Zéro émissions « nettes » = zéro engagement clair

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Zéro émissions « nettes » =
zéro engagement clair
Comment l’objectif « zéro émission nette » risque
de retarder les véritables actions de lutte
contre les changements climatiques et encourager
les accaparements de terres.
Juin 2015
2
Résumé
Les négociations des Nations Unies sur le climat doivent répondre de manière
équitable à l’urgence climatique et mener à une réduction drastique des
émissions de gaz à effet de serre, pour avoir une chance de stabiliser
les températures au niveau mondial. L’intérêt croissant de certains hommes
politiques, de personnalités du monde des affaires, et même de certaines ONG
pour l’objectif « zéro émissions nettes » peut paraître prometteur. Cependant,
si « zéro émissions nettes » sonne presque comme « zéro émissions »,
les deux concepts ont des définitions bien distinctes et des implications
complètement différentes.
L’ajout du mot « net » à l’objectif de « zéro émissions » peut s’avérer être
un piège retardant les véritables actions pour le climat. Il encouragerait
les cas d’accaparements de terres et donc la faim, par l’usage à grande échelle
de terres, d’agrocarburants et de biomasse, en vue d’absorber les émissions
croissantes de dioxyde de carbone. Au lieu d’exiger une vraie réduction des
émissions de gaz à effet de serre (GES), le calcul « net » autorise le maintien
des émissions de GES « business as usual », en les compensant au moyen de
programmes agraires à très grande échelle.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
envisage des scénarios requérant entre 500 millions et 6 milliards d’hectares de
terres pour mettre en œuvre cette dangereuse approche de compensation.
Les pays en développement seront sûrement au cœur de cette attention
nouvelle sur l’usage des terres pour la compensation climatique.
De nombreuses communautés vulnérables des pays du Sud ont déjà perdu
leurs terres et vu leur sécurité alimentaire menacée par la production croissante
des agrocarburants industriels. Les négociations sur le climat doivent tirer
des enseignements des accaparements de terres liés aux agrocarburants et
éviter toutes les prétendues solutions climatiques qui menacent les droits des
communautés – celles mêmes que la CCNUCC est censée aider. Les droits
fonciers et la souveraineté alimentaire ne doivent pas être sacrifiés au nom de
la réduction des émissions de GES.
À l’heure où le monde cherche à tracer une nouvelle voie dans la lutte contre
le changement climatique, les droits des peuples indigènes, des femmes et des
petits producteurs doivent être protégés. Les négociations sur le climat doivent
donc éviter le piège du « zéro net ».
3
PREMIÈRE DE
COUVERTURE :
DES MEMBRES DE
LA COMMUNAUTÉ
K’QUINICH DU GUATEMALA
CONTEMPLENT LA TERRE
DONT ILS ONT ÉTÉ EXPULSÉS
POUR PERMETTRE
LE DÉVELOPPEMENT
D’UNE PLANTATION DE
CANNE À SUCRE DESTINÉE
À LA PRODUCTION DE
AGROCARBURANTS.
PHOTO : DANIELAE VOLPE/
ACTIONAID
Zéro émissions nettes = « business as usual » +
technologies d’accaparement de terres ?
Un nouveau cadre mondial sur le climat, le successeur du Protocole de Kyoto,
devrait être ratifié à Paris lors des négociations sur le climat du COP21 de
décembre 2015. La protection de la production alimentaire mondiale était dès le
départ une des raisons justifiant la tenue des négociations de l’ONU sur le climat.
Les perturbations des changements climatiques sur la production alimentaire,
sont déjà subies par les agriculteurs et agricultrices du monde entier.
Des décisions fortes et urgentes doivent être prises à la COP21 pour réduire
radicalement les émissions de GES, afin d’avoir une chance de maintenir
la hausse des températures moyennes mondiales sous la barre des 1,5°C et
que les pays vulnérables puissent s’adapter aux conséquences de la hausse
des températures, de l’imprévisibilité du climat et des phénomènes climatiques
extrêmes. Au vue des dégâts qui frappent déjà des millions de communautés
vulnérables dans le monde entier au niveau actuel du réchauffement, nous ne
pouvons pas nous permettre de laisser les températures augmenter davantage.
