Vaccination Rougeole : vers une 4e vague épidémique ? La vulnérabilité des 15-30 ans non protégés Aujourd’hui, la rougeole n’est plus seulement une maladie de l’enfance. On observe une recrudescence des cas de rougeole avec un décalage d’âge Dr Hervé Lefèvre Pédiatre, Paris au dépend des adolescents et des jeunes adultes. Ainsi, la moitié des cas en 2010 concernait les 15 ans et plus. Près d’un cas sur deux chez les 20-29 ans était hospitalisé. Au cours des dernières semaines de décembre 2011, l’augmentation du nombre de cas déclarés de rougeole a fait évoquer la survenue d’une possible 4e vague épidémique en ce début d’année. La vigilance s’impose donc pour lutter contre, en vérifiant que toute personne née après 1980 est bien protégée par 2 doses de ROR, et en ciblant tout particulièrement les 15-30 ans. Données épidémiologiques La rougeole est une infection à Morbillivirus dont l’homme est le seul réservoir. Elle atteint dans le monde plus de 30 millions d’enfants, et reste la principale cause de décès (875 000 décès par an) par maladie à prévention vaccinale. En 2000, en Europe, 959 000 cas, dont 7 000 décès, étaient rapportés. La rougeole est une des maladies virales les plus contagieuses. Une personne atteinte peut en contaminer de 10 à 15, par comparaison à une personne grippée qui en contaminera de 1 à 3. En 1985, soit 2 ans après le début de la vaccination antirougeoleuse, l’incidence de la rougeole en France était 16 000 d’environ 300 000 cas par an. Elle a progressivement diminué pour atteindre environ 10 000 cas en 2003 et moins de 4 500 en 2004. Depuis le 1er janvier 2008, plus de 22 000 cas de rougeole ont été déclarés en France (Fig. 1). La 3e vague épidémique de grande ampleur a atteint son pic en mars 2011. Pour l’année 2011, près de 15 000 cas ont été notifiés (soit le double du nombre de cas de l’année précédente), parmi lesquels 16 ont présenté une complication neurologique, 650 une pneumopathie grave et 6 sont décédés. Ces années-là, près d’un cas déclaré sur 3 était hospitalisé, et concernait alors dans plus de 8 cas sur 10 les moins de 1 an et surtout les plus de 20 ans. C’est aussi pour ces deux catégories d’âge que le nombre de cas a augmenté. 14 000 12 000 10 000 8 000 6 000 4 000 2 000 0 2007 2008 2009 2010 2011 Figure 1 - Nombre de cas de rougeole par an en France depuis 2007. Le réseau sentinelle a, en ce sens, observé que la proportion de patients de plus de 10 ans est passée de 13 % en 1985 à 62 % en 2002. L’âge médian des cas était de 13 ans en 2008, et le nombre de cas chez les plus de 30 ans était quant à lui de 6 %. Cette recrudescence en France est secondaire à l’insuffisance de la couverture vaccinale. En ce sens, l’enquête sérologique nationale réalisée en 1998 a montré Adolescence & Médecine • Juillet 2012 • numéro 4 que 5 % de la population âgée de 15 à 19 ans n’était pas protégée contre la rougeole à cette période. L’étude des cas déclarés en 2008 et 2010 chez des sujets dont l’état vaccinal est connu montre (Tab. 1) que la proportion de cas de rougeole chez des sujets vaccinés avec une dose, variait significativement avec l’âge et concernait 22 % des adultes âgés nés entre 1980 et 1991. L’histoire des recommandations vaccinales antirougeole bb1983-2005 • 1983 signe le début de la couverture vaccinale par une dose, diminution de la circulation virale. Il y a constitution d’une population réceptive. • 1996, on recommande une seconde dose de ROR dans le calendrier vaccinal, rattrapage des 5 à 10 % des enfants vaccinés non répondeurs à la première dose. • 1997, il y a abaissement de l’âge de vaccination entre 3 et 6 ans. • 2005, la France participe au plan d’élimination de la rougeole et de la rubéole congénitale (OMS). On recommande une administration plus précoce des 5 Vaccination 2 doses vaccinales du ROR de la première dose chez l’enfant à 12 mois et la seconde dose avant 2 ans, afin de protéger l’ensemble de la population et obtenir un taux < 5 % de sujets réceptifs. Le nombre de doses concernait ainsi variablement les sujets selon l’âge. Tableau 1 - Proportion des cas déclarés selon le statut vaccinal en 2008 et 2010. 