Zéro émissions « nettes » = zéro engagement clair Comment l’objectif « zéro émission nette » risque de retarder les véritables actions de lutte contre les changements climatiques et encourager les accaparements de terres. Juin 2015 2 Résumé Les négociations des Nations Unies sur le climat doivent répondre de manière équitable à l’urgence climatique et mener à une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, pour avoir une chance de stabiliser les températures au niveau mondial. L’intérêt croissant de certains hommes politiques, de personnalités du monde des affaires, et même de certaines ONG pour l’objectif « zéro émissions nettes » peut paraître prometteur. Cependant, si « zéro émissions nettes » sonne presque comme « zéro émissions », les deux concepts ont des définitions bien distinctes et des implications complètement différentes. L’ajout du mot « net » à l’objectif de « zéro émissions » peut s’avérer être un piège retardant les véritables actions pour le climat. Il encouragerait les cas d’accaparements de terres et donc la faim, par l’usage à grande échelle de terres, d’agrocarburants et de biomasse, en vue d’absorber les émissions croissantes de dioxyde de carbone. Au lieu d’exiger une vraie réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), le calcul « net » autorise le maintien des émissions de GES « business as usual », en les compensant au moyen de programmes agraires à très grande échelle. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) envisage des scénarios requérant entre 500 millions et 6 milliards d’hectares de terres pour mettre en œuvre cette dangereuse approche de compensation. Les pays en développement seront sûrement au cœur de cette attention nouvelle sur l’usage des terres pour la compensation climatique. De nombreuses communautés vulnérables des pays du Sud ont déjà perdu leurs terres et vu leur sécurité alimentaire menacée par la production croissante des agrocarburants industriels. Les négociations sur le climat doivent tirer des enseignements des accaparements de terres liés aux agrocarburants et éviter toutes les prétendues solutions climatiques qui menacent les droits des communautés – celles mêmes que la CCNUCC est censée aider. Les droits fonciers et la souveraineté alimentaire ne doivent pas être sacrifiés au nom de la réduction des émissions de GES. À l’heure où le monde cherche à tracer une nouvelle voie dans la lutte contre le changement climatique, les droits des peuples indigènes, des femmes et des petits producteurs doivent être protégés. Les négociations sur le climat doivent donc éviter le piège du « zéro net ». 3 PREMIÈRE DE COUVERTURE : DES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ K’QUINICH DU GUATEMALA CONTEMPLENT LA TERRE DONT ILS ONT ÉTÉ EXPULSÉS POUR PERMETTRE LE DÉVELOPPEMENT D’UNE PLANTATION DE CANNE À SUCRE DESTINÉE À LA PRODUCTION DE AGROCARBURANTS. PHOTO : DANIELAE VOLPE/ ACTIONAID Zéro émissions nettes = « business as usual » + technologies d’accaparement de terres ? Un nouveau cadre mondial sur le climat, le successeur du Protocole de Kyoto, devrait être ratifié à Paris lors des négociations sur le climat du COP21 de décembre 2015. La protection de la production alimentaire mondiale était dès le départ une des raisons justifiant la tenue des négociations de l’ONU sur le climat. Les perturbations des changements climatiques sur la production alimentaire, sont déjà subies par les agriculteurs et agricultrices du monde entier. Des décisions fortes et urgentes doivent être prises à la COP21 pour réduire radicalement les émissions de GES, afin d’avoir une chance de maintenir la hausse des températures moyennes mondiales sous la barre des 1,5°C et que les pays vulnérables puissent s’adapter aux conséquences de la hausse des températures, de l’imprévisibilité du climat et des phénomènes climatiques extrêmes. Au vue des dégâts qui frappent déjà des millions de communautés vulnérables dans le monde entier au niveau actuel du réchauffement, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les températures augmenter davantage. Cette action climatique impose des transformations systémiques difficiles mais nécessaires, afin de garantir une réduction drastique