Pourquoi les oiseaux chantent-ils

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2004
Les dossiers...
...de VivArmor
Pourquoi les oiseaux
chantent-ils ?
Pourquoi les oiseaux chantent-ils ?
Laurent DABOUINEAU
Qui ne s’est pas réveillé un matin de février, en entendant les oiseaux chanter dans son jardin et en
se disant juste : « c’est beau » !
C’est « beau », « agréable », « mélodieux », « musical », voilà à peu près les seuls qualificatifs que
nous employons pour décrire les chants des passereaux1. C’est pauvre, principalement parce qu’il
n’est pas dans notre culture de décrire des sons ; sauf pour quelques mélomanes avertis. Par contre
nous avons une tonne de vocabulaire pour décrire visuellement dans le moindre détail des objets
ou des images (couleurs, positions, formes, tailles, textures…). Ceci est dû au fait que nous
utilisons beaucoup plus les perceptions visuelles pour nous guider dans notre vie quotidienne que
les perceptions auditives.
Nous allons essayer dans cet article de décrire ce qu’est le chant d’oiseaux, mais surtout de
comprendre que les oiseaux ne chantent pas pour faire joli dans le paysage des hommes. En effet
le chant des passereaux a ce qu’en Ethologie2 on appelle une fonction, c’est à dire un rôle, une
utilité pour l’individu ou l’espèce.
Tout ce que les oiseaux émettent comme signaux sonores ne sont pas des chants. On distinguera le
chant du cri par un certain nombre de critères comme la durée, la variabilité, mais aussi par leurs
fonctions. Intéressons-nous d’abord aux chants.
Le chant
Lorsque l’on parle de chant chez les oiseaux on pense essentiellement aux passereaux territoriaux
vivant en couple comme le pinson, le rouge-gorge, le merle, le troglodyte, les fauvettes, les
bruants. D’autres espèces de passereaux vivent en colonie et ne défendent qu’un espace très réduit
proche du nid comme les hirondelles, les linottes ou les moineaux. Nous ne nous intéresserons
qu’aux premiers car le chant est en effet très lié au territoire, c’est à dire à un espace que va
défendre l’animal ou le couple contre les congénères de la même espèce.
Au printemps c’est le mâle le plus souvent qui s’installe sur un territoire qu’il a jugé « bon ». Un
« bon » territoire est un espace (de taille très variable, environ 200 m² pour un rouge-gorge par
exemple) où le couple doit pouvoir trouver les ressources nécessaires à la survie des futurs jeunes.
Le site dispose donc d’au moins un site de nidification protégé, d’abris potentiels contre les
prédateurs, et surtout des ressources alimentaires suffisantes pour le couple et ses jeunes.
Voilà pourquoi ces petits passereaux ont tout intérêt à le défendre, ce territoire. La survie des
jeunes et donc de l’espèce en dépend. Les individus ne possédant pas de territoires vont errer sur
des sites peu favorables en se faisant chasser par les propriétaires déjà installés. Leurs chances de
se reproduire sont donc sérieusement compromises.
Et le chant dans tout ça ? Et bien, il va avoir plusieurs fonctions pendant toute la période de
reproduction et même parfois au delà.
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1
Les passereaux (Ordre des passériformes) correspondent globalement aux petits oiseaux que l’on trouve dans nos
régions : alouette, pinson, rouge gorge, merle, étourneau, troglodyte, fauvettes, moineaux, mésanges…
2
Ethologie : Science qui étudie le comportement animal
La première fonction du chant est liée à la possession du territoire. Le mâle va, en s’installant sur
les lieux en janvier ou février, chanter afin d’affirmer que cet espace est déjà occupé. Information
que les congénères vont prendre à la lettre ou pas. A cette période lorsque tous les mâles sont en
train de conquérir un territoire, on observera des luttes « bec et griffes » qui parfois entraînent des
blessures physiques... plume en moins ou plaie. Cette période est relativement courte, rapidement
les choses se calment. Le chant, seul, va permettre aux passereaux de « maintenir la pression » sur
les congénères, voisins ou intrus. Ce qui est beaucoup plus économique que de se battre à chaque
fois qu’on voit un congénère. L’oiseau va donc passer beaucoup de temps à chanter afin
d’affirmer son « titre de propriété ».
Cela ne peut fonctionner qu’à un certain nombre de conditions.
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-
-
D’abord le chant doit être audible jusqu’aux limites du territoire et même au-delà. Voilà pourquoi
ils sont souvent puissants. L’intensité du son est élevée.
Ensuite le message doit être clair, non ambigu et affirmé souvent. Pour cela, le chant comporte des
éléments (des phrases : voir la description des chants ci-dessous) répétés parfois pendant des
heures. On a tous observé et écouté un pinson sur sa branche répéter la même ritournelle
indéfiniment ! « Certains oiseaux reprennent plus d’un millier de fois par jour inlassablement la
même phrase » (Bossus et Charron 2003)
Autre condition : le chant, élément de communication dans une espèce, doit être reconnaissable par
les autres membres de l’espèce (mâles et femelles). Pour cette raison les mâles d’une espèce ont, du
moins en apparence, un chant identique. Ce qui permettra de reconnaître un congénère de l’espèce.
Et nous permettra, nous humains, par la même occasion de reconnaître une espèce par le chant.
Pour que le système fonctionne, il faut enfin que les individus voisins puissent se reconnaître entre
eux ! Ceci est possible car il existe d’infimes variations entre les chants de chaque individu.
