Tribune
Culture et crise
Par oeconomica musicus
Mon vieux professeur me disait : « Si l’on veut gouverner un pays, il faut en connaître
l’histoire. »
La culture, c’est pareil : pour pouvoir faire des choix, il faut connaître ceux qui furent faits
dans le passé.
Alors regardons en arrière. La crise dans la culture est-elle nouvelle ?
Journal Le Monde du 15 janvier1976 :
Déficit du MET 39 millions de francs (équivalent à 26 millions d’euros d’aujourd’hui)
Scala de Milan 73 millions (équivalent à 50 millions d’euros)
Opéra de Paris 11 millions (équivalent à 7,5 millions d’euros)
Le Figaro du 18 septembre 1973 :
170 institutions culturelles américaines totalisant 138 millions de dollars de budget ont dû être
renflouées de 62 millions de dollars.
Le Monde du 4 mars 1975
Difficultés à l’OPPL, ORTF, Opéra-Comique...
Le Monde du 30 mars 1976
Difficultés à l’Opéra de Vienne.
La crise n’est pas nouvelle dans la culture, mais ce qui est nouveau aujourd’hui c’est qu’on
connaît bien le fonctionnement des institutions culturelles et les différents modèles
économiques qui en découlent.
De nombreux économistes et sociologues ont écrit sur le sujet. Mais il semble que nos
décideurs omettent d’en tenir compte.
La Mairie de Paris, par exemple, prouve son incompétence en proposant un tirage au sort pour
entrer aux conservatoires de musique. Alors que la Philharmonie ouvre ses portes, la Ville
ferme celle des conservatoires dans un injuste tirage au sort des enfants qui demain formeront
le public de cette nouvelle salle.
L’excellence est au bout d’un chemin que tous les enfants doivent pouvoir prendre, mais pas
par tirage au sort ou en naturant cette excellence dans l’espoir que tout le monde puisse y
accéder sans les outils essentiels pour la comprendre.
Le public doit-il aussi être tiré au sort ? Demain y aura-il un tirage au sort pour l’ENA ?
Les politiques publiques pataugent, et pas seulement en France.
A Rome, après un licenciement des 182 musiciens et choristes pour travailler de façon libérale
avec des freelance à l’anglaise, marche arrière et réembauche ! C’est sûr qu’à 2200
euros/mois, le plein-temps est plus économique que le modèle ultralibéral d’outre-Manche.
Economie espérée : 3 millions d’euros, c’est-à-dire bien loin du déficit de 50 millions de 1976
à Milan, qui n’avait pas fait un tel scandale salarial.
Alors, que disent les économistes et sociologues ?
Revenons aux conservatoires parisiens.
Les coûts par habitant sont croissants en fonction de l’effectif de la population. Quand la
population est multipliée par 10, les coûts augmentent par 4.
La cause en est la demande : plus d’élèves, plus de qualité, plus de structures.
Si l’on accroît la base d’une pyramide, forcément elle s’élève plus haut.
Depuis combien de temps la Ville de Paris a-t-elle réévalué son offre afin de répondre aux
besoins ?
Pour être désarmée au point de proposer un tirage au sort, certainement depuis bien
longtemps.
Les modèles pour le concert et l’opéra sont les mêmes mais avec des seuils. Les coûts par
habitant s’élèvent progressivement dans les tranches de 10 000 habitants, puis brusquement à
partir de 100 000 habitants cette somme est multipliée par 2,5. Toujours en raison de
l’exigence de la demande.
Bien que considérée comme élitiste, cette demande de pratique culturelle au-delà de 100 000
habitants réclame une grande qualité des intervenants et des structures plus lourdes telle que
l’opéra et les salles philharmoniques.
Fini les salles multi-activité des communes modestes !
Ces crises passées ont été absorbées par diverses initiatives : aux Etats-Unis par les fondations
privées, notamment la fondation Ford, et en Europe par la puissance publique.
Ces initiatives ont été prises par conviction que la culture est nécessaire à une société.
Aujourd’hui, cette conviction semble plus confuse au regard des décisions prises.
Voilà donc ce que nous apprend le passé.
Le présent, lui, nous apporte de nouvelles données. Celles des cabinets d’audit et d’analyse,
qui froidement étudient l’économie de la culture non plus à l’échelle des structures mais des
mouvements financiers qu’elles induisent.
Les chiffres, déjà cités de nombreuses fois, font ressortir la plus-value générée par
l’investissement public comme moteur d’une économie locale autour des activités culturelles.
Mais pour rester dans un rapport positif d’environ 1/3 en France à 1/4 aux Canada, il faut
respecter quelques règles. Ce sont ces mêmes gles qui ont fait faire volte-face aux décideurs
à Dijon au sujet de l’Orchestre Dijon Bourgogne, ainsi qu’à Rome dernièrement.
Car l’impact économique d’acteurs culturels sédentarisés vaut pour 50 % des retombées, ce
que ne génèrent pas les artistes de passage.
Mais aussi, pour maintenir une activité suffisante autour de l’opéra ou du concert, il faut bien
connaître les comportements des publics. Chaque région de France à ses préférences, l’une
l’opéra, l’autre l’opérette, une autre encore le concert classique ou contemporain, voire le
ballet, qui lui est moins élitiste et touche toutes les couches de la société…
Ces nombreux facteurs doivent être connus et maîtrisés par ceux qui sont nommés à la tête
des institutions culturelles. Et ce n’est pas, par exemple, les offres low cost de l’Opéra de
Paris ou le yoyo effectué avec le prix des places d’opéra dans certaines villes ces dernières
années qui peuvent rassurer sur la légitimité des choix.
Alors oui, au vu de toutes ces hésitations qui parfois font prendre des décisions dramatiques,
les musiciens rassemblés dans le monde sous la bannière de la FIM (la FIM lance une semaine
internationale de mobilisation pour manifester l’opposition du secteur de la musique et de l’ensemble du public
aux politiques d’abandon, d’asphyxie budgétaire ou de destruction pure et simple des orchestres, chœurs et
maisons d’opéra) « crient » en jouant partout la même semaine en Europe l’ouverture des Noces
de Figaroils crient leur inquiétude face aux décisions inconséquentes prises dans la plus
totale ignorance.
oeconomica musicus
NB : cette Tribune fait référence notamment à des articles de presse concernant la crise à l’Opéra Rome, la
semaine de mobilisation des orchestres d’Europe et les conservatoires de Paris.
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