des émissions, des changements structurels, une réduction de la consommation d’énergie, des habitudes de consommation plus économes, une amélioration de l’efficience énergétique, et une transition vers des sources d’énergie durables. Ces mesures doivent être justes et équitables, en faisant en sorte de soutenir les pays et les communautés ayant historiquement le moins contribué le changement climatique. Les propositions, avancées par certains acteurs, d’inclure un objectif de « zéro émissions nettes » dans le nouvel accord sur le climat ont été reçues par de nombreux groupes issus de la société civile avec inquiétude plutôt qu’enthousiasme.1 La crainte a été exprimée que l’ajout du terme « net » à l’objectif de « zéro émissions » retarde ou affaiblisse les véritables actions pour le climat, tout en encourageant des accaparements des terres des plus vulnérables et en menaçant encore davantage la sécurité alimentaire. Plutôt que d’exiger les actions réelles nécessaires à la réduction des émissions, les approches en termes de « zéro net » pourraient à terme permettre aux émissions de GES de continuer à augmenter au-delà de la limite prévue (maintien du statu quo), tout en se reposant, pour supprimer le CO2 de 1. ActionAid, FoE et al (2015) What’s Wrong with Net-Zero Emissions in 2050 (« Les torts de l’objectif de zéro émission nette pour 2050 » disponible en anglais sur http ://climate-justice.info/wp-content/uploads/2015/02/NET-Zero-brief-Indesign1.pdf) 4 l’atmosphère, sur des technologies à « émissions négatives » dont l’efficacité n’est pas avérée. C’est la stratégie du dépassement des émissions « overshoot strategy ». Cette stratégie risquée a de fortes chances de mener au développement des agrocarburants, de la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BCSC), du biochar et d’autres technologies similaires. Ces technologies exigeront de vastes étendues de terres pour le stockage du carbone et pourraient causer d’immenses accaparements de terres en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Les technologies à « émissions négatives » (Negative Emission Technologie = NET) : les agrocarburants, la BCSC et le biochar · ’utilisation des agrocarburants comme le bio-diesel et le bio-éthanol L dans les pays de l’OCDE et au Brésil s’est déjà traduite par une forte demande en matières premières pour les agrocarburants, telles que le maïs, le sucre, le soja, l’huile de palme et le jatropha. Elle a également exacerbé la demande en intrants agricoles. La pression sur les terres fertiles a mené à une course aux acquisitions foncières de part le monde, et plus particulièrement dans les pays en développement. Un grand nombre de ces acquisitions ont manqué de transparence et porté atteinte aux droits fonciers et à la souveraineté alimentaire des communautés affectées. De plus, les processus de culture, de récolte et de production des agrocarburants sont rarement neutres en émissions de carbone. L’usage d’engrais, le transport des cultures et l’expansion des terres agricoles entraînent tous des émissions de GES qui doivent être comptabilisées. · a bioénergie avec capture et stockage du carbone (BCSC) implique L la culture de biomasse (souvent transformée en granulés de bois), qui est ensuite brûlée pour produire de l’énergie. Le CO2 émis pendant la phase de combustion est canalisé et enterré en profondeur au moyen peu fiable de technologies de capture et de stockage du carbone (CCS). Cependant, la CCNUCC reconnaît que la faisabilité technologique de ces stratégies est douteuse.2 Aucune d’entre elles n’a été mise à l’essai à l’échelle requise, et il est encore incertain que les CCS puissent garantir la rétention à long terme du CO2. De plus, la mise en œuvre de la BCSC à grande échelle nécessitant de grandes surfaces de terre, la bioénergie entraîne un conflit d’usage des sols. · e biochar (ou charbon de bois) est produit en transformant de la biomasse L en charbon, qui serait une forme de carbone plus stable et moins susceptible 2. