Bérénice Crunel Groupe 1 Mardi 15h10-16h40 La Politique est elle l’affaire de tous ? Pour la sociologie, la politique est, à l’image de la société, un domaine d’interactions, de luttes entres les individus. Plus encore, la politique semble être un épicentre des compétitions sociales, un concentré violent des rapports de force entre les individus dont le pouvoir est l’enjeu suprême. La sociologie contemporaine définie la politique comme une compétition à laquelle se livrent des individus et des groupes pour exercer ou influencer le pouvoir politique. Nous nous intéresserons ici à ces interactions dans le cadre précis des sociétés occidentales contemporaines, démocratiques où le peuple détient la souveraineté. La question à laquelle nous sommes confrontés, -la politique est elle l’affaire de tous?-, présuppose qu’une partie de la population, sujette de cette politique, n’y aurait pas accès. Pourtant si nous considérons les principes de la démocratie athénienne, à la base de cette notion, ils sont fondés sur l’interaction, le débat entre tous les sujets de la cité, qui constituent la politique. Mais si nous considérons l’évolution actuelle de notre société, avec les constats d’une abstention de plus en plus grande aux élections, d’un désintérêt grandissant pour la vie politique et d’un fort désengagement politique et syndical, la question des individus concernés par la politique se pose à nouveau. Parallèlement, nous assistons à une recrudescence du nombre des manifestations, des actes protestataires, des revendications. Ce qui nous amène à poser le problème soulevé par cette question de la manière suivante : Dans quelles mesures l’individu possède t-il les possibilités de réflexion et d’action sur la Politique ? Dans un premier temps, nous y répondrons en réfléchissant sur le rôle du citoyen, qui, par essence est défini en fonction de la politique. Puis, dans un second temps nous nous interrogerons sur les rôles des professionnels de la politique pour étudier dans quelles mesures ils ne contribuent pas à déposséder les citoyens de la « chose politique ». Enfin, dans un troisième temps, nous chercherons comment et à travers quels moyens, les citoyens tentent-ils de se réapproprier la Politique. 1 Dans la démocratie française, en plus d’une appartenance nationale, de droits et devoirs, la qualité de citoyen inclue aussi « la participation à la vie publique », notamment la participation à la vie politique. Ce rôle n’est pas seulement défini par l’action (le vote en particulier), mais aussi par une réflexion qui constitue la matière essentielle du citoyen. Mais en est il toujours ainsi dans la réalité ? La réflexion politique semble donc constituer l’essence même du citoyen. Dans la Grèce antique, la réflexion politique et l’implication dans la vie de la cité semblent faire partie sinon d’une culture, d’une éducation. En effet, à Athènes, le citoyen est celui qui participe aux décisions de la cité (lois, guerre, justice, administration) et aux débats sur l’agora. La cité est donc gérée par l’ensemble des citoyens, qui sont investis de la charge de conduire, de mener la cité collectivement. La politique de gestion est donc le résultat de délibérations, elle est l’aboutissement de consensus. Les conditions fondamentales au bon fonctionnement de la démocratie sont donc une réflexion et un questionnement, certes collectifs, mais avant cela, nécessairement individuels. Bien des siècles plus tard, l’émergence des partis politiques, en proposant un programme destiné à un groupe d’individus particuliers et défini, a structuré ou construit, selon les approches que l’on considère, la société en classes et a synthétisé les réflexions politiques. Selon D. Truman qui étudie ce phénomène dans The Governmental Process, political interests and public opinion, le rôle des partis politiques réside principalement dans le recueil des résultats des compromis, obtenus par la fragmentation de la société et l’entrecroisement des intérêts. La réflexion politique individuelle ne se trouve donc plus totalement libre, elle est encadré et incluse dans le discours d’un parti. Cependant cette structure permet aux citoyens de s’instruire et de compléter leurs réflexions en leur fournissant matériaux (textes, informations,…) et outils (logique de raisonnement, méthode d’argumentation,…). Dans les années 1960, A. Campbell et quelques autres sociologues de l’université de Michigan, théorisent le concept de partisanship, qui définit l’attachement durable à un parti. Cette stabilité et cette persistance d’opinion permettent, sur le long