Capnographie en anesthésie

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QUESTIONS POUR UN CHAMPION EN ANESTHESIE
CAPNOGRAPHIE EN ANESTHESIE
F. Capron, J-L. Bourgain. Service d’anesthésie, Institut Gustave Roussy, 94805
Villejuif Cedex, France.
INTRODUCTION
Le monitorage respiratoire peropératoire par la capnographie, associée à l’oxymétrie de pouls (SpO2), la pression dans les voies aériennes, la spirométrie expirée et la
concentration inspirée en oxygène, est à l’heure actuelle une obligation pour toute anesthésie générale avec intubation trachéale. Une analyse des accidents d’anesthésie [1],
ayant donné lieu à des plaintes, révèle que 34 % de ces accidents sont d’origine respiratoire, avec 85 % de décès ou de lésions cérébrales irréversibles. L’expertise conclue
que près de 72 % de ces accidents respiratoires auraient pu être évités par un meilleur
monitorage, essentiellement par la SpO2, la capnographie ou la combinaison des deux.
L’utilisation de la capnographie doit permettre une détection plus précoce des problèmes respiratoires afin d’en diminuer la morbidité et la mortalité grâce à une correction
plus rapide. Son intérêt déborde le cadre de l’intubation trachéale pour s’étendre à celui
de la ventilation avec masque laryngé.
En association avec d’autres moniteurs, la capnographie est utile pour le diagnostic
des insuffisances circulatoires et de l’hyperthermie maligne ; elle est utile à l’évaluation de la profondeur d’anesthésie.
1. PRINCIPES DE MESURE
Le CO2 des gaz respiratoires peut être mesuré par différentes méthodes. L’absorption infrarouge est la méthode actuellement diffusée en France. Elle analyse les
modifications d’absorption par un système optique (le CO2 absorbant sélectivement un
type de longueur d’onde de la lumière infrarouge (4,3 µm)). Les autres méthodes : la
spectrométrie de masse, la spectrographie par effet Raman, la spectrographie photoacoustique sont plus onéreuses et ne sont plus commercialisées en France pour le
monitorage clinique.
Selon l’emplacement de la cellule de mesure, on distingue deux types de capnomètres :
1-Le capnomètre aspiratif : la cellule, située dans l’unité principale, est reliée au malade par un tuyau permettant l’aspiration de l’échantillon gazeux. Son intérêt est la
facilité de calibration avec zéro automatique, le faible encombrement au niveau du
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patient, ainsi que la possibilité de monitorage de plusieurs gaz (N2O et halogénés). Il
peut être utile pour la surveillance du patient non intubé, en prélevant l’échantillon
soit par un cathéter nasal, soit à travers le masque facial. Lors de l’utilisation de
débits de gaz frais < 1 l.min-1, le gaz inspiré doit être réinjecté dans le circuit filtre à
un emplacement qui n’engendre ni réinhalation, ni artefact de mesure.
2-Le capnomètre non aspiratif : le capteur est situé sur le circuit entre la sonde d’intubation et la pièce en Y. Il évite l’écueil de l’obstruction de la ligne de prélèvement,
notamment en cas d’encombrement bronchique, mais son prix est plus onéreux à
l’achat ou lorsque la cellule doit être remplacée et sa calibration est plus délicate.
2. CHECK-LIST
La vérification avant utilisation est indispensable et est souvent réalisée par un autotest de l’appareil. Elle n’identifie pas toujours certains dysfonctionnements comme la
fuite sur la ligne de prélèvement et la perte de linéarité de la cellule de mesure. Les
fuites sont détectées par l’examen de la ligne de prélèvements et certains aspects évocateurs du capnogramme* (un plateau expiratoire descendant ou un plateau long suivi
d’un pic bref, une élévation de la PICO2 avec amortissement de la courbe). Les problèmes de non-linéarité des cellules sont difficiles à identifier : la meilleure méthode est
de vérifier régulièrement (ou selon les spécifications des industriels) la mesure de la
concentration de CO2 de deux gaz étalons.
