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INTRODUCTION
La participation de la population, et en particulier celle des pauvres, est aujourd’hui considérée comme
une des conditions de réussite des programmes de développement. La mise en œuvre d’un processus
participatif pour l’élaboration des Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP)
constitue notamment un des principes novateurs de l’initiative lancée fin 1999 par les Institutions de
Bretton Woods (Cling, Razafindrakoto et Roubaud, 2002 ; Tungodden, Stern et Kolstad, 2004). Cette
initiative qui place la réduction de la pauvreté au centre des nouvelles stratégies de développement
préconise la prise en compte du point de vue de la population (Banque mondiale, 2001). Une telle
démarche vise à mieux cerner les besoins ainsi que les aspirations et permet d’obtenir l’adhésion des
citoyens (« ownership ») aux politiques. Notre analyse s’inscrit dans ce cadre en recueillant et en
relayant l’opinion des individus dans un pays pauvre, Madagascar. Trois vagues d’enquêtes
successives originales ont interrogé la population sur les types de régimes politique et économique
qu’elle juge appropriés pour le pays. Cette question ouvre un large débat que nous abordons ici en
nous focalisant sur le positionnement des pauvres face au processus de double transition – politique
(démocratisation) et économique (libéralisation) – dans lequel la majorité des pays en développement
(PED) est actuellement engagée.
Malgré l’accent mis aujourd’hui sur le principe d’ « empowerment » et de participation des
populations au processus décisionnel, les études qui cherchent à recueillir et à analyser leurs points de
vue sur les grandes orientations politiques et économiques dans les pays pauvres sont encore rares.
Certes, des avancées existent en la matière. L’initiative de la Banque mondiale visant à recueillir la
voix des pauvres a été appliquée dans un certain nombre de pays (Narayan et alii, 2000a et 2000b).
Toutefois, cette démarche, qui s’est poursuivie dans le cadre de la préparation des DSRP, donne in fine
peu d’informations sur l’appréciation par les populations concernées – en particulier les pauvres – des
politiques mises en œuvre. Sont-ils favorables aux réformes de libéralisation économique et à la
reformulation du rôle de l’État ? Quelles sont leurs positions vis-à-vis des principes démocratiques et
de la manière dont ils sont appliqués dans les pays ?
Dans une précédente étude, nous avons mis en évidence la plus grande réticence des pauvres à l’égard
de différentes mesures de libéralisation de l’économie dans la capitale malgache (Razafindrakoto et
Roubaud, 2002a). Nous avons démontré que l’argument culturel stigmatisant les pauvres en leur
attribuant un atavisme « conservateur » pour expliquer leur position ne tient pas. Partant d’une série de
trois enquêtes très détaillées réalisées en 1995, 1998 et 2003, portant aussi bien sur les caractéristiques
socio-démographiques et économiques des individus que sur leurs aspirations et leurs appréciations
des systèmes politiques et économiques, nous nous proposons de poursuivre cette analyse. L’approche
adoptée consiste à étudier en parallèle les points de vue des pauvres face à l’instauration de l’économie
de marché d’un côté, et de la démocratie de l’autre, ces deux options étant le plus souvent postulées
comme devant aller de pair. L’évolution des opinions au fil des années sera observée. Plus
spécifiquement, on s’interrogera dans quelle mesure le niveau d’éducation et d’information suffit à
expliquer la position des pauvres suivant l’hypothèse classique. Enfin, plus largement, les facteurs
explicatifs des opinions sur la libéralisation et la démocratie dans un pays pauvre seront explorés à
partir du cas malgache.
L’attention particulière accordée, d’une part, à la définition de la pauvreté en tenant compte de ses
multiples dimensions, et d’autre part, à la caractérisation de l’attitude de la population vis-à-vis à la
fois des systèmes politique et économique en vigueur constitue un des apports originaux de notre
étude. Elle montre que les résultats sur la réticence des pauvres vis-à-vis de la libéralisation
économique sont robustes puisqu’on les retrouve pour différentes années. En revanche, contrairement
à l’idée que les pauvres seraient plus méfiants face à l’instauration de tout nouveau système, les
pauvres ne se démarquent pas du reste de la population concernant le processus de démocratisation.
Parallèlement, la thèse expliquant la position des pauvres essentiellement par une moindre capacité à
mesurer les enjeux de la libéralisation, compte tenu de leur faible instruction, est battue en brèche. Le
niveau d’éducation ou d’information ne suffit pas à expliquer leur opposition à l’économie de marché.
Enfin, lorsqu’on explore plus globalement les facteurs structurant les opinions, les exclus de la vie