terme de continuer à structurer les opinions et intérêts de chaque classe. Mais, depuis les années 1970, la théorie du partisanship et le principe de fidélité d’un individu à un parti tendent à être détrompés avec l’apparition du « nouveau citoyen ». P. Norris et J. Ion prennent pour preuve la complexification, la fragmentation de la société et la multiplication des revendications (à mettre en rapport avec un accès plus vaste à l’instruction) pour justifier l’idée que le citoyen n’a plus besoin d’être représenté. À la différence de l’adhérent au parti, qui visait un programme global et fédérateur, applicable sur le long terme aux grandes causes de la société, le 2 « nouveau citoyen » est caractérisé par un engagement éclaté, ponctuel et localisé. Ce nouveau participant à la vie politique mène donc une réflexion autonome, en s’informant par lui-même sur les sujets précis qui le touchent : il cherche des réponses à des problèmes multiples et précis, qui correspondent aux réalités de son quotidien. Les partis, qui ne sont alors plus vecteurs d’engagement se cherchent une nouvelle fonction dans la mise en place de systèmes délibératifs, permettant aux citoyens d’échanger et de confronter leurs opinions et réflexions, effectuant ainsi un retour au modèle antique. Mais la réflexion politique, qui constitue une base essentielle pour le citoyen, ne lui permet pas, sans une participation active, d’accéder à la compétition vers le pouvoir politique. Le citoyen se constitue donc, par la réflexion, un capital qui lui permet de comprendre, sinon de s’approprier la politique, mais c’est par la participation qu’il pourra réellement l’intégrer et influer sur le pouvoir politique, en faire « son affaire». La participation la plus évidente à la vie politique est le vote. C’est l’expression de la part de souveraineté du citoyen qui constitue son essence et compte parmi ses droits essentiels. En 1893, la Belgique a rendu le vote officiellement obligatoire conférant ainsi à la participation politique un rôle essentiel. L’expression de cette part de souveraineté, bien réelle, conféré d’emblée au citoyen par sa fonction, lui permet à son échelle d’influencer le pouvoir politique. Cependant les citoyens étant très nombreux, leurs opinions élaborées en fonction de leurs intérêts, doivent être canalisés par les partis politiques leur permettant ainsi de les affirmer globalement afin d’influencer plus fortement le pouvoir politique. C’est la thèse de M. S. Lipset (développée notamment dans « Cleavage Structures, Party Systems, and Voter Alignement : an introduction », Party Systems and Voter Alignement : Cross-National Perspectives, rédigé en collaboration avec S. Rokkan) qui va plus loin en démontrant le lien entre vote et clivage. Selon lui, le choix du vote, l’orientation de cette participation est prédéfinie par les divisions sociales sur lesquelles les partis se basent pour définir leur électorat. Ces électeurs choisissent donc d’exercer et d’influencer le pouvoir politique par l’intermédiaire de représentants, ils adhèrent aux partis et pour certains, décident de s’investir en y militant. Mais depuis trente ans ce modèle semble montrer ses limites. En effet, depuis les années 1970, le processus d’identification partisane décline, les électeurs et militants se détachent des partis, n’ont plus confiance en leurs représentants et votent par considérations immédiates. Il s’agit de la « crise de la représentation » comme l’a nommée J. Lojkine. Nie, Verba et Petrocik ont cherchés à expliquer ce phénomène à mettre en relation avec la problématique du nouveau citoyen. Ils développent l’idée que l’avancée de l’éducation a permis aux citoyens de s’autonomiser par rapport aux partis grâce à l’obtention d’un sens critique et d’un 3 raisonnement abstrait : ils forgent le modèle de l’électeur rationnel. M. Duverger explique que cet éloignement est dû en partie au processus de centralisation des partis qui progressivement tendent à s’organiser autour d’une oligarchie, s’éloignant ainsi radicalement de la base. Quant à Keirchkeimer il impute cette désaffection à deux éléments. D’une part à la transformation des partis en « partis-attrape-tout » (« catch-all parties »), mus par des intérêts financiers, qui élaborent des programmes plus vagues et plus consensuels ; et d’autre part au développement de l’Etat Providence (« Welfare state ») qui prend désormais en charge certaines fonctions jusqu’ici assurées par les partis (aides solidaires). Les électeurs, et plus encore les militants, se sentent exclus et ne se reconnaissent plus dans