Cette action climatique impose des transformations systémiques difficiles
mais nécessaires, afin de garantir une réduction drastique des émissions, des
changements structurels, une réduction de la consommation d’énergie, des
habitudes de consommation plus économes, une amélioration de l’efficience
énergétique, et une transition vers des sources d’énergie durables. Ces mesures
doivent être justes et équitables, en faisant en sorte de soutenir les pays et
les communautés ayant historiquement le moins contribué le changement
climatique.
Les propositions, avancées par certains acteurs, d’inclure un objectif de
« zéro émissions nettes » dans le nouvel accord sur le climat ont été reçues
par de nombreux groupes issus de la société civile avec inquiétude plutôt
qu’enthousiasme.1
La crainte a été exprimée que l’ajout du terme « net » à l’objectif de « zéro
émissions » retarde ou affaiblisse les véritables actions pour le climat, tout
en encourageant des accaparements des terres des plus vulnérables et en
menaçant encore davantage la sécurité alimentaire.
Plutôt que d’exiger les actions réelles nécessaires à la réduction des émissions,
les approches en termes de « zéro net » pourraient à terme permettre aux
émissions de GES de continuer à augmenter au-delà de la limite prévue
(maintien du statu quo), tout en se reposant, pour supprimer le CO2 de
1. ActionAid, FoE et al (2015) What’s Wrong with Net-Zero Emissions in 2050 (« Les torts de l’objectif de zéro émission nette
pour 2050 » disponible en anglais sur http ://climate-justice.info/wp-content/uploads/2015/02/NET-Zero-brief-Indesign1.pdf)
4
l’atmosphère, sur des technologies à « émissions négatives » dont l’efficacité
n’est pas avérée. C’est la stratégie du dépassement des émissions « overshoot
strategy ».
Cette stratégie risquée a de fortes chances de mener au développement des
agrocarburants, de la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BCSC),
du biochar et d’autres technologies similaires. Ces technologies exigeront de
vastes étendues de terres pour le stockage du carbone et pourraient causer
d’immenses accaparements de terres en Afrique, en Asie et en Amérique Latine.
Les technologies à « émissions négatives » (Negative Emission
Technologie = NET) : les agrocarburants, la BCSC et le biochar
·
’utilisation des agrocarburants comme le bio-diesel et le bio-éthanol
L
dans les pays de l’OCDE et au Brésil s’est déjà traduite par une forte
demande en matières premières pour les agrocarburants, telles que le maïs,
le sucre, le soja, l’huile de palme et le jatropha. Elle a également exacerbé
la demande en intrants agricoles. La pression sur les terres fertiles a
mené à une course aux acquisitions foncières de part le monde, et plus
particulièrement dans les pays en développement. Un grand nombre de ces
acquisitions ont manqué de transparence et porté atteinte aux droits fonciers
et à la souveraineté alimentaire des communautés affectées. De plus, les
processus de culture, de récolte et de production des agrocarburants sont
rarement neutres en émissions de carbone. L’usage d’engrais, le transport
des cultures et l’expansion des terres agricoles entraînent tous des émissions
de GES qui doivent être comptabilisées.
·
a bioénergie avec capture et stockage du carbone (BCSC) implique
L
la culture de biomasse (souvent transformée en granulés de bois), qui est
ensuite brûlée pour produire de l’énergie. Le CO2 émis pendant la phase
de combustion est canalisé et enterré en profondeur au moyen peu fiable
de technologies de capture et de stockage du carbone (CCS). Cependant,
la CCNUCC reconnaît que la faisabilité technologique de ces stratégies est
douteuse.2 Aucune d’entre elles n’a été mise à l’essai à l’échelle requise,
et il est encore incertain que les CCS puissent garantir la rétention à long
terme du CO2. De plus, la mise en œuvre de la BCSC à grande échelle
nécessitant de grandes surfaces de terre, la bioénergie entraîne un conflit
d’usage des sols.