Variations que nous ne sommes pas capables de percevoir, ou alors avec beaucoup d’entraînement.
Cette fonction est importante : imaginez qu’à chaque fois qu’on rencontre le voisin près de la
frontière du territoire on ne le reconnaisse pas ; cela entraînerait des bagarres permanentes très
coûteuses en énergie qu’il vaudra mieux dépenser à rechercher de la nourriture. La reconnaissance
individuelle permet de s’assurer que les voisins sont toujours bien là, et de distinguer un voisin d’un
intrus. (Leroy, 1979)
La possession du territoire est donc la première fonction du chant, et il y en a d’autres.
- Seconde fonction : La qualité du chant va renseigner les congénères sur les aptitudes du
chanteur. S’il est fort, vigoureux, répété, le chanteur est en général en bonne forme physique, ce
qui dissuadera les intrus potentiels. Par contre s’il n’a pas ces caractéristiques l’animal est
probablement soit jeune, soit malade. Là, un intrus ou un voisin n’hésitera pas à tester la résistance
de ce mâle et éventuellement à lui prendre le territoire en le chassant tout simplement.
- Une troisième fonction du chant est liée à la rencontre des partenaires. En effet comme chez
beaucoup d’espèces animales, c’est la femelle qui choisit son partenaire. Et justement chez nos
oiseaux chanteurs la qualité du chant sera un des critères de choix de la femelle. Un autre critère
pourra être par exemple le plumage ou la qualité du territoire. Un chant clair, puissant et répété est
un critère de bon état physique, et donc potentiellement reflète un territoire de qualité et bien
défendu.
- La quatrième fonction que l’on peut évoquer est liée à la physiologie de la reproduction. La
femelle qui entend inlassablement son partenaire chanter va être stimulée d’un point de vue
hormonal, et va avoir tendance à libérer plus d’ovules et plus tôt qu’une femelle moins stimulée.
Cela doit donc entraîner une descendance plus nombreuse et plus précoce.
Dans tous les cas nous voyons que le chant est lié de près ou de loin à la survie des jeunes.
Voici un schéma de synthèse des adaptations du chant territorial des passereaux.
En aucun cas (ou alors personne ne l’a encore prouvé) le chant n’exprime la gaieté de l’oiseau.
Désolé, mais l’expression « gai comme un pinson » n’a aucun sens.
Description des chants
Comme nous l’avons souligné plus haut la description des chants est problématique ! On utilisera
pour cela des graphiques représentant les sons : on les appelle « Sonogrammes » (voir l’encadré en
dessous)
Comparaisons de sonogrammes :
 Différence de chant entre espèces.
Nous avons vu qu’une des fonctions principales du chant consistait à communiquer à l’intérieur de
l’espèce, entre les mâles ou entre mâles et femelles. La manière de chanter pour une espèce est donc
stéréotypée comme l’illustrent les 3 exemples suivants, et chaque espèce a un « vocabulaire propre »
et bien différent des autres.
Troglodyte : séquence de 3 phrases presque identiques du même individu
Pinson des
arbres :
séquence de 3
phrases du
même
individu
Pouillot véloce :
séquence de 2 phrases
du même individu
 Différence de chant entre individus d’une même espèce.
Nous avons aussi vu que les individus voisins doivent pouvoir se reconnaître entre eux afin d’éviter
des bagarres inutiles. En effet un voisin stable n’est pas dangereux puisqu’il a lui-même son territoire.
Il est donc très utile que nos oiseaux aient dans leur chant de légères variations entre individus (une
voix différente pourrait-on dire) afin qu’ils se reconnaissent.
Dans l’illustration ci dessous on observe une uniformité du chant chez un même individu (mâle 1). Ce
chant est légèrement différent de celui d’un autre individu (mâle 2).
Chant de Troglodyte ; comparaison du chant de 2 mâles (voir les enregistrements à la page
suivante)
On observe des différences notables entre ces deux individus notamment en ce qui concerne la
présence de certaines notes, leur vitesse d’exécution. Cependant on retrouve les mêmes motifs ce
qui est caractéristique de la « langue » troglodyte !
Mâle 1 : individu enregistré à La Méaugon (22)
Mâle 2 : individu enregistré à Saint-Donan (22)
Dans les prochains numéros du Râle d’eau nous aborderons d’autres aspects de la communication
sonore des passereaux. Nous aborderons d’abord les adaptations des cris d’alarme, comportement
directement lié à la survie de l’animal et de ses congénères face aux prédateurs. Ensuite, nous
essaierons de répondre à une question qui a longtemps interpellé les éthologues. Pourquoi
certaines espèces ont des chants stéréotypés (une phrase, toujours la même, répétée indéfiniment
comme celle du pinson) et d’autres espèces, des chants très variés, parfois avec des imitations en
nombre important comme chez la grive musicienne ?
Bibliographie :
Bossus A. 1997 – La clé des chants. L’oiseau magazine 49 : 36-39
Bossus A., Charron F. 1991 – Le chant des oiseaux. Ed. Le sang de la terre.
Bossus A., Charron F. 2003 - Guide des chants d’oiseaux d’Europe occidentale. Ed.
DelachauxNiestlé.
Kreutzer M. 1983 – Le chant des oiseaux. La recherche n°142.
Leroy Y., 1979 – L’univers sonore animal. Ed. Gauthier-Villars
Illustrations :
Tous les sonogrammes ont été réalisés par l’auteur.
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