Huyghues-Despointes Giany
Groupe 2
Sujet de Dissertation : La Politique est-elle l’affaire de tous ?
La sociologie politique, dans sa volonté d’appréhender les
mécanismes présidant à l’établissement du fait politique et à ses manifestations, s’est tout
naturellement investie du thème de la participation à la vie politique. En effet, pléthore de
sociologues politiques se sont penchés sur la question, parmi eux, Norbert Elias propose de
se figurer la vie politique comme « une configuration » au sein de laquelle chaque action
produit des effets sur l’ensemble des individus qui contribuent à modifier une situation
initiale. Prenant pour comparaison les règles d’un « jeu », Elias, et de nombreux
sociologues qualifiés d’interactionnistes, postulent de l’existence de règles codifiées qui
structurent la vie politique ; il n’hésite aucunement à emprunter au vocabulaire du jeu les
vocables de « trophées » pour désigner les postes électifs, de « compétition » et de
« procédures » qu’il assimile au mode de scrutin et aux conditions d’éligibilité. Elias invite
plus précisément à questionner la notion d’espace politique (l’espace de déroulement du
« jeu »).Si l’on s’en tient à la définition qu’en donne Jacques Lagroye dans son manuel de
Sociologie Politique, ce concept s’entend comme « un ensemble de relations de pouvoir
s’exerçant dans un ordre institutionnel particulier et ayant pour effet de préserver et de
modifier cet ordre et les rapports entre ceux qui en font usage ».
Attendu cette définition, il apparaît opportun de se poser la question des modalités d’accès
à ces « relations de pouvoir », d’autant plus que la question d’une crise des représentants et
des alternatives proposées pour y remédier fait débat. Ce constat conduit donc à se
demander si l’espace politique peut être investi par tous. Il conviendra, dans un premier
temps de montrer que dans le cadre actuel l’espace politique paraît plus dévolu à des
« professionnels politiques » avant d’envisager dans un second temps, l’idée qu’il existe
cependant de nombreuses volontés tendant à vouloir rendre sa place au « citoyen acteur ».
Envisager l’idée d’une participation active de tous à l’espace
politique est tout à fait légitime si l’on conçoit que le pouvoir, et l’organisation de ce
dernier, appartiennent au peuple selon l’idéal démocratique hérité de 1789, c’est la notion
de souveraineté populaire largement défendue par Rousseau dans le Contrat Social.
Cependant, il serait réducteur de préjuger de la toute puissance des citoyens sans prendre
acte des mécanismes de représentation qui tendent à réduire la part active du citoyen au seul
vote, d’où une nécessaire rétrospection sur la mise en place du processus de représentation
politique.
S’est rapidement imposée bien avant la Révolution de 1789 l’idée d’un citoyen non au faîte
des questions politiques et partant, incapable de prendre, de manière rationnelle, des
décisions en conséquence. Dans l’esprit des partisans de cette thèse, le citoyen profane (non
instruit dans l’acceptation de l’époque), ne peut donc résolument se voir attaché à une
fonction pour laquelle il n’a pas les compétences. D’où l’idée de mettre en place un mandat
représentatif par lequel les citoyens délègueraient leur pouvoir de décision à des
représentants « capables ».
Passé ce rapide rétrospectif historique, nécessaire dans la compréhension de la réalité
actuelle, il convient maintenant de préciser, que l’instauration institutionnelle de la
représentation, s’est doublée d’une autonomisation progressive du champ politique.
Théorisé par Pierre Bourdieu, le concept de champ politique est entendu comme le domaine
d’activité propre à la vie politique et codifié par des règles d’entrée, de sortie, de hiérarchie.
Dès lors qu’il s’agi d’élaborer des dispositifs visant à encadrer le champ politique, la marge
de manœuvre du citoyen s’en est vue réduite. Cet état de fait est clairement identifiable par
la mise en place progressive des partis politiques qui ne vont acquérir leur caractère gal
qu’avec la loi sur les associations de 1901. De fait, tout va concourir à restreindre l’entrée
dans le champ politique et ce, notamment par la professionnalisation progressive de la
politique.