le discours des partis. Leur participation à la vie politique s’autonomise, ils votent en fonction de considérations immédiates ou bien se désintéressent totalement de la vie politique. Le phénomène de l’abstentionnisme et ceux, moins médiatisés des votes blancs et nuls traduisent un déclin de la participation politique. A. Percheron puis A. Muxel étudient ces tendances en les interprétants à travers l’environnement social du citoyen et par le processus de socialisation. A. Muxel propose deux explications complémentaires : d’une part elle décrit les abstentionnistes « hors-jeu », ce sont ceux qui ne s’intéressent pas à la vie politique par manque de socialisation primaire (socle stable de codes qui constituent la personnalité sociale, inculqué dans la petite enfance principalement par la famille). Ils ne peuvent pas interpréter les évènements qui les entourent. D’autre part, la sociologue étudie les abstentionnistes « dans le jeu », ce sont ceux qui sont fortement intéressés par la vie politique, qui ont bénéficiés d’une socialisation primaire mais dont la socialisation secondaire (série d’évènements politiques qui marquent la personne sociale) est insuffisante. Cet abstentionnisme n’a qu’un caractère temporel. Le déclin de la participation politique résulte également d’une succession de désenchantements politiques qui commencent dans les années 1970 : la fin des grandes illusions communistes, la mise en évidence des limites du capitalisme, l’absence de modèle alternatif crédible : tous ces évènements d’actualité contribuent au désenchantement puis à l’auto exclusion des citoyens de la politique. La désaffection des citoyens pour les journaux et autres médias d’information et de débats politiques conforte l’interprétation selon laquelle les citoyens s’auto-excluent de la vie politique en n’y participant pas activement et en ne faisant même plus l’effort de mener une réflexion politique. En somme, si originellement la réflexion et la participation politique font parti intégrante du rôle de citoyen, nous constatons de plus en plus un désintérêt et un éloignement de la part des électeurs. L’information, la réflexion et la participation à la vie politique devient donc de plus en plus le propre d’élites. D’autant plus que si le citoyen peut voter, tous les individus ne sont pas 4 citoyens : dans l’antiquité, les esclaves et les femmes, avant 1944, les femmes françaises, aujourd’hui, les étrangers non nationalisés n’ont pas le droit de vote et donc pas de moyen de peser concrètement dans les rapports de force politiques. De plus le citoyen, en votant, peut, certes, influer sur le pouvoir politique mais il ne peut l’exercer pleinement. Cette faculté devient donc le propre de catégories favorisées qui sont plus puissantes que les autres citoyens. Nait alors l’idée d’une hiérarchie entre les individus. Le principe d’objectivation des classes implique de lui-même une relation sociale dominant/dominé qui structure la société et crée une hiérarchie entre les citoyens. L’existence d’une élite plus puissante que la masse suppose une répartition des pouvoirs politiques inégale. L’élite politique la plus puissante est bien évidement celle des hommes politiques. Cette division de la société à été étudiée et analysée par M. Weber notamment dans son « Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive » (dans Essai sur la théorie de la science). Weber fait d’abord la distinction entre ceux qu’il appelle dominants et les dominés. Les dominants, également nommés « professionnels » sont ceux qui objectivent les divisions sociales dans le but de s’assurer une position politique plus avantageuse : les hommes politiques sont au premier rang de ceux-ci. Ils construisent la problématique politique légitime qui définie ceux qui méritent, selon eux, une prise en charge politique qu’ils se chargeront de représenter en même temps qu’ils assureront leur pouvoir. Les dominés, ou profanes, sont les citoyens ordinaires qui subissent la problématique politique légitime, ce qui, par le caractère arbitraire des divisions, constitue une violence symbolique. Les professionnels, qui se trouvent au cœur de la vie politique, sont de véritables acteurs qui exercent le pouvoir politique, ils « font » de la politique. Ils sont donc entièrement intégrés au système politique qu’ils contribuent à faire fonctionner, grâce aux des bases stables que constituent la croyance en la légitimité et l’acceptation de la relation de domination par les citoyens. Il ne faut, cependant, pas oublier que sans l’appui des profanes et l’intérêt qu’ils