3. CONSIDERATIONS PHYSIOLOGIQUES
Le monitorage du CO2 dans les voies respiratoires permet d’obtenir la pression inspiratoire en gaz carbonique (PICO2), la pression télé-expiratoire en gaz carbonique
(PetCO2) et la fréquence respiratoire. La visualisation du capnogramme est indispensable, car elle permet, en temps réel, de contrôler la qualité de mesure et de pratiquer
certains diagnostics sur l’aspect de la courbe.
La concentration de CO2 dans les alvéoles est un rapport entre le CO2 apporté aux
poumons (VCO2) et la ventilation alvéolaire (VA). L’équation suivante décrit les principaux déterminants de la pression partielle alvéolaire en CO2 (PACO2) dans un modèle
uni-alvéolaire et en l’absence de troubles de diffusion de la membrane alvéolocapillaire :
PaCO2 = PACO2 = PB x FICO2 + k x VCO2 / VA
où PaCO2 est la pression partielle artérielle en CO2, PB est la pression barométrique, FICO2 est la fraction inspirée en CO2, k est une constante.
La PetCO2 est dépendante de la PACO2 et donc influencée par les changements de
la pression atmosphérique, de la FICO2, des déterminants de la VCO2 (la production
tissulaire de CO2 et le transport de CO2 aux poumons), et des déterminants de la ventilation alvéolaire (ventilation minute et espace mort physiologique).
4. INTERPRETATION
Elle se fait à plusieurs niveaux : analyse du capnogramme, PICO2 comme témoin
de réinhalation, PetCO2 comme reflet de la pression artérielle en gaz carbonique (PaCO2)
et comme moniteur de la fonction métabolique, respiratoire ou hémodynamique.
(* les hellénistes distingués liront capnigramme)
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4.1. INTERPRETATION DU CAPNOGRAMME NORMAL
Le capnogramme est divisé en quatre phases (Figure 1) :
1-Phase I : représente la ligne de base inspiratoire, qui doit être stable à zéro.
2-Phase II : est la partie ascendante du capnogramme et correspond à l’apparition du
CO2 au début de l’expiration. L’expiration débute un peu avant cette phase car le gaz
expiré en début d’expiration est dépourvu de CO2, n’ayant pas participé aux échanges gazeux (espace mort instrumental et anatomique). L’ascension est d’autant plus
lente que le poumon est inhomogène et que les alvéoles ont des constantes de temps
longues.
3-Phase III : est la phase de plateau qui correspond au gaz riche en CO2 en provenance
des alvéoles. La valeur de fin de plateau correspond à la PetCO2. Plus la distribution
des rapports ventilation/perfusion (VA/Q) est homogène, plus le plateau est horizontal.
4-Phase IV : correspond à la descente de la concentration en CO2 et donc au début de
l’inspiration.
CO2
I
II
III
IV
PetCO 2
Temps
Figure 1 : Le capnogramme normal peut être décomposé en quatre phases : I : ligne
de base inspiratoire ; II : montée expiratoire ; III : plateau expiratoire ; IV : descente
inspiratoire. La PetCO2 est la valeur maximale de CO2 mesurée en fin de plateau expiratoire.
4.2. ANOMALIES DU CAPNOGRAMME
Un plateau expiratoire ascendant est évocateur d’un bronchospasme, d’une bronchite chronique ou d’une quelconque altération des rapports VA/Q. Cette altération
peut être due soit à un mélange incomplet des gaz (alveolar mixing defect), soit à un
manque de synchronisation entre le pic de ventilation et le pic de perfusion (temporal
mismatching : perfusion maximum en fin d’expiration lorsque la ventilation est la moins
importante).
Le plateau expiratoire peut être altéré par des artefacts synchrones des battements
cardiaques, appelés oscillations cardiogéniques. Elles s’observent en cas de bradypnée
ou de ventilation à faible volume courant et sont souvent reconnues comme des cycles
respiratoires, empêchant le moniteur de s’alarmer devant cette dépression respiratoire.
