2
Zéro émissions « nettes » =
zéro engagement clair
Comment l’objectif « zéro émission nette » risque
de retarder les véritables actions de lutte
contre les changements climatiques et encourager
les accaparements de terres.
Juin 2015
3
PREMIÈRE DE
COUVERTURE :
DES MEMBRES DE
LA COMMUNAUTÉ
K’QUINICH DU GUATEMALA
CONTEMPLENT LA TERRE
DONT ILS ONT ÉTÉ EXPULSÉS
POUR PERMETTRE
LE DÉVELOPPEMENT
D’UNE PLANTATION DE
CANNE À SUCRE DESTINÉE
À LA PRODUCTION DE
AGROCARBURANTS.
PHOTO : DANIELAE VOLPE/
ACTIONAID
Résumé
Les négociations des Nations Unies sur le climat doivent répondre de manière
équitable à l’urgence climatique et mener à une réduction drastique des
émissions de gaz à effet de serre, pour avoir une chance de stabiliser
les températures au niveau mondial. L’intérêt croissant de certains hommes
politiques, de personnalités du monde des affaires, et même de certaines ONG
pour l’objectif « zéro émissions nettes » peut paraître prometteur. Cependant,
si « zéro émissions nettes » sonne presque comme « zéro émissions »,
les deux concepts ont des dénitions bien distinctes et des implications
complètement différentes.
L’ajout du mot « net » à l’objectif de « zéro émissions » peut s’avérer être
un piège retardant les véritables actions pour le climat. Il encouragerait
les cas d’accaparements de terres et donc la faim, par l’usage à grande échelle
de terres, d’agrocarburants et de biomasse, en vue d’absorber les émissions
croissantes de dioxyde de carbone. Au lieu d’exiger une vraie réduction des
émissions de gaz à effet de serre (GES), le calcul « net » autorise le maintien
des émissions de GES « business as usual », en les compensant au moyen de
programmes agraires à très grande échelle.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
envisage des scénarios requérant entre 500 millions et 6 milliards d’hectares de
terres pour mettre en œuvre cette dangereuse approche de compensation.
Les pays en développement seront sûrement au cœur de cette attention
nouvelle sur l’usage des terres pour la compensation climatique.
De nombreuses communautés vulnérables des pays du Sud ont déjà perdu
leurs terres et vu leur sécurité alimentaire menacée par la production croissante
des agrocarburants industriels. Les négociations sur le climat doivent tirer
des enseignements des accaparements de terres liés aux agrocarburants et
éviter toutes les prétendues solutions climatiques qui menacent les droits des
communautés – celles mêmes que la CCNUCC est censée aider. Les droits
fonciers et la souveraineté alimentaire ne doivent pas être sacriés au nom de
la réduction des émissions de GES.
À l’heure où le monde cherche à tracer une nouvelle voie dans la lutte contre
le changement climatique, les droits des peuples indigènes, des femmes et des
petits producteurs doivent être protégés. Les négociations sur le climat doivent
donc éviter le piège du « zéro net ».
4
1. ActionAid, FoE et al (2015) What’s Wrong with Net-Zero Emissions in 2050 (« Les torts de l’objectif de zéro émission nette
pour 2050 » disponible en anglais sur http ://climate-justice.info/wp-content/uploads/2015/02/NET-Zero-brief-Indesign1.pdf)
Zéro émissions nettes = « business as usual » +
technologies d’accaparement de terres ?
Un nouveau cadre mondial sur le climat, le successeur du Protocole de Kyoto,
devrait être ratié à Paris lors des négociations sur le climat du COP21 de
décembre 2015. La protection de la production alimentaire mondiale était dès le
départ une des raisons justiant la tenue des négociations de l’ONU sur le climat.
Les perturbations des changements climatiques sur la production alimentaire,
sont déjà subies par les agriculteurs et agricultrices du monde entier.
Des décisions fortes et urgentes doivent être prises à la COP21 pour réduire
radicalement les émissions de GES, an d’avoir une chance de maintenir
la hausse des températures moyennes mondiales sous la barre des 1,5°C et
que les pays vulnérables puissent s’adapter aux conséquences de la hausse
des températures, de l’imprévisibilité du climat et des phénomènes climatiques
extrêmes. Au vue des dégâts qui frappent déjà des millions de communautés
vulnérables dans le monde entier au niveau actuel du réchauffement, nous ne
pouvons pas nous permettre de laisser les températures augmenter davantage.
Cette action climatique impose des transformations systémiques difficiles
mais nécessaires, afin de garantir une réduction drastique des émissions, des
changements structurels, une réduction de la consommation d’énergie, des
habitudes de consommation plus économes, une amélioration de l’efficience
énergétique, et une transition vers des sources d’énergie durables. Ces mesures
doivent être justes et équitables, en faisant en sorte de soutenir les pays et
les communautés ayant historiquement le moins contribué le changement
climatique.
Les propositions, avancées par certains acteurs, d’inclure un objectif de
« zéro émissions nettes » dans le nouvel accord sur le climat ont été reçues
par de nombreux groupes issus de la société civile avec inquiétude plutôt
qu’enthousiasme.1
La crainte a été exprimée que l’ajout du terme « net » à l’objectif de « zéro
émissions » retarde ou affaiblisse les véritables actions pour le climat, tout
en encourageant des accaparements des terres des plus vulnérables et en
menaçant encore davantage la sécurité alimentaire.
Plutôt que d’exiger les actions réelles nécessaires à la réduction des émissions,
les approches en termes de « zéro net » pourraient à terme permettre aux
émissions de GES de continuer à augmenter au-delà de la limite prévue
(maintien du statu quo), tout en se reposant, pour supprimer le CO2 de
5
l’atmosphère, sur des technologies à « émissions négatives » dont l’efcacité
n’est pas avérée. C’est la stratégie du dépassement des émissions « overshoot
strategy ».