trouvent à être représentés de cette manière, les hommes politiques n’existeraient pas. Mais, si, en effet, la domination des professionnels est impensable sans les profanes, ces citoyens sont peu à peu dépossédés de la politique par ces mêmes hommes qu’ils ont élus. C’est l’interprétation de P. Bourdieu qui dénonce l’utilisation d’un vocabulaire économique pour parler de la politique (« le marché politique », « des produits mis sur le marché », comparaisons 5 professionnels/vendeurs et profanes/consommateurs,…). Il remet en cause l’individualisme politique qui empêche les citoyens de construire des actions et des raisonnements collectifs, ce qui favorise les dominants. Les professionnels disposent des découpages sociaux préexistants et n’ont aucun effort à fournir tandis que les profanes doivent faire un effort d’imagination pour proposer un modèle alternatif, ce qui est impossible dans l’isolement. Bourdieu critique ensuite le système d’expression des opinions : pour lui le suffrage universel ne permet pas de débats préalables à l’élection et favorise les dominants. Le processus de délégation qui concentre toute l’attention du citoyen, qui recherche le meilleur délégué pour son groupe, l’empêche de prendre conscience du processus d’objectivation des classes (ce qu’il appelle le « fétichisme politique »). Le citoyen profane se retrouve entièrement exclu du système politique et ne peut même plus exercer d’influence sur le pouvoir politique : la véritable concurrence à lieu à l’intérieur même de la sphère des professionnels. Après un premier processus de dépossession, le citoyen est trompé par la représentation politique. Les professionnels cherchent à l’éloigner de la sphère politique en substituant une image entièrement reconstruite de la politique, ce qui fit dire à P. Bourdieu « il n’est sans doute rien qui soit plus difficile d’accès que la quotidienneté politique ». Selon le même sociologue, le profane est manipulé et ne sert à l’homme politique qu’à être élu. Les professionnels cherchent donc à imposer leur propre représentation du monde social en développant un « capital symbolique ». Ils jouent sur leur apparence, et leur communication pour masquer l’opacité dans laquelle ils conservent la vie politique. Le citoyen reçoit donc une image tronquée et déformée de la réalité politique qui affaiblie encore sa position de profane, qui l’isole de plus en plus ce qui constitue un cercle vicieux individualiste qui creuse l’écart entre dominants et dominés. Cette puissance des professionnels est une des conditions sociales du fonctionnement du champ politique bourdieusien, il repose sur « une exclusion, sur une dépossession ». Une phrase de Bourdieu résume ce processus : « Plus le champ politique se constitue, plus il s’autonomise, plus il se professionnalise, plus les professionnels ont tendance à regarder les profanes avec une sorte de commisération ». Les citoyens subissent donc une exclusion progressive et calculée de la part des professionnels qui consiste à isoler des citoyens les hommes politiques. Les citoyens n’ont plus aucune prise sur la vie politique, ils n’influent aucunement sur le pouvoir auquel ils ont légalement droit. Quant aux hommes politiques, ils possèdent les pleins pouvoirs et peuvent, eux exercer une réelle influence politique. Mais ils doivent aussi prendre en compte d’autres agents dominants qui possèdent une influence réelle sur le pouvoir politique. 6 Ces agents dominants dont le poids politique est de plus en plus grand sont les journalistes et les sondeurs. Les médias et sondages représentent pour les hommes politiques de véritables instruments de communication parce qu’ils touchent les citoyens dans leur quotidien. Ils contribuent à conforter les profanes dans une situation de dominés. Par exemple, en créant la notion d’opinion publique, totalement subjective ; cette notion repose sur le même effet performatif qui est utilisé pour diviser la société en classe et déposséder les citoyens de leurs pouvoirs. Bourdieu parle d’un « lien qui exerce des contrôles sur les autres champs de production culturelle ». Les médias sont donc des acteurs agissants du champ politique: ils détiennent « le monopole sur les instruments de production et de diffusion à grande échelle de l’information ». Il est donc particulièrement intéressant pour les hommes politiques de s’immiscer dans le champ journalistique pour continuer d’exercer leur domination sur les profanes parce qu’il permet de les influencer sur plusieurs fronts. Les journalistes, sondeurs et hommes politiques réunis forme une