ROUIX Jean-Louis - Collectif des prêtres

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ROUIX Jean-Louis 02, rue Maurice Ravel 78190 Trappes
le 15/09/2008
Suite à l'article du journal de Saône & Loire du 07 août 2008, simple témoignage de PO à Mgr Vingt-Trois
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Mais mon propos, adressé à travers vous à tous les évêques de France est un simple témoignage
de « jeune prêtre ouvrier » - jeune dans l'exercice de ce ministère mais déjà vieux dans le ministère
ordinaire...
Excusez-moi de vous présenter cette expérience particulière et si simple de la vie partagée d'un
prêtre, membre d'une communauté paroissiale, avec des ouvriers de la métallurgie dans un ministère dont la
spécificité n'est pas de correspondre à des vues purement idéologiques, mais bien d'intégrer à la fois une
vision apostolique originale et une recherche de vie évangélique plus personnelle peut-être...
Je comprends que devant le manque de pasteurs, les soucis d'une église en crise de vocations, la
priorité ne soit pas d'envoyer des prêtres dans le monde du travail, mais en même temps, on ne peut pas
délaisser et reléguer dans le passé cette expérience apostolique.
Il faut encore des témoins originaux, oui, il en faut, qui suivis et soutenus par leur église puissent
continuer en l'adaptant ce ministère spécifique de présence et de partage de la vie commune des gens du
peuple...
J'en fais l'expérience !... Peut-être brièvement évoquée saura-t-elle être un juste plaidoyer pour ne
pas abandonner de beaux visages évangéliques de prêtres, qui ont usé leur énergie de vivre et leur santé
personnelle pour être une présence eucharistique sur l'autel de la vie et des combats des travailleurs...
Mon expérience:
Après avoir vécu un séminaire à ISSY les MOULINEAUX et vous avoir côtoyé dans le cadre de votre
enseignement théologique, membre du SMO (séminaristes en monde ouvrier), ancien cadre technicien en
mécanique générale enseignant en lycée technique d'état, la proposition du GFO m'avait été faite. Déclinée
à cause de 32 heures de présence au lycée comme prof auxiliaire, plus les préparations de cours, j'ai
préféré la voie traditionnelle de formation au ministère presbytéral, tout en gardant ce désir secret de
travailler de mes mains... après 9 ans de ministère, comme jeune prêtre au Val fourré de Mantes la Jolie,
une année aux Minguettes à Lyon pour la formation du Prado international – en vue d'un départ comme
Fidei donum – une année sabbatique involontaire pour gros problème de santé – 10 ans d'exercice de curé
de paroisse, j'ai demandé à l'âge de 50 ans de retourner au travail comme PO... Lubie ? Folie ?
Vivre l'expérience des seniors et devoir faire des démarches d'inscription aux ASSEDIC, à l' ANPE, y
rencontrant des paroissiens venant y quêter un droit d'exister – bilan de compétence, demande d'emploi
ignorée ou reconduite, la vie des demandeurs d'emploi est une réalité si quotidienne et banale, pour
beaucoup si désemparés, qu'elle m'a souvent fait prier le Christ avec cet évangile de Marc 6.30
Jésus, pasteur et prophète
«Les apôtres se retrouvèrent autour de Jésus et rapportèrent tout ce qu'ils avaient fait et enseigné. Il
leur dit: « Venez donc à l'écart dans un lieu désert, vous vous reposerez un peu. » Car les gens allaient et
venaient en si grand nombre qu'on n'avait même pas un instant pour manger. Ils partent donc en barque
pour s'isoler dans un lieu désert, Mais on les voit partir et beaucoup comprennent; de toutes le villes, des
gens accourent à pied et arrivent avant eux. Lorsque Jésus débarque, il voit beaucoup de monde et il
se sent plein de compassion pour ces gens, car ils font penser à des brebis sans berger. Et il se met
à les instruire longuement. »
Brebis sans berger qui appellent à partager de mêmes pâturages !
Je n'ai trouvé du travail que grâce au carnet d'adresses que j'avais gardé de relations à d'anciens
copains restés dans la mécanique...
Première paroles échangées avec un tourneur nommé « Hafid » ce qui signifie approximativement
en kabyl « fils de Dieu »... je me disais (que) je croyais avoir quitté la sécurité de la vie de l'Église et la
présence du Christ et me voilà en présence du « Fils de Dieu ». La présence réelle se révèle à travers une
humanité dont les noms sont porteurs de Dieu...
Plus de 25 ans me séparaient de ma vie de prof et je prenais la juste place d'OS et ce mot de
Mario... « Il faut que tu sois descendu bien bas pour être parmi nous ! ... »
Passé d'une position souvent décriée mais reconnue de curé dans la société à celle d'OS m'a fait
souvent penser et méditer sur l'épître aux Philippiens au chapitre 2:
« Lui qui jouissait de la nature de Dieu,
il ne s'est pas attaché à cette égalité avec Dieu,
mais il s'est dépouillé,
jusqu'à prendre la condition de serviteur
devenu semblable aux humains.
Et quand il s'est trouvé comme l'un d'eux,
il s'est mis au plus bas.
Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort en croix. »
Si l'humilité est une vertu à demander comme grâce, lorsque le prédicateur en chair devient
l'apprenti quêtant un savoir devenu obsolète avec l'âge et l'avancée des technologies, elle est aussi
l'ouverture d'esprit à cette dimension de la vie apostolique fondée sur la croix – croix à porter de son
ignorance, de la dépendance et de l'angoisse du mal faire ! ...