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 12 (« Changements Climatiques 2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/ ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf) 5 de se dégrader ou de libérer du CO2, selon ses partisans. Les arbres et d’autres matières végétales, telles que les résidus de cultures, peuvent être utilisés pour absorber le carbone présent dans l’air, puis brûlés dans un environnement pauvre en oxygène afin de produire du charbon. Ceux qui proposent d’utiliser cette technique, au titre de l’action climatique mondiale, affirment que l’addition de grandes quantités de biochar dans les sols pourrait permettre de séquestrer jusqu’à 12 % des émissions mondiales de GES. Cependant, ces mêmes acteurs ont également admis qu’il faudrait près d’un milliard d’hectares de terres pour cultiver et brûler assez de biomasse pour atteindre ce but.3 Ceux qui dénoncent cette approche font remarquer que cela alimenterait des acquisitions foncières immenses pour mettre en place de vastes plantations d’arbres à croissance rapide. Il n’y aurait pas assez de terres disponibles pour cultiver suffisamment de biomasse et en brûler de telles quantités, et la stabilité et les qualités sur le long terme du biochar etant également très discutables.4 L’usage de ces technologies en tant que stratégies d’atténuation pour le changement climatique impliquera un développement colossal de la production de biomasse nécessitant de vastes surfaces de terres. Cela les mettra inévitablement en conflit avec la production alimentaire et les droits fonciers des communautés. Dans son Cinquième Rapport d’évaluation, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GEIC) a passé en revue de nombreuses stratégies de compensation afin d’identifier les scénarios selon lesquels la hausse des températures postindustrielles ne dépassait pas 2°C. Malheureusement, la majorité des scénarios limitant les émissions à l’équivalent de 450 ou 500 – 550 ppm de CO2 (les taux supposés avoir, respectivement, les plus fortes chances ou de très fortes chances de maintenir le réchauffement en-dessous de la barre des 2°C), estimait qu’entre 500 millions et 6 milliards d’hectares de terres seraient nécessaires pour stabiliser les températures moyennes mondiales à ces niveaux.5 et 6 Pour remettre ces données dans leur contexte, la production agricole mondiale s’étend actuellement sur 1,5 milliards d’hectares de terres. 6 milliards d’hectares équivalent au double de la surface de l’Afrique. Bien que ces scénarios de « zéro émission nette » soient absolument irréalisables, ils sont susceptibles de provoquer une compétition pour l’accès à la terre telle que le monde n’en a jamais connu. 3. Nature Communications 1, doi : 10.1038/ncomms1053, Dominic Woolf et al, Sustainable biochar to mitigate global climate change (« Le biochar durable dans l’atténuation du changement climatique mondial ») 4. African Biodiversity Network (2010) Biochar Land Grabbing, the Impacts on Africa (« Accaparements de terres pour le biocharbon, les impacts en Afrique », disponible en anglais sur http://www.biofuelwatch.org.uk/docs/biochar_africa_briefing2.pdf) 5. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 12 (« Changements Climatiques 2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/ ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf) 6. GIEC (2014) Fifth Assessment Report, Working Group III, Chapter 6, p 446 6 Le GIEC a donc conclu que « les mesures d’atténuation peuvent porter atteinte au droit à un développement durable et à l’équité, ainsi qu’empêcher l’éradication de la pauvreté. ».7 Les avantages du « business-as-usual » Le concept de « zéro net » permet aux États et aux entreprises de continuer à brûler du charbon pour produire de l’électricité ou à fracturer les sols pour extraire du pétrole et du gaz, en s’appuyant sur l’idée que les émissions générées par ces activités seront retirées de l’atmosphère par la suite. L’industrie pétrolière a des milliards de dollars en jeu dans les négociations sur le climat. La régulation de ses activités et la baisse de la consommation d’énergies fossiles réduiraient certainement sa marge de profit qui est considérable. Il n’est donc pas étonnant que cette industrie montre un intérêt pour les stratégies de séquestration du carbone telles que la BCSC. En comptant sur des technologies de compensation carbone au lieu de réduire les