas exprimés avec la même
intensité. En effet, quant par exemple nous exigeons la suppression des paradis fiscaux, les
partis réclament la lutte contre ; quand nous demandons la suppression des hedge founds,
ils en demandent le renforcement de la réglementation.
Cependant, quand nous semblons indifférents au fonctionnement de la BCE et de tout
l'eurosystème, eux, ils s'en tracassent. Puis, lorsqu'ils demandent la réforme des normes
comptables, ils ne semblent pas savoir que l'UE et les E-U ont déjà légiféré sur ce point, y
compris la Belgique, en bon élève.
Comme il apparaît dans ce qui précède, Gaspard Denis relève des points de rupture autour de
ces propositions : "le degré de radicalité varie selon les acteurs concernés". En effet!
D'autres points de rupture concernent la rémunération du capital : "les trois partis
politiques étudiés ne traitent pas en profondeur de cette problématique", par contre, "les
acteurs du mouvement social belge établissent clairement un lien entre la création de bulles
financières et la répartition inégale des richesses". Voila qui confirme les sensibilités
énoncées plus haut. Puis il identifie un troisième point de rupture, "probablement le plus
sensible, (il) concerne l'idée de la création d'un secteur bancaire public. Cette proposition
n'est reprise par aucun des trois partis politiques étudiés". Le titillement apparu sur cette
question au cours de notre propre débat fut-il illusoire ?
En conclusion, outre les risques de protectionnisme, de nationalisme, évoqués par Arnaud
Zacharie (CNCD-11.11.11.), celui du "retour ou du maintien du libéralisme", est plus que
bien réel. Strauss-Kahn n'insiste-t-il pas sur la nécessité pour les États de recapitaliser leurs
banques, pour les rendre ensuite aux privé ? Guy Quaden n'insiste-t-il pas sur la nécessité
ponctuelle d'enfreindre la ligne politique de l'Union sur l'austérité budgétaire pour lui revenir
dès après la tempête. Vingt milliards de deniers belges pour la dette de société des banquiers
enrichis (6% du PIB!), et même pas trois milliards pour une relance 2009, à partager entre les
entreprises et les citoyens-payeurs endettés dont le passif n'intéresse que les huissiers
S'agit-il vraiment de mesures keynésienne ou social démocrates lorsque le 1% du PIB reste
introuvable pour les pensions ?
Seul l'espoir d'un mouvement social, large, coordonné, déjà constitué, à rallier, … peut
désarmer l'arrogance des monétaristes tatchériens et conservateurs déguisés de la "troisième
voie", blairistes et consors. Des mobilisations sont attendues dès le 29 mars, à l'occasion du
prochain G.20.
Vicky GOOSSENS
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