élite dominante qui rassemblent des intérêts communs, c’est pourquoi ils unifient leurs discours de manière à ne présenter d’un seul type de divisions sociale, une seule interprétation des interactions dans l’environnement social. Ils réalisent donc une nouvelle construction sociale de la réalité, un « effet de réel » que la télévision en particulier contribue à relayer. Bourdieu, Postman et Kellner parlent de l’établissement « des principes de division du monde, de lunettes telles que les gens voient le monde selon certaines divisions ». Un effet de censure invisible conjugué à un phénomène de mimétisme homogénéise le discours social pour aboutir à ce qu’Ansolabehere, Behr et Iyengar appellent une « spectacularisation et une personnalisation de la politique médiatisé ». Le citoyen est éloigné des véritables débats d’idées, il n’est pas informé (objectivement), mis à la marge du questionnement politique et réorienté vers des questions futiles de représentation. Les conséquences de cette évolution du journalisme « nui[sen]t au développement d’une opinion publique éclairée » écrit Bennett. Mais les journalistes et sondeurs cherchent aujourd’hui à se détacher de la classe politique, à s’autonomiser. En effet les médias, commentateurs de la vie politique possèdent aujourd’hui un instrument si puissant qu’’ils peuvent s’en servir à des fins tout autres : ils répondent de plus en plus à des intérêts financiers et commerciaux. Ces journalistes agissent au niveau de l’interprétation des évènements, par exemple le vote qui est aujourd’hui une pratique ritualisé n’a pas toujours de signification politique profonde. P. Lehingue explique que les commentateurs « imposent un sens ex post aux suffrages » totalement arbitraire qui participe de la manipulation des citoyens. De même les comparaisons avec d’autres évènements sont toujours fabriquées. Le sociologue prend l’exemple des électeurs du Front National en expliquant qu’ils « ne votent pas de manière unifiée 7 et justifiée par des considérations politiques identiques », c’est pourtant bien ce que les exégètes font en construisant un « électorat F.N. ». Le même détachement s’est effectué de la part des instituts de sondage : jusque dans les années 1990, les sondeurs reprenaient les découpages sociaux formés par les hommes politiques, mais peu à peu ils se sont affirmés, développant le thème de la « crise de la représentation » pour mettre en avant des causes nouvelles, sans réponses des politiques. Les journalistes et sondeurs prétendent constituer une voix alternative plus proche des citoyens, à leur disposition, comme des agents de subversion mais les interprétations et découpages nouveaux qu’ils imposent restent artificiels et arbitraires et utilisent les mêmes procédés que les partis politiques ; le but de cette manipulation restant toujours le même quels qu’en soient le motif : détourner les citoyens du pouvoir politique. Mais de plus en plus de profanes critiques tentent de s’élever contre cette dépossession. Les citoyens peu à peu prennent conscience du processus d’objectivation des divisions sociales, de leur dépossession du pouvoir politique par et au profit de d’élites dominantes et tentent de se réapproprier de manière différente la politique afin, cette fois ci d’agir concrètement dans la vie politique. Deux orientations principales se présentent au profane qui refuse cette manipulation : une nouvelle forme de militantisme la plupart du temps en dehors des partis, ou un engagement dans l’action concrète. Pour une partie de la population, se réapproprier la politique, passe par l’investissement dans une nouvelle forme de militantisme. C’est en particulier le « nouveau citoyen » qui ne s’investit plus dans la longue durée mais ponctuellement, plus sur un programme complet mais sur un sujet précis, plus pour une amélioration durable de la société mais pour son bien être personnel. On assiste à la multiplication et à une spécialisation des partis (défense de l’environnement, des handicapés, des anciens combattants, et autre buts parfois plus anecdotiques). Cette nouvelle configuration rend les partis, organisation syndicales et associations moins stables, constamment à la recherche de nouveaux adhérents. Cette mutation des partis en a également profondément métamorphosé le fonctionnement. Il ne s’agit plus d’accéder au pouvoir, mais de faire entendre ses positions à « l’opinion publique », à l’intérieur du parti, le fonctionnement délibératif est omniprésent pour aboutir à des consensus, on fait place à la parole de chacun de manière à équilibrer