·
e biochar (ou charbon de bois) est produit en transformant de la biomasse
L
en charbon, qui serait une forme de carbone plus stable et moins susceptible
2. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 12 (« Changements Climatiques
2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/
ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf)
5
de se dégrader ou de libérer du CO2, selon ses partisans. Les arbres et
d’autres matières végétales, telles que les résidus de cultures, peuvent être
utilisés pour absorber le carbone présent dans l’air, puis brûlés dans un
environnement pauvre en oxygène afin de produire du charbon. Ceux qui
proposent d’utiliser cette technique, au titre de l’action climatique mondiale,
affirment que l’addition de grandes quantités de biochar dans
les sols pourrait permettre de séquestrer jusqu’à 12 % des émissions
mondiales de GES. Cependant, ces mêmes acteurs ont également admis
qu’il faudrait près d’un milliard d’hectares de terres pour cultiver et brûler
assez de biomasse pour atteindre ce but.3 Ceux qui dénoncent cette
approche font remarquer que cela alimenterait des acquisitions foncières
immenses pour mettre en place de vastes plantations d’arbres à croissance
rapide. Il n’y aurait pas assez de terres disponibles pour cultiver suffisamment
de biomasse et en brûler de telles quantités, et la stabilité et les qualités sur
le long terme du biochar etant également très discutables.4
L’usage de ces technologies en tant que stratégies d’atténuation pour
le changement climatique impliquera un développement colossal de la
production de biomasse nécessitant de vastes surfaces de terres.
Cela les mettra inévitablement en conflit avec la production alimentaire et
les droits fonciers des communautés.
Dans son Cinquième Rapport d’évaluation, le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC) a passé en revue de
nombreuses stratégies de compensation afin d’identifier les scénarios selon
lesquels la hausse des températures postindustrielles ne dépassait pas 2°C.
Malheureusement, la majorité des scénarios limitant les émissions à l’équivalent
de 450 ou 500 – 550 ppm de CO2 (les taux supposés avoir, respectivement,
les plus fortes chances ou de très fortes chances de maintenir le réchauffement
en-dessous de la barre des 2°C), estimait qu’entre 500 millions et 6 milliards
d’hectares de terres seraient nécessaires pour stabiliser les températures
moyennes mondiales à ces niveaux.5 et 6 Pour remettre ces données dans
leur contexte, la production agricole mondiale s’étend actuellement sur
1,5 milliards d’hectares de terres. 6 milliards d’hectares équivalent au double
de la surface de l’Afrique.
Bien que ces scénarios de « zéro émission nette » soient absolument
irréalisables, ils sont susceptibles de provoquer une compétition pour l’accès à
la terre telle que le monde n’en a jamais connu.
3. Nature Communications 1, doi : 10.1038/ncomms1053, Dominic Woolf et al, Sustainable biochar to mitigate global climate
change (« Le biochar durable dans l’atténuation du changement climatique mondial »)
4. African Biodiversity Network (2010) Biochar Land Grabbing, the Impacts on Africa (« Accaparements de terres pour le
biocharbon, les impacts en Afrique », disponible en anglais sur http://www.biofuelwatch.org.uk/docs/biochar_africa_briefing2.pdf)
5. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 12 (« Changements Climatiques
2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/
ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf)
6. GIEC (2014) Fifth Assessment Report, Working Group III, Chapter 6, p 446
6
Le GIEC a donc conclu que « les mesures d’atténuation peuvent porter
atteinte au droit à un développement durable et à l’équité, ainsi qu’empêcher
l’éradication de la pauvreté. ».7
Les avantages du « business-as-usual »
Le concept de « zéro net » permet aux États et aux entreprises de continuer
à brûler du charbon pour produire de l’électricité ou à fracturer les sols pour
extraire du pétrole et du gaz, en s’appuyant sur l’idée que les émissions
générées par ces activités seront retirées de l’atmosphère par la suite.
L’industrie pétrolière a des milliards de dollars en jeu dans les négociations
sur le climat. La régulation de ses activités et la baisse de la consommation
d’énergies fossiles réduiraient certainement sa marge de profit qui est
considérable. Il n’est donc pas étonnant que cette industrie montre un intérêt
pour les stratégies de séquestration du carbone telles que la BCSC.
En comptant sur des technologies de compensation carbone au lieu de
réduire les émissions, l’industrie des énergies fossiles peut continuer à polluer
« business-as-usual ». Elle s’intéresse également au carbone séquestré,
puisque des réserves de pétrole jusqu’ici inaccessibles peuvent être exploitées
en injectant le CO2 séquestré dans des puits de pétrole abandonnés, pour
encore davantage d’extraction, de combustion et de profits.