Le plateau peut être le siège d’une dépression brève, particulièrement en cas de
curarisation partielle, en décubitus latéral et lors des encombrements bronchiques.
Ces aspects évocateurs ne sont en aucun cas spécifiques des pathologies décrites.
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4.3. PETCO2 ESTIMATION DE LA PACO2 : GRADIENT P(A-ET)CO2
En présence de conditions de mesure correctes : étalonnage effectué, absence de
fuite et fréquence respiratoire < 30 min-1, la PetCO2 permet l’estimation de la PaCO2
chez le sujet sain en ventilation spontanée. Sous anesthésie, en particulier en ventilation mécanique, le gradient P(a-et)CO2 ne peut être négligé.
Ce gradient varie d’un patient à un autre et augmente avec l’âge, le tabagisme, la
classe ASA, la pathologie pulmonaire (surtout en cas d’embolie pulmonaire) et la baisse du débit cardiaque. Il n’est pas stable au cours de l’anesthésie, pouvant varier de 4,5
à 13 mmHg [2]. Il est aussi plus faible chez la femme enceinte [3] et chez l’enfant.
L’emplacement de la prise d’échantillon peut influencer le gradient, plus l’emplacement est proche du patient, plus le gradient est faible (diminution de l’espace mort
instrumental) [4].
Certaines manœuvres, comme une simple expiration prolongée, ont été proposées
pour réduire P(a-et)CO2 [5]. Sur une série de 16 patients devant subir une œsophagectomie thoraco-abdominale, Tavernier et al. [6] ont montré la diminution du gradient
P(a-et)CO2, après une expiration prolongée ou une expiration prolongée précédée d’une
hyperinflation des poumons, celui ci passant de 1,3 ± 0,4 kPa à respectivement
0,8 ± 0,5 kPa et 0,6 ± 0,5 kPa. L’auteur conclue néanmoins que, du fait de l’extrême
variabilité interindividuelle, ces manœuvres ne permettent pas d’améliorer l’évaluation
correcte de la PaCO2 par la PetCO2.
Toutefois, la PetCO2 permet d’identifier les hypercapnies et les hypocapnies les
plus sévères. Un objectif de PetCO2 comprise entre 30 et 35 mmHg, correspond le plus
souvent à une normocapnie (35 à 45 mmHg).
Même chez des patients sans antécédents respiratoires, certaines situations opératoires élargissent le gradient au point de rendre impossible l’extrapolation de la valeur
de PaCO2 à partir de la mesure de PetCO2. C’est ainsi le cas de la position de lombotomie, où le gradient P(a-et)CO2 passe de 4,8 ± 3,9 mmHg, en décubitus dorsal, à
7,9 ± 3,5 mmHg (p < 0,01), en lombotomie, sans changement hémodynamique notable [7].
4.4. PICO2 : TEMOIN DE REINHALATION
Une PICO2 supérieure à 0 indique une réinhalation du CO2 expiré, et doit faire
suspecter un épuisement de la chaux sodée ou une panne du système d’anesthésie. Son
intérêt est évident en cas d’anesthésie à bas débit de gaz frais (circuit filtre). Il est tout
aussi indispensable avec les systèmes dit ouverts : ils peuvent être sujet à des dysfonctionnements et certains d’entre eux impliquent une réinhalation partielle des gaz expirés
(Mapleson, Circuit de Bain).
4.5. VARIATION DE LA PETCO2 ET DEBIT CARDIAQUE (DC)
Il est maintenant bien démontré qu’il existe une corrélation entre les variations de la
PetCO2 et du DC [8, 9], et cela même pour des DC extrêmement faibles [10]. Deux
mécanismes ont été proposés pour expliquer cette relation entre le DC et la PetCO2 : la
diminution de la délivrance du CO2 aux poumons et l’augmentation du nombre d’alvéoles à haut VA/Q, augmentant le rapport espace mort alvéolaire / volume courant
(Vd/Vt). Cette augmentation du rapport Vd/Vt est en relation avec la diminution du
débit sanguin pulmonaire. La corrélation entre les variations de la PetCO2 et du DC est
la même qu’entre celles de l’élimination du CO2 (VECO2) et du DC (Figure 2 et 3).
