Traits fonctionnels chez les végétaux
Des analyses « plante entière » testées sur des arbres d’Amazonie
Les travaux d’une équipe scientifique affiliée à l’UMR Ecofog en Guyane (CNRS / INRA / Université
Antilles Guyane), mettent en évidence chez les arbres d’Amazonie un découplage des stratégies
d’investissement en carbone entre les feuilles et les tiges ligneuses. Ces résultats originaux
indiquent que les modèles dynamiques de végétation, qui s’appuient actuellement sur un seul
aspect des traits fonctionnels, doivent être fortement améliorés si l’on veut décrire plus fidèlement
la dynamique de la forêt tropicale. Ces résultats à paraître dans la revue Ecology Letters, sont
accessibles en ligne depuis le 29 août.
La forêt tropicale héberge plus de la moitié de la biodiversité terrestre et est aussi un énorme stock de
carbone. Elle disparaît actuellement à un taux supérieur à 1% par an en moyenne en raison de la
déforestation et de la dégradation. Elle est également particulièrement exposée aux changements
climatiques qui sont prédits pour le XXIe siècle. Il est donc essentiel de développer les outils scientifiques
pour comprendre la réponse des arbres tropicaux à ces différentes perturbations.
Cependant, on ne peut pas faire reposer un tel programme de recherche seulement sur une approche
expérimentale : les arbres tropicaux vivent souvent plusieurs centaines d’années et ont une dynamique
démographique lente. Aussi, une autre méthode consiste à déduire les propriétés physiologiques de ces
plantes (capacité photosynthétique, utilisation de l’eau et des nutriments, production de molécules pour la
défense contre des agents pathogènes et prédateurs) des mesures effectuées sur le terrain, en forêt
tropicale. On appelle ces mesures, qui résument en fait les fonctions écologiques et physiologiques des
espèces étudiées, des « traits fonctionnels ».
Une équipe sous la direction de Christopher Baraloto de l’UMR Ecofog, à Kourou en Guyane, et réunissant
des chercheurs de l’INRA, du CIRAD et du CNRS, a mis en œuvre une étude de grande ampleur pour
mesurer les traits fonctionnels des arbres tropicaux de Guyane française, dans le cadre du projet BRIDGE
financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). A ce jour, l’essentiel des informations collectées par
les écologues concernaient les feuilles (par exemple la surface foliaire par unité de masse, qui est
fortement corrélée avec la capacité photosynthétique de la plante). Cette équipe a étendu les mesures à
l’ensemble de l’arbre (incluant les tissus ligneux). Au total, l’étude intègre des données de traits fonctionnels
sur 13 448 feuilles et tissus ligneux, provenant de 4 672 arbres, représentant 668 espèces d’arbres.
Par le passé, des chercheurs avaient déjà démontré que les traits foliaires ne varient pas aléatoirement,
mais sont contraints par des compromis de l’investissement de carbone dans des feuilles bien défendues
ou très productives. Ces compromis sont analogues à ceux rencontrés en économie, lorsque l’on doit
investir, au choix, dans des équipements durables et coûteux, ou à court terme et moins solide.
Concernant les végétaux, les écologues ont appelé ce domaine de variation le «spectre économique
foliaire ». Les résultats publiés dans l’article d’Ecology Letters démontrent que chez les arbres tropicaux, les
contraintes de production des feuilles sont indépendantes des contraintes de production du tronc. Cela
implique que les plantes qui produisent des tissus foliaires peu coûteux ne sont pas nécessairement des
plantes à croissance rapide. Ce résultat démontre aussi que les modèles dynamiques de végétation
actuels, qui ne prennent en compte que les processus à l’échelle de la feuille, doivent être fortement
améliorés s’ils veulent décrire fidèlement la dynamique de la forêt tropicale, et plus généralement prédire
l’impact des changements globaux.