Cette stratégie risquée a de fortes chances de mener au développement des
agrocarburants, de la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BCSC),
du biochar et d’autres technologies similaires. Ces technologies exigeront de
vastes étendues de terres pour le stockage du carbone et pourraient causer
d’immenses accaparements de terres en Afrique, en Asie et en Amérique Latine.
Les technologies à « émissions négatives » (Negative Emission
Technologie = NET) : les agrocarburants, la BCSC et le biochar
· L’utilisation des agrocarburants comme le bio-diesel et le bio-éthanol
dans les pays de l’OCDE et au Brésil s’est déjà traduite par une forte
demande en matières premières pour les agrocarburants, telles que le maïs,
le sucre, le soja, l’huile de palme et le jatropha. Elle a également exacerbé
la demande en intrants agricoles. La pression sur les terres fertiles a
mené à une course aux acquisitions foncières de part le monde, et plus
particulièrement dans les pays en développement. Un grand nombre de ces
acquisitions ont manqué de transparence et porté atteinte aux droits fonciers
et à la souveraineté alimentaire des communautés affectées. De plus, les
processus de culture, de récolte et de production des agrocarburants sont
rarement neutres en émissions de carbone. L’usage d’engrais, le transport
des cultures et l’expansion des terres agricoles entraînent tous des émissions
de GES qui doivent être comptabilisées.
· La bioénergie avec capture et stockage du carbone (BCSC) implique
la culture de biomasse (souvent transformée en granulés de bois), qui est
ensuite brûlée pour produire de l’énergie. Le CO2 émis pendant la phase
de combustion est canalisé et enterré en profondeur au moyen peu able
de technologies de capture et de stockage du carbone (CCS). Cependant,
la CCNUCC reconnaît que la faisabilité technologique de ces stratégies est
douteuse.2 Aucune d’entre elles n’a été mise à l’essai à l’échelle requise,
et il est encore incertain que les CCS puissent garantir la rétention à long
terme du CO2. De plus, la mise en œuvre de la BCSC à grande échelle
nécessitant de grandes surfaces de terre, la bioénergie entraîne un conit
d’usage des sols.
· Le biochar (ou charbon de bois) est produit en transformant de la biomasse
en charbon, qui serait une forme de carbone plus stable et moins susceptible
2. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 12 (« Changements Climatiques
2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/
ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf)
6
de se dégrader ou de libérer du CO2, selon ses partisans. Les arbres et
d’autres matières végétales, telles que les résidus de cultures, peuvent être
utilisés pour absorber le carbone présent dans l’air, puis brûlés dans un
environnement pauvre en oxygène an de produire du charbon. Ceux qui
proposent d’utiliser cette technique, au titre de l’action climatique mondiale,
afrment que l’addition de grandes quantités de biochar dans
les sols pourrait permettre de séquestrer jusqu’à 12 % des émissions
mondiales de GES. Cependant, ces mêmes acteurs ont également admis
qu’il faudrait près d’un milliard d’hectares de terres pour cultiver et brûler
assez de biomasse pour atteindre ce but.3 Ceux qui dénoncent cette
approche font remarquer que cela alimenterait des acquisitions foncières
immenses pour mettre en place de vastes plantations d’arbres à croissance
rapide. Il n’y aurait pas assez de terres disponibles pour cultiver sufsamment
de biomasse et en brûler de telles quantités, et la stabilité et les qualités sur
le long terme du biochar etant également très discutables.4
L’usage de ces technologies en tant que stratégies d’atténuation pour
le changement climatique impliquera un développement colossal de la
production de biomasse nécessitant de vastes surfaces de terres.
Cela les mettra inévitablement en conflit avec la production alimentaire et
les droits fonciers des communautés.
Dans son Cinquième Rapport d’évaluation, le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC) a passé en revue de
nombreuses stratégies de compensation an d’identier les scénarios selon
lesquels la hausse des températures postindustrielles ne dépassait pas 2°C.
Malheureusement, la majorité des scénarios limitant les émissions à l’équivalent
de 450 ou 500 – 550 ppm de CO2 (les taux supposés avoir, respectivement,
les plus fortes chances ou de très fortes chances de maintenir le réchauffement
en-dessous de la barre des 2°C), estimait qu’entre 500 millions et 6 milliards
d’hectares de terres seraient nécessaires pour stabiliser les températures
moyennes mondiales à ces niveaux.5 et 6 Pour remettre ces données dans
leur contexte, la production agricole mondiale s’étend actuellement sur
1,5 milliards d’hectares de terres. 6 milliards d’hectares équivalent au double
de la surface de l’Afrique.
Bien que ces scénarios de « zéro émission nette » soient absolument
irréalisables, ils sont susceptibles de provoquer une compétition pour l’accès à
la terre telle que le monde n’en a jamais connu.
3. Nature Communications 1, doi : 10.1038/ncomms1053, Dominic Woolf et al, Sustainable biochar to mitigate global climate
change (« Le biochar durable dans latténuation du changement climatique mondial »)
4. African Biodiversity Network (2010) Biochar Land Grabbing, the Impacts on Africa (« Accaparements de terres pour le
biocharbon, les impacts en Afrique », disponible en anglais sur http://www.biofuelwatch.org.uk/docs/biochar_africa_briefing2.pdf)
5. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 12 (« Changements Climatiques
2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/
ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf)
6. GIEC (2014) Fifth Assessment Report, Working Group III, Chapter 6, p 446
1 / 12 100%