émissions, l’industrie des énergies fossiles peut continuer à polluer « business-as-usual ». Elle s’intéresse également au carbone séquestré, puisque des réserves de pétrole jusqu’ici inaccessibles peuvent être exploitées en injectant le CO2 séquestré dans des puits de pétrole abandonnés, pour encore davantage d’extraction, de combustion et de profits. De nombreux acteurs et observateurs s’accordent à dire que la compensation carbone n’est pas une réponse au changement climatique, et cela pour toutes sortes de raisons : le manque global d’ambition des actions sur le climat, le surplus mondial de crédits carbone, la chute des prix du carbone, la création d’incitations perverses, le manque de projets de compensation réellement additionnels (la majorité des projets de compensation auraient eu lieu dans tous les cas, même sans les fonds issus de la vente des crédits de carbone). Cependant, ces problèmes ramènent tous à l’idée de laisser les pays et les entreprises continuer à polluer tout en évitant d’avoir à agir pour réduire leurs émissions.8 Bien que les technologies du « zéro net » soient scientifiquement bancales et irréalisables, le concept encourage les gouvernements et les industries à éviter de prendre les mesures concrètes, nécessaires et urgentes, dont la planète a besoin face à la crise climatique. 7. GIEC, Climate Change (2014) Mitigation of Climate Change, Summary for Policy Makers, p 5 (« Changements Climatiques 2014: Atténuation du Changement Climatique », disponible en anglais sur http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/ ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf), notre traduction. 8. http://www.carbontradewatch.org/issues/carbon-offsets.html 7 Les enseignements à tirer des accaparements de terres causés par les agrocarburants La croissance de la production mondiale des agrocarburants des dernières années donne un aperçu des principaux impacts de la compensation carbone par l’usage des terres à grande échelle. Les projets de production de agrocarburants sont en deuxième position sur la liste des principaux motifs d’acquisitions foncières de grande envergure9, et la Banque Mondiale a établi que « la demande de matières premières pour la production de agrocarburants résultant des politiques et objectifs en vigueur dans les principaux pays consommateurs » était l’un des principaux moteurs de l’expansion mondiale des surfaces cultivées.10 LE DISCOURS DU « ZÉRO ÉMISSION NETTE » POURRAIT RETARDER LES VÉRITABLES ACTIONS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN AUTORISANT LA POLLUTION « BUSINESS AS USUAL » 9. Land Matrix (2014) Land Matrix Newsletter October 2014, Land Matrix 10. Banque Mondiale (2011) Rising Global Interest in Farmland, Banque Mondiale : Washington, DC. 8 Le développement de plantations d’agrocarburants à grande échelle a provoqué une déforestation colossale et d’énormes émissions de carbone liées à l’exploitation de tourbières, tandis que les communautés locales marginalisées ont perdu l’accès aux terres, aux pâtures et aux ressources sylvicoles.11 Le groupe de recherche GRAIN a dressé une liste de 293 cas d’accaparements de terres rapportés dans le monde entier entre 2002 et 2012 – pour une surface totale de 17 millions d’hectares – dont les investisseurs déclaraient qu’ils étaient destinés à la production de agrocarburants.12 et 13 Le développement des agrocarburants a également impacté la sécurité alimentaire des populations d’autres manières. En créant une demande supplémentaire de matières premières, il accentue la compétition pour l’accès à d’autres intrants agricoles tels que l’eau ou les engrais, et contribue ainsi à la déstabilisation et la hausse des prix des aliments. Le développement des agrocarburants est l’un des éléments déclencheurs des hausses des prix de l’alimentaire en 2007 – 2008 et en 2012. Pour les pays en développement qui sont importateurs de produits alimentaires, l’augmentation des prix de l’alimentaire est particulièrement problématique. Entre les années commerciales 2005 – 2006 et 2010 – 2011, les pays en développement ont payé 6,6 milliards USD supplémentaires pour l’importation alimentaire, à cause du développement de l’éthanol de maïs aux