1
Bérénice Crunel
Groupe 1
Mardi 15h10-16h40
La Politique est elle l’affaire de tous ?
Pour la sociologie, la politique est, à l’image de la société, un domaine d’interactions, de
luttes entres les individus. Plus encore, la politique semble être un épicentre des compétitions
sociales, un concentré violent des rapports de force entre les individus dont le pouvoir est l’enjeu
suprême.
La sociologie contemporaine définie la politique comme une compétition à laquelle se livrent
des individus et des groupes pour exercer ou influencer le pouvoir politique. Nous nous
intéresserons ici à ces interactions dans le cadre précis des sociétés occidentales contemporaines,
démocratiques où le peuple détient la souveraineté.
La question à laquelle nous sommes confrontés, -la politique est elle l’affaire de tous?-,
présuppose qu’une partie de la population, sujette de cette politique, n’y aurait pas accès. Pourtant
si nous considérons les principes de la démocratie athénienne, à la base de cette notion, ils sont
fondés sur l’interaction, le débat entre tous les sujets de la cité, qui constituent la politique. Mais si
nous considérons l’évolution actuelle de notre société, avec les constats d’une abstention de plus en
plus grande aux élections, d’un sintérêt grandissant pour la vie politique et d’un fort
désengagement politique et syndical, la question des individus concernés par la politique se pose à
nouveau. Parallèlement, nous assistons à une recrudescence du nombre des manifestations, des
actes protestataires, des revendications. Ce qui nous amène à poser le problème soulevé par cette
question de la manière suivante :
Dans quelles mesures l’individu possède t-il les possibilités de réflexion et d’action sur la
Politique ?
Dans un premier temps, nous y répondrons en réfléchissant sur le rôle du citoyen, qui, par
essence est défini en fonction de la politique. Puis, dans un second temps nous nous interrogerons
sur les rôles des professionnels de la politique pour étudier dans quelles mesures ils ne contribuent
pas à déposséder les citoyens de la « chose politique ». Enfin, dans un troisième temps, nous
chercherons comment et à travers quels moyens, les citoyens tentent-ils de se réapproprier la
Politique.
2
Dans la démocratie française, en plus d’une appartenance nationale, de droits et devoirs, la
qualité de citoyen inclue aussi « la participation à la vie publique », notamment la participation à la
vie politique. Ce rôle n’est pas seulement défini par l’action (le vote en particulier), mais aussi par
une réflexion qui constitue la matière essentielle du citoyen. Mais en est il toujours ainsi dans la
réalité ?
La réflexion politique semble donc constituer l’essence même du citoyen.
Dans la Grèce antique, la réflexion politique et l’implication dans la vie de la cité semblent
faire partie sinon d’une culture, d’une éducation. En effet, à Athènes, le citoyen est celui qui
participe aux décisions de la cité (lois, guerre, justice, administration) et aux débats sur l’agora. La
cité est donc gérée par l’ensemble des citoyens, qui sont investis de la charge de conduire, de
mener la cité collectivement. La politique de gestion est donc le résultat de délibérations, elle est
l’aboutissement de consensus. Les conditions fondamentales au bon fonctionnement de la
démocratie sont donc une réflexion et un questionnement, certes collectifs, mais avant cela,
nécessairement individuels.
Bien des siècles plus tard, l’émergence des partis politiques, en proposant un programme
destiné à un groupe d’individus particuliers et défini, a structuré ou construit, selon les approches
que l’on considère, la société en classes et a synthétisé les réflexions politiques. Selon D. Truman
qui étudie ce phénomène dans The Governmental Process, political interests and public opinion,
le rôle des partis politiques réside principalement dans le recueil des résultats des compromis,
obtenus par la fragmentation de la société et l’entrecroisement des intérêts. La réflexion politique
individuelle ne se trouve donc plus totalement libre, elle est encadré et incluse dans le discours
d’un parti. Cependant cette structure permet aux citoyens de s’instruire et de compléter leurs
réflexions en leur fournissant matériaux (textes, informations,…) et outils (logique de
raisonnement, méthode d’argumentation,…). Dans les années 1960, A. Campbell et quelques
autres sociologues de l’université de Michigan, théorisent le concept de partisanship, qui définit
l’attachement durable à un parti. Cette stabilité et cette persistance d’opinion permettent, sur le
long terme de continuer à structurer les opinions et intérêts de chaque classe.
