liberalisme et nationalisme dans la philosophie allemande de kant a

LIBERALISME ET NATIONALISME DANS LA
PHILOSOPHIE ALLEMANDE DE KANT A HEGEL
Le premier 20ème siècle a vu planer sur l’Europe un nationalisme destructeur des libertés,
autoritaire, voir totalitaire. Le national-socialisme allemand est à cet égard un des plus
terribles exemples des dérives de la droite extrême. Et pourtant un siècle plus tôt,
nationalisme et libéralisme marchaient de paire, main dans la main contre l’ordre
pluriséculaire de l’Ancien Régime. S’agit-il d’une union de circonstance contre les princes
allemands, protecteurs d’une Allemagne morcelée et despotique ? Le parti national-libéral
peut-il se targuer d’un réel fondement théorique, philosophique ?
A la charnière du 18ème et du 19ème siècle, l’Allemagne est le théâtre d’un bouillonnement
intellectuel issu des triples effets des Lumières, de la Révolution et de l’occupation
napoléonienne. De ce contexte naquit l’idée d’une nation allemande, mais comment
comprendre ce terme ? Il n’a certes pas la même signification dans l’expression
« souveraineté nationale » et dans le Discours à la Nation allemande de Fichte, le rapport
entre Nation et liberté n’en est-il pas affecté ?
Notre propos est donc de comprendre le lien entre nationalisme et libéralisme dans la
philosophie allemande des premiers écrits de Kant ( 1780 ) à le mort de Hegel( 1831 ) à
travers l’évolution de l’idée de Nation. Pour ce faire, nous examinerons successivement la
Nation comme cadre où se définit la liberté, puis comme communauté culturelle.
Dans un premier temps, l’idée d’une nation allemande est principalement héritée des
Lumières et ainsi marquée par le cosmopolitisme. Le 18ème siècle voit s’épanouir en
Allemagne des expériences de despotisme éclairé, notamment à travers le règne de Frédéric le
Grand ( roi de Prusse de 1740 à 1786 ), lequel correspondait avec Voltaire. Les Lumières
françaises sont donc bien accueillies et se mêlent aux Lumières allemandes.
Celles-ci, nommées Aufklärung, se réclament du rationalisme optimiste de Leibniz. Elles
se répandirent rapidement parmi la haute bourgeoisie cultivée, à travers la publication de
revues et la création de sociétés ( les Amis de la vérité ). Aussi certaines élites ( la haute
bourgeoisie prussienne notamment ) fustigent-elles le pouvoir autoritaire et réclament-elles
l’expression politique de leur liberté naturelle. Cet héritage du 18ème siècle marque
indéniablement les générations suivantes. Ainsi HERDER, qui est plutôt un précurseur du
romantisme, voit dans l’Homme « le premier affranchi de la Création », libre et ouvert au
Monde ( sa liberté devant toutefois être développée par l’éducation ).
Par ailleurs, l’Allemagne est morcelée en une multitude de villes, royaumes et
principautés. Sur cette profonde désintégration politique se calque un particularisme culturel
certain. Ainsi règne le cosmopolitisme et c’est en ce sens que l’on peut limiter la portée
unificatrice de l’Aufklärung, les élites se tournant plus volontiers vers la culture française que
vers une hypothétique culture allemande. Le sentiment nationale est pratiquement inexistant,
restreint à certaines élites largement minoritaires. Dans un tel contexte, la nation n’est
naturellement pas comprise à partir de critères culturels.
A la fin du 18ème siècle, la nation se détermine le plus souvent comme le cadre où se
définit la liberté, comme l’illustre la philosophie politique de Kant. Celle-ci rend précisément
compte de l’esprit qui règne dans les milieux intellectuels de cette époque, en ce sens que
Kant est à la fois le dernier philosophe de l’Aufklärung est le premier philosophe de
l’idéalisme allemand. Pour lui, le seul régime apte à concilier les natures rationnelle et
empirique de l’Homme est la république. Elle trouve une solution à « l’insociable sociabilité »
de l’Homme ( le fait que l’Homme ne puisse vivre sans ses semblables tout en ne cessant
d’entrer en conflit avec eux ) en permettant l’expression de toutes les libertés individuelles et
de la volonté générale. Cosmopolite, Kant défend l’idée d’une Société des Nations qui ferait
partout régner la paix et la république. Dans ce schéma de pensée, la nation est l’ensemble
des individus libres : elle est le cadre, où, à l’intérieur d’un état, se définit et s’exprime
la liberté. Elle s’oppose au despote, non pas à d’autres nations. Ainsi on ne peut parler de
nationalisme au sens moderne du terme.
Hegel, quant à lui, pose la liberté comme la finalité de l’Histoire et partant, comme le
fondement de l’état moderne. La société civile est le lieux de l’expression des libertés, et pour
éviter sa désintégration sous le coup des intérêts particuliers, c’est à l’Etat de garantir son
unité. Toutefois, si comme Kant il prêche le libéralisme politique et réclame la souveraineté
nationale, il voit également dans la nation allemande le guide de l’Humanité, ce qui témoigne
d’une transformation du concept de nation.
