kairos Centre Thérapeutique Résidentiel Kairos a ouvert ses portes en Novembre 2009 porteur d’un projet particulièrement innovant : innovation temporelle (6 semaines intensives, moment privilégié dans un parcours de soins nécessitant une étroite articulation avec les centres «prescripteurs»), innovation dans l’approche humaniste et expérientielle du soin (nécessitant une collaboration permanente avec les patients sur tout ce qui les concerne), et innovation thérapeutique avec un programme de soins structuré autour de 4 axes – bien-être, connaissance de soi, relations sociales et addiction. C’est autour de ce programme thérapeutique que se sont centrées nos priorités en 2011 avec une double volonté : expliciter plus finement à nos partenaires l’offre de soins que nous proposons (non, Kairos c’est pas «une postcure où tu vas pouvoir faire du sport» ni seulement «un lieu de rupture avec tes consommations»...), pouvoir aborder, définir et évaluer les bénéfices que tirent les patients d’un séjour thérapeutique résidentiel à Kairos. Le programme thérapeutique du CTR Kairos vise au renforcement des processus adaptatifs et des auto-réponses dynamiques de la personne face à ses difficultés, que celles-ci soient liées à l’abus de produits psychoactifs ou à d’autres causes de mal-être. Il débute donc par un repérage et une évaluation partagée des besoins et des priorités de la personne. Quel public à Kairos : 89 personnes reçues sur l’année 2011 30% de femmes 25% de moins de 30 ans 75% de poly-consommateurs 70% se déclarent non abstinent à l’arrivée 55% ont des revenus (salaires ou assedic) 45% ont des enfants 65% ont un logement indépendant durable Evaluer pour avancer ensemble Les repérages des besoins et l’évaluation de la situation de la personne ne sont pas définis de l’extérieur mais par et avec elle-même. Cette évaluation partagée et commune des besoins comme des réponses les plus adéquates, nécessite des outils basés sur la collaboration soignant/soigné au service du processus de soin et de l’alliance thérapeutique. De cette manière, à l’issue de la première semaine et de ses premiers repérages, il est possible d’établir avec le patient une cartographie de ses besoins, de ses attentes, de ses difficultés et de ses ressources disponibles dans les différents domaines (conduite addictive, bien-être, connaissance de soi et relations sociales). Sur ces éléments s’élabore, toujours de façon collaborative, un projet personnalisé qui sera le fil conducteur entre la partie collective du programme (les ateliers, la vie résidentielle) et sa partie plus individuelle et singulière. Il s’agit de réaliser, dans un environnement valorisant et enrichissant tout au long du séjour, une relecture par la personne de sa situation et de ses moyens au service de son pouvoir d’agir et de son mieux être. La co-définition des évaluations et des projets personnalisés est au cœur de la pratique du centre. Elle forge un langage commun et une alliance entre les professionnels et les usagers. C’est au travers du «bilan» initial et de ses lignes de force, telle une photographie dans un processus de changement, que le déroulé du séjour se construit. Evaluer pour rendre acteur des soins L’objectif du travail collaboratif mené avec les patients est d’ajuster projets et interventions au plus près des problématiques individuelles. L’efficacité du programme en dépend. Pour être réalité, cette volonté collaborative suppose une réciprocité, une relation à double sens, et, en l’occurrence, la mise en relief de ce que l’équipe a aussi à apprendre des usagers/ patients. Ainsi, au-delà de la gratification narcissique que cela peut apporter au résident, la position d’acteur dans laquelle il est mis d’emblée lui redonne toute sa dimension de sujet. Il n’est plus seulement «victime» de ses problèmes, il n’est pas simplement «admis» dans un programme de soins dont il attend les effets, il est acteur de son parcours et il est partie prenante de l’évolution de l’institution. Une étude évaluative a été conçue avec le soutien d’un comité de pilotage constitué de professionnels