États-Unis.14 La canne à sucre à Bagamoyo, Tanzanie Dans le district de Bagamoyo, en Tanzanie, environ 1 300 agriculteurs-trices produisant diverses cultures destinées au marché local, sont en train d’être expulsés afin de libérer les terres pour la création d’une immense plantation de canne à sucre. Et ce, sans qu’ils aient donné leur consentement préalable, libre et éclairé. Bien que l’entreprise ait mené des consultations auprès des villageois affectés, beaucoup d’entre eux ne se sont pas vus proposer d’autre option que d’être déplacés, et ont été privés d’informations cruciales sur les effets irréversibles que le projet est susceptible d’avoir sur leurs modes de subsistance et leurs droits à l’alimentation et à la terre.1 Le manque de transparence de l’entreprise impliquée, EcoEnergy, a aussi posé de sérieux problèmes, puisqu’elle n’a pas publié les informations cruciales ayant trait au crédit d’impôts dont elle bénéficierait, tandis que de fausses informations étaient publiées au sujet des parts du gouvernement dans le projet. 1. ActionAid (2015) Stop EcoEnergy’s Land Grab in Bagamoyo, Tanzania http://www.actionaid.org/publications/take-action-stop-ecoenergys-land-grab 12. GRAIN (2013) Il faut arrêter d’accaparer les terres pour produire des biocarburants, GRAIN 18 mars 2013, GRAIN : Gérone 13. ActionAid (2015) Act on It : 4 Key Steps to Prevent Land Grabs (« Agissons : 4 étapes pour empêcher les accaparements de terres ») 14. ActionAid USA (2012) “Fueling the Food Crisis : The Cost to Developing Countries of US Corn Ethanol Expansion.”, p 3 (« Ce qui alimente la crise alimentaire : le prix du développement de l’éthanol de maïs pour les pays en développement ») 9 Le jatropha à Malindi, Kenya En octobre 2009, les communautés de la région côtière kenyane de Malindi ont découvert que leur conseil régional (county council) concédait 50 000 hectares de terres communales à Kenya Jatropha Energy Ltd, une entreprise italienne spécialisée dans la production de agrocarburants. Le conseil devait recevoir 100 000 € (2 € par hectare) par an pendant les 33 ans du contrat de concession. Le projet aurait nécessité l’expulsion d’environ 20 000 personnes ainsi que la destruction de la forêt Dakatcha, qui accueille certaines espèces rares d’oiseaux et d’arbres. Les communautés locales n‘ont cependant pas été consultées, et n’ont pas accordé leur consentement au projet. Elles ont saisi les tribunaux en demandant un arrêt immédiat du projet, tandis qu’une pétition regroupait des dizaines de milliers de signatures au Kenya et à l’étranger. En septembre 2010, le gouvernement kenyan demandait au conseil régional de développer un plan d’occupation des sols à usages multiples permettant de conserver toutes les forêts, tandis que l’entreprise avait la charge de fournir des informations concrètes sur les impacts économiques, sociaux et environnementaux du projet proposé. Un an plus tard, en septembre 2011, le gouvernement interdit la culture du jatropha dans la région, en soulignant que l’entreprise n’avait pas su « fournir de preuves scientifiques que le développement du jatropha serait durable et économiquement viable pour le pays et ses communautés ».1 1 ActionAid (2014) The Great Land Heist http://www.actionaid.org/publications/great-land-heist Un groupe d’organismes intergouvernementaux, dont l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), le Fonds international pour le développement agricole (IFAD), la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce a par la suite appelé les gouvernements du G20 à mettre fin à toute politique de soutien à la production et à la consommation de agrocarburants.15 Bien qu’ils aient été présentés comme « énergies renouvelables », les agrocarburants ne tiennent pas leur promesse de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les politiques de soutien aux agrocarburants ont généré un accroissement de la demande de terres agricoles, tandis que d’importantes réserves de carbone et des écosystèmes fragiles tels que les forêts, les tourbières et les prairies sont mis en culture, avec pour conséquence une perte de biodiversité et une augmentation sensible des émissions de GES résultant du labourage et de la