Les cellules souches hématopoïétiques : applications

FLAMMARION
MÉDECINE
-
SCIENCES
ACTUALITÉS
NÉPHROLOGIQUES
2001
(www.medecine-flammarion.com)
LES CELLULES SOUCHES HÉMATOPOÏÉTIQUES :
APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES
DANS LES MALADIES AUTO-IMMUNES
ET EN TRANSPLANTATION D’ORGANE
par
M. TOUNGOUZ et M. GOLDMAN*
Le système hématopoïétique est constitué d’une hiérarchie de progéniteurs,
de précurseurs et de cellules mûres qui diffèrent par leurs capacités à proliférer
et à se différencier. Le maintien de ce système repose sur l’existence de cellules
souches hématopoïétiques primitives et pluripotentes (CSH) qui ont la capacité
de s’auto-renouveler et de reconstituer l’ensemble des lignées cellulaires sangui-
nes. La transplantation de CSH est devenue une approche très efficace pour res-
taurer les systèmes immunologique et hématologique après myéloablation.
Actuellement, la greffe de CSH est un traitement validé du cancer et des maladies
hématologiques. Elle représente l’application principale de la thérapie cellulaire.
Au cours des dernières années, des avancées considérables ont été enregistrées
dans le domaine de la greffe de CSH. L’utilisation de greffons cellulaires, hau-
tement enrichis en CSH et appauvris en cellules mûres, a permis de réduire l’inci-
dence de maladie du greffon contre l’hôte (HVG) par élimination des
lymphocytes T alloréactifs et de minimiser la probabilité de réintroduction de
cellules tumorales qui sont souvent présentes dans les greffons cellulaires auto-
logues non manipulés [1]. L’utilisation de grandes quantités de CSH du sang
périphérique (CSHP) a été associée à une récupération hématologique plus
rapide, réduisant de ce fait les risques de saignement dus à la thrombopénie et
les risques d’infection dus à la neutropénie [2]. Par delà le traitement du cancer,
cette sécurité accrue de la greffe de CSH a rendu cette modalité thérapeutique
attractive pour le traitement d’autres désordres du système hématolymphoïde
comme les maladies auto-immunes (MAI) et pour l’induction de tolérance à la
greffe d’organe.
* Département d'Immunologie-Hématologie-Transfusion, Hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique.
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GREFFE DE CELLULES SOUCHES HÉMATOPOÏÉTIQUES
POUR LE TRAITEMENT
DES MALADIES AUTO-IMMUNES SÉVÈRES
La prévalence des MAI, dans les pays occidentaux, est estimé entre 3 [3] et 7
p. 100 [4]. La liste de MAI augmente sans cesse du fait de la meilleure compré-
hension de la pathogénie de nombreuses maladies dont l’origine restait inconnue.
L’une des caractéristiques des MAI est leur évolution clinique variable qui peut
aller d’un épisode unique sans séquelle, une progression indolente avec handicap
significatif jusqu’à la maladie rapidement progressive avec mortalité précoce. Si
ce sous-groupe de patients souffrant de MAI réfractaire pouvait être identifié avant
de développer des lésions irréversibles, il serait le candidat idéal pour l’immunoa-
blation suivie d’une greffe de CSH. De nombreuses études animales ont montré
que les MAI, aussi bien héréditaires qu’induites, pouvaient être traitées avec succès
par greffe de CSH [5]. Chez l’homme, l’efficacité d’un tel traitement a été initia-
lement observée après greffe de moelle allogénique réalisée pour traiter une leu-
cémie ou une anémie aplasique chez des patients qui avaient aussi une MAI [6].
La plupart des patients avaient une arthrite rhumatoïde (RA) et étaient transplantés
du fait d’une anémie aplasique secondaire à un traitement aux sels d’or ou à la D-
pénicillamine. Au Fred Hutchinson Cancer Center de Seattle, 4 patients sur 6 souf-
frant à la fois d’une maladie de Crohn et d’une leucémie ont été guéris des deux
maladies après transplantation de moelle allogénique. D’autres auteurs rapportent
l’effet bénéfique de la greffe de moelle dans d’autres MAI incluant la sclérose
multiple (MS) [7, 8], le lupus érythémateux disséminé(LED), le syndrome d’Evans
et le syndrome de CREST [9, 10]. Des transplantations à la fois autologues et allo-
géniques ont été réalisées mais le nombre de transplantations autologues est de
loin supérieur à celui des transplantations allogéniques pour des raisons évidentes
de sécurité. Néanmoins, des résultats décevants ont été notés initialement en ce
qui concerne les greffes autologues. L’infusion de greffons autologues à 4 patients
souffrant de SAID (myasthénie, thyroïdite de Hashimoto, LED, dermatite atopique
et RA) fut suivie d’une persistance ou d’une récurrence des signes cliniques ou
sérologiques de la maladie [11]. Un patients souffrant de syndrome de CREST
traité par des hautes doses de cyclophosphamide (CY) puis par une greffe de CSH
autologues a bénéficié d’une rémission complète mais transitoire de la maladie
[12]. Ces données suggéraient que la greffe autologue devait être purgée des lym-
phocytes T autoréactifs avant l’infusion. Ceci peut être réalisé par sélection posi-
tive des cellules souches CD34+ (déplétion lymphocytaire T de l’ordre de 2-3
logarithmes) suivie d’une sélection négative des cellules non-CD34+ par l’utilisa-
tion d’anticorps (Ac) monoclonaux anti-CD2, -CD3, -CD4 et -CD8.
