Jusque là, j’avais rencontré cette question de nombreuses fois sans m’y
intéresser vraiment, sans la distinguer à vrai dire de la question de la sexualité
ou de la mixité dans les groupes. C’est ainsi que je pensais avoir donné ma
contribution à la « question sexuelle » dans le cadre de plusieurs travaux. Mon
expérience d’éducateur puis de directeur d’établissement m’engageait à parler
davantage des personnes handicapées mentales. Je posais le droit à la sexualité
comme un droit inaliénable des adultes en hébergement, évitant la licence qui
aurait consisté à permettre des pratiques de génitalités sauvages. J’insistais sur le
fait que « l’engouement actuel pour le thème de la sexualité dans les institutions
de type Foyers de CAT, Foyers médicalisés ou Foyers de vie, mais aussi d’une
manière plus générale, dissimulait la question princeps de l’altérité ». Je
définissais même la personne handicapée comme « individu sans
Autre »,bénéficiant de logistiques de prises en charges qui colmataient
précisément cette question de l’altérité.
Je rappelais assez régulièrement que dans tous les établissements sociaux où
j’avais exercé des responsabilités, je n’avais rencontré aucune difficulté à
recruter des hommes et que «les équipes que j’avais constituées» avaient
toujours été mixtes, ce qui n’était pas sans présenter des conséquences positives
pour le travail d’accompagnement des familles, et notamment des pères, « les
grands oubliés du travail d’accompagnement familial ». Un problème de
conception personnelle ou de choix individuel, en quelque sorte.
IV
Cependant, il arrivait que cette question émerge de façon plus inattendue et
subtile. Sigmund Freud évoque les « mots d’esprit comme voie royale de
l’inconscient ».A plusieurs reprises, je m’entendis faire des plaisanteries à
propos de la question du genre, dans les réunions où la question paraissait à
proprement parler comme inabordable, telle cette définition de l’attitude vis à
vis de la toilette des grands adultes psychotiques ou déficitaires dans les
établissements médico-sociaux. « Les hommes, dis-je, ne s’occupent pas de la
toilette des femmes pour une raison de pudeur bien compréhensive. Les femmes,
elles, s’occupent de la toilette des femmes aussi bien que celles des hommes, de
par leur rôle maternel évident ».Ce qui fit rire tout le monde-un certain nombre
d’acteurs sociaux de terrain qui savaient combien cette question peu élaborée
dans les formations est en réalité complexe et difficile.
Un article sur le rôle des infirmières dans les services de chirurgie avec leurs
patrons, me fit comprendre plus tard à quel point cette plaisanterie, comme
souvent tout mot d’esprit menait à un « insu » terriblement important concernant
le rôle « genré » et non reconnu des infirmières dans un service.Ma réflexion
était déjà en marche.