du réseau et d’acteurs des structures prescriptives, afin d’observer l’impact d’un séjour et de ses suites dans le parcours de soin d’une personne. Evaluer pour mieux accompagner Dès les premiers jours, l’évaluation partagée se décline sur les quatre axes grâce à l’utilisation d’outils spécifiques : En matière de conduite addictive, sont évaluées en priorité les stratégies de coping, (stratégies pour «faire face»), les motivations et les ressources possiblement mobilisables par la personne pour définir et maintenir un changement (que ce soit pour une meilleure gestion des consommations ou pour aboutir à leur arrêt et l’abstinence). Du côté du bien-être, l’évaluation individuelle proposée vise un repérage de l’image et de l’estime de soi ainsi que des capacités de détente et de relâchement. La première séance d’activité physique est un temps d’appréhension des dispositions de la personne, de son endurance, de son équilibre et de ses besoins de récupération. Dans ce domaine entre aussi l’usage et le bon usage des médicaments. En ce qui concerne les relations sociales, un atelier autour de la groupe les dialogues intérieurs, l’impact de l’estime de soi dans les munication. Un outil particulier permet une prise de conscience de lique dans les différentes dimensions de la communication à soi et communication explore en différentes sphères de comson positionnement symboaux autres. En connaissance de soi, les différents outils utilisés sont davantage d’ordres psychologique ou médico-psychologique et psychothérapeutique : dépression, alexithymie, dissociation, mécanismes de défense, impact des psychotraumatismes. À partir de l’ensemble de ces données, nous avons choisi de présenter dans ce bilan d’activité 2011 quelques uns des points essentiels qui caractérisent le programme thérapeutique de Kairos et qui montrent l’intérêt clinique et thérapeutique de telles pratiques. L’évaluation de la dépression permet de mieux définir le mal-être très souvent exprimé dans le discours des personnes bien qu’elles prennent fréquemment des médicaments antidépresseurs et/ou anxiolytiques. Près de deux personnes accueillies sur 3 (58%) présentent un état dépressif plus ou moins sévère en début de séjour. Il paraît donc indispensable de proposer une offre de soins globale (médicale, psycho-éducative, psychocorporelle) orientée spécifiquement sur le mieux-être. Cet axe pouvant devenir prioritaire durant le séjour si l’état dépressif perdure. Entrée Sortie _ Dépression grave (>31) _ Evolution de l’item dépression (33 personnes évaluées avec l’échelle de Beck) Alors que seulement 17% de ces sujets présentaient une absence de trouble dépressif en début de séjour, 61% d’entre eux se situent en fin de séjour dans cette catégorie. À la lecture de ces résultats nous pouvons émettre deux hypothèses. Le niveau très élevé des troubles dépressifs à l’entrée peut signifier l’état de mal-être de la population reçue, les affects dépressifs peuvent être aussi en partie réactionnels à l’arrêt des consommations qui précède souvent de quelques jours ou quelques heures l’entrée au Centre. Les données de l’échelle de Beck confirment en tout cas le constat d’une réelle et fréquente amélioration de l’humeur au cours du séjour, et ce malgré l’arrêt des traitements antidépresseurs dans une majorité des cas. L’alexithymie, c’est-à-dire les difficultés de gestion, d’identification et d’expression des émotions est un trouble souvent observé chez les personnes addictes. C’est la raison pour laquelle un travail psycho-éducatif spécifique sur la sphère émotionnelle est partie intégrante du programme thérapeutique. L’évaluation de l’alexithymie permet aussi d’affiner la prise en charge selon la fragilité révélée dans une ou plusieurs de ses composantes (identification, expression, pensée opératoire). Les évaluations initiales ont permis de mettre en évidence que 85% des personnes reçues présentent un trouble alexithymique ou sont dites «à risque». Evolution de l’alexithymie 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Entrée (> 56 56 4- d’ al e Alors que