Le mécanisme exact des effets bénéfiques de la greffe de CSH dans les MAI
n’est qu’imparfaitement compris. Théoriquement, les CSH pourraient induire une
rémission à long terme par régénération d’un répertoire immunitaire naïf (fig. 1)
restant non réactif aux auto-antigènes jusqu’à une éventuelle réexposition à l’agent
déclencheur de la maladie initiale. Cette absence de réactivité aux autoantigènes
pourrait résulter de la génération de cellules suppressives et/ou de l’induction de
tolérance par l’exposition aux lymphocytes, tôt au cours de l’ontogénie, d’épitopes
du soi aboutissant à l’anergie et/ou à la délétion clonale des lymphocytes autoréac-
tifs. Si la plupart des MAI étaient dues à des défauts de la cellule souche hémato-
LES
CELLULES
SOUCHES
HÉMATOPOÏÉTIQUES
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poïétique, cette approche ne serait pas appropriée. Cependant, la plupart des MAI
surviennent chez l’adulte et la majorité de jumeaux monozygotes sont discordants
pour ces maladies ce qui plaide contre cette hypothèse.
Pour justifier un nouvelle approche thérapeutique, la morbidité et la mortalité
liées à la maladie doivent bien évidemment être supérieures à celles du traitement.
La diminution impressionnante de la mortalité liée à la transplantation (TRM) en
FIG. 1. Principe de la transplantation de cellules souches hématopoïétiques pour le trai-
tement des maladies auto-immunitaires sévères et développements proposés (Encadrés).
D: donneur.
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situation autologue (< 3 p. 100) et même allogénique (< 10 p. 100) a permis
d’envisager des essais cliniques utilisant les CSH pour le traitement des MAIS
réfractaires au traitement conventionnel [13]. Les résultats de ces essais ont été
collectés grâce à une action conjointe de l’EBMT (European Bone Marrow Trans-
plant Group) et de l’EULAR (European League Against Rheumatism). Ces résul-
tats sont extrêmement encourageants. Les données cumulées présentées lors du
meeting tenu à Bâle en Octobre 2000 sont les suivantes. En Europe et en Asie,
251 patients ont été transplantés. Le suivi médian était de 13 mois. La plupart des
centres ont utilisé la greffe autologue. Les indications principales sont la MS
(n = 89), la sclérose systémique (SSc) (n = 52), le LED (n = 23), la RA (n = 21)
et l’arthrite chronique juvénile (JCA) (n = 21) (
voir aussi
13). Le régime de
conditionnement avait pour but l’ablation du système immunitaire. Il variait d’une
indication à l’autre. CY (120 mg/kg) et irradiation corporelle totale (TBI) (12,6
Gy fractionnés sur 4 jours) dans la MS. CY (100 et 200 mg/kg) seul dans la RA.
Le régime de conditionnement le plus intensif a été utilisé dans la JCA: 4 jours de
globulines anti-thymocytaires (ATG), CY 200 mg/kg et dose unique de TBI (4
Gy). Sur les 251 patients, 225 sont en vie ; 7 et 19 sont décédés respectivement
du fait d’une progression de la maladie et de complications.La TRM était de 9
p. 100 ce qui est comparable à la TRM associée à la greffe de CSH autologues
dans le cancer. Les résultats préliminaires indiquent que le taux de rechute le plus
élevé à un an est observé dans la JCA (50 p. 100) alors que seuls 10 p. 100 des
patients avec MS et SSc ont rechuté. Les données US de l’ABMTR sont sembla-
bles. 87 patients ont été transplantés. Les indications principales sont les mêmes.
Après quatre ans de suivi médian, le taux de survie est de 89 p. 100. Le source de
CSH recommandée est le sang périphérique du fait de la prise de greffe hémato-
logique plus rapide. Si actuellement, un tiers des greffons cellulaires ont été appau-
vris en lymphocytes T, l’effet bénéfique de cette procédure reste à établir. Ceci
est particulièrement vrai au vu du retard à la reconstitution immunitaire qui y est
associé bien que certains résultats cliniques majeurs aient été rapportés [14].