2 doses 1 dose 0 dose % de cas déclarés en 2010 3 12 84 % de cas déclarés en 2008 2 9 88 bbEn 2010 • Vacciner les enfants : Figure 2 - Peau d’un patient 3 jours après l’infection. - avec une 1re dose de ROR à partir de 1 an, (9 mois s’il est gardé en collectivité) ; - avec une 2de dose de ROR avant 2 ans (entre 12 et 15 mois en collectivité), pour qu’il soit protégé. • Vérifier et proposer l’administration de 2 doses de vaccin ROR pour toute personne née après 1980. • Respecter un délai d’un mois entre les 2 injections. • Proposer 1 dose de ROR pour les personnes nées avant 1980, non vaccinées et sans antécédent de rougeole (ou dont l’histoire est douteuse), exerçant les professions de santé, en charge de la petite enfance (en cas de doute sur une vaccination ou sur une rougeole, la vaccination peut être réalisée sans contrôle sérologique). • Proposer systématiquement, en présence de cas groupés, des recom- mandations vaccinales au sein même des collectivités de vie associant la vaccination post-exposition et rattrapage vaccinal des sujets réceptifs. Données de pharmacovigilance Le vaccin trivalent a un profil de sécurité d’emploi comparable à celui de l’administration isolée des vaccins monovalents. Des réactions bénignes et transitoires au site d’injection sont 6 ©CDC/Dr.Heinz.F.Eichenwald Les enquêtes de séroprévalence et d’incidence de la rougeole ont montré que 8 % des 19-30 ans étaient réceptifs à l’infection. En prenant en compte l’ensemble des données épidémiologiques actualisées, les perspectives d’un rattrapage avec une 2e dose, il est désormais recommandé à partir d’un calendrier vaccinal simplifié par rapport à celui de 2005, de : fréquentes. Une réaction fébrile > 39°C est observée chez 5 à 15 % des sujets vaccinés. Le risque de convulsions fébriles est de 30 cas/100 000 et de PTI de 1 cas/30 000. Les effets secondaires associent le plus souvent une fièvre et une éruption cutanée débutant 5 à 12 jours après la vaccination. Le vaccin est efficace et bien toléré. La protection complète n’est obtenue qu’après 2 injections de ROR. Il est remboursé à 100 % par l’Assurance Maladie jusqu’à 18 ans, et au moins à 65 % pour les autres assurés. Diagnostics clinique et biologique bbContage Il s’agit d’une infection virale hautement contagieuse, directement par voie aérienne, à partir d’une personne malade, et plus rarement à partir d’objets contaminés. La phase de contagiosité s’étend de 5 jours avant l’apparition des premiers symptômes à au moins 5 jours après le début de l’éruption (Fig. 2). une catarrhe oculo-respiratoire avec malaise général et asthénie. Le signe de Köplick est pathognomonique, mais inconstant. Il apparaît vers la 36e heure mais disparaît après le début de l’éruption. Le délai moyen d’apparition de l’éruption est de 14 jours après contage (718 jours). Il s’agit d’une éruption maculo-papuleuse qui débute à la tête, s’étend progressivement de haut en bas et vers les extrémités en 3 jours. La rougeole est souvent une maladie sans gravité accompagnée d’une asthénie durable, les complications les plus fréquentes sont la diarrhée et les otites moyennes aiguës. Elle donne parfois lieu à des complications plus sévères dont la pneumonie chez l’enfant (2 à 7 %) et l’encéphalite aiguë chez l’adulte (1/1 000). Les formes compliquées concernent les sujets de moins d’un an et de plus de 20 ans. Un cas de décès par encéphalite est survenue en 2009. En 2006, la fréquence des décès en Europe était de 0,7/1 000 cas. bbManifestations cliniques La durée d’incubation est de 10 à 12 jours. La phase d’invasion dure 2 à 4 jours associant une fièvre à 38,5°C, bbDiagnostic biologique La rougeole n’est pas la seule maladie à éruption morbilliforme et nécessite, Adolescence & Médecine • Juillet 2012 • numéro 4 Les vaccins de l’adolescent Conduite à tenir par le médecin face à un cas de rougeole Depuis 2005 la rougeole est une maladie à déclaration obligatoire (MDO). Sa confirmation biologique est un élément de surveillance essentiel. 