nombre d’études ont montré que ce trouble est fréquemment présent dans les conduites addictives, peu d’entre elles considèrent qu’il est susceptible d’évoluer. La mise en place d’un test en fin de séjour nous laisse à penser que ce trouble peut évoluer favorablement avec une prise en charge spécifique. Les données recueillies au Centre Kairos montrent en effet que plus de 20% des personnes présentent en fin de séjour une meilleure identification et gestion de la sphère émotionnelle. iq u xit hy m Ri sq ue al e xit hy m iq u e es (4 e iq u xit hy m No nal e ) ) (< 44 ) Sortie Bien évidemment, ce résultat est encourageant car il porte sur un mécanisme important dans le processus addictif, mais il est à confirmer par des études plus approfondies. Autre trouble psychologique de la sphère émotionnelle, la dissociation est un mécanisme de défense dit «immature» très souvent en lien avec l’existence de psychotraumatismes dans l’histoire du sujet. L’évaluation de la dissociation permet d’évaluer chez le patient le degré de liaison avec ses états intérieurs. A un degré élevé on parle de trouble dissociatif. Elle vient alors souligner la difficulté pour le sujet d’avoir accès à ses états émotionnels, perçus comme trop dangereux pour être approchés. A l’entrée, 23% des personnes reçues présentent un tel trouble dissociatif, et plus de 50% sont dans des conduites dissociatives anormalement élevées. Ces proportions particulièrement élevées sont à mettre en lien avec la fréquence des psychotraumatismes et la nécessité de traitements adaptés intégrés à ceux visant la conduite addictive. Notons aussi que l’évaluation de ce trouble permet d’apporter du sens entre l’histoire de la personne et son recours à des produits qui activent encore davantage ce mécanisme de défense. Dissociation et troubles dissociatifs (d’après l’EED) Entrée Sortie 12 10 A la sortie, une majorité des 33 personnes testées ont moins recours à la dissociation pour se protéger de leurs émotions et de leur vécu. Nous pouvons donc mettre en lien ce facteur avec le travail effectué dans le domaine de la gestion des émotions et du bien être. Mais ces résultats sont probablement à mettre aussi sur le compte d’une période sans (ou avec très peu) de consommations de substances psychoactives car la dissociation est davantage présente sous leur effet. 8 6 4 2 0 Dans la moyenne (<7,8%) _ Supérieur Probabilité d’un à la moyenne trouble dissociatif (7,8%-25%) (>25%) Là encore, des études plus larges et plus poussées sont nécessaires et seront très utiles. Une attention particulière est portée aux mécanismes de défense en ce qu’ils peuvent traduire les stratégies défensives mises en place par le sujet. Cette évaluation va apporter des éléments destinés à agir sur ses modes de défense. Elle a l’avantage de mettre en évidence non seulement ce qui ne fonctionne pas mais d’également les stratégies efficaces sur lesquelles le patient va pouvoir s’appuyer. Cette étape permet de porter un autre regard sur certains comportements qui peuvent mettre à mal le lien entre le patient et le professionnel si l’on ne saisit pas qu’il s’agit en réalité d’un mécanisme de défense pour lutter contre les affects douloureux (par exemple, beaucoup de sujets addictes sont qualifiés d’impulsifs alors qu’une minorité d’entre eux a recours à l’«acting out», et que celui-ci n’est ni un trait de personnalité stable ni un trait de comportement inaccessible au changement). 30 Entrée 25 Sortie 20 15 10 Névrotique Dissociation Déni Projection Idéalisation Acting out Immature Omnipotence Mature Annulation Sublimation Anticipation 0 Rationalisation 5 Sur les mécanismes de défense (d’après le DSQ 40) Pour les 64 personnes qui ont été testées à l’entrée et à la sortie, nous pouvons constater que les mécanismes de défense dits «matures» ou «névrotiques», les plus favorables, sont clairement renforcés et prédominent alors que les évaluations initiales donnaient des résultats inverses. Evaluer pour donner de la continuité aux soins Si l’évaluation est un des facteurs permettant la co-construction d’un projet