les débats. De cette manière le citoyen essaye d’orienter le pouvoir politique en devenant véritablement acteur au sein de son parti, mais il ne faut pas oublier cependant que les hommes 8 politiques, ont toujours plus d’influence que le simple adhérent et que ce dernier ne pourra influer que modérément sur le programme et le discours du parti. Parallèlement, l’engagement des citoyens dans les associations, organisation alternatives, et à moindre échelle les syndicats, sont en recrudescence. Ce qui confirme une prise de conscience et un refus de la passivité face à une classe dominante toute puissante. Ces organismes ne sont pas toujours en lien direct avec la classe politique, mais sont crées pour représenter un contre poids non seulement face aux gouvernements mais face à toute la sphère politique, souvent à la suite de conflits sociaux. Par exemple depuis la circulaire de N. Sarkozy du 13 juin 2006 incitant les ressortissants étrangers en situation irrégulière à se déclarer auprès des préfectures afin d’être soit régularisés (pour une minorité) soit expulsés, de nombreux collectifs ont été crées et les citoyens opposés à ce texte ont pu s’y investir. Les succès d’organisation alternatives comme Act up ou Attac! sont également bien connus. L’avantage que présentent ces organisations ciblées réside dans l’encadrement, l’information qu’elles proposent aux citoyens et dans la spécificité de l’engagement. Ainsi le militant, s’investit pour une période relativement courte sur un sujet qui le touche, et peut à tout moment quitter l’organisation. Ce qui convient tout à fait aux demandes du « nouveau citoyen ». La structure du syndicat, plus ancienne, presque le pendant du parti, est moins apprécié du fait de sa rigidité. Cependant, ces organisations restent actives et demeurent un moyen de contestation plus solide que les autres. Mais, ce qu’on comprit les profanes, c’est qu’ils ne pourront avoir aucun poids s’ils sont isolés. C’est pourquoi avant l’engagement dans un parti, une association, un syndicat ou toute autre structure, ils favorisent des moyens de réflexion collective, ils consolident ainsi la première voie d’appropriation politique à leur disposition. En effet, les comités de quartiers, les conférences de consensus, les sondages d’opinion délibératifs (tels que conçus par Fishkin) se multiplient, ces groupements autonomes qui n’ont pas de statut légal permettent la plus basique des participations politiques : la réflexion. Ces cadres d’échanges permettent la circulation d’informations, l’interaction, la délibération dans le but d’acquérir un sens critique et une autonomie de pensée envers la classe politique. On pourrait parler de réappropriation fondamentale de la politique. Il semble donc évident au regard de la multiplication des engagements que les citoyens aient décidés d’interagir de nouveau dans le pouvoir politique en développant une distance critique par rapport aux discours des hommes politiques, des médias et sondeurs. Mais le simple militantisme de réflexion ne suffit pas toujours. De plus en plus le nombre de manifestations et d’actes contestataires augmente, mais ils ne signifient pas chaque fois la même chose ; ce moyen de faire de la « politique autrement » peut 9 résulter d’une simple opposition ponctuelle ou également être le seul moyen d’expression des marginaux. Les moyens de manifester son mécontentement sont multiples et peuvent revêtir des formes très diverses comme l’explique E. Darras qui les nomme « action politiques non conventionnelles ». Collectives ou isolées, symboliques, non violentes, préméditées ou spontanées, légales, illégales ou illégitimes, sont autant de caractères qui traduisent la multiplicité de telles actions. La seconde remarque que fait l’auteur de La politique ailleurs concerne les acteurs de ces mouvements de protestations, qui sont très variés : des « classes populaires » aux intellectuels et artistes engagés. Ces actions directes sont un refus immédiat de dialoguer. Elles ont pour but de faire entendre une revendication, le plus souvent lorsque les moyens institutionnels de négociations ont échoués ou qu’aucun cadre n’est offert au citoyens pour s’exprimer. Si l’on prend l’exemple de la mobilisation contre le C.P.E. et la loi sur l’égalité des chances du début d’année, elle représentait pour les lycéens et étudiants à la fois un moyen de se faire entendre par le gouvernement qui ne répondait pas à leurs attentes et revendications, une manière de peser activement et concrètement par l’unité et le nombre à la vie politique et un moyen de chercher