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y = 0,33x + 0,13 r2 = 0,82
20
% de baisse PetCO2
15
10
5
0
0
10
20
40
30
% de baisse de DC
50
60
70
Figure 2 : Corrélation entre le pourcentage de baisse du débit cardiaque (% de baisse
du DC) et le pourcentage de baisse de la PetCO2 (% de baisse PetCO2) lors de 33
épisodes de perturbations hémodynamiques. La ligne de régression est tracée ; pente
= 0,33, r2 = 0,82 [9].
25
y = 0,28x + 1,44 r2 = 0,84
20
% de baisse VECO2
15
10
5
0
0
10
20
30
40
50
60
70
% de baisse DC
Figure 3 : Corrélation entre le pourcentage de baisse du débit cardiaque (% de baisse
DC) et le pourcentage de baisse de l’élimination du CO2 (% de baisse VECO2) ; pente
= 0,28, r2 = 0,84 [9].
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La pente des relations DC/PetCO2 est de 0,33 dans l’étude chez l’homme [9], contre
0,7 dans l’étude animale [8], avec des coefficients de corrélation semblables (respectivement 0,82 et 0,89). En fait, la relation ne semble pas linéaire, puisque la pente semble
moins importante pour les baisses de DC < 50%, par rapport à celle observée pour les
baisses > 50 %. Deux explications possibles : lors d’une baisse modérée de DC, la
production de CO2 est maintenue jusqu’à un certain niveau critique de baisse. Pour des
baisses de DC plus importantes, la production de CO2 diminue, suivie d’une ischémie
tissulaire, la baisse du métabolisme aérobie impliquant une baisse de la production
totale de CO2, donc de la VECO2 et de la PetCO2. L’autre explication est une accumulation de CO2 dans le tissu ischémique et la circulation veineuse dans les bas DC.
Quatre facteurs tendent à limiter la diminution de la PetCO2 lors de la baisse du DC [8] :
1-L’augmentation de l’espace mort alvéolaire entraîne une diminution de la ventilation
alvéolaire efficace, diminuant donc l’élimination du CO2 par le poumon, tendant donc
à augmenter la PACO2.
2-La baisse de la saturation veineuse en oxygène qui survient lors de la baisse du DC,
augmente la capacité du sang veineux mêlé à transporter le CO2 à une PCO2 donnée
(effet Haldane).
3-Les réserves en CO2 du tissu pulmonaire vont tamponner, de façon peu importante, la
diminution de la PACO2.
4-Lors d’une baisse prolongée de DC, la diminution du transport du CO2 aux poumons
entraîne une accumulation du CO2 dans les tissus périphériques. Le contenu en CO2
des tissus va augmenter ainsi que dans le sang veineux, avec une restauration progressive du débit de CO2 amené aux poumons. Si la baisse du DC persiste, PetCO2,
PaCO2 et VCO2 tendent à revenir à leur niveau de base.
Dans la chirurgie hépatique (Figure 4), le monitorage de la PetCO2 permet la surveillance de la tolérance hémodynamique du triple clampage hépatique, qui
s’accompagne d’une chute du DC de l’ordre de 50 % [11]. De plus, Delva et al. [12]
ont mis en évidence une augmentation de 25 % de la PaCO2, en rapport avec un recaptage de lactates lors du déclampage hépatique (hyperlactatémie secondaire à l’ischémie
hépatique et à l’accumulation dans le réservoir sanguin splanchnique).