De Kant à Hegel, on passe d’une définition politique à une définition culturelle de la
nation, le contexte historique étant déterminant dans cette évolution. Le rapport entre
libéralisme et nationalisme s’en trouve affecté.
De 1789 à 1815, sorte de phase transitoire entre un 18ème siècle rationaliste et un 19ème
siècle romantique, de profonds bouleversements politiques font prendre au nationalisme
allemand un tout autre visage.
Alors que les élites allemandes accueillaient favorablement les événements de 1789, à
partir de 1793 la Terreur brise cette enthousiasme qui devient méfiance. La foi en la
souveraineté nationale s’en trouve brusquement et irrémédiablement affectée. Un nouveau pas
est franchi lorsque se révèle l’impérialisme français. A partir de 1796/97, les incursions
françaises en Allemagne se font toujours plus fréquentes. L’admiration pour le nationalisme
français vole en éclat. Lui qui naguère paraissait légitime, est désormais fustigé pour son
agressivité. Avec l’hégémonie française sur la Confédération Germanique, sous l’égide de
Napoléon, la France devient l’Erbfeind : l’ennemi héréditaire de l’Allemagne. L’apparition de
cette menace produit une unification des élites allemandes, qui réclament une guerre de
libération nationale. Ce courrant rencontre notamment un écho massif parmi les milieux
étudiants, dans lesquels on voit se créer des sociétés telles que la Burschenschaft.
Un nouveau nationalisme allemand se développe donc, par opposition au nationalisme
français. On exalte soudain les valeurs de la culture allemande. Goethe, Luther sont portés aux
nues tandis que sont célébrés les mythes fondateurs du monde germanique. Parallèlement
apparaît en Allemagne un romantisme précoce, notamment chez les étudiants, lassés du
rationalisme classique. Cette élan sentimentale se confond avec le nationalisme lorsqu’il
idéalise le Moyen-Age allemand et la noblesse chevaleresque, pilier d’un Saint Empire
Romain Germanique mythifié. Ce nouveau nationalisme apparaît donc essentiellement
culturel, romantique et passionnel.
La nation est désormais définie comme une communauté culturelle, non plus comme
l’ensemble des individus libres. Le parcours philosophiques de Fichte, grand théoricien du
nouveau nationalisme allemand, est l’image même de cette évolution. En 1789, son
enthousiasme pour la Révolution Française est tel qu’il souhaite devenir citoyen français, il
est libéral et cosmopolite. En revanche au début du 19ème siècle, il exalte la nation allemande
tout en conservant son libéralisme politique. Voyons donc comment s’opère le lien théorique
entre ce nouveau nationalisme et le libéralisme.
Pour Fichte, les relations sociales sont intersubjectives : c’est à dire qu’elles sont le rapport
entre deux volontés libres. Son problème est d’éviter que ceci n’engendre l’anarchie, le retour
à la fameuse guerre de tous contre tous hobbesienne. La solution qu’il imagine est une société
égale à une communauté culturelle, la Nation. De cette façon, l’union du particulier et du
général s’opère, puisque les individus ont suffisamment en commun pour vivre ensemble sans
conflits. Le pas suivant est rapidement franchi : dans son Discours à la Nation allemande,
Fichte décrit celle-ci comme la plus parfaite, en idéalisant sa langue, son histoire, sa
philosophie, sa religion, sa littérature.
En réalité, la prépondérance de la Nation allemande entant que communauté paraît même
plus compter que la liberté au sein même de cette nation. Par ailleurs, la liberté n’est
désormais plus un droit naturel commun à tous, mais l’apanage d’une nation allemande guide
de l’Humanité. Ainsi, si le lien entre libéralisme et nationalisme existe toujours, il est
désormais moins fort et moins évident (les plus nationalistes idéalisent un ordre médiéval
féodal ). Si le parti national reste uni, deux tendances se dégagent donc en son sein dès le
début du 19ème siècle : celle qui met en avant le libéralisme ( démocrates-républicains ) et
celle qui fait primer le nationalisme ( conservateurs, défenseurs d’une monarchie
constitutionnelle ).
L’alliance entre libéralisme et nationalisme n’est pas que de circonstance, elle connaît une
justification théorique qui évolue en deux temps, comme évolue le concept de nation.
D’abord, nationalisme et libéralisme sont précisément la même chose, la nation étant
comprise comme l’ensemble des individus libres. Ceci est principalement le résultat des
Lumières. Puis sous les effets de la Terreur, de la menace Napoléonienne et du romantisme
naissant se développe un nationalisme culturel, toujours lié au libéralisme mais ne dépendant
plus de lui et le contredisant parfois. C’est cette conception du nationalisme qui va s’imposer
dans l’espace allemand et connaître le plus large appui. Il s’agit en fait du passage d’une
Allemagne influencée par les Lumières françaises à une Allemagne théâtre des balbutiements
de sa conscience nationale orientée vers la culture, une Allemagne dont l’horizon est
désormais l’unification.
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