des appuis en dehors du cercle politique. Mais c’était également un refus de l’autorité incarné par les institutions politiques, aspect que l’on ne retrouve pas, par exemple dans des actions de survie comme la grève de la faim des sans papiers de Cachan. Les motifs, motivations, sens, buts de tels actes sont donc aussi variés que le nombre de mobilisations mais ne sont tous pas moins des actes de pression politique. Mais les manifestations, sit-in, insoumissions, grèves (formes « traditionnelles ») ne sont pas les seuls moyens de contestation. Dans d’autres domaines, apparemment pas touchés par la politique des actes peuvent avoir les mêmes incidences que les actions politiques précédemment décrites. E. Darras, critique le fait que les sociologues qui l’on précédés n’aient pas tenue compte de réalisation comme les tags, mouvement rap, vandalisme, qu’il considère comme des moyens de refus au même titre que les autres. Dans tous les domaines, il est possible d’agir politiquement, la culture s’y prête particulièrement bien (effet de la publication de « J’accuse » d’E. Zola pendant l’affaire Dreyfus), rôle des chants révolutionnaires et partisans, c’est l’accumulation de provocations qui créent une pression sur la classe politique. Le domaine économique peut également se prêter à certains actes de contestation grâce à des lobbies. Tous les citoyens peuvent donc agir dans tous les domaines, le but étant de faire pression sur les dominants de plusieurs manières simultanément afin d’imposer ses revendications. Enfin, il existe une troisième manière d’intégrer la sphère politique afin d’y exercer un pouvoir : l’action violente. Les enlèvements, séquestrations, attentas, assassinats sont une manière d’interpeller les hommes politiques et les médias pour exercer un véritable chantage et inverser le 10 rapport de force dominant/dominé. Ce type d’action extrémiste, souvent l’œuvre de groupes organisés, dont les Brigades Rouges sont un des exemples les plus célèbres, n’ont pas pour objectif de s’attirer la sympathie des citoyens mais plutôt de choquer afin de provoquer une prise de conscience. L’action violente, illégitime et antidémocratique que les dominants sont obligés de considérer sont très peu analysés en sociologie bien qu’ils soient de plus en plus présents dans notre quotidien (attentats du 11 septembre 2001, assassinats politiques -Pim Fortuyn au Pays-Bas, Anna Lindh ministre des affaires étrangères suédoise-,…). On peut se demander si la recrudescence de ces actes violents sont liés à un durcissement de la position des dominants, à des désillusions politiques ou à un renforcement de l’exclusion des plus faibles,… Il existe donc de nombreux moyens, pour les citoyens, de se réapproprier la politique, de faire pression sur les dominants, en somme d’exercer un contre pouvoir. La première étape de ce processus semble une prise de conscience et une distanciation par rapport au discours des dominants. Cependant tous les citoyens n’ont pas la possibilité, de par leur éducation, leur socialisation, leurs conditions de vie, (…) de développer cette réflexion critique. Les profanes lucides constituent donc une nouvelle élite privilégiée. L’individu se trouve théoriquement au cœur de la compétition pour l’approche ou l’exercice du pouvoir, par sa réflexion et sa participation à la vie politique. Mais il est dépossédé de sa capacité de penser la politique par une manipulation et une désinformation exercée par les professionnels dominants que sont les hommes politiques et les médias. Il se détourne alors automatiquement des urnes et autre moyens démocratiques mis à sa disposition pour exprimer sa souveraineté. Les citoyens les moins favorisés, dotés d’un faible capital culturel, sont happés par cette logique, tandis que ceux dotés d’un meilleur capital culturel forment une élite capable d’avoir une distance critique vis-à-vis du discours des dominants, qui se rebelle en se réappropriant de diverses manières la politique. Il existe dont une répartition très inégales et très limitée du pouvoir politique entre les citoyens qui se divisent entre dominants et dominés, mais également entre dominés favorisés et dominés défavorisés. Pour que le rapport de force entre les deux premières divisions soit inversé et que les profanes puissent avoir accès au pouvoir au même titre que les professionnels, les dominés les mieux dotés culturellement ne doivent pas reproduire le même schéma de domination avec les plus faiblement dotés. Mais comment éviter ce processus dans une société aussi individualiste que la nôtre ? 11 12