Mais, depuis les années 1970, la théorie du partisanship et le principe de fidélité d’un
individu à un parti tendent à être détrompés avec l’apparition du « nouveau citoyen ». P. Norris et
J. Ion prennent pour preuve la complexification, la fragmentation de la société et la multiplication
des revendications (à mettre en rapport avec un accès plus vaste à l’instruction) pour justifier l’idée
que le citoyen n’a plus besoin d’être représenté. À la différence de l’adhérent au parti, qui visait un
programme global et fédérateur, applicable sur le long terme aux grandes causes de la société, le
3
« nouveau citoyen » est caractérisé par un engagement éclaté, ponctuel et localisé. Ce nouveau
participant à la vie politique mène donc une réflexion autonome, en s’informant par lui-même sur
les sujets précis qui le touchent : il cherche des réponses à des problèmes multiples et précis, qui
correspondent aux réalités de son quotidien. Les partis, qui ne sont alors plus vecteurs
d’engagement se cherchent une nouvelle fonction dans la mise en place de systèmes délibératifs,
permettant aux citoyens d’échanger et de confronter leurs opinions et réflexions, effectuant ainsi un
retour au modèle antique.
Mais la réflexion politique, qui constitue une base essentielle pour le citoyen, ne lui permet
pas, sans une participation active, d’accéder à la compétition vers le pouvoir politique.
Le citoyen se constitue donc, par la réflexion, un capital qui lui permet de comprendre, sinon
de s’approprier la politique, mais c’est par la participation qu’il pourra réellement l’intégrer et
influer sur le pouvoir politique, en faire « son affaire».
La participation la plus évidente à la vie politique est le vote. C’est l’expression de la part de
souveraineté du citoyen qui constitue son essence et compte parmi ses droits essentiels. En 1893, la
Belgique a rendu le vote officiellement obligatoire conférant ainsi à la participation politique un
rôle essentiel. L’expression de cette part de souveraineté, bien réelle, conféré d’emblée au citoyen
par sa fonction, lui permet à son échelle d’influencer le pouvoir politique. Cependant les citoyens
étant très nombreux, leurs opinions élaborées en fonction de leurs intérêts, doivent être canalisés
par les partis politiques leur permettant ainsi de les affirmer globalement afin d’influencer plus
fortement le pouvoir politique. C’est la thèse de M. S. Lipset (développée notamment dans
« Cleavage Structures, Party Systems, and Voter Alignement : an introduction », Party Systems
and Voter Alignement : Cross-National Perspectives, rédigé en collaboration avec S. Rokkan) qui
va plus loin en démontrant le lien entre vote et clivage. Selon lui, le choix du vote, l’orientation de
cette participation est prédéfinie par les divisions sociales sur lesquelles les partis se basent pour
définir leur électorat. Ces électeurs choisissent donc d’exercer et d’influencer le pouvoir politique
par l’intermédiaire de représentants, ils adhèrent aux partis et pour certains, décident de s’investir
en y militant. Mais depuis trente ans ce modèle semble montrer ses limites.
En effet, depuis les années 1970, le processus d’identification partisane cline, les électeurs
et militants se détachent des partis, n’ont plus confiance en leurs représentants et votent par
considérations immédiates. Il s’agit de la « crise de la représentation » comme l’a nommée J.
Lojkine. Nie, Verba et Petrocik ont cherchés à expliquer ce phénomène à mettre en relation avec la
problématique du nouveau citoyen. Ils développent l’idée que l’avancée de l’éducation a permis
aux citoyens de s’autonomiser par rapport aux partis grâce à l’obtention d’un sens critique et d’un
4
raisonnement abstrait : ils forgent le modèle de l’électeur rationnel. M. Duverger explique que cet
éloignement est en partie au processus de centralisation des partis qui progressivement tendent
à s’organiser autour d’une oligarchie, s’éloignant ainsi radicalement de la base. Quant à
Keirchkeimer il impute cette désaffection à deux éléments. D’une part à la transformation des
partis en « partis-attrape-tout » (« catch-all parties »), mus par des intérêts financiers, qui élaborent
des programmes plus vagues et plus consensuels ; et d’autre part au développement de l’Etat
Providence (« Welfare state ») qui prend désormais en charge certaines fonctions jusqu’ici assurées
par les partis (aides solidaires). Les électeurs, et plus encore les militants, se sentent exclus et ne se
reconnaissent plus dans le discours des partis. Leur participation à la vie politique s’autonomise, ils
votent en fonction de considérations immédiates ou bien se désintéressent totalement de la vie
politique.