CO2 (mmHg)
0
30
Clampage
Déclampage
Figure 4 : PetCO2 et clampage hepatique
60 min
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4.6. PETCO2 ET REANIMATION DE L’ARRET CARDIAQUE
Le capnographe permet le monitorage et la bonne conduite de la réanimation cardiorespiratoire. Pendant l’arrêt cardiaque, le flux sanguin pulmonaire est bas et peu
d’alvéoles sont irrigués. Quand le flux sanguin pulmonaire augmente grâce au massage
cardiaque externe, les alvéoles sont reperfusés et la PetCO2 augmente. La PetCO2 semble bien corrélée avec le DC mesuré pendant la réanimation [13]. Elle semble avoir un
intérêt pronostic quant à la réussite de la réanimation ; il a été rapporté que les nonsurvivants avaient une PetCO2 plus basse que les survivants et qu’aucun patient avec
une PetCO2 < 10 mmHg n’avait survécu [14, 15].
Lors d’un excès de perfusion de bicarbonates, la PetCO2 augmente sans signifier
forcément une amélioration des conditions circulatoires.
5. INDICATIONS PEROPERATOIRES DE LA CAPNOGRAPHIE
5.1. POSITION DE LA SONDE D’INTUBATION
La capnographie, si l’appareil a été correctement vérifié, est un élément diagnostique essentiel pour la détermination du bon positionnement de la sonde d’intubation.
L’absence de capnogramme après une intubation doit faire suspecter une intubation
œsophagienne. A cela deux réserves : lors d’une intubation œsophagienne, il peut y
avoir un capnogramme, qui disparaît après quelques insufflations [16] ; l’absence de
capnogramme peut s’observer lors d’une intubation en position correcte en cas d’obstruction sévère (bronchospasme ou panne du système d’anesthésie) [17]. C’est un
élément peu fiable de l’intubation sélective, bien que celle-ci s’accompagne souvent
d’une baisse de la PetCO2 [18]. La capnographie permet de vérifier le bon positionnement et l’étanchéité sélective d’une sonde double-lumière et de diagnostiquer une
extubation accidentelle peropératoire.
5.2. INTUBATION A L’AVEUGLE
L’enregistrement continu du CO2 à l’extrémité distale de la sonde d’intubation permet de guider une intubation nasale à l’aveugle chez un patient en ventilation spontanée.
Lorsque la sonde se rapproche du larynx, la PetCO2 augmente [19, 20]. Cette méthode
est réalisable de la même façon avec les guides creux (mandrin de Cook).
5.3. MASQUE LARYNGE ET COPA
La capnographie est essentielle à la surveillance des patients en ventilation mécanique ou spontanée par masque laryngé. Il a été démontré que l’estimation de la PaCO2
par la PetCO2 était tout aussi fiable qu’avec une intubation endotrachéale [21, 22]. Elle
permet aussi de surveiller la profondeur de l’anesthésie. Une anesthésie trop légère
(fermeture glottique) s’accompagne d’un capnogramme irrégulier ou d’une PetCO2 basse
avec un capnogramme en fer de lance [23]. La présence d’un capnogramme normal,
après la pose d’un masque laryngé, n’implique pas forcément que celui-ci est en place.
Les signes, comme la saillie du larynx et le recul du tube lors du gonflage du ballonnet,
sont plus fiables.
Il semble, pour le COPA (Cuffed Oropharyngeal Airway), qu’on puisse espérer obtenir des résultats similaires à ceux observés lors de l’utilisation du masque laryngé en
cas d’étanchéité correcte.
5.4. VENTILATION SPONTANEE AU MASQUE FACIAL
La capnographie permet, grâce aux systèmes aspiratifs, de monitorer la ventilation
spontanée au masque facial, grâce à un cathéter nasal ou à un raccord relié au masque.
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Bien que les valeurs de PetCO2 reflètent mal la PaCO2, du fait du mélange du CO2
expiré avec l’air ambiant ou l’oxygène, il est un détecteur plus précoce de dépressions
respiratoires ou d’obstructions des voies aériennes que la SpO2, lors de la chirurgie
dentoalvéolaire chez le patient sédaté. Une intervention plus précoce permet de limiter
les accidents [21, 24, 25].