destruction des végétaux.16 et 17 15. AO, IFAD, IMF, OCDE, UNCTAD, WFP, Banque Mondiale, OMC, IFPRI et UN HLTF (2011) Price Volatility in Food andAgricultural Markets : Policy Responses, FAO : Rome. (« Volatilité des prix dans les marhés agricoles et alimentaires : recommandations politiques ») 16. Transport & Environment (2013), Drivers and impacts of Europe’s biofuels policy, Transport & Environment : Bruxelles (« Les moteurs et les impacts de la politique européenne en matière de biocarburants ») 17. ActionAid (2015) Act on It : 4 Key Steps to Prevent Land Grabs (« Agissons : 4 étapes pour empêcher les accaparements de terres ») 10 Les agrocarburants montrent que la demande de cultures énergétiques peut créer une pression supplémentaire sur les terres les plus fertiles et les ressources en eau les plus précieuses, et fragiliser la sécurité alimentaire des agriculteurs-trices dans les pays en développement. Si le nouvel accord international sur le climat encourage les technologies à émissions négatives, il pourrait générer plus de cas d’accaparements de terres, comme ceux décrits ci-dessus, mais à une échelle nettement supérieure. 11 HENZANANI MERAKINI EST UNE AGRICULTRICE VIVANT DANS UNE ZONE FORESTIÈRE DE LA RÉGION DE DAKATCHA AU KENYA. SA MAISON ET SES TERRES SONT SITUÉES DANS UNE ZONE QUI AVAIT ÉTÉ SÉLECTIONNÉE POUR ÊTRE CONVERTIE EN PLANTATION DESTINÉE À LA PRODUCTION D’AGROCARBURANT. PHOTO : CHRIS COXON/ ACTIONAID Conclusions & Recommandations Le concept de « zéro émissions nettes » fera peser le poids des solutions aux changements climatiques sur les pays et communautés du Sud, qui en sont les moins responsables. Les droits fonciers et la souveraineté alimentaire des petits producteurs-trices et des communautés locales seront menacés – particulièrement dans les pays en développement – par l’usage des terres à grande échelle pour la compensation climatique, entrant en conflit direct avec la production alimentaire et les écosystèmes. La nécessité de garantir la sécurité alimentaire face au changement climatique était à la base une des raisons principales de la création de la CCNUCC. Le nouvel accord mondial ne doit donc pas diminuer les capacités d’adaptation et la sécurité alimentaire des agriculteurs-trices du monde entier. De véritables mesures d’atténuation du changement climatique peuvent et doivent être mises en place avec une importante réduction des émissions de GES à la source. Nous ne pouvons pas laisser les vraies avancées qui ont été faites pour le climat tomber dans le piège du « zéro émissions nettes ». · e nouvel accord sur le climat de l’ONU doit appeler à des mesures climatiques L ambitieuses et équitables et à une réduction drastique des émissions de CO2. Les pays riches doivent réduire leurs propres émissions de GES tout en soutenant les pays du Sud vers une transition juste et sobre en carbone. Ces mesures de réduction des émissions ne doivent pas avoir d’impacts négatifs sur la capacité d’adaptation ni sur les droits à la terre et à l’alimentation des peuples indigènes, des paysan-ne-s et des communautés locales. · L es États parties et les organisations de la société civile doivent s’opposer à la notion de « zéro émissions nettes » et la supprimer des documents de la CCNUCC. · a protection de la sécurité alimentaire doit figurer dans le préambule L du nouvel accord ainsi que dans les objectifs globaux et les sections sur l’adaptation et l’atténuation. · es émissions issues du secteur foncier doivent être soumises à des objectifs L de réduction distincts de ceux pour les émissions issues des énergies fossiles. Cela aidera à empêcher les vides juridiques dans le secteur forestier et donc les déforestations, tout en décourageant l’usage à grande échelle de terres dans le cadre de technologies à émissions négatives visant à résorber les émissions industrielles de GES. 12 Remerciements : Auteurs : Teresa Anderson (ActionAid International) et Kelly Stone (ActionAid USA) Avec la participation de : Soren Ambrose, Antoine Bouhey, Marie Clarke, Catherine Gatundu et Harjeet Singh Traduction de l’anglais vers le français : Liz Libbrecht, Audrey Arjoune Graphisme : Nick Purser Mise en page : Solenn Le Cars / [email protected]