1. Le signalement doit être réalisé sans delai par les cliniciens et les biologistes qui suspectent (critères cliniques) ou diagnostiquent (critères biologiques) un cas de rougeole au MISP de la DDAS, par tout moyen approprié (téléphone, fax). Il peut être signalé à partir de la fiche de notification obligatoire, même si elle est incomplète au départ. Critères de signalement • Cliniques : association d’une fièvre O 38,5° C, une éruption maculopapuleuse et au moins un des signes suivants : conjonctivite, coryza, toux, signe de Koplik. • Biologiques, en l’absence de vaccination antirougeoleuse au cours des 2 mois précédents : - détection d’IgM spécifiques de la rougeole dans la salive ou le sérum ou ; - séroconversion ou élévation (x 4) du titre des IgG sériques entre la phase aigûes et la phase de convalescence ou ; - détection du virus par PCR sur prélèvement sanguin, rhino-pharyngé, salivaire ou urinaire ou ; - culture positive sur prélèvements sanguin, rhino-pharyngé, salivaire ou urinaire. 2. La confirmation biologique des cas suspectés cliniquement est désormais un élé- Figure 3 - Feuille de déclaration obligatoire. ment essentiel de la surveillance. Tableau 2 - Définition des sujets contacts. 3. La notification obligatoire est établie et disponible par téléchargement (https:// www.formulaires.modernisation.gouv.fr/gf/ cerfa_12554.do) (Fig. 3). 4. Mesures à prendre par le médecin en charge du malade : a. identifier la source de contamination : notion de contage dans les 7 à 18 jours avant le début de l’éruption ; b. éviction de la collectivité du malade (confirmé ou pas) pendant la phase de Personnes ayant côtoyé le malade pendant sa période de contagiosité, soit 5 jours avant et jusqu’à 5 jours après le début de l’éruption. • Contacts proches : - entourage familial (personnes de la famille vivant sous le même toit) ; - enfants et adultes de la même section en crèche ou halte-garderie ; - enfants et adultes exposés au domicile de garde quand celui-ci est gardé par une assistante maternelle. • Contacts dans les autres collectivités. • Toutes personnes, enfants ou adultes, ayant partagé la même collectivité, notamment : école, collège, lycée, internat, lieu de travail. • Toutes personnes ayant fréquenté de manière concomitante les mêmes locaux que le malade (classe, cantine, dortoir, bureau…), quelle que soit la durée. Adolescence & Médecine • Juillet 2012 • numéro 4 7 Vaccination contagiosité (jusqu’à 5 jours après le début de vaccination, ou d’antécédent noté (lavage des mains, aération régulière de la de l’éruption), surtout vis-à-vis des sujets de rougeole, la personne est considérée chambre etc.). En cas d’hospitalisation né- non vaccinés ou n’ayant pas fait la rou- comme non immunisée et potentiellement cessaire, prévenir l’équipe hospitalière de geole ; réceptive à la rougeole. l’arrivée d’un cas de rougeole pour la mise c. recherche d’autres cas dans l’entourage en place des mesures préventives. familial par l’interrogatoire, que ce cas soit 5. Prise en charge en ville confirmé ou non et ce dans les 24 heures Traitement symptomatique et étiologique La vaccination, si elle est réalisée dans qui suivent le signalement ; des complications peu sévères, associé à la les 72 heures qui suivent le contact avec d. vérification du statut vaccinal et vacci- surveillance du patient. Si l’état du patient un