Moyennant une définition classique des partis politiques, l’on comprend mieux l’idée de
restriction du champ politique à une catégorie d’individus. Ainsi la sociologie politique
pense les partis politiques comme des « groupements spécialisés dans la compétition pour
l’obtention de postes politiques ou de postes dont l’attribution relève de décisions prises par
des dirigeants politiques » (cf Sociologie Politique, Lagroyes). Cette définition est prolixe
sur le caractère « spécialisé » des partis politiques. Dès lors, toute volonté de participer au
jeu politique semble se réduire à la nécessaire inclusion dans un parti, puisque le vote n’est
qu’un « pis-aller », un faire-valoir servant à l’émancipation de représentants, le citoyen s’il
veut prendre part à la vie politique doit investir le champ politique, Il n’est donc pas rare de
trouver au sein des partis de véritables professionnels de la politique qui ont engagé
l’ensemble de leurs activités à ce sujet. Le cas du chef de l’Etat actuel en est un exemple
parmi tant d’autres : après « Sciences Po » et l’ENA, la carrière de Jacques Chirac sera
exclusivement politique ; accumulant les différents mandats politiques (conseiller
ministériel, ministre, maire, Premier Ministre, Président).
Au regard de l’autonomisation du champ politique, la professionnalisation de ce dernier
apparaît comme la suite logique d’une « volonté délibérée pour certains, de prendre et
d’exercer le pouvoir seul et avec d’autres » selon J. La Palombara. C’est un moyen de
contrôle et de domination visant à démultiplier les chances d’accéder au pouvoir. La
politique ne peut, dans cet état de fait être l’apanage du quidam classique. Cela est
également renforcé par le processus organisé de sélection des individus au sein du champ
politique. En effet, l’accroissement des tâches politiques au sein des partis, du fait des
nouveaux objectifs sociaux, et des changements affectant les catégories sociales dont ils ont
prétention à se déclarer les représentants, a conduit à un phénomène de « bureaucratisation
des activités politiques » dans l’acception Wébérienne. Pour Weber en effet, le
développement de la professionnalisation politique à renforcer l’accroissement d’emplois
bureaucratiques. Emplois d’autant plus légitimés qu’ils sont officiellement rendus
nécessaires par la création d’instituts spécialisés dans la formation de dirigeants
« potentiels », c’est une forme de domination par le capital culturel. On a coutume
d’évoquer Sciences Po, l’on trouve aussi l’Ecole Nationale d’administration (ENA), est une
volonté expresse de former officiellement les hauts cadres de la fonction publique, et
officieusement les futurs acteurs de la vie politique. Est-il un hasard de constater qu’un
grand nombre d’hommes et de femmes politiques, Elisabeth Guigou, Ségolène Royal, Alain
Juppé, Nicolas Sarkosy, pour ne citer qu’eux, ont fréquenté l’ENA ?
Il s’en suit l’apparition de véritables oligarchies, et ce même au sein des partis populaires à
l’instar des partis ouvriers du XIX siècle, comme le note Roberto Michels. Si dans un
premier temps, la cooptation favorisait l’émergence des individus les plus éloquents, les
plus à même de prendre part à la négociation et au dialogue, le choix des dirigeants s’est
rapidement doublé d’exigences en termes de compétences juridiques, économiques,
comptables, bref il ne suffisait plus d’avoir des talents d’orateurs pour faire de la politique,
il fallait aussi légitimer sa place par des savoirs faire sanctionnés généralement par des
diplômes.
Ipso Facto, l’entrée dans le champ politique ne se conçoit aujourd’hui que sous réserve de
conditions sine qua none. La volonté de gitimation ressentie par les représentants sert à
justifier leur place dans leur activité politique. La catégorie sociale des parlementaires
français est, à cet égard assez explicite, nombre d’entre eux ont exercé avant leur mandat
électif des fonctions la capacité à argumenter, et à expliquer est importante. Il n’est pas
rare de trouver parmi eux des médecins, des avocats, des professeurs.
Une fois passé les limites du cadre restreint de ce qui est communément assimilé comme
étant nécessaire à l’entrée dans le champ politique, se mettent en œuvre des phénomènes
d’exclusion non propres à ce seul champ mais qui caractérisent aussi celui-ci : Ainsi lorsque
qu’Olivier Besançenot, porte parole de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), se
prononce sur tel ou tel sujet engageant une réflexion politique, c’est non sans une certaine
dérision, voire un certain mépris, qu’il se fait fustiger par les professionnels « légitimes » de
la politique qui le considèrent comme un outsider.