De nombreux acteurs et observateurs s’accordent à dire que la compensation
carbone n’est pas une réponse au changement climatique, et cela pour toutes
sortes de raisons : le manque global d’ambition des actions sur le climat,
le surplus mondial de crédits carbone, la chute des prix du carbone, la création
d’incitations perverses, le manque de projets de compensation réellement
additionnels (la majorité des projets de compensation auraient eu lieu dans
tous les cas, même sans les fonds issus de la vente des crédits de carbone).
Cependant, ces problèmes ramènent tous à l’idée de laisser les pays et
les entreprises continuer à polluer tout en évitant d’avoir à agir pour réduire
leurs émissions.8
Bien que les technologies du « zéro net » soient scientifiquement bancales
et irréalisables, le concept encourage les gouvernements et les industries
à éviter de prendre les mesures concrètes, nécessaires et urgentes, dont
la planète a besoin face à la crise climatique.
7. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 5 (« Changements Climatiques
2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/
ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf), notre traduction.
8. http://www.carbontradewatch.org/issues/carbon-offsets.html
7
Les enseignements à tirer des accaparements de terres
causés par les agrocarburants
La croissance de la production mondiale des agrocarburants des dernières
années donne un aperçu des principaux impacts de la compensation
carbone par l’usage des terres à grande échelle. Les projets de production de
agrocarburants sont en deuxième position sur la liste des principaux motifs
d’acquisitions foncières de grande envergure9, et la Banque Mondiale a établi
que « la demande de matières premières pour la production de agrocarburants
résultant des politiques et objectifs en vigueur dans les principaux pays
consommateurs » était l’un des principaux moteurs de l’expansion mondiale
des surfaces cultivées.10
LE DISCOURS DU « ZÉRO
ÉMISSION NETTE » POURRAIT
RETARDER LES VÉRITABLES
ACTIONS EN MATIÈRE
DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE EN AUTORISANT
LA POLLUTION « BUSINESS
AS USUAL »
9. Land Matrix (2014) Land Matrix Newsletter October 2014, Land Matrix
10. Banque Mondiale (2011) Rising Global Interest in Farmland, Banque Mondiale : Washington, DC.
8
Le développement de plantations d’agrocarburants à grande échelle a provoqué
une déforestation colossale et d’énormes émissions de carbone liées
à l’exploitation de tourbières, tandis que les communautés locales marginalisées
ont perdu l’accès aux terres, aux pâtures et aux ressources sylvicoles.11
Le groupe de recherche GRAIN a dressé une liste de 293 cas
d’accaparements de terres rapportés dans le monde entier entre 2002
et 2012 – pour une surface totale de 17 millions d’hectares – dont les
investisseurs déclaraient qu’ils étaient destinés à la production de
agrocarburants.12 et 13
Le développement des agrocarburants a également impacté la sécurité
alimentaire des populations d’autres manières. En créant une demande
supplémentaire de matières premières, il accentue la compétition pour l’accès
à d’autres intrants agricoles tels que l’eau ou les engrais, et contribue ainsi à
la déstabilisation et la hausse des prix des aliments. Le développement des
agrocarburants est l’un des éléments déclencheurs des hausses des prix de
l’alimentaire en 2007 – 2008 et en 2012. Pour les pays en développement
qui sont importateurs de produits alimentaires, l’augmentation des prix de
l’alimentaire est particulièrement problématique. Entre les années commerciales
2005 – 2006 et 2010 – 2011, les pays en développement ont payé 6,6 milliards
USD supplémentaires pour l’importation alimentaire, à cause du développement
de l’éthanol de maïs aux États-Unis.14
La canne à sucre à Bagamoyo, Tanzanie
Dans le district de Bagamoyo, en Tanzanie, environ 1 300 agriculteurs-trices produisant diverses
cultures destinées au marché local, sont en train d’être expulsés afin de libérer les terres pour
la création d’une immense plantation de canne à sucre. Et ce, sans qu’ils aient donné leur
consentement préalable, libre et éclairé. Bien que l’entreprise ait mené des consultations auprès
des villageois affectés, beaucoup d’entre eux ne se sont pas vus proposer d’autre option que
d’être déplacés, et ont été privés d’informations cruciales sur les effets irréversibles que le projet
est susceptible d’avoir sur leurs modes de subsistance et leurs droits à l’alimentation et à la terre.1
Le manque de transparence de l’entreprise impliquée, EcoEnergy, a aussi posé de sérieux
problèmes, puisqu’elle n’a pas publié les informations cruciales ayant trait au crédit d’impôts
dont elle bénéficierait, tandis que de fausses informations étaient publiées au sujet des parts du
gouvernement dans le projet.