cas, peut éviter la survenue de la ma- nation si nécessaires des sujets contacts et son environnement le permettent, retour ladie, justifiant la mise en œuvre précoce (Tab. 2). En l’absence de carnet de santé, au domicile où il devra garder la chambre et rapide de ces actions. compte tenu de sa moindre incidence, d’être confirmée biologiquement pour mettre en place les mesures préventives autour de cas. Il existe deux moyens. - par méthode ELISA, les IgM spécifiques sont détectées au moment de l’éruption et jusqu’à 60 jours plus tard. Les IgG apparaissent peu après ; - une sérologie négative dans les 3 premiers jours de l’éruption doit être confirmée 8 jours plus tard ; - il est nécessaire de s’assurer de l’absence de vaccination anti-rougeole dans les 2 mois précédant ce prélèvement. La détection par PCR dans le rhynopharynx, les lymphocytes… de l’ARN viral est réalisable de quelques jours avant le début de l’infection à 12 jours après. descence des cas de rougeole chez des sujets plus âgés, modifiant le statut de la rougeole d’une fièvre éruptive de l’enfant à celle aussi de l’adolescent et de l’adulte jeune. L’augmentation du pourcentage de la population réceptive par insuffisance de la couverture vaccinale est à la source de cette récidive, de même que la possibilité de transmission en milieu de soins, et la méconnaissance du signalement et des actions associées. Aussi, notre participation médicale active à la campagne de prévention en recommandant le ROR selon un calendrier simplifié : « né(e) après 1980 : 2 doses de ROR », doit elle permettre de revenir à un niveau d’infection maîtrisé, avant la dissémination rapide du virus à une population exposée et à risque de complications potentiellement graves. l A partir de la salive A partir d’un prélèvement de salive (kit salivaire) (non invasif ), délivré par la DDASS et à adresser au CNR et des paramixoviridae respiratoires par enveloppe pré-affranchie. Il s’agit de l’approche alternative recommandée par le plan d’élimination de la rougeole : - à partir d’un écouvillon mousse que l’on passe sur la gencive pendant une minute ; - permet la recherche d’ARN viral (PCR) et des IgM et IgG spécifiques ; - les résultats peuvent être adressés au médecin prescripteur et à la DDASS en moins de 3 jours ; - il est nécessaire de s’assurer de l’absence de vaccination anti-rougeole dans les 2 mois précédant ce prélèvement. Par sérologie Par sérologie sur prélèvement de sang : - technique la plus simple si résultat obtenus en 3 jours ; L’intérêt des immunoglobulines polyvalentes en post-exposition à un cas confirmé est évalué au cas par cas, chez des sujets à risque, en lien avec un service hospitalier (pédiatrie, infectiologie) et elles doivent être administrées dans les 6 jours qui suivent le contage, par voie IV, pour une protection estimée d’un mois. Il est recommandé au décours, après un délai d’au moins 3 mois, une vaccination par le vaccin trivalent. Conclusion La circulation très active du virus depuis 2008 s’accompagne d’une recru- Mots-clés : Rougeole, Vaccination, Epidémie, France, Recommandations, ROR pour en savoir plus • Parent du Châtelet I, Antona D, Freymuth F et al. Spotlight on measles 2011/n°10-11. 2010: Update on the ongoing measles outbreak in France, 2008-2010. • INPES. Recrudescence en France de la rougeole. Mars 2009. http:// Euro Surveill 2010 ; 15. www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1172.pdf. • Gaudelus J, Cohen R, Lepetit H et al. Vaccinoscopie : couverture • InVs. Extrait du calendrier vaccinal. http://www.ars.paca. vaccinale chez les adolescents en 2009. Méd.Enf 2010 ; 387-91. sante.fr/fileadmin/PACA/Doc/Actu_2011/Rougeole/Rougeole_ •8InVs. Nouveau calendrier vaccinal : haro sur la rougeole. BEH 22 mars CalendrierVaccinal-2011.pdf. Adolescence & Médecine • Juillet 2012 • numéro 4