personnalisé, l’établissement de la relation et l’alliance thérapeutique; elle scande aussi le parcours de soins, et, en fin de séjour au Centre Kairos, elle prend sens de «passage» marquant la fin d’une séquence de soins pour entrer dans une autre. Le temps d’évaluation de fin de séjour permet à chacun de mesurer les évolutions, de les identifier et de les rendre visibles, de leur donner un caractère plus objectif. Un bilan qui donne aussi les pistes pour l’après séjour, sur chacun des axes. La particularité de ce bilan est qu’il permet de comparer l’état du patient à la sortie au regard de celui effectué à l’entrée. L’effet de cette deuxième «photographie» à six semaines de la première agit comme un révélateur et une valorisation des ressources et des changements mis à l’oeuvre. Armé de nouveaux outils et d’un regard différent sur ses problématiques, le patient réalise tout le chemin parcouru. Il sait aussi ce qu’il sera important de poursuivre durant la suite de son parcours dans son milieu de vie. Le GSM (grille de satisfaction et de motivation au changement) Issu de l’approche expérientielle, le GSM permet d’évaluer de façon visuelle les niveaux de satisfaction et de motivation du sujet dans les différents domaines de son mode de vie. Avec celui qui évalue les stratégies de coping, c’est l’un des outils d’évaluation du Centre Kairos qui aborde plus particulièrement la conduite addictive. Il est le seul à être totalement centré sur les notions subjectives de satisfaction et de motivation de la personne, capitales dans la démarche de soin. A L’ENTREE Satisfaction Motivation 10 8 6 4 2 Vie Psychisme Amour Famille Amis Finances Loisirs Travail Sommeil Corps Consommation 0 En l’utilisant à l’entrée et en fin de séjour, la personne peut comparer et avoir une vue d’ensemble des domaines et des évolutions satisfaction/motivation au changement. Bien souvent ces évolutions sont assez marquées et traduisent un positionnement plus affirmé dans les soins. Lorsque l’évaluation ne montre pas d’évolution, ce sont souvent les explications du patient qui ont évolué et qui traduisent une prise de conscience et une perception plus réaliste de soi et des objectifs réalisables parallèlement à un renforcement de la motivation. Le GSM fait en dernière semaine participe à la synthèse des bilans effectués dans les autres domaines, et, en prenant la mesure des changements opérés, il vient en quelque sorte clore le séjour. A LA SORTIE Satisfaction Motivation 10 8 6 4 2 Vie Psychisme Amour Famille Amis Finances Loisirs Travail Sommeil Corps Consommation 0 Evaluer : mise en place d’un dispositif collaboratif A travers ce bilan d’activité, il nous est apparu essentiel d’expliquer ce que nous faisons à Kairos et quel impact ce séjour peut avoir sur le public reçu. Ses outils cliniques sont des vecteurs propices à la mise en place d’un dispositif collaboratif entre le patient et le soignant, dans le but de s’associer sur des objectifs communs afin de renforcer les ressources des usagers qui leur permettront d’améliorer leur situation. Cela entraîne et nécessite, pour l’équipe pluridisciplinaire, une relation de profond respect de la personne et un positionnement «atypique» : le patient est expert de son problème et décideur de son mode de vie. Sans le dynamisme, le professionnalisme, la bonne humeur, le profond respect et l’humanisme de chacun des membres de l’équipe, ce projet ne pourrait exister tel qu’il est et nous tenons à les en remercier chaleureusement et fièrement. Enfin nous ne pouvons évoquer 2011 sans avoir une pensée pour Daniel Colchide qui a participé si activement à la mise en œuvre des valeurs qui nous animent à Kairos. Daniel, occupait ce poste si singulier d’animateur, préoccupé par le bien être de chacun et insufflant un dynamisme « joyeux» à l’aspect résidentiel du programme thérapeutique de Kairos. Daniel qui, par un après-midi ensoleillé de Juillet, en balade à vélo avec des résidents, nous a quittés si subitement. Pauline ADERHOLD Stagiaire Psychologue en charge de la recherche Naira MELIAVA Psychologue Laurent CHASSAGNE Directeur