1. ActionAid (2015) Stop EcoEnergy’s Land Grab in Bagamoyo, Tanzania http://www.actionaid.org/publications/take-action-stop-ecoenergys-land-grab
12. GRAIN (2013) Il faut arrêter d’accaparer les terres pour produire des biocarburants, GRAIN 18 mars 2013, GRAIN : Gérone
13. ActionAid (2015) Act on It : 4 Key Steps to Prevent Land Grabs (« Agissons : 4 étapes pour empêcher les accaparements de terres »)
14. ActionAid USA (2012) “Fueling the Food Crisis : The Cost to Developing Countries of US Corn Ethanol Expansion.”, p 3 (« Ce qui alimente la crise alimentaire :
le prix du développement de l’éthanol de maïs pour les pays en développement »)
9
Le jatropha à Malindi, Kenya
En octobre 2009, les communautés de la région côtière kenyane de Malindi ont découvert que
leur conseil régional (county council) concédait 50 000 hectares de terres communales à Kenya
Jatropha Energy Ltd, une entreprise italienne spécialisée dans la production de agrocarburants.
Le conseil devait recevoir 100 000 € (2 € par hectare) par an pendant les 33 ans du contrat de
concession. Le projet aurait nécessité l’expulsion d’environ 20 000 personnes ainsi que
la destruction de la forêt Dakatcha, qui accueille certaines espèces rares d’oiseaux et d’arbres.
Les communautés locales n‘ont cependant pas été consultées, et n’ont pas accordé leur
consentement au projet. Elles ont saisi les tribunaux en demandant un arrêt immédiat du projet,
tandis qu’une pétition regroupait des dizaines de milliers de signatures au Kenya et à l’étranger.
En septembre 2010, le gouvernement kenyan demandait au conseil régional de développer
un plan d’occupation des sols à usages multiples permettant de conserver toutes les forêts,
tandis que l’entreprise avait la charge de fournir des informations concrètes sur les impacts
économiques, sociaux et environnementaux du projet proposé.
Un an plus tard, en septembre 2011, le gouvernement interdit la culture du jatropha dans
la région, en soulignant que l’entreprise n’avait pas su « fournir de preuves scientifiques que
le développement du jatropha serait durable et économiquement viable pour le pays et ses
communautés ».1
1 ActionAid (2014) The Great Land Heist http://www.actionaid.org/publications/great-land-heist
Un groupe d’organismes intergouvernementaux, dont l’Organisation des
Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), le Fonds international
pour le développement agricole (IFAD), la Banque Mondiale et l’Organisation
Mondiale du Commerce a par la suite appelé les gouvernements du G20 à
mettre fin à toute politique de soutien à la production et à la consommation
de agrocarburants.15
Bien qu’ils aient été présentés comme « énergies renouvelables »,
les agrocarburants ne tiennent pas leur promesse de réduction
des émissions de gaz à effet de serre. Les politiques de soutien aux
agrocarburants ont généré un accroissement de la demande de terres agricoles,
tandis que d’importantes réserves de carbone et des écosystèmes fragiles
tels que les forêts, les tourbières et les prairies sont mis en culture, avec pour
conséquence une perte de biodiversité et une augmentation sensible des
émissions de GES résultant du labourage et de la destruction des végétaux.16 et 17
15. AO, IFAD, IMF, OCDE, UNCTAD, WFP, Banque Mondiale, OMC, IFPRI et UN HLTF (2011) Price Volatility in Food andAgricultural Markets : Policy Responses,
FAO : Rome. (« Volatilité des prix dans les marhés agricoles et alimentaires : recommandations politiques »)
16. Transport & Environment (2013), Drivers and impacts of Europe’s biofuels policy, Transport & Environment : Bruxelles (« Les moteurs et les impacts de la
politique européenne en matière de biocarburants »)
17. ActionAid (2015) Act on It : 4 Key Steps to Prevent Land Grabs (« Agissons : 4 étapes pour empêcher les accaparements de terres »)
10
Les agrocarburants montrent que la demande de cultures énergétiques peut
créer une pression supplémentaire sur les terres les plus fertiles et
les ressources en eau les plus précieuses, et fragiliser la sécurité alimentaire
des agriculteurs-trices dans les pays en développement. Si le nouvel accord
international sur le climat encourage les technologies à émissions négatives,
il pourrait générer plus de cas d’accaparements de terres, comme ceux décrits
ci-dessus, mais à une échelle nettement supérieure.