Depuis, l'ouverture de chaque prière du jour dans le PTP m'est très sensible au cœur et à l'esprit,
chaque jour je redis: « Seigneur viens à mon aide ! Dieu à notre secours ! »
Comment parler justement de ce que la vie quotidienne au travail permet de pétrir et de façonner ce
ministère de vie évangélique, si ce n'est évoquer ce dialogue inter-religieux avec ce musulman de strict
obédience qu'est Omar ! Un dialogue qui pourrait être perçu comme unique monologue, où l'expression
« dommage tu n'es pas au courant ! » Traduisez: « tu n'es pas au Coran ! ...» mais dans les yeux d'Omar,
évoquant des paroles de ce livre sacré, les récitant dans la langue poétique du prophète, s'éclaire une telle
joie de se rendre proche de Dieu, qu'il me fait penser à cette parole d' Évangile de Jean, chapitre 1.35
« Jésus appelle ses premiers disciples.
Le lendemain, Jean était là de nouveau, et deux de ses disciples étaient avec lui. Il fixa son regard
sur Jésus qui passait et il dit: « Voici l' Agneau de Dieu. » Lorsque ces deux disciples l'entendirent, ils
allèrent et suivirent Jésus. Jésus se retourna et vit qu'ils le suivaient; alors il leur dit: « Que cherchez-vous
? » Ils lui dirent: « Rabbi (c'est-t-à dire Maître), où demeures-tu ? Jésus leur dit: « Venez et vous verrez ! »
Ils vinrent donc pour voir où il restait, et ce jour-là ils demeurèrent avec lui ».
Dans la vie d'Omar marquée d'un poids de forte culpabilité, une recherche de salut s'exprime si forte
! Ma présence écoutante de prêtre dérange et rassure, mon comportement simple et humble à ses côtés et
qui lui fait dire: « Il te manque une seule chose, d'être musulman, pour être sauvé ! »
Comment exprimer ce que sa réplique me donne de percevoir de la beauté du ministère de prêtre
silencieux pensant à la réponse du Christ à la Samaritaine dans l'Évangile de Jean au chapitre 4.9
« La Samaritaine lui répondit: « Vous êtes juif. Comment pouvez-vous demander à boire à une
Samaritaine comme moi ? (On sait que les Juifs ne veulent pas de rapports avec les Samaritains) Jésus lui
dit: « Si tu connaissais le don de Dieu et si tu savais qui te demande à boire, c'est toi qui lui aurais
demandé cette eau qui fait vivre, et il te l'aurait donnée. » Elle lui dit: « Vous n'avez pas de seau et le
puits est profond. Où trouvez-vous cette eau vive ? Notre père Jacob nous a donné ce puits après y avoir
bu lui-même avec ses fils et ses troupeax: êtes-vous plus grand que lui ? Jésus lui dit: « Celui qui boit cette
eau aura encore soif, mais celui qui boit de l'eau que je lui donnerai ne connaîtra plus jamais la soif. L'eau
que je lui donnerai deviendra en lui une source intarissable de vie éternelle. »
Le don de Dieu dans la différence des sensibilités religieuses se déploie non pas dans l'ordre de ce
qui constitue le domaine de l'identité religieuse , mais dans la profonde révélation de la personne humaine
habitée de l'Esprit de Dieu... Je découvre en côtoyant Omar à travers le temps écoulé à ses côtés que le
plus beau des charismes du prêtre et du sacerdoce c'est d'être pétri par l' Esprit du Christ compassion et
écoute, au-delà même du savoir et du bien parler ! Se laisser habiter par l' Esprit Saint est plus qu'un travail
d'exercices spirituels dans le cadre privilégié d'un monastère, même si c'est nécessaire; mais, quel beau
monastère que ce cadre de vie partagé avec des travailleurs croyants d'une autre tradition religieuse. Me
voilà obligé de décliner mon identité de chrétien non par des mots, mais par une habitation de l' Esprit...
Cela m'invite à réfléchir sur le passage de l' Évangile de Jean où Pilate constate en la personne de
Jésus restée silencieuse, ce trait de l' Esprit de Dieu. Jean 19 .1
« Pilate sortit de nouveau pour dire aux Juifs: « Je vais vous l'amener dehors, mais sachez bien
que je ne trouve rien à condamner chez lui. Jésus sortit donc à l'extérieur avec la couronne d'épines et le
manteau de pourpre, et Pilate leur dit: « Voici l'homme! »
L'homme dont on ne voit rien à condamner en lui... Omar me le signifie autrement en me disant: « A
mes copains de la mosquée je dis combien je suis avec quelqu'un qui est meilleur musulman que moi ...Tu
as la patience, et cette grâce de Dieu est donnée aux plus croyants... »
Je pourrais encore citer d'autres anecdotes de ce ministère qui se déploie humblement dans une
petite entreprise de banlieue, mais il m'est plus aisé de le faire de vive voix ! ...
Alors je vous remercie, Monseigneur, d'avoir eu la bienveillance de me lire jusqu'en ce terme de ma
lettre et vous assure de toute ma gratitude !...
Je reste à votre disposition pour partager gratuitement cette expérience particulière du ministère !
Très respectueusement !
Jean-Louis ROUIX (ancien séminariste d' Issy les Moulineaux)
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