logique husserlien. Dans une certaine mesure, cette hypothèse permet de
mieux rendre compte de ce paradoxal mélange d’admiration et de critique à
l’égard de la morphologie a priori des significations.
Dans notre propos, il sera question de comprendre, tant que faire se
peut, la place et le rôle qu’occupe la grammaire pure logique au sein de la
réflexion derridienne sur la phénoménologie de Husserl. Plus particulière-
ment, on s’interrogera sur la façon dont Derrida utilise l’agrammaticalité
(Sinnlosigkeit) — les expressions dépourvues de signification, par exemple
Vert est ou, Abracadabra — pour élaborer son concept fondamental de
supplément. Pour ce faire, on procédera en trois temps.
En vue de décrire la spécificité du mouvement argumentatif avec
lequel Jacques Derrida aspire à faire sauter la distinction entre expression et
indication, on aura soin de montrer, dans un premier temps, par quels ressorts
démonstratifs, Derrida parvient à faire de la signification expressive le
supplément indispensable au sens noématique. Ensuite, dans un deuxième
temps, on étudiera la distinction implicite, au texte de Derrida et à sa lecture
interprétative des Recherches logiques, entre absence de signification
(Bedeutungslosigkeit) et absence de sens (Sinnlosigkeit). On se concentra,
dans un troisième et dernier temps, sur la façon dont, à partir de la lecture de
la première recherche logique, l’absence d’objet donné à l’intuition (Gegen-
standslosigkeit) devient, pour Derrida, la structure fondamentale du vouloir-
dire, de la signification (Bedeutung). Le deuxième temps nous donnera
l’occasion de pointer les déplacements que Derrida effectue implicitement à
l’égard de l’agrammaticalité husserlienne et le troisième et temps de notre
argumentation celle de voir en quoi ces déplacements participent activement
à l’élaboration du supplément originaire et par là, à la démonstration de
l’enchevêtrement (Verflechtung) entre l’indice et l’expression
Préalablement à notre étude, il aurait été, sans doute, judicieux de
décrire de façon détaillée le cadre conceptuel au sein duquel l’élaboration du
concept de supplément prend place. Aussi, la description de ce cadre aurait, à
n’en pas douter, à couper court aux critiques réductrices — voire malveil-
lantes — dont la lecture derridienne de Husserl fait, à notre sens, trop
souvent l’objet. En ce sens, il convient de signaler au moins, d’une part,
l’enjeu pour la phénoménologie husserlienne de l’ouvrage La voix et le
Derrida à l’égard de la grammaire pure logique puisque celle-ci n’a jamais eu pour
ambition de s’identifier à la grammaire des linguistes et des psychologues. Cf.
Fr. Dastur, « Husserl et le projet d’une grammaire pure logique », in Cahiers de
philosophie ancienne et du langage de l’Université : Grammaire, sujet et significa-
tion, vol. I (1994), p. 91-92.
Bull. anal. phén. XII 2 (2016)
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