La transplantation de CSH est réalisée dans le monde entier pour traiter les
SAID. Bien que davantage de rémissions que de vraies guérisons aient été obte-
nues, les résultats sont globalement très encourageants. Dans certaines maladies,
en particulier la MS, les résultats sont supérieurs à ceux obtenus par les traitements
conventionnels. Des essais prospectifs randomisés doivent être maintenant mis sur
pieds afin de préciser les meilleures indications, régimes de conditionnement et
manipulations cellulaires.
GREFFE DE CELLULES SOUCHES POUR L’INDUCTION
DE TOLÉRANCE EN TRANSPLANTATION D’ORGANE
L’induction de tolérance constitue la quête ultime en transplantation. C’est la
solution à la perte tardive des greffons due au rejet chronique et aux effets secon-
daires mortels de l’immunosuppression que sont les cancers et les infections.
Enfin, c’est l’étape obligée pour surmonter la formidable barrière posée par la
xénotransplantation.
L’induction et le maintien de la tolérance dépendent de deux mécanismes non
mutuellement exclusifs. Le premier est la délétion intra-thymique des clones T
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SOUCHES
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alloréactifs. Dans cette forme de tolérance aussi appelée « tolérance centrale », la
prise de greffe stable des cellules du donneur dans les sites hématopoïétiques
(macrochimérisme) du receveur induit l’élimination des lymphocytes T spécifi-
ques du donneur durant leur différenciation. Ce processus de sélection négative
est identique à celui aboutissant à la délétion clonale des lymphocytes T autoréac-
tifs survenant au cours de l’éducation thymique. La seconde forme de tolérance
appelée « tolérance periphérique », consiste en l’inactivation, en périphérie, des
lymphocytes T alloréactifs causant des dommages à la greffe. On suppose que ce
phénomène résulterait du microchimérisme défini comme la persistance de faibles
quantités de cellules du donneur à des sites distants de la greffe (peau, sang, gan-
glions lymphatiques). Les mécanismes impliqués dans la tolérance périphérique
incluent l’apoptose, l’anergie, l’immunodéviation avec production préférentielle
de cytokines suppressives commme l’IL-10.
Microchimérisme et tolérance
La relation entre microchimérisme et tolérance a d’abord été suggérée par
l’observation de l’effet bénéfique des transfusions sanguines avant transplantation.
Cette procédure résulte en une amélioration de 5 à 10 p. 100 de la survie des gref-
fons [15, 16]. Plus récemment, Starzl et coll. ont décrit une relation entre micro-
chimérisme et survie à long terme (27-29 ans) du greffon hépatique ou rénal
[17, 18]. Cette équipe a suggéré que les leucocytes du donneur pouvaient induire
chez le receveur une tolérance périphérique par l’anergie des lymphocytes T
induite par des cellules présentatrices d’antigène non professionnelles [19]. De
plus, certaines cellules du donneur peuvent exercer un effet veto résultant en l’inac-
tivation des lymphocytes T anti-donneur [20, 21]. Dans de nombreux modèles, on
a pu montrer que cette forme de tolérance dépendait d’une balance instable entre
microchimérisme et immunité anti-donneur. Ainsi, l’élimination des leucocytes du
donneur est corrélée au rejet de greffe [22, 23]. Cependant, la pertinence clinique
du microchimérisme est toujours matière à controverse et les données actuelles de
la littérature indiquent que ce type de chimérisme représente plus une conséquence
qu’une cause de la survie du greffon à long terme. De fait, le rejet aigu de greffe
peut survenir chez des patients présentant un microchimérisme stable [24, 25] et
dans cette situation, la disparition du microchimérisme après l’enlèvement du gref-
fon suggère qu’il reflète une libération constante de cellules du donneur de la greffe
[20]. Quoiqu’il en soit, ce champ intense de recherches a encouragé de nombreux
groupes à évaluer des protocoles cliniques de greffe combinée de CSH du donneur
et d’organe dans le but d’augmenter le microchimérisme. La greffe cellulaire était
réalisée en conjonction avec la mise en place d’une immunosuppression conven-
tionnelle, c’est-à-dire sans préconditionnement du receveur par des agents myélo-
toxiques. En transplantation hépatique, de tels protocoles ont permis d’augmenter
la survie du greffon [26]. Cependant, la vraie tolérance n’a pu être induite car
l’immunosuppression post-greffe n’a pu être arrêtée et les tests in vitro suggéraient
une immunosuppression non spécifique [27]. Des inquiétudes en ce qui concerne
la sécurité ont aussi été soulevées par ces essais. En transplantation rénale, l’infu-
sion de CSH du donneur non manipulée était associée à une augmentation de la
mortalité due à des infections virales [28]. Dans notre propre expérience, l’admi-
nistration de cellules CD34+ purifiées chez 10 receveurs de rein fut bien tolérée
bien qu’aucun chimérisme à long terme n’ait pu démontré, probablement du fait
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