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Ce résultat semble confirmer l’espoir formaliste de Hilbert, mais Gödel reste
prudent; Hahn, enthousiaste, l’encourage à publier une version abrégée de sa
thèse. L’article, La complétude des axiomes du calcul logique des fonctions,
paraît en 1930 dans les «Monatshefte für Mathematik und Physik». Détail inté-
ressant, Gödel n’y reprend aucun élément de l’introduction de sa thèse, où il avait
mis son résultat en relation avec les débats sur les fondements des mathéma-
tiques. Réserve judicieuse? Contraintes éditoriales de longueur? Nul ne le sait.
Les mathématiques sont inépuisables
Voici le résumé de l’article que Gödel envoie aux «Monatshefte»:
Dans les fondements axiomatiques de la logique, tels qu’ils sont établis par
exemple dans les Principia Mathematica, est soulevée la question suivante: les
axiomes placés en tête sont-ils «complets», c’est-à-dire suffisent-ils pour déduire
toute proposition importante de la logique par la voie formelle? Ce problème
n’est résolu jusqu’ici que pour les propositions logiques les plus simples, notam-
ment celles du calcul propositionnel. La réponse est positive, c’est-à-dire que
toute proposition vraie (valide en général) découle des axiomes des Principia
Mathematica. L’auteur montre comment on étend ce théorème aux formules du
calcul des fonctions [calcul des prédicats] du premier ordre [dont les quantifica-
teurs ne portent pas sur des fonctions et des prédicats].
Dans sa thèse, Gödel prend encore parti pour Hilbert et contre Brouwer. Il jus-
tifie dans l’introduction sa position formaliste: «Toutes les notions prises en
considération ici (démontrable, non contradictoire, etc.) n’ont de sens exact que
si on délimite avec précision les méthodes de déduction admises.» Les intuition-
nistes me reprocheront d’utiliser le principe du tiers exclu pour les ensembles infi-
nis, qui pour eux n’affirme «rien d’autre que la décidabilité de tout problème»,
poursuit-il. Mais il ajoute aussitôt que «premièrement, le principe du tiers exclu
n’est interprété de cette façon que par les intuitionnistes»; deuxièmement, cette
interprétation intuitionniste signifie que tout problème est résoluble à l’aide de
tous moyens concevables, et non à l’aide de moyens déterminés. Or, «dans les
présents travaux, il est justement démontré que toute expression valide en géné-
ral se déduit par des règles d’inférence parfaitement déterminées et dénombrées».
Si Gödel n’adhère pas à l’intuitionnisme de Brouwer, certaines idées du néer-
landais influencent le doctorant. Nous ne savons pas si Gödel assista aux deux
conférences que Brouwer donna à Vienne en mars 1928, sur l’invitation de
Menger, mais Gödel en connaissait le contenu au moins par le compte rendu que
Menger avait mis à sa disposition. Dans la première de ces deux conférences, inti-
tulée Mathématiques, sciences et langage, Brouwer ironise sur les tentatives que
déploient les formalistes (Hilbert) pour préciser le langage. En mathématiques
pures, il n’existe pas plus qu’ailleurs de langage absolument sûr, pense-t-il, c’est-
à-dire de langage excluant tout malentendu et où la mémoire évite les erreurs (par
En 1930, Herbrand démontra que l’on pouvait toujours
ramener une formule du calcul des prédicats du premier
ordre à une suite de formules du calcul des propositions, et
qu’il suffisait que l’une de ces formules soit démontrable
pour que la formule initiale le soit aussi.
Considérons une formule Ade la logique du premier ordre.
On peut toujours la ramener à une expression qui com-
mence par une suite de quantificateurs et finit par une
phrase logique sans quantificateur, du type
Qx1…QxnB(x1,…,xn), où Qreprésente les quantificateurs,
Bune proposition exempte de quantificateurs et les xiles
variables de la formule. Herbrand s’intéresse alors aux «ins-
tances» de B, c’est-à-dire aux phrases B(a1,…,an), pour des
valeurs données aides xi. Les «formules propositionnelles»
auxquelles il fait allusion dans son théorème sont ces ins-
tances. Le point important, c'est la manière dont les individus
a1,…,an(qui forment l'«univers de Herbrand» de la for-
mule A) sont progressivement engendrés pour parcourir tout
l’ensemble des xi. Partant d'un objet quelconque (disons
«a»), on les construit en appliquant aux objets déjà obtenus
les «fonctions de Skolem», qui résultent de la structure de la
formule A. Prenons un exemple: soit Ala formule «Pour
tout x, il existe ytel que B(x,y)». La vérité de Aéquivaut à la
vérité de la formule «Pour tout x,B(x,f(y))», où «f» («fonc-
tion de Skolem») exprime la dépendance de ypar rapport
àx. De manière générale, on remplace tous les quantifica-
teurs existentiels par des fonctions de Skolem des variables
universelles qui les précèdent dans l'écriture de A. On
engendre ainsi des formules du type B(a,f(a),b,g(a,b)) telles
que la vérité de l'une garantit celle de A.
Le théorème de Herbrand
AXIOMES ET MODÈLES
Pour montrer la cohérence (c’est-à-
dire la non-contradiction) d’une théo-
rie, on recherche un « modèle » qui
vérifie les axiomes de base de la
théorie. En d’autres termes, on
recherche une interprétation séman-
tique du système d’axiomes.
Donnons un exemple : un système
d’axiomes de base concerne deux
ensembles Met N, dont la nature
n’est pas initialement précisée. Ces
axiomes sont : 1) Met Nont le même
nombre d’éléments. 2) Aucun élé-
ment de Nne contient plus de deux
éléments de M. 3) Aucun élément
de Mn’est contenu dans plus de
deux éléments de N.
Ce système d’axiomes est-il cohé-
rent, c’est-à-dire ne contient-il pas de
contradictions? Oui, car on peut lui
associer le modèle géométrique sui-
vant: soit Ml’ensemble des sommets
d’un carré, et Nl’ensemble des
arêtes du carré.
Par « un élément de Ncontient un
élément de M», on entend: un som-
met du carré est sur une arête. On
constate aisément que ce modèle
géométrique vérifie les trois axiomes,
ce qui prouve leur cohérence.