5.5. JET VENTILATION (JVHF) ET MONITORAGE DU CO2
La mesure de la ventilation alvéolaire sous JVHF peut être effectuée de façon non
invasive par la mesure du CO2 trachéal. La mesure en continu de la PetCO2 n’est pas
une bonne méthode de surveillance car le gradient P(a-et)CO2 est large sous JVHF [26].
Pour obtenir une surveillance de la ventilation alvéolaire sous JVHF chez le patient
intubé, il faut arrêter la jet et mesurer le CO2 de fin d’expiration après un ou deux cycles
de ventilation en pression positive manuelle ou mécanique [27]. Au cours des endoscopies ORL, il est possible d’aspirer le gaz trachéal à travers le cathéter d’injection, après
avoir arrêté la jet ventilation [28]. Pour peu que le site de prélèvement soit situé près du
patient, la valeur de la concentration de CO2 obtenue après 5 secondes d’aspiration est
proche de la PaCO2. Ce monitorage peut être appliqué en intercalant simplement une
valve à quatre voies sur la ligne d’injection.
5.6. CAPNOGRAPHIE ET CŒLIOSCOPIE : DETECTION DES EMBOLIES
GAZEUSES AU CO2 (EGC)
L’insufflation intrapéritonéale du CO2 induit une augmentation de la PetCO2. Dans
une étude chez l’animal, Lister et al. [29] a montré l’existence d’une augmentation
linéaire de la PaCO2 en relation avec une augmentation de la VCO2 (absorption de CO2
par le péritoine); cette augmentation s’arrête pour des pressions d’insufflation supérieures à 10 mmHg. Pour des pressions d’insufflation > 10 mmHg, l’élévation de la
PaCO2 serait due à une augmentation de l’espace mort alvéolaire (répercussion de l’augmentation de la pression intrapéritonéale sur le thorax). Le gradient P(a-et)CO2
n’augmente pas de façon significative lors de la coelioscopie (30).
L’EGC survient dans environ 8 cas pour 10 000 cœlioscopies gynécologiques [31].
La PetCO2 permet de détecter des EGC. Cependant, la traduction d’une EGC n’est pas
univoque. Certains décrivent une élévation rapide de la PetCO2 [32], d’autres une diminution. Il semble que les EGC de petit volume (probablement < 0,1 ml.kg-1), où le
CO2 est dissout dans le plasma, provoquent une augmentation de la PetCO2, tandis que
les EGC de plus grand volume provoquent une baisse de la PetCO2, probablement en
rapport avec une augmentation de l’espace mort alvéolaire et surtout une baisse du
DC [33, 34, 35]. Toute modification transitoire de la PetCO2 doit alerter l’anesthésiste
afin de permettre un diagnostic et un traitement précoce d’EGC.
5.7. EMBOLIE PULMONAIRE (EP) ET CAPNOGRAPHIE
Toute EP, quelqu’en soit l’origine, s’accompagne d’une baisse de la PetCO2, en
rapport avec une augmentation de l’espace mort alvéolaire (haut rapport VA/Q). En cas
d’embolie massive, la baisse du DC aggrave la chute de la PetCO2.
L’embolie gazeuse, survenant notamment lors de la neurochirurgie, s’accompagne
d’une chute de la PetCO2, dont la détection précoce par la capnographie permet un
traitement précoce et une réduction de la morbidité [36].
L’EP cruorique, comme l’embolie graisseuse, s’accompagnent de la même façon
d’une chute de la PetCO2 [37]. Cette baisse de la PetCO2 a été utilisée dans une étude
récente, en service d’urgence, pour dépister les EP, en attendant un diagnostic de certitude, et permettre la mise en route d’une héparinothérapie. Les patients ayant une EP,
QUESTIONS POUR UN CHAMPION EN ANESTHESIE
avaient une diminution significative de l’aire du capnogramme [38]. Lors de la chirurgie orthopédique, les embols graisseux de très petits volumes peuvent ne pas être détectés
par la capnographie [39].
