Laurent Sacco
Publié le 07/11/2016
La découverte de l'accélération de l'expansion de l'univers observable, un phénomène que l'on attribue à
l'existence de l'énergie noire, a été remise en cause par un groupe de chercheurs. Pour savoir si elle est fondée,
Futura-Sciences a interrogé le cosmologiste Alain Blanchard.
Tout récemment, Subir Sarkar, un éminent physicien et cosmologiste à la tête du groupe des théoriciens de la
physique des particules de l'université d'Oxford, a fait quelques vagues en publiant un article dans Nature avec
des collègues. Il a certainement attiré l'attention de tous ceux qui, au minimum, se sentent mal à l'aise avec le
modèle standard en cosmologie du fait qu'il postule l'existence de deux composantes de nature largement
inconnues dans l'univers observable : l'énergie noire, qui accélère son expansion, et la matière noire, qui rend
compte des propriétés des structures galactiques. Il a dû réjouir également les opposants à la théorie du Big
Bang.
Subir Sarkar est l'auteur de nombreuses recherches en astrophysique, en cosmologie par exemple sur la théorie
de l'inflation, la nucléosynthèse, les neutrinos, la matière noire, l'énergie noire. Il est professeur à Oxford et
membre du Rudolf Peierls Centre for Theoretical Physics. © The Mag Theme
Il faut dire que Subir Sarkar remet en cause la solidité des résultats observationnels qui ont conduit à la
réintroduction de la constante cosmologique d’Einstein en cosmologie, ou, plus prosaïquement, la découverte
de l'expansion accélérée du cosmos observable vers la fin des années 1990 qui a conduit à l'attribution d'un prix
Nobel de physique en 2011.
Les supernovae et l'énergie noire
Rappelons que cette découverte s'est faite en utilisant les supernovae SN Ia que l'on peut considérer comme
d'assez bonnes chandelles standards même s'il faut faire des corrections aux observations pour en faire de
bons étalons de distance dans l'univers observable. On a des raisons de penser que les SN Ia sont des
explosions dont la luminosité est relativement constante, donc moins elles apparaissent lumineuses, plus elles
sont loin. En mesurant leur luminosité apparente ainsi que leurs décalages spectraux, on peut déterminer la
vitesse d'expansion de l'univers au cours de son histoire.
Nous disposons maintenant d'un plus grand nombre d'observations de SN Ia qu'au siècle dernier. Ce qui veut
dire que l'on peut en principe obtenir une mesure plus précise des éventuelles variations de la vitesse
d'expansion et, surtout, de consolider la découverte de son accélération. Ce n'est pas difficile à comprendre. Par
analogie, on a moins de chance de se tromper dans l'estimation du résultat d'une élection si l'on interroge
10.000 personnes que 10.
Subir Sarkar et ses collègues ont donc utilisé un catalogue de 740 SN Ia, soit près de 10 fois plus de
supernovae, pour tenter de confirmer l'existence d'une accélération de l'expansion. Les chercheurs ont par
ailleurs utilisé une méthode statistique un peu différente de leurs prédécesseurs.
Le résultat obtenu a de quoi troubler, en première impression en tout cas. L'accélération de l'expansion ne serait
en fait pas prouvée par les données issues des SNIa. Elles suggèrent bien son existence mais avec, selon le
jargon des physiciens, une évidence d'environ 3 sigma. Or il faut au moins 5 sigma pour parler d'une découverte
en physique, c'est-à-dire un signal qui diffère à tel point d'un effet du hasard qu'il n'est pas raisonnable de
penser, bien que cela reste logiquement possible, que cela en soit bien un.
Le modèle de concordance en cosmologie standard
Faut-il en conclure que ceux qui pensent que les astrophysiciens et les cosmologistes ont une attitude bien
dogmatique et manquent naïvement de prudence en accréditant le fameux modèle cosmologique ΛCDM avaient
raison ? Doit-on même aller jusqu'à remettre en cause le Big Bang ? Pour le savoir, Futura-Sciences s'est
tourné vers le cosmologiste Alain Blanchard qui lui-même a eu des doutes pendant un moment sur l'existence
de l'énergie noire.
Une présentation de l'astrophysicien et cosmologiste Alain Blanchard. © La Novela
Futura-Sciences : Les Anglo-saxons ont une expression qui décrit assez bien la surprise qu'on éprouve
en prenant connaissance de l'article de Subir Sarkar, « A bolt out of the blue », une flèche tombée du
ciel. Est-ce justifié ?
Alain Blanchard : Pas vraiment, en 2014 par exemple, une équipe internationale d'astronomes et de physiciens
des particules avait déjà analysé les données de 740 supernovae SN Ia, obtenues grâce au Sloan Digital Sky
Survey II et au SuperNova Legacy Survey. L'analyse, menée en particulier par Marc Bétoule du LPNHE avait conduit
à un résultat similaire. Bien que suggérée par ces données, l'accélération de l'expansion de l'univers observable
depuis quelques milliards d'années n'est en effet pas démontrée en se basant sur les SN Ia.
Cela semble extrêmement dérangeant, le comité du Prix Nobel a-t-il fait une grave erreur en attribuant le
prix Nobel de physique en 2011 à Saul Perlmutter, Brian Schmidt et Adam Riess ?
Alain Blanchard : Non, absolument pas. Il ne faut pas oublier, et Subir Sarkar et ses collègues ne le font pas,
qu'il existe d'autres observations qui conduisent à admettre l'existence d'une accélération de l'expansion de
l'univers observable et donc celle de l'énergie noire. Lorsque les équipes menées par Perlmutter, Riess et