Outre la permanence d’un désir de « conquérir le pouvoir » selon la formule de Georges
Burdeau, la professionnalisation du champ politique et les mécanismes d’entrée et de sorties
qu’elle emporte se justifient par les différents intérêts à préserver l’ordre institutionnel
établi. En effet, si, dans la pensée des Lumières et son développement concret, le suffrage
censitaire, il s’agissait de garantir officiellement la continuité de la Démocratie par des
représentants « éclairés », il en est autrement depuis l’instauration des rémunérations et des
avantages liés aux différents mandats électifs. En effet, l’intérêt réside aussi dans la
possibilité de pouvoir bénéficier des nombreux avantages liés au champ politique.
Parmi eux, des avantages moraux, comme la notoriété, l’image de marque, les qualités qui
ont joué pour beaucoup dans l’accès au pouvoir du Général de Gaulle pour ne citer que lui ;
c’est parce qu’il avait atteint une légitimité considérable durant la Seconde Guerre
Mondiale en lançant le fameux Appel du 18 Juin, mais aussi en mettant un terme au conflit
Algérien en 1962 que De Gaulle aura une liberté presque totale dans l’établissement de la
Constitution de la Vème République qui, a bien des égards, constitue un texte « taillé » à sa
mesure. A côté de ces avantages moraux, il y a aussi et surtout des intérêts matériels liés
aux fonctions électives : voyages, frais de représentation et frais de déplacement assurés
par l’Etat et qui confèrent à ces fonctions un certain prestige ne manquant pas de susciter les
convoitises.
Il est dès lors aisé de comprendre tout l’intérêt pour certains de garder le contrôle du champ
politique.
Les rapports de force ne se font pas seulement entre les professionnels de la politique et les
profanes mais aussi entre professionnels. Il n’est de voir pour s’en convaincre les luttes
intestines qui s’opèrent entre « candidats à la candidature » pour l’élection présidentielle et
ce quelque soit la couleur politique. Il faut pouvoir convaincre les militants que l’on est le
plus à même de conduire un programme électoral, et par extension de pouvoir prendre les
rennes de la plus haute fonction de l’Etat. A un niveau plus bas, les luttes entre bénévoles
d’un parti et professionnels trouvent une explication chez Michel Offerlé, ainsi les uns et les
autres se trouvent en compétition pour contrôler un « capital objectivé », c'est-à-dire
l’ensemble des intérêts attachés à la fonction.
L’idée d’une culture politique au sein du champ politique est nécessaire pour comprendre la
réalité de la vie politique en général, et celle de la France en particulier. Telle qu’elle se
manifeste aujourd’hui, la politique ne permet que des moyens d’action relativement réduits
compte tenu de ce que nous avons évoqué au fil de cette première partie.
Si Bourdieu considère que « le sentiment d’incompétence incite les électeurs
à s’en remettre à des représentants socialement pourvus d’un capital culturel », le double
mouvement d’abstentionnisme et de désertion des partis politiques tend à remettre en cause
ce postulat. En effet, désormais, l’individu mieux formé et au fait de son environnement
politique éprouve le besoin d’être mieux représenté voire de faire table rase des dispositifs
de représentation politique afin de prendre directement part au fonctionnement du champ
politique, c’est ce que Pascal Perrineau professeur à Sciences Po Paris appelle la
« mobilisation cognitive »
Cette volonté de changement exprime d’abord le fait qu’à côté des élus permanents des
partis qui vivent de la politique, d’autres individus ont investi le champ. Ainsi les titulaires
d’un capital culturel et économique (dans la terminologie de Bourdieu) moins important,
ont pu intégrer le champs par des techniques de mobilisation nouvelle. De fait, à côté des
opulents meetings organisés par les leaders des « grands » partis, se développent des
réunions publiques, des invitations spontanées à l’occasion de tel ou tel rendez-vous,
donnant lieu à un rassemblement important de population. Cette nouvelle approche de la
politique trouve certaines similitudes avec l’organisation des partis politiques aux Etats-
Unis, en effet outre- atlantique, les partis ont des frontières relativement poreuses, des
principes de hiérarchie faiblement développés et une réelle possibilité de participation de
tous au fonctionnement du champ politique dans une certaine mesure.
De nouveaux acteurs investissent de manière plus active encore le champ politique, il s’agit
des médias en général, des journalistes politiques et des responsables des instituts de
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