5.8. ETATS HYPERMETABOLIQUES
Les états hypermétaboliques entraînent une augmentation de la production de CO2
(VCO2). Sous ventilation contrôlée, l’augmentation de la VCO2 entraîne une élévation
de la PetCO2. En ventilation spontanée, l’augmentation de la VCO2 entraîne une augmentation de la ventilation qui sera ou non suffisante pour maintenir la PaCO2 à des
valeurs normales. L’élévation rapide et importante de la PetCO2 doit faire évoquer une
hyperthermie maligne (HTM) et est le signe le plus précoce d’HTM. Verburg et al. ont
montré sur un modèle animal d’HTM que la PetCO2 pouvait presque doubler dans les
cinq minutes suivant l’introduction de l’agent responsable (40). Le pronostic dépendant de la précocité du traitement, la capnographie est donc indispensable pour un
dépistage précoce.
Au réveil, il est fréquent d’observer des élévations importantes de la production de
CO2 (réchauffement, douleurs, cathécolamines...). La capnographie apparaît alors particulièrement utile pour adapter les réglages du respirateur et surveiller le sevrage.
5.9. CAPNOGRAPHIE CHEZ L’ENFANT
Chez l’enfant, la vitesse de prélèvement de l’échantillon doit être ≥ 150 ml.min-1.
Une vitesse de prélèvement moindre entraîne un risque de contamination à la fois lors
de l’inspiration et de l’expiration [41]. La réponse en fréquence des capnographes aspiratifs autorise leur utilisation pour des fréquences respiratoires inférieures à 30 min-1 [42].
La différence P(a-et)PCO2 est d’autant plus faible que le site de prélèvement est
plus proche de la trachée [43], par diminution de la contamination du gaz expiré par les
gaz frais [44, 45].
La PetCO2 permet, de la même façon que chez l’adulte, la surveillance du patient en
ventilation contrôlée ou spontanée, avec les mêmes restrictions quant à la fiabilité de
l’estimation de la PaCO2. Le gradient P(a-et)CO2 peut être nul voire négatif, notamment chez près de 50% des nourissons [45]. Chhibber et al. [46, 47] ont montré la
bonne corrélation entre la PaCO2 et la PetCO2 chez les enfants en ventilation contrôlée
sur sonde d’intubation ou masque laryngé.
La PetCO2 est plus élevée avec le masque laryngé, par augmentation de l’espace
mort instrumental (diamètre plus important qu’une sonde d’intubation et cavité «pharyngée» artificielle). En ventilation spontanée sur masque laryngé, le gradient
P(a-et)PCO2 est plus important et les enfants sont hypercapniques, du fait de l’augmentation de l’espace mort instrumental et de la combinaison d’une fréquence respiratoire
élevée avec de faibles volumes courants.
CONCLUSION
La capnographie est un élément clé de la sécurité anesthésique, en particulier dans
la prévention des accidents d’origine respiratoire ; ceci justifie pleinement l’obligation
légale d’équiper d’un capnographe chaque site où le praticien peut être amené à pratiquer une anesthésie générale. Il est intéressant de noter que, encore récemment, un
grand nombre de sites anesthésiques n’étaient pas équipés de ces moniteurs [48].
Depuis une dizaine d’années, les travaux publiés se sont attachés à démontrer son
intérêt et ses limites dans des situations cliniques précises : intubation, clampage, cœlioscopie, etc. Dans ces circonstances, le monitorage du CO2 expiré permet une surveillance
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continue et simple. Les modifications (qu’elles soient identifiées par le capnogramme
ou la courbe de tendance) servent à alerter précocement et déclencher une démarche
diagnostique s’appuyant sur d’autres arguments cliniques ou paracliniques.
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