11
HENZANANI MERAKINI
EST UNE AGRICULTRICE
VIVANT DANS UNE ZONE
FORESTIÈRE DE LA RÉGION
DE DAKATCHA AU KENYA.
SA MAISON ET SES TERRES
SONT SITUÉES DANS
UNE ZONE QUI AVAIT ÉTÉ
SÉLECTIONNÉE POUR ÊTRE
CONVERTIE EN PLANTATION
DESTINÉE À LA PRODUCTION
D’AGROCARBURANT.
PHOTO : CHRIS COXON/
ACTIONAID
Conclusions &
Recommandations
Le concept de « zéro émissions nettes » fera peser le poids des solutions aux
changements climatiques sur les pays et communautés du Sud, qui en sont
les moins responsables. Les droits fonciers et la souveraineté alimentaire
des petits producteurs-trices et des communautés locales seront menacés –
particulièrement dans les pays en développement – par l’usage des terres à
grande échelle pour la compensation climatique, entrant en conflit direct avec
la production alimentaire et les écosystèmes.
La nécessité de garantir la sécurité alimentaire face au changement climatique
était à la base une des raisons principales de la création de la CCNUCC.
Le nouvel accord mondial ne doit donc pas diminuer les capacités d’adaptation
et la sécurité alimentaire des agriculteurs-trices du monde entier.
De véritables mesures d’atténuation du changement climatique peuvent et
doivent être mises en place avec une importante réduction des émissions de
GES à la source. Nous ne pouvons pas laisser les vraies avancées qui ont été
faites pour le climat tomber dans le piège du « zéro émissions nettes ».
·
e nouvel accord sur le climat de l’ONU doit appeler à des mesures climatiques
L
ambitieuses et équitables et à une réduction drastique des émissions de
CO2. Les pays riches doivent réduire leurs propres émissions de GES tout en
soutenant les pays du Sud vers une transition juste et sobre en carbone.
Ces mesures de réduction des émissions ne doivent pas avoir d’impacts
négatifs sur la capacité d’adaptation ni sur les droits à la terre et à l’alimentation
des peuples indigènes, des paysan-ne-s et des communautés locales.
·
L
es États parties et les organisations de la société civile doivent s’opposer
à la notion de « zéro émissions nettes » et la supprimer des documents de la
CCNUCC.
·
a protection de la sécurité alimentaire doit figurer dans le préambule
L
du nouvel accord ainsi que dans les objectifs globaux et les sections sur
l’adaptation et l’atténuation.
·
es émissions issues du secteur foncier doivent être soumises à des objectifs
L
de réduction distincts de ceux pour les émissions issues des énergies
fossiles. Cela aidera à empêcher les vides juridiques dans le secteur forestier
et donc les déforestations, tout en décourageant l’usage à grande échelle de
terres dans le cadre de technologies à émissions négatives visant à résorber
les émissions industrielles de GES.
12
Remerciements :
Auteurs : Teresa Anderson (ActionAid International) et Kelly Stone (ActionAid USA)
Avec la participation de : Soren Ambrose, Antoine Bouhey, Marie Clarke, Catherine Gatundu et Harjeet Singh
Traduction de l’anglais vers le français : Liz Libbrecht, Audrey Arjoune
Graphisme : Nick Purser
Mise en page : Solenn Le Cars / [email protected]
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