Le phénomène de l’abstentionnisme et ceux, moins médiatisés des votes blancs et nuls
traduisent un déclin de la participation politique. A. Percheron puis A. Muxel étudient ces
tendances en les interprétants à travers l’environnement social du citoyen et par le processus de
socialisation. A. Muxel propose deux explications complémentaires : d’une part elle décrit les
abstentionnistes « hors-jeu », ce sont ceux qui ne s’intéressent pas à la vie politique par manque de
socialisation primaire (socle stable de codes qui constituent la personnalité sociale, inculqué dans
la petite enfance principalement par la famille). Ils ne peuvent pas interpréter les évènements qui
les entourent. D’autre part, la sociologue étudie les abstentionnistes « dans le jeu », ce sont ceux
qui sont fortement intéressés par la vie politique, qui ont bénéficiés d’une socialisation primaire
mais dont la socialisation secondaire (série d’évènements politiques qui marquent la personne
sociale) est insuffisante. Cet abstentionnisme n’a qu’un caractère temporel. Le déclin de la
participation politique résulte également d’une succession de désenchantements politiques qui
commencent dans les années 1970 : la fin des grandes illusions communistes, la mise en évidence
des limites du capitalisme, l’absence de modèle alternatif crédible : tous ces évènements d’actualité
contribuent au désenchantement puis à l’auto exclusion des citoyens de la politique.
La désaffection des citoyens pour les journaux et autres médias d’information et de débats
politiques conforte l’interprétation selon laquelle les citoyens s’auto-excluent de la vie politique en
n’y participant pas activement et en ne faisant même plus l’effort de mener une réflexion politique.
En somme, si originellement la réflexion et la participation politique font parti intégrante du
rôle de citoyen, nous constatons de plus en plus un désintérêt et un éloignement de la part des
électeurs. L’information, la réflexion et la participation à la vie politique devient donc de plus en
plus le propre d’élites. D’autant plus que si le citoyen peut voter, tous les individus ne sont pas
5
citoyens : dans l’antiquité, les esclaves et les femmes, avant 1944, les femmes françaises,
aujourd’hui, les étrangers non nationalisés n’ont pas le droit de vote et donc pas de moyen de peser
concrètement dans les rapports de force politiques. De plus le citoyen, en votant, peut, certes,
influer sur le pouvoir politique mais il ne peut l’exercer pleinement. Cette faculté devient donc le
propre de catégories favorisées qui sont plus puissantes que les autres citoyens. Nait alors l’idée
d’une hiérarchie entre les individus.
Le principe d’objectivation des classes implique de lui-même une relation sociale
dominant/dominé qui structure la société et crée une hiérarchie entre les citoyens. L’existence
d’une élite plus puissante que la masse suppose une répartition des pouvoirs politiques inégale.
L’élite politique la plus puissante est bien évidement celle des hommes politiques.
Cette division de la société à été étudiée et analysée par M. Weber notamment dans son
« Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive » (dans Essai sur la théorie de la
science). Weber fait d’abord la distinction entre ceux qu’il appelle dominants et les dominés. Les
dominants, également nommés « professionnels » sont ceux qui objectivent les divisions sociales
dans le but de s’assurer une position politique plus avantageuse : les hommes politiques sont au
premier rang de ceux-ci. Ils construisent la problématique politique gitime qui définie ceux qui
méritent, selon eux, une prise en charge politique qu’ils se chargeront de représenter en même
temps qu’ils assureront leur pouvoir. Les dominés, ou profanes, sont les citoyens ordinaires qui
subissent la problématique politique légitime, ce qui, par le caractère arbitraire des divisions,
constitue une violence symbolique. Les professionnels, qui se trouvent au cœur de la vie politique,
sont de véritables acteurs qui exercent le pouvoir politique, ils « font » de la politique. Ils sont donc
entièrement intégrés au système politique qu’ils contribuent à faire fonctionner, grâce aux des
bases stables que constituent la croyance en la gitimité et l’acceptation de la relation de
domination par les citoyens. Il ne faut, cependant, pas oublier que sans l’appui des profanes et
l’intérêt qu’ils trouvent à être représentés de cette manière, les hommes politiques n’existeraient
pas.
Mais, si, en effet, la domination des professionnels est impensable sans les profanes, ces
citoyens sont peu à peu dépossédés de la politique par ces mêmes hommes qu’ils ont élus. C’est
l’interprétation de P. Bourdieu qui dénonce l’utilisation d’un vocabulaire économique pour parler
de la politique (« le marché politique », « des produits mis sur le marché », comparaisons
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !